1Depuis le début des années 2000, en France, le nombre de jeunes qui reprennent des études quelques années seulement après la fin de leur formation initiale augmente progressivement (Mora, 2018). Cette croissance s’inscrit dans un contexte global d’élévation du niveau de diplôme et de développement de l’alternance dans l’enseignement supérieur (Kergoat, 2010 ; Issehnane, 2011) qui favorise les allers-retours entre formation et marché du travail. La période est également caractérisée par des besoins renouvelés d’autofinancement du côté des universités1, la formation continue constituant alors une source possible de ressources. Par ailleurs, les politiques de professionnalisation du supérieur, traduites par les obligations de stages, les modules de professionnalisation ou encore le développement de spécialités et filières dites professionnelles (Erlich & Verley, 2010, Boudesseul et al. 2015, Lemistre & Mora, 2016) ont également pu contribuer à ce brouillage des frontières entre formation et emploi.

2L’objectif de ce chapitre est d’étudier cette montée en charge des reprises d’études dans l’enseignement supérieur, par type de reprise et niveau de diplôme obtenu, ainsi que l’évolution de leurs déterminants depuis le début des années 2000. Sont notamment pris en compte les déterminants évoqués par Mora & Robert (2017) à partir de l’enquête Génération 2010 à 5 ans (niveau de diplôme, caractéristiques socio-démographiques et situation sur le marché du travail). Pour réaliser ce travail de comparaison dans le temps entre des périodes caractérisées par des conjonctures économiques différentes, nous avons mobilisé trois enquêtes Générations représentatives au niveau national. Nous disposons ainsi de trois cohortes de jeunes sortis de l’enseignement supérieur en 1998, 2004 et 2010 et interrogés respectivement en 2005, 2011 et 2017, permettant un suivi pendant sept années après la fin de leur formation initiale.

3La première partie sera consacrée à l’essor du phénomène de reprises d’études au fil des Générations, en se concentrant sur le premier retour en formation « notable » (c’est-à-dire de plus de six mois) et en distinguant les reprises en alternance des autres (cf. #1 - La reprise d’études). Dans une deuxième partie, les déterminants des reprises d’études seront explorés à l’aune du parcours antérieur et des caractéristiques des jeunes. La comparaison aux trois dates mettra notamment en évidence le maintien du rôle majeur de la formation initiale, de ceux du parcours sur le marché du travail et du genre, ainsi qu’un tassement des inégalités selon l’origine sociale en fin de période d’observation.

Reprises d’études : un phénomène en plein essor au fil des Générations

Les non-diplômés du supérieur sont les plus concernés

4Au fil des trois enquêtes considérées, la propension des jeunes à reprendre des études dans les sept années suivant la fin de leur formation initiale s’est sensiblement accrue à tous les niveaux de diplômes (cf. Graphique 1). Ainsi, 19 % des jeunes sortants de l’enseignement supérieur de la Génération 2010 reprennent des études (dont 5 % sous forme d’alternance) contre 11 % des jeunes ayant fini leurs études en 1998 (dont 2 % en alternance).

Graphique 1. Évolution de la part des jeunes en reprise d’études par plus haut niveau de diplôme préalable (%)

5Quelle que soit la Génération, les femmes reprennent plus souvent leurs études que les hommes (20 % contre 17 % pour la Génération 2010), mais moins souvent en alternance, bien que cet écart se réduise sur la période d’observation. En effet, la part d’alternance parmi les reprises d’études chez les hommes diminue, passant de 30 % à 27 % entre les Générations 1998 et 2010, alors qu’elle augmente pour les femmes, de 16 % à 24 %. Cette évolution diffère de celle observée pour l’apprentissage en dernière année de formation initiale. Sa part augmente aussi bien pour les hommes que pour les femmes entre les Générations 1998 et 2010, même si la progression est de plus grande ampleur pour les femmes.

6Les sortants sans diplôme de l’enseignement supérieur sont les plus nombreux à reprendre des études : pour la Génération 2010, 42 % d’entre eux sont concernés, dont 12 % en alternance. La notion d’échec dans l’enseignement supérieur doit ainsi être relativisée et nécessite pour cette population spécifique d’être mesurée à distance de la première sortie de formation initiale. Sur l’ensemble des niveaux de sortie, la hiérarchie de la part des reprises d’études parmi les diplômés de l’enseignement supérieur s’établit ainsi : licence générale (27 %), DUT (25 %), BTS (15 %), master (11 %), licence professionnelle (10 %), école de commerce (5 %), école d’ingénieur (4 %) et diplôme de niveau bac+2/3 santé-social ou doctorat (2 %).

