Introduction

1La mobilité résidentielle étudiante est un passage obligé pour bon nombre de bacheliers qui poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur. Environ six sur dix optent pour une formation située dans une autre zone d’emploi que celle d’origine (Fabre et Pawlowski, 2019). Un peu moins d’un tiers changent de département de résidence et un quart réalisent une migration résidentielle à une distance d’au moins 80 km de leur commune d’origine (Dupray, 2023). Étant donnée la concentration relative de l’offre d’enseignement supérieur dans les grandes aires urbaines, les premiers confrontés à cette migration sont les bacheliers issus des zones rurales ou de petites communes isolées, c’est-à-dire non soumises à l’influence d’un ou plusieurs grands pôles urbains.

2Une question émerge assez vite, celle de savoir si cette mobilité géographique est plutôt bénéfique pour les études, favorisant l’installation dans le métier d’étudiant (Coulon, 2005). Elle placerait l’étudiant en position d’assumer de nouvelles responsabilités et de gagner en indépendance, étapes nécessaires à la transition vers la vie adulte (Holdsworth, 2009 ; Orange, 2010) et finalement favoriserait le succès du cursus dans lequel il s’est inscrit. Au contraire, cette mobilité pourrait accroître les difficultés d’études en projetant le bachelier dans un nouvel espace où les cadres de l’enseignement secondaire et de la famille peuvent être mis à distance au profit d’une autonomie nouvelle mais qu’il faut apprendre à gérer au profit de la réussite du programme d’études suivi. Évidemment, il n’existe certainement pas de réponse univoque à cette interrogation. Tout dépend du risque associé à cette mobilité c’est-à-dire des conditions de ressources économiques et de soutien familial dans lesquelles s’opère cette migration résidentielle (Zilloniz, 2010).

3En ouvrant des perspectives d’études, la mobilité spatiale peut aussi produire des distances sociales et culturelles entre le milieu d’origine et le milieu étudiant. Dans un sens, elle paraît bénéfique si elle desserre les contraintes de l’offre de formation disponible localement, mais dans le même temps peut impliquer « le franchissement de limites sociales signifiantes » (Piolle, 1990) qui nécessite une acculturation à d’autres espaces géographique et social : celui de la vie citadine, du monde étudiant avec le développement de nouveaux liens sociaux, et éventuellement celui du monde du travail lorsque le jeune doit subvenir, au moins pour partie, à ses besoins.

4Considérer la mobilité géographique amène à reconnaître l’importance de deux aspects. Le premier est la distance physique qui sépare le lieu de vie de l’individu au moment où il passe le baccalauréat et termine ses études secondaires, et l’établissement d’enseignement supérieur. Malgré l’effort de déconcentration de l’offre d’enseignement supérieur depuis les années 1970, en volume d’étudiants et variété des formations, les plus grandes aires urbaines restent de loin les mieux loties. Le second aspect est l’éventualité d’un ancrage territorial (Guérin-Pace & Filippova, 2008) pouvant contribuer à limiter la prise de risque en dehors de cet espace de référence. Le local peut alors constituer une valeur refuge ou un espace de projection de soi revendiqué (Escaffre et al., 2007 ; Dahl & Sorenson, 2010) source d’un capital d’autochtonie (Retière, 2003).

5À cet égard, on adapte la typologie de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) distinguant les communes urbaines et rurales (Duquet-Métayer & Monso, 2019) pour situer l’origine des étudiants en mobilité. On se place ici à l’entrée dans l’enseignement supérieur car c’est à ce moment que se concentrent les principaux flux de mobilité étudiante (Lemaire & Papon, 2009).

6L’intérêt de cette communication est d’explorer si et comment la mobilité géographique peut s’avérer favorable ou éventuellement représenter un facteur de risque pour la réussite étudiante.

