Introduction

1Le plan d’investissement dans les compétences (PIC), lancé en 2018, vise à construire une politique de l’emploi et de la formation professionnelle ambitieuse, par la formation des personnes éloignées de l’emploi et par la transformation du système de formation professionnelle. Entre autres mesures, il se décline en pactes régionaux d’investissement dans les compétences (PRIC), donnant aux Régions la possibilité d’impulser des expérimentations sur leur territoire par l’intermédiaire d’appels à projet. De ce point de vue, les PRIC renvoient à une conception de l’action publique tout à la fois territorialisée, innovante et objet d’évaluations avant d’éventuelles généralisations, dans le cadre d’une redéfinition du rôle de l’État en matière d’action publique (Palier, 1998 ; Buisson-Fenet et Verdier, 2013 ; Berthet et Gayraud, 2015). 

2Ainsi fin 2019, dans les Pays de la Loire, un appel à projet a été lancé auprès des organismes de formation (OF) afin qu’ils organisent pour les publics les plus en difficulté, sur une base territoriale, des parcours « sans couture, sans rupture », c’est-à-dire reposant sur un accompagnement continu depuis l’entrée en formation pré-qualifiante jusqu’à l’accès à l’emploi. Ce faisant, cette expérimentation appelée « Prépa Rebond – Dispositif intégré », s’inscrit dans les orientations générales du PIC : accès à l’emploi par la certification de compétences demandées par les entreprises sur un bassin d’emploi (Bucher et al., 2020). En s’appuyant sur le territoire, cette politique a pour objectif de rapprocher l’offre de formation tout à la fois des besoins des personnes éloignées de l’emploi et de ceux des entreprises, en proposant une offre de formation adaptée.

3Toutefois, on peut s’interroger sur ce qui fonde la spécificité de chaque offre de formation. Comment alors analyser les variations territoriales d’un même dispositif ? Cette communication se propose de présenter et d’analyser les particularités et les effets d’une déclinaison territoriale d’un dispositif émanant d’une politique publique régionale. Comment la dimension territoriale a-t-elle été appréhendée dans le cahier des charges rédigé par la Région ? Comment les OF sélectionnés ont-ils décliné ce dispositif sur leur territoire ? Quels ont été les effets de cette déclinaison sur les parcours des stagiaires ?

4Pour répondre à ces questions, nous nous appuyons sur un travail d’évaluation qualitative du PRIC, mené et réalisé à la demande de la Dares (Bernard et al., 2022). Nous avons dans ce cadre réalisé, d’une part, un travail de recherche documentaire (littérature « grise » sur le PRIC, appel à projet de la Région, réponses des OF, etc.), une série d’entretiens auprès des responsables de cette expérimentation (Région, administration du travail, responsables d’OF), et assisté aux réunions de lancement dans les 9 territoires concernés. D’autre part, trois monographies territoriales ont été réalisées à partir d’entretiens auprès de coordinateurs, formateurs, accompagnateurs, prescripteurs, et du suivi du parcours de 49 stagiaires sur 16 mois.

1. Dimension territoriale, une intention forte de la Région

5Les intentions, objectifs et enjeux de Prépa Rebond – Dispositif intégré (PRDI), ont fait l’objet d’un cahier des charges produit par la Région Pays de la Loire, et soumis aux organismes de formation dans le cadre de la mise en concurrence propre aux marchés publics, en décembre 2019. C’est autour de ce cahier des charges que nous allons évoquer dans un premier temps le lien avec le territoire.

1.1. En amont de la rédaction : un diagnostic territorial

6La Région et la Direccte des Pays de la Loire, en collaboration avec d’autres partenaires locaux, ont réalisé, en amont de la rédaction du Pacte régional d’investissement dans les compétences, un diagnostic territorial ayant pour objectif l’analyse des difficultés rencontrées à la fois par les demandeurs d’emploi et par les employeurs du territoire. Ce diagnostic a permis de mettre en lumière trois principaux constats. Le premier a trait à une carence d’offres de formation en direction des jeunes, dont des mineurs en situation de décrochage scolaire. Le deuxième énonce les difficultés de recrutement rencontrées par les employeurs dans certains secteurs professionnels. Enfin, le troisième constat renvoie à des offres de formation lacunaires en milieu rural par rapport aux métropoles ou zones périurbaines, et souligne aussi la difficulté du maintien des stagiaires en formation dans ces offres du fait d’une rémunération peu attractive.