7La spécialité de formation a également son importance. Ainsi, au sein de la Génération 2010, 18 % des diplômés BTS des spécialités tertiaires reprennent des études contre 11 % des BTS industriels. De même, parmi les jeunes dont le plus haut diplôme est une licence professionnelle, 12 % de ceux formés dans les spécialités maths science et technique sont concernés, contre 7 % pour les lettres, sciences humaines et sociales, gestion et droit.

8Cette forte augmentation des reprises d’études relève, d’une part, d’une progression régulière des retours hors alternance, passés de 10 % à 14 % des sortants du supérieur. Le niveau bac+3 (hors santé social) se distingue par une hausse entre les Générations 1998 et 2004, suivie d’une légère diminution pour la Génération 2010. La montée en charge des licences professionnelles dans l’ensemble des licences explique probablement ce résultat. Cette augmentation s’appuie d’autre part sur un doublement de la part de jeunes qui reprennent des études en alternance, passée de 2 % à 5 %.

9Afin de tenir compte de l’évolution inégale des effectifs de chaque niveau de diplôme d’une Génération à l’autre, évoquée en introduction de cet ouvrage, nous examinons également les poids relatifs des différents niveaux de diplômes parmi l’ensemble des reprises d’études et parmi l’ensemble des sortants de l’enseignement supérieur (cf. Graphique 2).

Graphique 2. Part de chaque niveau de diplôme parmi les jeunes ayant repris des études et parmi les sortants de l’enseignement supérieur des trois Générations (%)

10Trois cas de figures sont observés :

• une hausse parallèle de la part des diplômés de bac+5 et plus dans l’ensemble de la population étudiante (de 19 % à 32 % sur la période) et celle de leur taux de reprise d’études. Leur poids final au sein des reprises d’études dans l’enseignement supérieur augmente donc sensiblement (de 6 % à 14 %), en dépit d’un taux de reprise qui reste inférieur à celui des autres niveaux. Parmi eux, de plus en plus de jeunes se dotent d’un second diplôme de même niveau, un autre master par exemple (Lemistre & Mora, op.cit.).

• les sortants non diplômés du supérieur, les diplômés de niveau bac+2 (hors santé social) et bac+4 voient leur effectif relatif parmi la population étudiante diminuer, ce qui minimise l’augmentation de leur part au sein des reprises d’études malgré une hausse des taux de reprises d’études pour ces niveaux. La part des jeunes de niveau bac+4 parmi les reprises d’études diminue même fortement, malgré un taux de reprise qui ne cesse d’augmenter. Cette évolution s’explique par la mise en place du LMD qui a conduit à la marginalisation des sorties à ce niveau de diplôme : alors que 12 % des jeunes sortants de l’enseignement supérieur de la Génération 1998 terminaient leur formation initiale à bac+4, ils ne sont plus que 2 % dans la Génération 2010.

• les effectifs des diplômés de niveau bac+3 (hors santé-social) augmentent mais leur taux de poursuite stagne, conduisant in fine à une hausse modeste de leur part parmi les « reprenants ».

Des retours en formation toujours précoces

11Le moment du premier retour « notable » en formation, quel qu’en soit le type (alternance ou non), évolue peu au fil des Générations. Un peu plus de la moitié démarrent dans l’année et demie qui suit la fin de formation initiale, et seulement un quart plus de trois ans après celle-ci. Les reprises d’études tendent ainsi à rester concentrées sur les toutes premières années consécutives à la primo-sortie du système éducatif. Les retours hors alternance commencent généralement plus tard que les retours en alternance (3 à 5 mois sur la médiane selon la Génération).

12Quant à la durée de ces études post-initiales, elle est restée stable pour les reprises en alternance mais s’est sensiblement allongée pour les retours hors alternance. Pour la Génération 1998, la moitié de ces derniers duraient 13 mois ou plus et un quart seulement duraient plus de deux ans. Pour la Génération 2010, la moitié durent 20 mois ou plus et près d’un quart durent trois ans ou plus. Cet allongement de la durée concerne presque exclusivement les jeunes diplômés de niveau bac+3 hors santé-social dont la durée médiane a doublé sur la période pour atteindre 2 ans à la Génération 2010.

