1Près de 700 000 jeunes sortent chaque année du système de formation initiale. Selon les études de suivi de cohortes produites par le Céreq, 80 % des sortants en 2010 sont en emploi sept ans plus tard. Si près de la moitié des jeunes connaissent un accès rapide et durable à l’emploi, près de 20 % sont toutefois confrontés à un chômage persistant ou une inactivité constante, les maintenant en marge de l’emploi et de la formation. D’autres indicateurs soulignent une dégradation de l’emploi jeune : un allongement des délais d’obtention d’un premier emploi ou d’un contrat à durée indéterminée, un déclassement pour trouver des postes en lien avec les compétences acquises en formation¹, un accroissement des contrats précaires, un salaire de première embauche proche du SMIC évoluant peu au fil des ans (Épiphane et al., 2019).

2Plus la période hors de l’emploi se prolonge, plus les liens avec les structures d’accompagnement (Pôle emploi, Missions locales…) peuvent s’éroder aussi (Reist, 2020). Du fait de cet éloignement, les difficultés à recenser les jeunes qui se précarisent conduisent à en sous-estimer le nombre, mais l’indicateur de pauvreté est éloquent : 20 % des moins de 30 ans, soit 4,5 millions de jeunes, ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté (INJEP, 2019). Cette précarité participe au report d’une émancipation, c’est-à-dire à la décohabitation du foyer parental et à l’acquisition d’une autonomie financière. Parfois ramenés au statut peu valorisé socialement de « personne assistée », ces jeunes ne surmontent pas toujours les conséquences psychologiques associées (sentiment d’inutilité, baisse de l’estime de soi, démotivation, repli sur soi…), réduisant encore leurs chances d’accès ou de retour à l’emploi (Paugam, 2009). Ce processus, qui conjugue une fragilisation des relations professionnelles et des relations sociales (Castel, 2011), est d’autant plus rapide que les changements sociétaux (instabilité des relations familiales, mobilité géographique…) participent au relâchement du lien avec les proches. L’impossibilité de se construire un avenir faute d’ancrage dans le présent et l’exclusion temporaire du monde productif entament l’importance accordée à la valeur travail (Méda & Vendramin, 2013). De la sélection du marché du travail à leur autosélection, d’autres priorités que l’intégration par l’emploi peuvent alors émerger, comme adopter un rythme de vie plus apaisé, accéder à un mode de vie plus simple, accorder une importance plus grande aux siens…

3Ce rapide panorama des enjeux rattachés à l’insertion professionnelle de la jeunesse ne doit pas laisser entendre que les jeunes sont exposés de manière équivalente aux mêmes difficultés d’entrée sur le marché du travail. Ainsi, cette recherche appréhende les facteurs concourant au risque de rupture à la fois sociale et professionnelle et à leur permanence sur les sept années suivant la fin des études.

Recenser les jeunes les plus en difficulté face à l’emploi

4Si la non-participation des jeunes au marché du travail est un problème ancien, elle s’est accentuée avec la crise financière et économique de 2008 (Danner et al. 2020). Pour établir l’ampleur de la situation, l’indicateur NEET a été adopté, contraction de l’expression anglaise Not in Employment, in Education or Training (ni en emploi, ni en éducation, ni en formation). Ce terme est apparu en 1994 au Royaume-Uni² dans une étude soulignant l’exclusion sociale des jeunes de 16 et 17 ans déscolarisés, hors du marché du travail et sans protection sociale. Il a depuis été repris aussi bien dans le monde académique qu’institutionnel comme la référence pour cibler le public bénéficiaire de la Garantie européenne pour la jeunesse lancée dès 2013. Dès le premier rapport britannique, l’hétérogénéité de la population NEET est soulignée. C’est d’ailleurs moins le fait d’être identifié NEET à un moment donné de son parcours que celui d’être sorti des études sans ressources sociales et scolaires qui s’avère déterminant sur les trajectoires professionnelles à long terme.

5Selon les organismes (OCDE, Eurostat, Insee…), la tranche d’âge et les situations à inclure dans la définition de l’indicateur varient. En considérant les jeunes âgés de 16 à 25 ans en 2018, 963 000 jeunes répondraient en France à la définition des NEET d’Eurostat (effectif cumulé sur l’année), soit 13 % de cette classe d’âge, ou 28 % des jeunes qui ont terminé leur formation initiale depuis près d’un an (Reist, 2020). Ce pourcentage place la France dans la moyenne des pays européens, entre la Hongrie et l’Espagne.

