Le diplôme d’accès aux études universitaires, entre promesses et réalité
p. 134-140
Résumé
Diplôme de seconde chance mais aussi moyen de reconstruction identitaire, le diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) ouvre des opportunités en matière de poursuite d’études ou d’évolution professionnelle. Cependant, il ne représente qu’une étape dans un parcours souvent exigeant.
Texte intégral
1Le diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) est un diplôme national, équivalent du baccalauréat, qui présente la double particularité d’être préparé dans les universités et d’être uniquement accessible en formation continue. Il permet à des non-bacheliers d’obtenir le niveau requis pour poursuivre des études supérieures ou passer des concours exigeant le baccalauréat. Son origine remonte à 1956, mais sa forme actuelle a été instaurée par le décret n° 94-684 du 3 août 1994 qui le régit encore à ce jour. Chaque année, en France, autour de
5 000 DAEU sont délivrés, dont 85 % de DAEU A dits « littéraires » et 15 % de DAEU B dits « scientifiques » (DEP, 2000 et 2006 ; EESRI, 2019).
2Les rares travaux existants sur les publics de non-bacheliers à l’université soulignent l’importance des enjeux personnels et professionnels associés à ces reprises d’études, pour des femmes et des hommes aux expériences professionnelles diverses et ayant souvent été en délicatesse avec l’école (Poliak, 1991 ; Zaouni-Denoux, 2014). Ils nous conduisent à interroger la reprise d’études en DAEU au prisme du sens que lui donnent les individus et de sa place dans un processus de construction d’une identité sociale et professionnelle saisie dans sa globalité. Pour cela, nous avons retenu une approche biographique et compréhensive pour mener une enquête auprès de ces publics (cf. #1 - Méthodologie). À partir des récits recueillis, nous analyserons tout d’abord les déterminants du retour aux études, puis le rapport à la formation de ces publics, et enfin la manière dont les nouveaux diplômés appréhendent l’après-DAEU.
#1 – Méthodologie
Quatorze personnes, neuf femmes et cinq hommes, titulaires du DAEU ont été interviewées en 2019 dans deux universités.
• Diplômées entre 2015 et 2018, elles ont, au moment de l’entretien, entre une et quatre années de recul sur leur expérience.
• Neuf ont obtenu le DAEU A (littéraire) et cinq le DAEU B (scientifique).
• Huit d’entre elles avaient moins de 30 ans lors de l’obtention du DAEU.
• Toutes avaient quitté l’école entre 16 et 19 ans, dix sans aucun diplôme et quatre avec un BEP ou CAP.
Elles ont été invitées à raconter leur histoire, leur parcours scolaire et professionnel, le cheminement les ayant amenées au DAEU, le vécu et les suites de la formation.
Une quête identitaire à travers le diplôme
3La reprise d’études en DAEU prend sens dans des histoires individuelles. La sortie de formation initiale a plusieurs origines : un désintérêt pour les études, parfois suite à une orientation contrariée, le sentiment de ne pas être à sa place dans l’univers scolaire, des situations personnelles qui conduisent à un décrochage (une maternité, des problèmes de santé ou d’addiction, des difficultés familiales…). Ce retour aux études était souvent envisagé de longue date. Il s’impose un jour comme une nécessité ou une évidence. Le choix du DAEU n’est pas neutre. Il s’agit bien d’obtenir l’équivalent du baccalauréat, diplôme considéré comme une norme dans la société et passage obligé pour accéder aux études supérieures. Mais les motivations sont plus larges, diverses et imbriquées. On peut distinguer quatre types de trajectoires.
4Pour certaines personnes, le DAEU est d’abord relié à un souhait d’évolution professionnelle. La première trajectoire correspond à des discours dans lesquels, bien que satisfaits de leur parcours antérieur, les individus expriment le souhait de se reconvertir. La construction d’un nouveau projet professionnel est le principal ressort qui les anime.
👤 Camille, 28 ans, a arrêté le lycée au cours de sa deuxième année de 1ère pour gérer un centre équestre tout en faisant de l’équitation à haut niveau, par passion. Après une dizaine d’années, elle dit vouloir » changer de métier en gardant le cheval en loisir ». Peu à peu, un projet de reprise d’études se dessine, elle s’inscrit en DAEU et fait des remises à niveau. Elle s’oriente vers un « métier dans le soin aux personnes » et entreprend des études longues, soutenue financièrement par sa mère.
5Dans la deuxième trajectoire, c’est le souhait de sortir d’une place assignée par l’absence de diplôme qui structure les propos. Les individus réalisent un jour que leur parcours scolaire antérieur les a conduit vers une situation qui ne leur correspond pas, une impasse professionnelle au regard de leurs aspirations. Le DAEU offre alors une perspective de changement de métier.