1.2. Au plus près du territoire dans le cahier des charges

7À partir de ces constats, la Région a pu amorcer la rédaction du cahier des charges dans un cadre relativement contraint. En effet, le PRDI devait répondre d’une part aux objectifs du PIC, et d’autre part s’inscrire dans les six axes stratégiques de la formation professionnelle de la Région, tout en le distinguant des autres offres afin d’éviter toute forme de concurrence. Le dispositif a ainsi été pensé en direction : des territoires ruraux faiblement dotés en offres de formation, des secteurs de l’économie¹ identifiés comme rencontrant des difficultés de recrutement dans ces territoires, et des plus éloignés de l’emploi pour les doter en compétences nouvelles permettant l’accès à la qualification. Les territoires ruraux et les secteurs professionnels peu ou pas couverts par l’offre de formation ont pu être identifiés par l’observatoire du Carif-Oref. C’est ainsi que l’accord-cadre a été divisé en cinq lots, un par département constituant la Région, et divisé en 9 territoires EFOP (emploi formation, orientation professionnelle) ciblés sur les 18 existants. Dans chacun de ces territoires, la Région appelait de ses vœux la mise en place de partenariats, perçus comme indispensables à la tenue des objectifs du PRDI. Ainsi, le cahier des charges précisait que « pour fonctionner, le dispositif intégré doit s’appuyer sur des partenariats locaux avec les structures économiques, sociales, sanitaires, culturelles des collectivités territoriales assurant son ancrage au sein du territoire emploi-formation-orientation professionnelles concerné (EFOP) »². Afin de favoriser l’appropriation du PRDI sur l’ensemble du territoire régional, la Région s’est fortement mobilisée pour le faire connaitre et en transmettre les enjeux. Elle a participé notamment aux neuf réunions de lancement sur l’ensemble des territoires EFOP retenus avec rencontre des différents partenaires locaux (Pôle emploi, mission locale, associations d’insertion, d’aide sociale…). Elle a réalisé des webinaires en lien avec le Carif-Oref, mais aussi planifié des visites du gestionnaire référent du dispositif Région dans les organismes de formation pour un suivi au plus près.

8Ainsi, l’analyse documentaire révèle l’attention portée par la Région aux questions territoriales, et notamment au marché de l’emploi dans chaque localité. Mais celui-ci va s’avérer peu structurant dans un contexte particulièrement perturbé par l’épidémie de covid-19.

2. Mise en œuvre et variations territoriales

2.1. Comment les organismes de formation ont répondu à l’appel d’offre

9L’appel d’offre concernait l’ensemble de la région, à l’exception des zones métropolitaines et des zones rurales à très faibles taux de chômage (Choletais et Vendée Est). En réponse à l’appel d’offre, s’est constitué un groupement par département, rassemblant des OF positionnés sur différents segments du PRDI, mais également sur la base de l’implantation territoriale des organismes regroupés, permettant par exemple de couvrir l’ensemble du département en organisant une co-traitance entre OF préqualifiants. Dans cette configuration, chacune des équipes s’étant positionnée sur le marché a remporté le lot sur lequel elle candidatait, et la Région n’a pas eu de véritable espace de choix. Celui-ci a été d’autant plus restreint que dans trois départements sur cinq – en Maine-et-Loire, en Mayenne et en Sarthe – les organismes de formation ont réfléchi de concert sur leur proposition et rédigé une même trame de déploiement du PRDI, limitant les variations entre départements aux organismes de formation co-contractants et aux domaines professionnels retenus par la Région. On a donc de fait trois offres différentes seulement sur le territoire, qu’on peut distinguer selon le type de porteur (mandataire) par groupement, selon qu’il s’agit d’un OF plutôt positionné dans le secteur de la préqualification, ou selon qu’il s’agit d’un OF qui offre des formations qualifiantes :

• Une offre portée par un organisme de formation plutôt présent dans le secteur de la formation qualifiante (Vendée) ;

• Une offre portée par un organisme de formation du secteur de la formation préqualifiante (Loire-Atlantique) ;

• Une offre commune portée par trois mandataires du secteur de la formation préqualifiante dans les trois autres départements de la région (Maine-et-Loire, Mayenne et Sarthe).

