Introduction

1Confronter un dispositif national de lutte contre le décrochage scolaire au niveau territorial est primordial. En effet, pour la plupart des chercheurs travaillant sur la question (Douillet & Lefebvre, 2017), notamment depuis les lois de décentralisation, penser le développement de l’agenda politique local (Muller, 1990) est important pour comprendre quels sont les rapports sociaux à l’œuvre, en dehors des injonctions nationales. Indéniablement, l’atelier relais fait partie de ces dispositifs nationaux à forte dimension locale.

2Cet article se focalise sur la territorialisation de ce dispositif à travers le concept de configurations (Elias, 2003), lesquelles prennent en compte les territoires, les établissements scolaires et les associations. Le concept de territoire est entendu ici comme un fait social, culturel et géographique (Paquot, 2011). Il s’agit d’analyser des politiques territoriales, entendues comme des politiques descendantes du niveau national au niveau territorial (Autès, 1995). Une politique nationale peut-elle négliger les particularités des territoires ? Or, c’est bien ce que semblent faire trop souvent les politiques éducatives, de ce fait, perçues communément comme excessivement centralisées (Van Zanten, 2011).

3A cet égard, comment les ateliers relais et les relations entre éducation populaire et Éducation nationale qui les animent s’inscrivent-ils dans une logique territoriale marquée par les particularités des configurations qu’ils prennent ? Nous faisons l’hypothèse que ces configurations s’appuient sur de complexes réseaux relationnels dont les spécificités influent sur le dispositif. Il est donc nécessaire de développer une lecture dynamique des rapports sociaux à l’appui de l’analyse des politiques publiques territoriales (Desage & Godard, 2005) dans la perspective de révéler les tensions différenciées d’un territoire à l’autre, entre une logique d’harmonisation que portent les cadres définis nationalement, et l’affirmation de modes d’action spécifiques aux acteurs des territoires. Certes, beaucoup de recherches ont mis en avant l’irrégularité des dispositifs d’action publique sur le terrain et l’on comprend aisément qu’ils varient selon différents paramètres. Mais ce dispositif a cela de particulier qu’il implique une « grande cause nationale » avec un cadrage et une réaffirmation de l’État de plus en plus forte dans les conventions et les circulaires. Il perdure dans le temps et conserve des formes plurielles. Ainsi, l’existence d’un décalage entre les intentions initiales d’une politique et ses résultats concrets participe du processus classique du cycle des politiques publiques (Pressman & Wildavsky, 1973). Une recherche sur une politique publique se doit de ne pas rester figée sur les objectifs et les intentions légalement définis, mais de voir comment cette politique se décline sur le terrain (De Maillard & Kübler, 2016).

4Cet article s’organise en deux parties : d’une part, la manière dont le dispositif est cadré nationalement, et d’autre part, sa territorialisation à travers les configurations que prennent les ateliers relais. À ce titre, nous analysons chacune d’entre elles à travers leur fonctionnement et les acteurs qu’elles mobilisent : quelles relations les collèges entretiennent-ils avec les associations et les autres acteurs organisés du territoire ? Quelle place y occupe chaque association au regard des rapports qu’elle entretient avec les politiques publiques locales ?

5Ce travail s’appuie sur une démarche ethnographique menée dans le cadre d’une thèse (Jacquot, 2021), combinant une quarantaine d’entretiens semi-directifs et biographiques avec les acteurs du dispositif, 600 heures d’observations réalisées dans les associations, dans les classes et lors de réunions entre acteurs. Cette recherche a été menée sur trois territoires différents (urbain, rural et montagnard) afin de faire varier les paramètres et de mieux comprendre la gestion du dispositif et les rapports entre les acteurs organisationnels. Nous avons également pris appui sur des archives nationales et locales et réalisé une analyse secondaire de données statistiques des élèves. Pour finir, nous avons construit des monographies territoriales en utilisant de la documentation indigène comme les rapports d’activité et les budgets des collectivités territoriales, des académies, des associations, ainsi que les projets d’établissements.