1. Données et méthodologie

7Au plan empirique, on mobilise les données du panel de suivi dans l’enseignement supérieur des bacheliers de 20141, notamment les trois premières vagues pour construire différents indicateurs de réussite et disposer de variables de contrôle sur le parcours d’études au-delà de la première année. Ainsi, pour les variables à expliquer, on en retient plusieurs, adoptant des définitions plus ou moins restrictives de la réussite pour faire écho à l’ambiguïté de la notion d’échec (Millet, 2012) et à la diversité des devenirs étudiants au-delà de la première année (Chan-Pang-Fong, 2020). Précisons que la réussite est abordée dans une vision dynamique et logique où l’objectif attendu d’une première année d’études supérieure est l’accès à la deuxième année ou a minima à une validation totale de la première année d’études. Subjectivement, pour un étudiant donné, la réussite peut se concevoir d’une toute autre manière, en fonction des expériences vécues durant ce temps d’études qui n’ont pas forcément comme unique but le succès aux examens et de décrocher le passage en deuxième année.

8Du fait de la récupération de la typologie de la DEPP et des informations communales nécessaires pour identifier les différents indicateurs de mobilité et de distance, nous limitons l’échantillon aux communes de France métropolitaine. Nous obtenons un ensemble de 14°058 élèves qui poursuivent dans l’enseignement supérieur.

9Compte tenu de l’absence de certaines données géographiques, l’échantillon d’analyse se réduit à 13°291 individus. La distribution des caractéristiques de l’échantillon d’un peu plus de 750 observations écartées ne diffère pas significativement de celles des 13 291 observations retenues.

1.1. Les variables dépendantes : réussite à partir des situations en deuxième ou troisième année

10On considèrera successivement trois critères de réussite s’intéressant à l’issue de la première année d’études dans l’enseignement supérieur : validation totale de la première année : R1A, passage en deuxième année de la filière suivie : R1B, validation totale ou partielle de la première année : R1C. La première mesure est la plus stricte avec un taux de réussite de 53 % contre 66,6 % pour la dernière (56,8 % pour R1B).

11Par ailleurs, on teste aussi deux indicateurs qui renvoient à l’inscription en 3^e année d’enseignement supérieur : le premier entérine le passage dans l’année supérieure (R3A) et concerne 42,6 % des étudiants présents en deuxième année et le second (R3B) inclut en plus les individus qui passent dans l’année supérieure mais changent de spécialité ou se réorientent dans une autre formation, comprenant notamment tous les accès à des écoles de commerce ou d’ingénieurs en provenance de classes préparatoires ou d’un institut universitaire de technologie. De ce fait, ce critère de réussite est beaucoup plus englobant et concerne 59,6 % des étudiants présents en deuxième année.

1.2. Les variables de mobilité

12Pour mesurer les mobilités, on dispose des communes de résidence au baccalauréat et de la commune de résidence en mars 2015. Les indicateurs de mobilité géographique sont construits sur la base de ce changement d’adresse. Par ailleurs, à l’aide du distancier Metric2 de l’Insee, on peut calculer les distances intercommunales en kilomètres par la route, en se limitant aux communes de France métropolitaine.

13On construit ainsi un indicateur de mobilité interdépartementale (MID) qui vaut 1 lorsque l’étudiant réside en mars 2015 dans un autre département que celui de résidence au moment où il passait son baccalauréat. Un indicateur axé sur la distance (M80k) qui vaut 1 lorsque la distance couverte par le changement de résidence équivaut à au moins 80 km. Cette distance a été fixée pour marquer une séparation nette entre la résidence d’origine et celle de résidence étudiante avec une fréquence de retour au domicile parental limitée, sans doute au mieux hebdomadaire. Nous avons enfin construit une variable catégorielle : MobCom qui prend quatre modalités : sédentaire, mobilité résidentielle à moins de 80 km, mobilité résidentielle entre 80 et 200 km, enfin une mobilité à 200 km et plus. L’hypothèse pour cette dernière classe est qu’à partir de 200 km, la fréquence des retours au domicile parental se fait encore plus rare et que la coupure avec la socialisation familiale et les attaches relatives au lieu d’origine s’avère plus avancée.