10Si on se limite aux réponses apportées à l’appel d’offre, les propositions des OF sont relativement similaires, compte tenu du caractère fortement prescrit du dispositif tel qu’il est défini par le cahier des charges de la Région. Toutefois quelques éléments différencient les offres les unes des autres : les temps de stage en entreprises, les techniques et outils pédagogiques. Certains insistent sur les outils dédiés à l’estime de soi et aux pédagogies actives, tandis que d’autres valorisent le caractère ludique et novateur des outils d’apprentissage proposés, et que d’autres encore mettent en avant les outils de formation à distance et leur capacité à les mobiliser.

11En réalité, au-delà de ces effets d’annonce attendus dans des réponses à un appel d’offre, notre enquête révèle des mises en œuvre très différentes sur le plan de l’organisation pédagogique et de la qualité de l’accompagnement de stagiaires, comme nous le verrons plus loin. Plus généralement, ces inégalités de mise en œuvre traduisent, au sein des organismes de formation, des implications très différentes sur ce dispositif. L’investissement des organismes de formation est particulièrement sensible là où le PRDI a été perçu comme un levier pour combler une offre lacunaire de services et de formations à destination des populations faiblement qualifiées. A contrario, dans les territoires mieux pourvus, souvent plus urbains et mieux desservis par les transports en commun, le PRDI a pu être considéré comme un dispositif de plus, venant s’ajouter au millefeuille des offres existantes, ce qui a limité l’adhésion des organismes de formation et leur implication, comme celle des autres acteurs du champ de l’emploi. Dans ce cas, les singularités prescrites par le cahier des charges de la Région ont pu être interprétées ou déclinées a minima, voire rognées, au risque de banaliser la formation proposée et de la rapprocher des autres offres existantes.

2.2. Inégalités territoriales et terrains d’enquête

12Nous avons choisi de réaliser une monographie pour chacune de ces trois propositions. Dès lors, la question méthodologique que nous avions à trancher était le choix des territoires, puisque chacune des offres couvrait des réalités territoriales diverses.

13En effet, la région ne présente pas des caractéristiques sociales et économiques homogènes. Si, en moyenne, le taux de chômage y est plus faible qu’en France métropolitaine (6,8 % contre 7,8 % au dernier trimestre 2019)³, et que l’emploi y croît plus vite⁴ (+ 5,4 % de 2013 à 2018, contre + 3,2 % au niveau national), les zones d’emploi sont particulièrement contrastées dans la région (Fontaine et Vahé, 2020).

14On y trouve des zones d’emploi à forte spécialisation industrielle comme des zones d’emplois dominées par l’économie présentielle de la résidence secondaire et du tourisme, ou encore des zones d’emploi plus spécifiquement rurales et agricoles. Cette étude montre toutefois que la région se caractérise par une prédominance des fonctions productives, et plus particulièrement de fabrication (12 % de l’emploi, contre 8 % pour la France entière). Il existe certes des zones d’emploi avec une forte spécialisation industrielle, mais l’industrie est finalement assez dispersée sur le territoire, deux emplois industriels sur trois se trouvant hors de ces zones spécialisées. Certaines de ces activités industrielles ont cependant été fortement fragilisées par la crise de 2008. À l’inverse, la métropole régionale bénéficie d’un fort dynamisme autour des activités tertiaires et de haute technologie, comme sur l’ensemble du territoire national (Lainé, 2017).

15Une analyse en termes de conditions de vie (Boudesseul et al., 2016) fait aussi apparaitre des territoires contrastés. Coexistent, d’une part, des zones plutôt riches, autour des métropoles de la région, d’autre part, des territoires ruraux, industriels, isolés ou de tourisme saisonnier, cette deuxième catégorie couvrant la partie la plus importante du territoire, et enfin quelques territoires marqués par des fragilités économiques, sociales et culturelles plus ou moins importantes. Ces dernières se retrouvent en partie dans les métropoles, mais aussi en zones rurales : le Nord de la Loire atlantique, certains territoires en Maine-et-Loire et Sarthe (Saumur, Sablé-sur-Sarthe, Noyant). À titre d’illustration, on peut citer le cas du canton de Saumur dont les indicateurs montrent qu’il présente une situation sociale particulièrement dégradée.