1. Un cadrage national flou

6Comme d’autres dispositifs nationaux, les ateliers relais sont cadrés par des conventions et des circulaires. La loi-cadre de 2002 constitue leur socle réglementaire et les circulaires qui l’adjoignent sont peu nombreuses (cinq en vingt ans), mais proposent des évolutions importantes en fonction des gouvernements, mais aussi du contexte historique, social et économique. Elles sont de plusieurs ordres : sémantiques, positionnelles et organisationnelles.

7Ainsi, ces dispositifs ont pour but de prévenir le décrochage scolaire au collège à travers la « rescolarisation » et la « resocialisation » des élèves « entrés dans un processus évident de rejet de l’institution scolaire »1. Seules les associations reconnues « d’utilité publique » et/ou agréées « complémentaires de l’enseignement public » peuvent intervenir de manière pérenne et hebdomadaire dans ce dispositif. Elles sont au nombre de trois : la Ligue de l’enseignement, les centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active (Ceméa), et les Francas. Leurs projets doivent s’inscrire dans les domaines relevant de leurs compétences, répondre à des besoins identifiés par le comité de pilotage, tenir compte des autres intervenants et être élaborés avec les équipes pédagogiques et éducatives.

8Le pilotage et le suivi du dispositif sont assurés à plusieurs niveaux :

Schéma 2 • Pilotage et suivi de l’atelier relais

9Pour qu’un élève intègre un dispositif relais, il faut son accord et celui de son représentant légal. Un dossier (comprenant des sections éducatives, sociales et médicales) est composé par différents acteurs de l’établissement, puis est étudié par la commission départementale. Celles-ci doivent également faire un bilan de chaque atelier relais et le faire remonter au niveau national à chaque fin d’année afin de produire des statistiques. Ces éléments servent de cadrage national au dispositif, l’organisation pédagogique reste à la charge des acteurs qui interviennent en son sein, notamment l’enseignant coordinateur de l’atelier relais. C’est lui qui gère le dispositif et les différents personnels qui y travaillent. Il s’occupe également de l’emploi du temps des élèves et des intervenants. Cependant, il existe un partage des temps dans le dispositif : la remédiation scolaire, prise en charge par les enseignants et/ou le coordinateur et les temps de « socialisation », pris en charge par les animateurs. En ce qui concerne la forme partenariale, ce dispositif rassemble trois logiques d’intervention, en agissant sur le social (qui devient parfois prioritaire), le scolaire et le situationnel. Ce qui pousse les acteurs éducatifs à adopter une logique partenariale administrative et de co-éducation.

10Grâce aux archives et aux circulaires, on constate que la mise en place des ateliers relais a été facilitée dès l’origine, par l’association de plusieurs secteurs d’action publique, comme la politique de la ville ou encore le ministère de la Jeunesse et des Sports. Ceci a pu favoriser l’arrivée des associations d’éducation populaire dès son démarrage dans la mesure où l’atelier relais est pensé comme étant un dispositif partenarial. Cependant, la légitimité de ces associations est souvent mise à l’épreuve dans les différentes circulaires. La reprise en main (2004) de l’atelier relais par l’Éducation nationale peut s’identifier à partir de plusieurs indices : l’exclusion des financements émanant du ministère de la Jeunesse et des Sports, la réimplantation des dispositifs dans les établissements, le déploiement d’acteurs issus de l’Éducation nationale, les infirmiers et psychologues scolaires ou encore les assistants sociaux intra-établissements, la réaffirmation de l’importance du socle commun de compétences, etc. Toutes ces évolutions témoignent d’une volonté de réinsérer des éléments propres au milieu scolaire au sein d’un dispositif pensé au départ comme une passerelle entre le monde intrascolaire et le monde extrascolaire.