👤 Louis, 23 ans, renvoyé du lycée en classe de seconde, enchaîne des petits boulots, saisonnier, commercial… pour se rendre compte que « sans diplôme, on ne faisait pas grand-chose, on finissait caissier ». Il retourne vivre chez son père, passe le DAEU, s’inscrit en licence d’économie, sans projet professionnel précis, sans doute du fait de son jeune âge.
6Pour d’autres interviewés, la motivation professionnelle passe au second plan, voire s’efface, au profit d’enjeux plus personnels. Dans cette troisième trajectoire, l’engagement dans le DAEU est expliqué par le souhait de se mettre en conformité avec les normes de leur environnement, qu’il soit familial, amical ou professionnel, et par la volonté de modifier l’image de soi vis-à-vis d’autrui.
👤 Patricia, 39 ans, titulaire d’un BEP cuisine, avec diverses expériences dans la restauration et la vente, explique avoir toujours eu « honte » de ne pas avoir le bac par rapport à ses amis, diplômés et occupant des postes qualifiés, bien que ces derniers » s’en fichent un peu ». Issue d’une famille où la culture est importante (mère enseignante), elle dit aussi ne pas se retrouver dans le milieu professionnel dans lequel elle évolue, « intellectuellement pas tellement riche ».
7La dernière trajectoire est celle d’un retour aux études pour soi. Dans certains cas, il s’agit de faire des études qui correspondent à ses appétences lorsque cela n’a pas été possible auparavant, par exemple du fait d’une orientation subie. Dans d’autres, les études sont appréhendées comme un moyen de se reconstruire.
👤 L’histoire d’Irène illustre cette trajectoire. Elle a en effet arrêté ses études à 16 ans convaincue que « la vraie vie » était ailleurs. Durant une trentaine d’années elle travaille dans des milieux associatifs et militants, artistiques et culturels, comme bénévole et comme professionnelle, avec un épisode d’assistante comptable, qu’elle considère comme un job alimentaire lui permettant de s’engager en parallèle dans des activités associatives. À 47 ans, elle décrit une période de « flottement », où elle se questionne sur son parcours et sur le sens à donner à sa vie. Elle n’a pas d’objectif précis, n’arrive pas à formaliser ce qu’elle cherche à travers le DAEU, si ce n’est une nouvelle manière d’appréhender le monde par les études.
La formation au DAEU : une réconciliation avec les études
8Les personnes interviewées ont obtenu leur diplôme dans des temporalités différentes - entre une et quatre années - dépendantes de leur niveau scolaire, de leur plus ou moins grande facilité d’apprentissage mais aussi de leur capacité à concilier formation et vies professionnelle et familiale.
9Mais quelles que soient ces situations, deux éléments majeurs sont évoqués comme facilitant le retour aux études et la réussite : les liens qui se tissent au sein de la promotion et la relation de proximité avec les enseignants.
10D’âges et de milieux sociaux différents, les stagiaires ont en commun leurs parcours atypiques, ce qui crée une solidarité et une absence de jugement : « on était tous au même point (…) Tu es ici pour la même raison que moi (…) Tu as arrêté tes études et tu veux les reprendre (…) Ça crée des supers liens » (Louis, 23 ans). Le fait de se retrouver avec des personnes qui leur ressemblent est perçu comme rassurant, « j’étais avec des gens un peu plus comme moi » (Suzanne, 33 ans) et la plupart soulignent l’excellente ambiance et l’entraide pour les cours : « ça a été une bonne promo, une bonne année de travail et de soutien » (Aurélie, 28 ans).
11Les relations avec les enseignants sont également vécues de manière positive, à l’opposé de leur expérience antérieure au collège et au lycée, où ils se sont parfois sentis déconsidérés : « les relations profs/élèves, je n’avais pas de très bons souvenirs » (Lilian, 51 ans). Ils apprécient particulièrement d’être considérés d’égal à égal, « on n’est pas infantilisés » (Guérin, 27 ans). Certains préfèrent d’ailleurs qualifier les enseignants de « formateurs » ou d’« intervenants ». Ces derniers sont ainsi décrits comme très impliqués, « des profs qui te portent » (Myriam 38 ans), prenant en considération leurs spécificités.