16Au total, si on exclut les métropoles, l’analyse des territoires laisse apparaître quatre types assez contrastés :

• Les territoires ruraux industriels dynamiques (type Vendée-Est ou Choletais, pays de Mayenne et Château-Gontier) ;

• Les territoires ruraux industriels faiblement dynamiques, voire en difficulté (Sarthe, Maine-et-Loire) ;

• Les territoires ruraux-agricoles isolés (nord Loire-Atlantique, sud Vendée, Saumurois) ;

• Les territoires d’économie présentielle liée au tourisme (littoral vendéen et sud Loire-Atlantique).

17En croisant les trois offres de formation avec la typologie des territoires présentée, et en excluant le premier type (territoires ruraux industriels dynamiques), non concerné par le dispositif, nous sélectionnons trois territoires EFOP qui traduisent à la fois la diversité des propositions de formation et la diversité des contextes socio-économiques :

• Un territoire rural enclavé (TRE)⁵, une proposition portée par un organisme de formation du préqualifiant ;

• Un territoire rural industriel (TRI), une proposition portée par un organisme de formation du préqualifiant de la proposition commune ;

• Un territoire d’économie présentielle (TEP), une proposition portée par un organisme de formation spécialisé majoritairement dans le secteur de la formation qualifiante mais proposant aussi quelques dispositifs de préqualification.

2.3. Mises en œuvre variées des organismes de formation

18L’étude des mises en œuvre dans les trois territoires sélectionnés révèle combien il est difficile de comparer les effets du PRDI d’un territoire à l’autre, tant les publics, configurations géographiques et investissements des acteurs territoriaux diffèrent. Plusieurs variables interdépendantes ont été identifiées comme déterminant la déclinaison territoriale du dispositif, relevant tout à la fois de l’expérience préalable des OF dans l’accompagnement des personnes « éloignées de l’emploi » (type de structure, histoire, ancrage territorial et spécificité des territoires et des publics), et des moyens mobilisés pour la mise en œuvre du dispositif (stabilité et investissement des équipes pédagogiques, mobilisations des partenaires locaux, organisation géographique).

19En TRE, le travail de l’OF s’inscrit dans une commune de 12 000 habitants aux caractéristiques assez paradoxales. D’une part, elle joue un rôle de grande ville, concentrant des équipements et des services, mais aussi des zones de pauvreté et une population faiblement diplômée. D’autre part, telle un « village », elle cumule des difficultés liées à la ruralité, et notamment des freins à la mobilité, en termes à la fois d’une offre lacunaire de transports en commun, et de la concentration de familles disposant de peu de moyens pour qui l’éloignement d’un environnement connu est représenté comme facteur de fragilisation. Au début de notre enquête, l’OF en question est implanté dans la commune depuis peu de temps. Nouvelle filiale d’un OF d’envergure nationale qui est née dans la région il y a une cinquantaine d’année, elle bénéficie cependant de l’antériorité de ses partenariats avec certaines entreprises locales et avec les organismes qualifiants intégrés à l’équipe ayant remporté le marché du PRDI. Proposant des formations préqualifiantes et qualifiantes, elle est bien identifiée par les potentiels prescripteurs.

20En termes de mise en œuvre effective du dispositif, la diversité des prescripteurs contribue à l’hétérogénéité en âge des stagiaires, qui se caractérisent aussi par l’équilibre entre la part des hommes et celle des femmes et une diversité des rapports à l’emploi : les jeunes stagiaires n’ont souvent jamais travaillé, alors que de plus âgés n’ont pas travaillé depuis plusieurs années ou occupaient des emplois précaires. 38 stagiaires ont intégré le PRDI au cours de la première année de mise en place. Si les candidats au dispositif ne manquent pas, la densité de l’offre de formation préqualifante dans la ville et l’organisation managériale prévalant dans l’OF font que le PRDI s’apparente, pour cet OF, à un marché comme les autres, qu’il choisit de mettre en place sur une seule commune, malgré les difficultés d’accès à celle-ci que peut connaître le public non-motorisé. Par ailleurs, l’organisation pédagogique du PRDI souffre des contrats de très courte durée proposés aux formateurs et accompagnateurs recrutés dans le cadre de sa mise en œuvre, limitant leur capacité à nouer des partenariats pédagogiques et consolider l’ancrage territorial du dispositif.