11Ces éléments témoignent également d’une évolution dans les modalités du compromis entre Éducation nationale et éducation populaire. Il « s’opérationnalise » de trois manières (Thuderoz, 2015). Tout d’abord, l’opération de production, par l’édiction de règles, de contrats où « le cadre politique de l’accord » délimite les concessions que chaque partie est capable de faire, ce qui constitue le point de départ du partenariat entre Éducation nationale et éducation populaire en atelier relais. Ensuite, l’opération de cession et d’abandon, ici non réciproque, dans le sens où l’Éducation nationale reprend en main certains paramètres dès 2003 alors que l’éducation populaire renonce à certaines prétentions (coordination, lieu d’exercice de l’activité par exemple), afin de maintenir le partenariat mis en place. Enfin l’opération de jugement où les acteurs évaluent leurs gains et leurs pertes. Cette opération est visible notamment lorsque l’on questionne les acteurs de l’éducation populaire, dans la mesure où ils remettent en cause leur place dans le partenariat et, par là même, l’existence et la pérennité du dispositif.

2. Une mise en place fortement différenciée sur les territoires

12À partir de ces trois monographies territoriales, prenant en compte les priorités des politiques locales, et la manière par laquelle elles conditionnent la forme du dispositif, il est important d’aborder leurs effets sur le partenariat. Nous les catégoriserons donc de configuration reléguée, encastrée et ségrégée.

2.1. L’atelier relais de la grande ville, un modèle relégué

13Cet atelier relais possède un pilotage important au niveau académique, en la personne de l’inspectrice de l’Éducation nationale chargée de l’insertion et de l’orientation (IEN IO), qui propose des formations et réalise des bilans. En parallèle, le collège dans lequel il se déroule lui accorde peu d’importance, ce qui renforce l’autonomie du dispositif tout en le plaçant dans une position assez peu légitime. L’importante rotation des équipes d’enseignants au fil des années a permis à l’association d’acquérir le statut de « repère », lui conférant un rôle de conseil auprès des coordinateurs et permettant aux animateurs d’avoir plus de liberté dans le choix des activités. Le coordinateur et l’assistante d’éducation prennent en charge la plupart des heures de remédiation scolaire (l’histoire, la géographie et les mathématiques) et des contenus relatifs à l’insertion professionnelle. Par ailleurs l’association propose des activités plus manuelles, éloignées du curriculum formel (Bernstein, 2007) : menuiserie, tag, cuisine, jeux de société par exemple. La participation des animateurs se fait donc en périphérie, spatiale et symbolique, du travail du coordinateur, marginalisant leur action. L’organisation de cet atelier relais s’inscrit dans le modèle de la « délégation absolue » (Dupont, 2010) où le partenaire prend en charge les temps d’activités qui lui sont confiés sans indications ni participation de la part du coordinateur. Les activités sont donc séparées et il n’y a pas de prise en charge globale des élèves. Le travail est ainsi séparé entre les activités de remédiation et celles associatives, ce qui créé cette impression de prestation plutôt que de partenariat auprès des acteurs.

14À la fin de la semaine, le coordinateur fait un temps de bilan personnalisé pour chaque élève en considérant les apprentissages et le comportement de la semaine. Cette évaluation est également présente dans l’atelier relais de la ville de montagne et permet de contrôler les élèves sur du savoir-être en plus du savoir-faire. Cet élément marque l’influence du travail social dans les pratiques éducatives des acteurs de l’atelier relais. C’est également un élément de compromis entre eux dans la mesure où la plupart des acteurs s’entendent sur l’importance de ce savoir-être dans la mission des ateliers relais et de remédiation du décrochage scolaire, ce que l’on demande peu aux autres élèves des cursus réguliers. Cela constitue un écart avec la norme institutionnelle et montre que c’est un accompagnement allégé comparé aux attendus du dispositif.