6Pour mieux apprécier les conséquences du fonctionnement du marché du travail sur l’emploi jeune, il est nécessaire de dépasser cette photographie prise une année donnée. En effet, cet indicateur agrège des populations contrastées. D’une part, sont classés NEET les femmes et les hommes qui choisissent de se retirer temporairement du marché du travail (attente d’un meilleur emploi, d’un poste en lien avec la formation, revirement de carrière transitoire, naissance d’un enfant, année sabbatique…) et/ou qui ont des ressources pour rebondir rapidement (diplômés du supérieur, jeunes soutenus par leurs parents…). D’autre part, entrent dans cette catégorie les jeunes qui subissent cette situation car leurs caractéristiques ne leur permettent pas de faire face à la compétition pour l’accès à l’emploi. L’INJEP (Francou, 2020) distingue cinq profils de NEET parmi les jeunes de 18 à 24 ans : les diplômés récemment sortis de l’enseignement supérieur commençant une recherche d’emploi (16 %) ; les bacheliers en recherche de « petits boulots » en attendant une reprise d’étude (19 %) ; les femmes avec enfant éloignées du marché du travail (14 %, dont le quart ne souhaitant pas travailler) ; les diplômés de l’enseignement professionnel au chômage de courte durée (31 %) ; les jeunes sans diplôme les plus éloignés de l’emploi (20 %, dont les trois quarts n’ont jamais travaillé).

Graphique 1. Répartition de la population selon la part du temps passé NEET sur sept ans

Être NEET, une expérience hétérogène

7Vivre un épisode en tant que NEET paraît être un point de passage inévitable pour une grande partie de la jeunesse. Le suivi longitudinal de la Génération 2010 permet d’établir que près de 70 % des jeunes ont été concernés au cours des sept années qui suivent la fin des études. La première séquence d’exposition à une situation hors de l’emploi, des études ou de la formation représente, en mois cumulés, 15 % en moyenne du nombre de mois observés durant l’enquête³. Pour quelques rares sortants, cette première séquence s’est prolongée sur les sept années enquêtées.

8En dehors de la période des vacances qui suit la fin des études⁴, près de 43 % des jeunes commencent leur trajectoire professionnelle par une première séquence où ils sont considérés comme NEET. Cette transition est susceptible de concerner potentiellement tous les jeunes. Cependant, à l’issue de leur formation, 32 % des diplômés du supérieur sont dans ce cas pour 69 % des sortants sans diplôme, avec un risque d’exposition durable inégal : parmi les jeunes qui se déclarent inactifs ou chômeurs dès la fin de leurs études, 77 % des diplômés du supérieur vont finalement connaître un accès rapide et stable à l’emploi, pour 54 % des bacheliers et 24 % des personnes sans diplôme. Pour approfondir ce constat, une modélisation sur la part que représente l’expérience en tant que NEET durant les sept années observées présente le poids du capital académique (diplôme, domaine de formation…) par rapport aux autres ressources (capital familial, ouverture socio-économique) et aux freins périphériques à l’emploi (résidence en quartier prioritaire, absence de mobilité géographique, état de santé fragile…).

9Comme l’expriment les coefficients issus d’un traitement économétrique des données (Annexe), la durée de l’expérience est davantage dépendante des ressources individuelles que représentent le capital académique et la détention du permis de conduire que du contexte familial. Cependant, celui-ci a déjà joué en amont : des parents dont le capital culturel et socio-économique est élevé sont davantage en mesure d’apporter à leurs enfants, durant leur scolarité, conseils et soutien pour mieux réussir leurs études ou choisir les orientations les plus favorables. À la fin des études, l’influence familiale peut encore intervenir, par la mise à disposition de ressources financières pour financer un permis de conduire, accompagner un projet, faciliter l’insertion dans un réseau professionnel ou plus simplement aider dans la recherche d’emploi. Le rapport à l’emploi des jeunes peut être lié aussi à l’histoire familiale, car il est d’autant plus envisageable d’intégrer la précarité et l’incertitude du lendemain comme une norme d’existence que les parents ou la fratrie ont connu eux-mêmes des situations précaires, des ruptures professionnelles et des périodes de chômage (Couronné & Sarfati, 2018).