13Tous types de reprise d’études confondus, les jeunes non diplômés du supérieur et les diplômés de niveau bac+3 hors santé-social s’engagent dans les reprises d’études les plus longues (les durées médianes sont respectivement de 22 et 23 mois contre 12 à 13 mois pour les autres niveaux).

Les jeunes qui reprennent des études ont-ils toujours le même profil ?

14Dans cette deuxième partie, les déterminants des reprises d’études sont explorés à l’aune du parcours antérieur et des caractéristiques des jeunes. Les résultats des modèles commentés ci-dessous sont présentés dans le tableau en annexe2.

Le rôle majeur de la formation initiale

15La modélisation confirme que, quel que soit le type de reprise d’études considéré, la probabilité de retourner en formation augmente significativement au fil des Générations étudiées. Elle confirme également les résultats évoqués précédemment quant au rôle de la formation initiale, qui restent valables « toutes choses égales par ailleurs ». Ainsi, quelle que soit la Génération, la probabilité de retourner sur les bancs de l’école dans les sept années suivant la sortie du système éducatif est particulièrement élevée pour les sortants sans diplôme de l’enseignement supérieur. Toutes Générations confondues, ils ont ainsi environ 5,6 fois plus de chances de reprendre des études que les diplômés de niveau bac+5 et plus.

16Si l’on distingue les modalités de reprise d’études, la probabilité de les reprendre en alternance décroît quand le niveau de diplôme augmente. Hors alternance, il en va différemment. Si les diplômés de niveau bac+2 ont deux fois plus de chances que ceux de niveau bac+5 de reprendre des études hors alternance, le ratio est de 3,4 pour ceux de niveau bac+4.

17Un échec au diplôme visé en fin de formation initiale multiplie par environ 1,3 les chances de reprendre des études (en alternance ou non) avec une légère augmentation de l’effet au fil des Générations.

... celui des premiers pas dans la vie active

18Pour chaque Génération, les jeunes reprennent significativement moins leurs études, en alternance ou non, lorsqu’ils occupent une situation favorable sur le marché du travail durant leur première année de vie active. En effet, les jeunes les plus susceptibles de reprendre des études sont ceux qui ont été majoritairement au chômage ou en inactivité cette année-là, suivis de ceux qui étaient majoritairement en emploi à durée déterminée (EDD). Les premiers ont ainsi 1,5 fois plus de chances de reprendre leurs études que les seconds et 3,6 fois plus de chances que les jeunes majoritairement en emploi à durée indéterminée (EDI).

19Le niveau de rémunération des emplois à durée déterminée a un effet croissant au fil des Générations sur les reprises hors alternance. En effet, si pour la Génération 1998 la rémunération ne joue pas, les jeunes de la Génération 2004 ont, en moyenne, 1,7 fois plus de chances de reprendre leurs études hors alternance lorsqu’ils sont en emploi à durée déterminée avec un salaire faible3 que lorsqu’ils sont bien rémunérés. À la Génération 2010, les chances sont multipliées par deux. Pour les reprises en alternance, le niveau de rémunération ne joue pas pour les jeunes en emploi à durée déterminée quelle que soit la Génération.

… et celui des caractéristiques socio-démographiques

20Les femmes ont 1,5 fois plus de chances que les hommes de reprendre des études hors alternance. Cette différence est stable pour les trois Générations. Le sexe intervient en revanche de manière différente pour les reprises d’études en alternance. Parmi les jeunes de la Génération 1998, les hommes ont 1,6 fois plus de chances que les femmes de reprendre des études en alternance. Cet écart se réduit ensuite et n’est plus significatif pour la Génération 2010.

21Être issu de l’immigration ne semble pas avoir d’incidence sur la reprise d’études, en alternance ou non, sauf pour la Génération 1998 où les reprises d’études en alternance sont moins fréquentes parmi les jeunes concernés.

22Qu’en est-il, enfin, de l’effet de l’origine sociale sur la propension à reprendre tel ou tel type d’études, et de son évolution au fil des enquêtes ? Retrouve-t-on par exemple un effet positif du capital scolaire des parents, corrélé à leur capital économique, comme l’évoquent Doray et al. (2012) à propos des retours aux études des jeunes adultes canadiens après la sortie de l’enseignement postsecondaire ?