21Ces caractéristiques territoriales et organisationnelles divergent fortement de celles observées sur le deuxième territoire, TRI. Cependant, là aussi, la commune d’implantation de l’organisme de formation fait office de pôle urbain d’un pays rural connaissant des inégalités territoriales importantes en matière d’accès aux services, d’offre de transports et de taux de chômage, qui donnent à voir un désavantage notable subi par les jeunes. La structure chargée de mettre en œuvre le PRDI est, comme en TRE, un cotraitant du groupement ayant gagné le marché public, qui a déjà travaillé avec la structure mandataire ; mais elle se démarque fortement de l’OF en TRE par sa taille et son histoire : avec ses 9 salariés, cette petite association née de la lutte contre l’illettrisme des années 1990 se revendique formateur « de proximité ». Assurant la mise en place de dispositifs de formation régionaux et d’actions départementales, elle est le principal prestataire du préqualifiant sur un territoire où les partenaires observent une pénurie d’actions de formation préqualifiante, alors que les formations qualifiantes sont plutôt mises en place dans la grande agglomération du territoire. Dans ce contexte, le PRDI est fortement investi par l’OF comme outil permettant de développer l’association, dynamiser les partenariats locaux, et favoriser l’insertion des publics peu qualifiés et peu mobiles habitant les communes rurales du pays. 77 stagiaires, majoritairement jeunes et masculins (47 hommes pour 30 femmes) sont entrés dans le PRDI au cours de la première année sur six sites, dont cinq délocalisés vers des petites communes d’entre 2 000 et 6 000 habitants. L’intérêt des élus locaux et collectivités territoriales pour l’implantation du dispositif sur leurs territoires a été déterminant pour trouver des structures d’accueil adaptées à l’activité de formation. À cette mobilisation s’ajoute celle des prescripteurs traditionnels, avec qui l’OF entretenait déjà des liens serrés avant l’arrivée du PRDI, et qui s’emparent rapidement du dispositif. L’OF multiplie également les contacts avec de potentiels nouveaux prescripteurs (associations). L’équipe pédagogique du PRDI, quant à elle, est composée de trois salariés permanents et quatre nouvelles recrues, qui ont signé des contrats de 8 mois, transformés pour deux d’entre elles en CDI après une année de fonctionnement.

22Enfin, dans le troisième territoire, TEP, l’OF bénéficie d’un ancrage territorial et d’une équipe pédagogique encore plus stable du fait de son appartenance à un réseau d’établissements scolaires de statut associatif qui développent des actions pour répondre aux besoins du territoire. Issu historiquement du secteur de la formation qualifiante, mais développant depuis 2013 un volet accompagnement insertion après d’un public en rupture sociale, scolaire ou familiale, l’OF met en œuvre le PRDI dans deux villes côtières dont l’économie dynamique est marquée par la saisonnalité et la petite taille des entreprises (bâtiment, camping, commerce…). Sur ce territoire, l’OF a la particularité d’être le mandataire du groupement pour le PRDI, constitué de huit opérateurs qui travaillent ensemble pour la première fois. La jeunesse des premières promotions du PRDI, qui a accueilli 38 stagiaires au cours de la première année, tient à l’intérêt porté au dispositif par la Mission locale ; Pôle emploi, quant à lui, a commencé à s’en emparer seulement à la fin de la première année de mise en œuvre. Le directeur de l’OF a fait le choix pour la mise en œuvre de ce dispositif d’une équipe expérimentée et stable afin de garantir un accompagnement efficace des stagiaires sur toute la durée de celui-ci, et a sollicité les intervenants au regard de leurs compétences spécifiques et complémentaires : conseillère en insertion, en économie sociale familiale, psychologue, formateurs en français, en mathématiques. Toutefois, le PRDI a pâti dès son démarrage de problèmes pour trouver des locaux fixes et adaptés. Dans une ville, l’absence de salle puis le « nomadisme » entre différentes salles ont été mal vécus par les stagiaires et accompagnateurs, alors que dans la deuxième, le problème des locaux a vite été résolu mais la salle trouvée et sa localisation se sont avérées peu adaptées au public et à ses spécificités. Malgré la stabilité de l’offre pédagogique, le PRDI dans le territoire du TEP ne bénéficie pas de la même mobilisation des élus et d’autres acteurs territoriaux que celle observée en TRI.