12La formation au DAEU est donc dépeinte comme « une bulle » offrant un environnement protecteur, propice à la construction d’un nouveau rapport au savoir. Malgré les difficultés, les personnes rencontrées font part de leur intérêt pour les cours suivis et racontent avoir trouvé un vrai plaisir dans les études, se découvrant une motivation qu’ils n’avaient pas connue plus jeunes : « Je l’ai abordé de manière adulte, où on est content d’écouter (…) ça m’a fait vraiment plaisir de réapprendre, même l’histoire de la France, c’était vraiment chouette, ça m’a vraiment intéressée. » (Patricia, 39 ans), « Je bossais à fond (…) j’adorais aller à la bibliothèque universitaire, j’étais au milieu des étudiants, j’ai revécu ce que je n’avais pas vécu, moi. » (Myriam, 38 ans)
13La réussite au DAEU apparaît alors comme une véritable source de « fierté ». Elle contribue à la construction d’une meilleure image de soi et vient restaurer la confiance en ses capacités à accomplir des choses positives : « se dire qu’on est capable de faire des belles choses » (Louis, 23 ans), « de faire quelque chose scolairement parlant » (Guérin, 27 ans). Elle apporte aussi une certaine reconnaissance sociale : « Je me sens plus légitime dans les conversations (…) c’est stupide parce qu’il y en a qui ont un CAP, qui sont très intelligents (…) Mais j’ai, moi, besoin de me sentir valorisée pour être plus à l’aise, même en société. » (Raphaëlle, 40 ans)
14Le DAEU vient ainsi combler ce qui est considéré comme un « manque » dans le parcours. Il finalise les études secondaires, il marque « une revanche » sur le passé. L’obtention du diplôme peut d’ailleurs être l’occasion d’une reprise de contact avec la famille, lorsque l’arrêt précoce des études a distendu les liens familiaux : « Depuis dix-huit ans, vingt ans, on ne se parlait plus. Après, il y a eu une bonne relation suite à ça (…) Mon père, je crois qu’il était fier. » (Richard, 36 ans)
Un diplôme qui entrouvre des portes
15L’obtention du DAEU ouvre un nouveau champ de possibles – poursuivre en licence, passer des concours de la fonction publique, évoluer dans son emploi. La réussite au DAEU motive la poursuite d’études, même pour les personnes qui n’en avaient pas le projet. Sur les quatorze rencontrées, six se sont ainsi inscrites en licence l’année suivant le DAEU, une en BTS et une dans une école privée. Pour certaines, la réussite au DAEU marque une étape déterminante et leur permet de repartir sur des bases nouvelles, mais d’autres se retrouvent très vite confrontées à des obstacles1.
16Le DAEU peut être un tournant dans un parcours car il repositionne dans une trajectoire sociale et professionnelle positive. Des diplômés s’engagent alors dans une poursuite d’études, avec parfois des objectifs ambitieux : « Moi qui pensais que je n’étais pas fait pour les études, ça a détruit ce truc-là (…) Je suis revenu sur les rails en fait (…) C’est ce genre d’année qui fait un basculement dans une vie. » (Romuald, 27 ans), « ça permet aussi d’enlever des barrières que peut-être je m’étais mises (…) ça a validé mon projet en disant oui, je peux reprendre mes études, je suis capable de le faire. » (Camille, 28 ans)
17Cependant, d’autres renoncent aux études après un bref passage à l’université. En effet, la première année de licence est « un autre univers », bien différent de « la bulle protectrice » du DAEU. L’écart d’âge avec les autres étudiants, les enseignants plus distants, mais surtout le rythme des cours et la charge de travail personnel font douter : « C’est ça que je n’ai pas suffisamment dû réaliser, que le niveau était trop élevé, que le DAEU n’était pas suffisant pour que je puisse continuer en licence. » (Aurélie, 28 ans)
18De plus, certains soulignent l’absence de prise en compte des spécificités du public « adulte » par l’université, comme la difficile conciliation entre la formation et l’emploi. Une fois le DAEU obtenu, l’accès aux études universitaires « promis » dans l’intitulé reste semé d’obstacles et les abandons sont parfois très rapides : « J’ai lâché prise je dirais au bout de trois mois, c’était trop difficile. » (Guérin, 27 ans), « Je n’ai tenu que deux semaines malheureusement. » (Patricia, 39 ans). Les réactions à ces « échecs » dépendent des situations de chacun : Aurélie (28 ans) décide de s’accrocher à son projet et fait une remise à niveau afin de retenter l’université ; en revanche, Guérin (27 ans), qui souhaite devenir enseignant, vit sa situation comme « un gros échec ». Enfin, la valeur que les personnes accordent au DAEU est bien supérieure à celle que ce diplôme représente sur le marché du travail. S’il symbolise une perspective d’évolution, il ne suffit pas toujours à effacer le parcours antérieur.