23L’origine sociale est utilisée ici comme une approximation des capitaux culturels et économiques des jeunes enquêtés. Un jeune ayant au moins un parent cadre est considéré comme d’origine favorisée ; il est d’origine populaire si ses deux parents sont ouvriers ou employés. Quelle que soit la Génération étudiée, l’origine sociale ne semble pas avoir d’effet significatif sur la probabilité de reprendre des études en alternance. En revanche, toutes choses égales par ailleurs, les jeunes issus des milieux favorisés ont, dès la Génération 1998, 1,4 fois plus de chances d’effectuer un retour aux études hors alternance, le plus souvent effectué à plein temps à l’université ou en établissement scolaire, en comparaison de ceux issus des classes populaires. Ce chiffre est de 1,3 fois lorsqu’on les compare aux jeunes de classes moyennes. Cet écart ne s’érode pas à la Génération 2004, malgré la montée en charge sensible des reprises d’études hors alternance. Toutes choses égales par ailleurs, disposer d’un capital culturel et/ou économique favorable continue donc, pour cette Génération, d’aller de pair avec une plus grande propension à reprendre des études hors alternance. Á la Génération 2010, on observe en revanche une diminution de l’écart entre les jeunes d’origines favorisée et populaire, le bonus relatif passant de 1,4 à 1,25. Alors que les jeunes issus des classes moyennes avaient précédemment une probabilité de reprendre ce type d’études significativement inférieure à celle des jeunes d’origine favorisée, l’écart à la fin de la période d’observation n’est plus significatif.

Conclusion

24L’évolution du phénomène de reprise d’études dans l’enseignement supérieur et de ses déterminants au fil des trois enquêtes Génération mobilisées présente plusieurs faits saillants. Ainsi, les retours aux études en début de vie active sont de plus en plus fréquents, dans un contexte global d’élévation du niveau de diplôme. Cet accroissement s’effectue aussi bien en alternance que selon d’autres modalités et fait plus souvent suite à des difficultés sur le marché du travail. Les jeunes reprennent plus souvent des études hors alternance quand leur rémunération en emploi est faible, avec un effet croissant au fil des Générations, alors que le salaire n’a pas d’effet sur les reprises en alternance.

25Les femmes reprennent plus souvent des études hors alternance que les hommes et sont autant concernées par les reprises en alternance pour la Génération 2010, alors qu’elles l’étaient moins dans les enquêtes précédentes.

26Par ailleurs, le profil des jeunes repreneurs évolue assez peu au fil des Générations. Les jeunes sortis non diplômés de l’enseignement supérieur restent les plus concernés par les reprises d’études, suivis par les diplômés de niveau bac+4 pour les reprises hors alternance ou par les diplômés de niveau bac+2 pour celles en alternance. Les retours en formation durent également plus longtemps pour les diplômés de niveau bac+3 hors santé-social et pour les non-diplômés que pour les autres jeunes.

27Enfin, l’origine sociale ne semble pas avoir de lien avec le fait de reprendre ou non des études en alternance. En revanche, reprendre des études hors alternance apparaît, dès la Génération 1998, significativement moins probable pour les jeunes d’origines populaire et moyenne. Cette influence se réduit néanmoins pour la Génération 2010, la probabilité pour les jeunes de classes moyennes de s’engager dans ce type de reprises d’études devenant équivalente à celle de ceux d’origine favorisée.

28Plusieurs facteurs, qu’il conviendrait d’explorer, peuvent jouer en défaveur des jeunes issus des milieux populaires dans l’accès aux reprises d’études hors alternance : auto-censure, effets de report dans le temps4, impossibilité d’avoir un soutien financier de la famille pour financer un retour aux études « classiques », réticence à retourner à temps plein sur les bancs de l’école à cause de mauvaises expériences scolaires ou de difficultés avec les apprentissages formels, etc. Par ailleurs, les jeunes d’origine modeste pourraient privilégier un retour aux études, par le biais de formations de quelques heures hebdomadaires5 ou de validation des acquis de l’expérience (VAE) (hors alternance), rendant ce retour invisible dans nos enquêtes.