14Pour la typologie des espaces de résidence d’origine, nous adaptons en sept classes celle de Duquet-Métayer et Monso, 2019 (voir Tableau A en annexe).

1.3. Les variables de contrôle

15Dans les spécifications, nous introduisons les canaux d’information utilisés par le jeune pour choisir son orientation (neuf modalités non exclusives). En effet, ils sont susceptibles de témoigner de l’ajustement entre les aspirations d’études du bachelier et ses possibilités objectives d’intégration et de réussite selon les filières et spécialités telles que perçues par l’interlocuteur (enseignant, conseiller d’orientation…) ou définies par l’algorithme et ce, en fonction de ses antécédents scolaires. En cela, ces canaux peuvent influencer leur chance de réussite.

16Une expérience de travail régulier durant les études (plus de 15 heures hebdomadaire) est aussi prise en compte parmi les facteurs explicatifs dans la mesure où elle peut gêner les apprentissages et la réussite en empiétant sur le temps dédié aux études (Body et al., 2014 ; Zilloniz, 2017).

17Par ailleurs, les spécifications comportent en explicatives, un indicateur composite de capital culturel des parents indexé sur leurs niveaux de diplôme ; une variable continue de niveau d’études visé car on sait par de nombreux travaux que les aspirations en matière de niveau d’études ont un pouvoir prédictif sur la réussite ; des dichotomiques représentant l’obtention d’une bourse sur critères sociaux en 2014, l’obtention d’une bourse au mérite, le fait d’être en couple.

18Des difficultés particulières relatives à la santé ou familiales et susceptibles d’influer sur la réussite sont intégrées aux spécifications tandis que les autres formes de difficultés recensées (logement, transport, économiques) ont été évacuées, celles-ci ne ressortant jamais comme significative dans aucun des modèles testés.

19Un indicateur stipule que le cursus suivi n’est pas conforme au souhait initial (pour l’individu de référence, la filière suivie et l’établissement sont en correspondance totale avec le souhait initial), le décalage entre les études effectivement suivies et le vœu initial pouvant être source de démotivation et impacter la réussite.

20Les résultats scolaires passés sont pris en compte au travers de la mention au baccalauréat : {oral de rattrapage, passable, assez bien, bien, très bien}, l’expérience d’un redoublement en primaire et l’expérience d’un redoublement dans le secondaire. Ces éléments captent la performance scolaire passée des étudiants et contribuent à déterminer leur chance plus ou grande de réussir et donc leur capacité à faire fructifier leur éventuelle mobilité.

21La série du baccalauréat en 5 modalités est prise en compte = {S, ES, L, Technologique, Professionnel}. La filière d’études dans l’enseignement supérieure est contrôlée au travers de 8 modalités = {CPGE, IUT, PACES, STS3, paramédical, école de commerce ou d’ingénieur, licence, autre formation d’enseignement supérieur} compte tenu de la variabilité des taux de succès selon les filières.

22Le mode d’habitation au cours de l’année 2015-2016 = {seul ou avec son conjoint, en colocation-(fratrie, amis…), non renseigné, chez un ascendant (parent, grand-parent, belle-famille)} vient enrichir les spécifications et donne à voir l’issue de la mobilité résidentielle en matière de cohabitation.

23Compte tenu de la configuration particulière des départements d’Ile de France, une dichotomique indiquant si le jeune résidait dans un de ces départements au moment du baccalauréat est intégrée selon les modèles. Enfin, les sept classes d’appartenance de la commune de résidence au baccalauréat sont contrôlées pour ensuite être testées en interaction avec la mobilité.

24Par ailleurs, des indicateurs d’intensité des contacts et relations que nouent les étudiants avec d’autres ou qu’ils conservent avec leurs parents ou des amis non étudiants est renseignée en deuxième vague du panel et permet d’inclure dans les spécifications relatives aux critères de réussite en année 3, le fait de voir souvent ou tout le temps : {des étudiants de la même formation, des étudiants du même établissement mais d’une autre formation, des étudiants d’un autre établissement, des amis non étudiants, ses parents}.