10De manière générale, cette analyse multifactorielle rappelle que les sortants peu diplômés, les femmes avec un enfant, les personnes de milieu modeste, ou les jeunes fragilisés, voire discriminés dans l’emploi en raison de leur nationalité, de leur lieu de résidence ou de leur état de santé, sont davantage exposés au risque d’être durablement NEET. A contrario, l’ouverture socio-économique vécue pendant la scolarité telle que les stages, les séjours à l’étranger, les emplois salariés réguliers (au moins huit heures hebdomadaires tout au long de l’année), ainsi que l’obtention du permis de conduire, réduisent le risque d’être NEET, à caractéristiques équivalentes. Ce profil demeure invariable depuis plusieurs décennies, et l’élévation des qualifications d’une génération à l’autre tend à accroître les difficultés des personnes sans diplôme ou peu diplômées (Danner et al., 2020). Les pouvoirs publics ont donc progressivement réorienté le financement des aides en faveur des jeunes susceptibles de se maintenir de façon prolongée en marge de l’emploi et de la formation.

Les « NEET vulnérables », des ayants droit de l’action publique ?

11Depuis plus de trente ans, tout un ensemble d’initiatives interviennent, soit en amont du marché du travail pour prévenir l’échec scolaire et les sorties précoces du système éducatif, soit en aval, pour favoriser l’embauche des jeunes. Parmi les premières on peut citer par exemple les dispositifs relais (1998), les micro-lycées (2000) ou les missions de lutte contre le décrochage scolaire pour les lycéens (2013). Parmi les secondes figurent les contrats emploi-solidarité (1990), les emplois-jeunes (1997) ou les emplois d’avenir (2012). Ces mesures s’empilent et côtoient parfois des dispositifs d’accompagnement comme le Contrat d’insertion dans la vie sociale (2005), la Garantie jeunes (2013) ou le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (2016)… La dégradation de l’emploi des jeunes durant la pandémie vient raviver les débats sur la pertinence d’une « garantie jeune universelle » et soutenir le développement de nouvelles aides à l’embauche ou de parcours d’insertion pour les plus éloignés de l’emploi.

12Le financement de ces actions répond à la réalité d’un accès difficile et long des jeunes à l’emploi, exposant nombre d’entre eux à la précarité. Il ne répond que partiellement à la problématique des personnes les plus fragilisées qui cumulent une scolarité heurtée se terminant généralement sans diplôme, plusieurs freins périphériques à l’emploi, des caractéristiques discriminatoires (quartiers prioritaires, origine immigrée…), et souvent un contexte sociofamilial défavorable. Or, comme le souligne une enquête sur les ressources des jeunes conduite en 2014 par l’INJEP (Francou, 2020), ces jeunes les plus fragilisés, qui représentent près de 20 % des NEET de 18 à 24 ans, sont déjà parmi les moins aidés par le secteur public, car ils ne perçoivent généralement pas d’aide au logement (vivant chez leurs parents ou dans la rue), d’indemnité chômage (n’ayant jamais travaillé) ou de bourse d’études. En moyenne, leurs ressources annuelles avoisinent 2 200 €, lesquelles servent moins à financer un projet de vie qu’à assurer le quotidien.

13Les politiques publiques se tournent donc plus spécifiquement vers ces « NEET vulnérables », qualificatif utilisé pour cibler des dispositifs comme la Garantie jeunes concernant les publics en situation de grande précarité (Couronné & Sarfati, 2018). Cependant, il s’agit là de jeunes qu’il est encore possible d’identifier. Malgré les efforts faits pour densifier la présence des Missions locales sur le territoire, certains demeurent difficiles à approcher. Ces « NEET invisibles », nouvelle catégorie que tentent de recenser les pouvoirs publics, rassemblent des jeunes marqués par les difficultés familiales ou personnelles depuis l’enfance, socialisés dans la rue ou encore celles et ceux qui se distancient de l’école ou de l’emploi volontairement. Cela concerne aussi les jeunes qui passent sous les radars de la protection sociale parce que leur profil n’en fait pas ou plus des bénéficiaires (marginaux, chômeurs longue durée en fin de droit, mineurs sans soutien parental ni droit à un reversement direct des aides à la famille).