15De plus, l’équipe est mal connue des acteurs du collège, le coordinateur n’a quasiment aucune relation avec les autres enseignants dans la mesure où il ne participe pas à la vie de l’établissement, ce qui peut parfois compliquer les relations entre le collège et l’association. Cet élément témoigne de l’aspect fortement relégué du dispositif :

« Nous on ne connait pas tout le monde. Des fois, il y a des gens on voit qui c’est, on les reconnait, mais je ne saurai pas vous dire de quelle association ils viennent. On sait que l’atelier relais existe, on sait qu’il y a des gens des associations qui viennent tel et tel jour, mais après ça s’arrête là, on ne parle pas avec eux. » (CPE du collège Georges Clémenceau).

16Concernant les élèves, ils sont majoritairement âgés de 14 ans, en 4^ème et identifiés comme ayant des « problèmes de comportement », d’origine populaire, issus de l’immigration et des Quartiers Politique de la Ville. Il existe également une mixité de genre dans le dispositif qu’il n’y a pas sur d’autres ateliers relais. De plus, cet atelier relais se déroule dans un territoire empreint de représentations sociales, utilisées par les acteurs pour définir l’action éducative. Cela fait partie des éléments de relégation du dispositif : un public pensé comme difficile, sur un territoire stigmatisé :

« Un profil dans les quartiers nord, c’est pas le même qu’ailleurs. […] Il faut présenter ça comme une action comme toutes les autres et après mais c’est quand même un public décrocheur et ici, là où c’est dévoyé, c’est que c’est les plus tarés et des tarés qu’on envoie là parce qu’ils ne savent pas quoi en faire et parce que ça fait souffler les enseignants. » (Moris, directeur des Ceméa de la grande ville).

17L’autre élément de relégation réside dans la place accordée au dispositif dans l’association. En effet, au sein de l’association régionale des Ceméa, l’atelier relais a une place marginale. Le responsable du secteur école s’appuie sur les caractéristiques des élèves en précisant qu’il choisit les intervenants selon des critères d’ancienneté dans l’association, pourtant, l’animateur présent est rapidement intervenu en atelier relais. Sa « proximité sociale » pensée avec le public a été mise en avant pour le faire intervenir, sans lui avoir demandé son avis auparavant. Ce n’est donc pas l’action en elle-même qui est jugée difficile, mais plutôt les caractéristiques supposées du public qui sont craintes. De plus, il est très difficile de trouver des militants qui s’installent sur le long terme et l’action est beaucoup moins valorisée que d’autres, comme l’animation volontaire, que ce soit dans les interactions entre militants ou dans les outils de communication (flyers, rapports d’activités).

18Ces éléments font de lui, une configuration « reléguée », parce que le suivi des élèves est léger par rapport à ce que prescrit l’Éducation nationale, la place des associations est périphérique dans l’organisation des apprentissages, il est invisible dans l’établissement, le public est considéré comme les « pires » dans un quartier déjà relégué et sont stigmatisés par les acteurs et pour finir, aux Ceméa il est également relégué et leur intervention prend plus la forme d’une prestation de service.

2.2. L’atelier relais de la ville de montagne, une configuration encastrée

19Pour l’atelier relais de la ville de montagne, les temps de prise en charge des élèves sont de deux ordres : d’une part la remédiation scolaire (français, mathématiques, histoire-géographie, éducation civique, informatique et EPS) prise en charge par un instituteur spécialisé et un enseignant du second degré, soutenus par un assistant d’éducation qui intervient majoritairement dans la classe relais (élèves plus jeunes). Et d’autre part, des activités appelées « de contournement » : théâtre, arts plastiques-écriture, activités sportives, ateliers santé et citoyenneté, recherches, rapports de stage, etc. La coordonnatrice de la Ligue sollicite un large partenariat sur le territoire, que ce soient des associations (planning familial, théâtre), des services publics (MLDS, structures pédopsychiatriques, l’aide sociale à l’enfance, jeunesse et sports) et les parents. Il n’existe donc pas une division des activités aussi forte que pour les autres dispositifs et les enseignants reprennent souvent les activités associatives dans leur travail de remédiation scolaire. Nous sommes donc dans un « encastrement » des activités (Dupont, 2010).