25Enfin, au-delà d’éventuelles corrélations positives que pourraient indiquer les modèles entre mobilité et réussite à autres caractéristiques données, cela ne suffirait pas à déduire un lien causal entre la mobilité et la réussite. Si des caractéristiques individuelles inobservées influencent à la fois la mobilité géographique et résidentielle et la réussite dans les études alors la mobilité est endogène. Elle peut alors, au même titre que la réussite, apparaître comme une conséquence d’un certain nombre de traits individuels inobservés comme la maturité, l’autonomie, la confiance en soi, la ténacité, la persévérance…

26Dans cette perspective de traiter l’endogénéité de la mobilité par rapport à la réussite, on a construit une variable DSP, qui donne la distance la plus proche entre la commune d’origine au baccalauréat de l’étudiant et la filière détaillée avec la spécialité de formation dans laquelle chaque enquêté de l’échantillon est inscrit en première année d’enseignement supérieur. Nous avons ainsi établi 136 possibilités de poursuite dans l’enseignement supérieur (type d’établissement croisé avec la spécialité) à partir des données APB 2016 et des informations disponibles sur les études effectivement suivies dans le Panel Bacheliers 2014. Nous avons ensuite calculé les distances géographiques minimales (distances par la route obtenues par Metric) entre les communes d’origine des étudiants et les communes disposant de l’offre de formation correspondante4. Puis ces valeurs ont été imputées aux enquêtés selon leur commune de résidence au baccalauréat et leur modalité (établissement*spécialité) effective de poursuite d’études.

27Cette variable manifeste la latitude de maintien résidentiel ou de non-mobilité à la portée des bacheliers selon l’orientation d’études qu’ils ont privilégiée et inversement la nécessité de mobilité avec cette distance. Nous faisons ainsi l’hypothèse que le souhait d’orientation dans l’enseignement supérieur s’opère indépendamment d’un critère de proximité et que le choix de la mobilité en fonction des distances de localisation intervient dans un second temps. On vérifie que cette variable DSP n’impacte en aucune manière l’équation de réussite quel que soit l’indicateur retenu.

28Par convention, pour les communes corses et des inscriptions d’études supérieures sur le continent, on a imputé une valeur de 200 km pour la corse du nord et de 340 km pour la corse du sud. Cette variable DSP nous sert alors d’instrument pour traiter de l’endogénéité de la variable de mobilité à l’aide de modèles Probit bivariés Récursifs (Wilde, 2000).

2. Résultats en statistiques descriptives : des mobilités géographiques en apparence favorables à la réussite

29Selon la mesure privilégiée, la réussite varie entre 53 et 67 % à l’issue de la première année et entre 43 et 60 % pour la situation en 3^e année.

30La mobilité résidentielle semble avantager dans tous les cas la réussite, qu’elle soit mesurée par un changement de département, une distance d’au moins 80 km ou différentes catégories de distance (Tableau 1).

31À formation supérieure suivie dans un autre département que celui d’origine, 28 % des bacheliers font des navettes, le complément ayant entrepris une mobilité résidentielle. Un tiers des jeunes inscrits dans une formation en dehors de leur département d’origine ont ainsi déménagé pour une commune située entre 80 et 200 km de distance par rapport à leur commune d’origine. Pour le changement de département, l’accroissement du taux de réussite des étudiants mobiles varie de 5 à 12 points selon le critère de réussite. Les écarts sont plus ténus avec les mesures de la mobilité en distance (MobCom) mais les valeurs montrent que les distances de mobilité les plus importantes (200 km et plus) sont plutôt associées à la meilleure réussite (Tableau 2).

32Toujours d’un point de vue descriptif, examinons si l’avantage apparent associé à la mobilité géographique est homogène selon les types de commune d’origine des entrants dans le supérieur.