14D’une manière générale, la prise en charge des plus vulnérables est longue et complexe, car pour être accompagné, il faut avoir connaissance des aides, puis en faire la demande, et enfin obtenir la prestation demandée (Warin, 2016). Tout un processus qui participe à l’auto-exclusion des plus démunis qui ne sont pas toujours en mesure d’élaborer de telles stratégies d’accès à l’offre. De plus, relégués par leur famille, l’école et l’emploi, mais responsabilisés dans leurs échecs, la conditionnalisation croissante des aides (Dufour et al., 2008) devient un obstacle pour les jeunes encore loin de la figure de l’adulte ou peu enclins à rejoindre un monde structuré autour de la valeur travail. Cet accompagnement limité dans le temps n’est d’ailleurs pas toujours bien adapté pour faire face aux événements qui ont pesé sur leur histoire.

15Enfin, les situations fragiles de ces NEET les empêchent souvent d’être retenus dans les dispositifs, quand bien même ils en constituent la cible dans les textes. En effet, ces dispositifs sont évalués à l’aune d’un taux positif de sortie souvent défini par le nombre de retours en formation qualifiante ou d’embauches sur un contrat de plus de six mois. Cette logique de résultat qui gouverne le maintien dans le label, les financements ou les moyens de fonctionnement attribués aux institutions encadrantes fait peser une pression sur les intervenants et les hiérarchies intermédiaires. Lors des entretiens de pré-admission, les personnes dont la situation personnelle minimise le risque d’abandon du dispositif et réduit les difficultés d’accès à l’emploi sont ainsi favorisées : jeunes sans casier judiciaire, avec permis de conduire, sans difficulté de compréhension ou d’expression ni de comportement social inadapté, ni un état de santé ou psychologique fragile (Bernard, 2018). De la même façon, ceux témoignant d’une motivation forte à intégrer le dispositif, adhérant au travail éducatif proposé et portés par un projet professionnel seront davantage admis (Zaffran & Vollet, 2018).

Conclusion

16L’indicateur synthétique NEET désigne des jeunes éloignés du marché du travail et de la formation sans jamais qualifier ni quantifier ce degré d’éloignement. De plus, il ne permet pas de saisir la disparité des situations puisqu’il intègre aussi bien les diplômés allongeant leur durée de recherche d’emploi pour cibler des offres en lien avec leur formation, que les personnes actives exposées temporairement à une rupture de carrière ou les jeunes ne parvenant pas à trouver un travail. Bien que pragmatique pour établir des comparaisons internationales⁵ et alerter les pouvoirs publics sur les difficultés de la jeunesse à s’insérer, il masque la réalité sociale. Si les évolutions du marché du travail conduisent la plupart des jeunes à être NEET au cours de leur trajectoire, seule une minorité se trouve grandement menacée par des difficultés persistantes d’accès à l’emploi, avec un risque d’exposition à la précarité, la pauvreté et la vulnérabilité.

17Le profil de ces NEET en situation de vulnérabilité ne pose pas seulement la question de l’égalité des chances d’accès à l’emploi. Bien souvent, la construction d’un parcours dans l’exclusion sociale les a amenés à faire l’expérience tout au long de leur trajectoire d’une tutelle institutionnelle, à travers des aides à la scolarité qui se prolongent par des aides à l’insertion, en passant pour certains par les aides à l’enfance des services sociaux. Sortis du système éducatif, leur dépendance aux aides publiques se prolonge, car ces jeunes peu ou pas qualifiés obtiennent au mieux des emplois de court terme dont le niveau de rémunération compense difficilement les coûts associés (frais de transport, frais de garde, baisse des aides sociales suite à l’embauche…).

18Ainsi, pour ces jeunes les plus éloignés de l’emploi et de la formation, l’arbitrage entre dépendre des aides publiques ou des maigres revenus du « précariat⁶ » peut relever d’un choix cornélien… Encore faut-il pouvoir en bénéficier. Il en est de même de l’accès aux dispositifs d’accompagnement vers l’insertion par ces jeunes au profil spécifique. Aussi, la question demeure, pour tout acteur et financeur de politiques publiques, à court terme de l’atteinte de la cible et à long terme de leur efficience pour les faire sortir d’une trajectoire NEET.