19Ainsi, lorsque Tina (30 ans) se réinscrit à Pôle emploi, elle est positionnée dans un « parcours renforcé », ce qui la renvoie violemment à son passé avant le DAEU, marqué par la grande précarité et des emplois peu qualifiés. Son souhait de devenir professeure des écoles est jugé non pertinent. Raphaëlle (40 ans) a été confrontée à une situation similaire. Lorsqu’elle évoque avec une conseillère d’orientation son projet de devenir enseignante, celle-ci lui rappelle son niveau de diplôme et lui propose d’être ATSEM2 : « Elle m’a dit, vous pouvez faire ATSEM, donc ça ne m’a pas plu. Je me suis peut-être vexée un peu vite mais ce n’était pas ma demande en fait (…). Je n’ai pas l’impression qu’elle ait entendu que moi j’avais justement envie, besoin d’évoluer. Je sais que je peux faire ATSEM avec mon diplôme, ce n’était pas la question ».
20Poursuivre des études après l’obtention du diplôme est pour certains d’autant plus difficile qu’il s’agit d’identifier les formations accessibles, mais aussi de concilier leur emploi du temps avec leur vie de famille. De plus, quand il joue un rôle réparateur ou de remise en confiance, le diplôme ne suffit pas pour autant à régler des problématiques personnelles. Irène (50 ans) n’a ainsi pas trouvé les réponses qu’elle cherchait dans les études et se retrouve à nouveau dans « un moment de flottement », comme avant son inscription en DAEU. Patricia (39 ans) se cherche également après l’obtention du DAEU. Alors qu’elle était serveuse, son poste actuel n’est à ses yeux « pas beaucoup plus glorieux, être surveillante à 38 ans… ».
Conclusion
21À l’instar des observations de Claude Poliak et Souad Zaouni-Denoux (op.cit.), notre étude montre que le DAEU est bien plus qu’un parchemin. Il est en premier lieu un moyen de reconstruction identitaire. Il permet de ne plus se sentir en marge dans une société où plus de 80 % des jeunes générations sont titulaires d’un baccalauréat. C’est en effet aussi à l’aune de leur scolarité et de leur parcours professionnel que les personnes se définissent et se distinguent, et par là-même construisent leur identité sociale. C’est sur cette dimension que le DAEU revêt une valeur particulièrement importante pour l’ensemble des personnes rencontrées, quel que soit leur itinéraire après l’obtention du diplôme. Il est en second lieu un moyen de quitter des emplois peu qualifiés ou des conditions de travail difficiles, avec l’espoir d’aller vers un métier qui correspond davantage à leurs aspirations.
22Mais le DAEU n’est qu’une étape dans un parcours de formation ou un parcours professionnel. Il ouvre de nouvelles portes vers des formations ou des concours, dont la réussite reste fortement dépendante des possibilités et des capacités d’apprentissage et de travail des diplômés. De plus, les conditions d’études en DAEU (peu de matières, rythme d’apprentissage adapté, proximité entre les stagiaires et avec les enseignants) sont très éloignées de celles qu’ils découvrent lorsqu’ils poursuivent leurs études, notamment à l’université. Lorsqu’ils sont confrontés à un échec, certains soulignent également la différence de contenu entre leur DAEU et le baccalauréat de jeunes bacheliers obtenu après trois années de lycée : « finalement ce n’est pas vraiment le bac ». L’accès aux études universitaires se révèle finalement plus complexe qu’ils ne l’avaient imaginé. Ces constats interrogent l’accueil et l’accompagnement de ces publics atypiques dans l’enseignement supérieur (tutorat pédagogique, aménagement des horaires, aide à la recherche de financement, etc.), pour que les promesses de seconde chance portées par ce diplôme soient tenues.
Bibliographie
Ministère de l’Éducation nationale. (2000). Le diplôme d’accès aux études universitaires. Note d’Information, 00-17.
Ministère de l’Éducation nationale. (2006). Les étudiants préparant le DAEU. Note d’Information, 06-02.
Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. (2019). L’état de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France. La formation continue dans l’enseignement supérieur. Repéré à https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/
Poliak, C. (1991). L’accès dérogatoire à l’enseignement supérieur. Les autodidactes de Saint-Denis. Revue française de sociologie, 32(4), 551-575.
Zaouani-Denoux, S. (2014). La formation générale des adultes non bacheliers à l’université : déterminants de l’engagement et de la persévérance. Revue des sciences de l’éducation, 40(2), 419-438.
Notes de bas de page
Auteurs
-
Nathalie Beaupère
CREM, Université de Rennes 1, centre associé au Céreq de Rennes
-
Isabelle Borras
Pacte, Laboratoire de sciences sociales, Université de Grenoble Alpes, centre associé au Céreq de Grenoble
-
Nathalie Bosse
Pacte, Laboratoire de sciences sociales, Université de Grenoble Alpes, centre associé au Céreq de Grenoble
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