20Chaque semaine, un temps d’entretien individuel par élève est prévu. Une fiche journalière évalue le comportement de chaque élève et ses « aptitudes à travailler » à chaque fin de cours. Ce document possède la même valeur symbolique que celle de l’atelier relais de la grande ville où le savoir-être est mis en avant plutôt que le savoir-faire et les connaissances. Par ailleurs, la prégnance des activités associatives, vues comme « socialisatrices », renforce l’accent mis sur les savoirs. Il y a donc un renforcement des codes du travail social, par rapport au travail de remédiation scolaire, justifié par une coordination associative et la présence d’un enseignant spécialisé. Comme l’atelier relais de la grande ville, l’organisation du travail gravite autour de la coordonnatrice, ce qui demande plus de coopération entre les acteurs, se répartissant le temps de travail selon leurs compétences et non pas sur un modèle enseignant/assistante que l’on retrouve ailleurs. Le partenariat diffère dans la mesure où les activités de remédiations et celles des associations sont encastrées dans l’emploi du temps.

21Ici le territoire exerce une forte influence. Son enclavement en fait sa richesse dans la mesure où ses infrastructures sont plus développées ainsi que les liens entre les acteurs organisationnels, ce qui peut faciliter le travail de mise en relation pour les actions éducatives. L’IEN IO et les responsables associatifs sont plus en lien qu’ailleurs et le collège met en valeur le dispositif ainsi que les intervenants extérieurs à l’établissement :

« On se connait tous donc effectivement parfois, au niveau du rectorat, on va institutionnaliser des choses en disant voilà il faut monter tel dossier pour tel jeune, etc. Or nous on n’a même pas besoin de dossier hein il suffit de téléphoner directement à un chef d’établissement ou au directeur de telle association par exemple, pour qu’on mette en place des choses. » (Mme Entoven, IEN IO du département « montagnard »).

22Par ailleurs, le déroulement du dispositif est facilité par la perception qu’en a le principal :

« C’est une façon de prévenir le décrochage et la délinquance. […] Je trouve que le dispositif il a vraiment toute sa raison d’être, même s’il est coûteux, même s’il est complexe, même s’il est difficile pour les personnels qui y travaillent, car c’est souvent source de conflits… mais bon les gens sont très motivés et qui ont cet état d’esprit d’accompagnement et de volonté d’aider ces gamins à sortir de la situation difficile dans laquelle ils sont et c’est très bien quand c’est comme ça. » (M. Listand, principal du collège Pablo Picasso).

23Pour les cadres de l’Éducation nationale, le décrochage scolaire est donc une préoccupation, ce qui permet au dispositif d’avoir une place importante et d’être visibilisé au sein de l’établissement. Ce qui marque bien le contraste avec le CPE de la grande ville.

24Cette caractéristique fait la différence au niveau des représentations des acteurs et joue en faveur de l’atelier relais, dans la mesure où la communication est perçue comme étant plus facile, contrairement à la grande ville. Même si les priorités locales concernent l’aménagement et les services, consistant à favoriser ce type d’espace perçu comme reculé, certaines collectivités, comme le Département, mettent en valeur des actions plus petites et moins dotées en ressources, comme l’atelier relais. Ainsi, il visibilise plus que les autres les actions réalisées par les associations locales. C’est également le cas de la Ligue :

« Oui y’a des mômes qui, par la force des choses, sont exclus ou sont pas entendus. Et ça veut pas dire quand on dit ça que les enseignants font pas de leur mieux. Ça veut dire qu’un système qui doit produire de la réussite et en devant produire de la réussite y’a des gens qui sont sur le côté. » (Hervé, directeur de la Ligue département « Montagnard »)

25En prenant en compte l’enchevêtrement des activités associatives et de remédiation, la proximité des acteurs locaux et l’intérêt pour la Ligue et les cadres de l’Éducation nationale pour le dispositif, cet atelier relais prend donc la forme d’une configuration « encastrée ».