3. Effets de cette déclinaison sur les parcours des stagiaires

3.1. Le poids des parcours sociaux des publics accueillis

23Les motivations à s’engager dans le PRDI et la manière dont celui-ci est perçu et vécu sont bien distinctes en fonction des publics accueillis : la catégorie des « éloignés de l’emploi » recouvre en effet des réalités contrastées. Or, des formes différenciées de réception s’éclairent très nettement au regard des caractéristiques des personnes, de leurs parcours personnels, professionnels et sociaux, et des raisons qui les ont amenées à pousser les portes du dispositif. On relève trois types de stagiaires aux profils et trajectoires passées très contrastés, désignés par les termes : « travailleurs précaires », « chômeurs de longue durée » et « jeunes en décrochage scolaire ».

24Le premier groupe, qu’on peut rapprocher de la catégorie des « permittents », se compose de stagiaires aux trajectoires professionnelles faites principalement de contrats courts ou de missions d’intérim. Aussi, certains se sont engagés dans le dispositif faute d’accéder à un emploi et pour se mettre à l’abri des soubresauts de l’économie et du déficit d’emplois disponibles en raison la crise sanitaire due au Covid 19. Mais très vite, ils perçoivent le PRDI comme une perte de temps et d’argent, vide de sens, voire même comme menaçant leur employabilité future en les isolant du marché du travail. L’urgence de gagner un salaire les a conduit alors à quitter le dispositif à l’occasion d’une promesse d’embauche et avant d’intégrer une formation qualifiante.

25Les jeunes et les adultes chômeurs de longue durée considèrent au contraire plutôt le PRDI positivement et comme rassurant. Les ruptures de scolarité, mais aussi des problèmes de santé (d’addiction, psychologique…), de logement ou de ruptures familiales sont les raisons principales de l’orientation des jeunes dans le dispositif. Celui-ci leur offre un cadre confortable pour découvrir des métiers, réfléchir à leur projet, et accéder à une indemnisation leur permettant, le cas échéant, de gagner leur indépendance. Pour les adultes en chômage de longue durée, l’absence d’activité professionnelle a érodé leur confiance en eux et en leur chance de retravailler. Aussi, l’accompagnement a pu contribuer au projet de reconstruction sociale et professionnelle qu’ils se donnent à l’entrée dans le dispositif. Ces derniers, comme les jeunes, ont plus souvent profité des apprentissages, de la petite taille des groupes, de l’accompagnement et de la « levée de freins » à l’emploi, et, parmi les plus dotés d’entre eux en termes de capitaux culturels ou familiaux, accédé à une formation notamment par alternance.

3.2. La stabilité et la composition des équipes, des facteurs déterminant la réception du dispositif

26L’analyse des modalités de réception du PRDI par les stagiaires montre aussi l’importance de ses mises en œuvre par les différents organismes de formation, mises en œuvre qui sont étroitement dépendantes de la manière dont chacun l’a investi. À rebours de nos premières intuitions, celles-ci tiennent moins aux caractéristiques des marchés de l’emploi localisés, qu’au plus ou moins grand investissement des OF dans ce dispositif et, plus particulièrement, aux choix opérés en termes de recrutement des membres de leurs équipes. De nettes différences se font jour dans les façons dont les stagiaires vivent la formation, d’un organisme à l’autre, selon la stabilité de l’équipe dédiée et sa composition.