2.3. L’atelier relais de la petite ville rurale, une forme ségrégée

26Cette dernière configuration possède une forte autonomie vis-à-vis du rectorat, car elle est peu encadrée par le directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) et l’IEN IO, que ce soit au regard de l’accompagnement de l’équipe ou encore dans ses relations avec le collège et les associations. De ce fait, les acteurs ont l’impression d’être livrés à eux-mêmes, ce qui les rend d’autant plus proches les uns des autres et crée de l’autonomie. Mal perçu par le chef d’établissement, l’atelier occupe une place particulière au sein du collège.

27En début d’année, un projet global est construit et chaque association propose un atelier pouvant être de plusieurs natures : réalisation d’un film, théâtre, activités autour du numérique, activités sur l’orientation professionnelle, écriture d’une histoire, réalisation d’une chanson en rap. Ils se déroulent tous les après-midis, le matin étant réservé aux activités de remédiation scolaire. Ainsi, à la différence des autres ateliers relais, le coordinateur propose un panel plus large de disciplines : maths, français, langues, histoire-géographie, éducation civique et sciences. À la fin ou au début de chaque semaine, un bilan individuel de l’élève est effectué par le coordinateur. Dans ce bilan, l’élève évalue lui-même son niveau et son comportement durant la semaine, puis le coordinateur en discute avec lui. Par la suite, le coordinateur et l’élève prévoient la semaine à venir au niveau des contenus des activités de remédiation. Ce bilan diffère de ceux effectués dans les autres ateliers relais, dans la mesure où il est davantage axé sur le savoir-faire et les connaissances scolaires que sur le savoir-être, ce qui renforce l’importance des activités de remédiation scolaire.

28La figure du coordinateur est centrale et le travail s’organise autour de lui. Cependant, à la différence de l’atelier relais de la grande ville, il coordonne l’action des associations. En revanche, il ne va pas jusqu’à « encastrer » les activités associatives aux activités de remédiation, comme c’est le cas pour l’atelier relais de la ville de montagne. L’assistante pédagogique peut proposer des activités, mais il existe rarement une inversion des positions enseignant/assistante comme sur la ville de montagne. Il existe donc une coopération entre acteurs plus poussée que sur la grande ville tout en gardant une division du travail forte en fonction des positions hiérarchiques. À travers ces éléments organisationnels, on constate que le positionnement partenarial est similaire à l’atelier relais de la grande ville : ségrégation temporelle entre activités de remédiation et activités associatives et division du travail entre les acteurs. En revanche, il ne s’agit pas d’une délégation absolue dans la mesure où un projet éducatif est rédigé en amont de l’atelier par les différentes parties, il fait l’objet d’un suivi par le coordinateur tout au long de l’année. L’organisation du travail s’inscrit dans le modèle d’une « délégation relative » (Dupont, 2010). En effet, lors des activités associatives, le coordinateur reste en retrait.

29Du côté du collège, son projet pédagogique est jalonné de formulations « discréditantes » pour qualifier le public des ateliers relais considéré : « en manque d’ouverture culturelle », « une dérive des comportements », etc. L’atelier relais est perçu comme un dispositif d’accompagnement des élèves, ce qui semble être en décalage avec les directives nationales. Ici, ce sont le principal et la principale adjointe qui ont la charge du dispositif, qui le remettent en question :

« L’atelier relais est en plein questionnement, au moins au niveau départemental, niveau académique ça je ne sais pas, parce qu’il a un taux de remplissage très faible. Il y a un gros questionnement sur l’intérêt et le fonctionnement. Je pense que tout le monde est d’accord, c’est sur la façon dont ça fonctionne que c’est pas satisfaisant, je vois pas trop l’intérêt. » (M. Rivière, principal du collège Jules Michelet).

30On constate que ce discours diffère de celui du principal du collège de la ville de montagne. En effet, il ne voit pas l’intérêt du dispositif, alors qu’il occupe une fonction latente de traitement des élèves jugés comme étant problématiques, car il accueille principalement des élèves issus de la communauté gitane, mal perçus par les personnels éducatifs.

31Cet atelier relais prend donc une forme de configuration « ségrégée », se rapprochant de la forme reléguée, mais qui en diffère sur plusieurs points. L’atelier et l’équipe jouissent d’un plus grand prestige au sein de l’établissement dans l’atelier relais, ce dernier occupe une place plus importante et l’intervention associative tient moins de la prestation de service. Il s’agit néanmoins d’une configuration « ségrégée » dans la mesure où la distinction entre activités de remédiation et activités associatives est forte.

Conclusion

32Malgré l’importance du décrochage scolaire dans l’agenda public, l’investissement se fait peu dans les ateliers relais. Il y a peu de données, que ce soit sur les publics, mais aussi sur le partenariat avec les associations d’éducation populaire. Il est également peu visible dans la myriade d’autres dispositifs déjà existants et son rôle apparait comme flou alors qu’il se présente comme préventif du décrochage scolaire. Ce flou laisse pourtant une marge de manœuvre assez importante aux acteurs, ce qui transforme le dispositif d’un département à l’autre, parfois sur une même ville et l’ancre dans une logique d’autonomie forte. Cette multiplicité de facteurs locaux engendre des configurations scolaires et associatives qui ne manquent pas d’avoir des effets sur le partenariat entre l’éducation populaire et l’Éducation nationale. Ces éléments donnent des formes de configurations partenariales différentes selon l’atelier relais que nous avons qualifié de : reléguée, encastrée et ségrégée.

33L’analyse de la territorialisation des ateliers relais met en lumière les marges d’autonomie des acteurs dans les dispositifs marginalisés. Cette approche ethnographique nous a permis de caractériser plusieurs types de configurations d’atelier relais. Elles témoignent d’aménagements locaux d’une politique nationale parfois éloignée des recommandations et du discours du ministère. Les rectorats et les établissements établissent des constats inscrits dans les réalités locales, mais n’échappent pas à une réorientation de leurs discours pour s’aligner sur les grands axes et les principes des projets académiques. Néanmoins, des disparités de traitement se font jour à l’intérieur et entre les établissements. Certains font la promotion du dispositif en interne et sur le territoire alors que d’autres ne font pas les mêmes choix, même si l’atelier relais leur permet de remplir une fonction parfois latente : le traitement des « exclus » (Bourdieu & Champagne, 1992) de la compétition scolaire. Ces différences engendrent des rapports différenciés entre éducation populaire et Éducation nationale qui peuvent s’avérer complexes. En troisième lieu, nous identifions des configurations associatives dotées de leur propre fonctionnement, tant dans les discours que dans la « visibilisation » des actions menées sur le terrain. Cela témoigne de leur capacité différenciée à traiter avec la commande publique au travers de certaines logiques d’action (Nicourd, 2009). Par ailleurs, à l’instar des établissements, ces associations développent des visions différentes de l’atelier relais pour lui accorder une importance variable et la question de l’utilité et du fonctionnement du dispositif est posée par les acteurs. Par-delà les différences, le facteur explicatif principal tient à l’importance accordée aux actions éducatives en leur sein. Les indicateurs qui en témoignent sont pluriels : la place du dispositif dans le collège, l’embauche d’un salarié, la représentativité dans le territoire, etc.

34Cette question du partenariat en atelier relais est donc complexe et ouvre de nombreuses pistes de réflexion, notamment sur le travail de catégorisation pouvant être transposé sur d’autres ateliers relais et d’autres dispositifs partenariaux : médiation culturelle ou scientifique, travail social, juridique, etc., afin de pouvoir généraliser les configurations observées dans cet article et de comprendre de quelles manières la lutte contre le décrochage scolaire n’est pas qu’une affaire de juridiction nationale.