27Là où les formatrices sont embauchées dans le temps long du PRDI, les stagiaires, dont l’image qu’ils ont d’eux-mêmes est souvent dégradée à force d’expérience de la relégation et de l’échec, ont le temps de renouer avec elles une relation de confiance qui participe à restaurer leur confiance en eux et facilite leur implication dans le dispositif. À l’inverse, ce processus est amplement contrarié là où le turn-over des membres des équipes est important. L’instabilité des équipes oblige les stagiaires à faire le récit de leurs parcours et difficultés, déjà maintes fois racontés au cours de leur trajectoire ponctuée de recours à l’assistance, au risque de la lassitude.

28Le turn-over parfois très important des équipes – certains organismes ne recrutant les formatrices que pour une durée de quatre mois – restreint aussi les possibilités d’expérimentations pédagogiques, très attendues pour susciter l’intérêt des stagiaires, pour qui les formes pédagogiques traditionnelles calquées sur les formats scolaires sont reconnues comme inadaptées. Il en résulte des apprentissages répétés, souvent didactiques et descendants, qui n’engagent pas assez le corps pour donner au stagiaire le sentiment de faire des choses et de progresser. Beaucoup disent s’ennuyer et se démobilisent. À l’inverse, les expérimentations pédagogiques qui engagent le corps et/ou mobilisent le collectif (sport, théâtre, plateau métier) et qui ont davantage cours là où les équipes sont assez stables pour avoir le temps de penser la pédagogie, semblent contribuer à l’adhésion des stagiaires.

29La formation des professionnels occupant la fonction d’accompagnateur social dans le dispositif apparait, elle aussi, primordiale. La détection de toutes les difficultés sociales et sanitaires qui limitent la capacité des stagiaires à être disponibles aux apprentissages et leur orientation vers les partenaires adéquats semble plus aisée pour les accompagnants sociaux ayant un profil de travailleur social ou de psychologue, habitués pour les premiers à tisser des partenariats territoriaux, et pour les seconds à mener des entretiens individuels de type clinique, que pour les profils de formateurs embauchés sur ces postes dans certains organismes. Pour eux, les partenaires du territoire sont à identifier et les liens à construire. Les orientations et la résolution des difficultés des stagiaires prennent alors du temps et leur pleine disponibilité pour les apprentissages professionnalisants s’en trouve retardée.

Conclusion

30Quel que soit le site, le PRDI peine à mener les personnes au bout d’un parcours de qualification. Nombreux sont en effet les stagiaires à quitter le dispositif avant d’avoir entamé une véritable phase de qualification. Sur les trois territoires choisis et lors de la première année de l’expérimentation, la moitié des stagiaires décroche du dispositif, sans variation notable d’un territoire à l’autre. Mais les entretiens réalisés lors de notre enquête montrent qu’ils tirent d’autres ressources, en matière de stabilisation, de remobilisation ou d’accès à des emplois via les stages (Bernard et al., 2022). Ces effets dépendent largement des caractéristiques des stagiaires, selon leur âge (effets plus significatifs pour les plus jeunes) et selon les ressources économiques et sociales dont ils disposent. De ce fait, un premier élément de variation territoriale tient aux différences de publics d’un site à l’autre. Par ailleurs, ces écarts sont moins liés aux caractéristiques sociodémographiques des territoires qu’à l’inégal investissement des prescripteurs (Missions locales, Pôle emploi, unités emplois des départements) d’un territoire à l’autre ; cette inégalité reflétant d’une certaine manière les différences dans la construction des réseaux institutionnels sur chaque territoire. Les effets du dispositif dépendent également de la qualité de l’accompagnement dont les stagiaires ont pu bénéficier au sein du dispositif. Là encore, des contextes institutionnels jouent un rôle important ainsi que l’engagement des organismes de formation et les appuis dont ils ont pu bénéficier par les acteurs du territoire, qui varient fortement d’un espace à l’autre. En somme, le territoire par ses différentes composantes (dynamisme du bassin d'emplois, présence d’offres de service et de formation préexistantes et accessibilité de celles-ci grâce à des moyens de transport…) a eu des incidences sur les manières dont les OF se sont emparés du dispositif, et c’est à ce titre qu’il nous est apparu particulièrement déterminant pour les stagiaires