33Qu’en est-il dans un premier temps de la réussite de leurs bacheliers indépendamment de la mobilité : la réussite de la première année avantagerait plutôt les élèves issus de communes rurales périphériques ou rurales éloignées par rapport aux bacheliers issus de communes urbaines très denses qui affichent, relativement aux autres, les moins bonnes performances. Cependant, au regard de la situation d’études trois ans après le baccalauréat et des deux indicateurs retenus, la situation change, les bacheliers issus des communes rurales éloignées et ceux qui résidaient dans une petite ville présentent les taux de réussite les plus faibles, 6 à 7 points au-dessous des bacheliers des communes de l’urbain très dense qui font preuve de la plus grande réussite. Cette évolution s’éclaire à l’aune du niveau d’études supérieur qu’ambitionnent ces bacheliers selon le type de leur commune d’origine. Si les moyennes varient entre 3,9 et 4,2, respectivement pour le rural éloigné et l’urbain très dense, les médianes varient entre 3 pour les bacheliers issus des petites villes et 5 pour ceux issus des aires urbaines très denses. Une moindre ambition d’étude explique donc sans doute une partie de ce retournement de réussite selon le type de commune entre la première et la troisième année après le baccalauréat.

34L’apport de la mobilité à la réussite varie selon le type de commune et le critère de réussite et selon qu’on considère la première année ou la situation 3 ans après le baccalauréat.

35Ainsi pour les 3 premiers critères de réussite renvoyant à la première année, la mobilité paraît sans incidence pour les bacheliers résidant dans une commune rurale éloignée ou dans une petite ville.

36Au départ du rural périphérique, les mobilités, interdépartementale et à longue distance (200 km et plus) améliorent la réussite au sens du critère R1B, mais cet avantage n’est pas avéré pour les autres critères.

37Dans l’urbain bourg, la mobilité avantage aussi la réussite de manière plus flagrante sur le premier critère. Comme précédemment, les mobilités à longue distance sont porteuses des taux de réussite les plus élevés.

38Les corrélations positives mises en évidence pour les bacheliers issus d’une commune urbaine classée en périphérique peu dense sont plus fragiles (tests de chi2 significatifs à 10 %) et concernent surtout les mobilités à longue distance. Au départ de l’urbain dense, l’avantage aux mobiles se confirme seulement pour le premier critère, le plus restrictif, alors que la mobilité apparaît clairement systématiquement favorable pour l’ensemble des critères pour les bacheliers résidant initialement dans une commune urbaine très dense.

39Ces disparités d’effet de la mobilité selon la provenance du bachelier et le type urbain, rural ou isolé de sa commune d’origine disparaissent avec la prise en compte des deux indicateurs de réussite relatifs à la 3^ème année post-bac. La mobilité apparaît alors toujours favoriser la réussite.

40La prime à la réussite avec la mobilité résidentielle associée à un changement de département s’échelonne ainsi entre 6 (urbain très dense) et 23 points (petites villes) du point de vue de l’accès à une 3^ème année post-bac.

41Les proportions de succès sont, comme on pouvait s’y attendre, sensibles à la série du baccalauréat. Si un changement de département s’accompagne de 75 % de réussite au sens d’un passage en troisième année post-bac (y compris changement de filière et d’orientation) en série L, c’est 50 % en série technologique et 33 % en série professionnelle.

3. L’impact de la mobilité résidentielle à caractéristiques individuelles et de scolarité données

42L’estimation de modèles logit où on contrôle un grand nombre de variables explicatives (Tableau B en annexe) montre que les mobilités, au sens d’un changement de département ou d’une distance d’au moins 80 km (idem avec la variable scindant la distance en 3 catégories), n’apparaissent jamais significatives en ce qui concerne les variables de réussite à l’issue de la première année d’enseignement supérieur.

43Cependant, si on teste l’effet d’une variable qui indique qu’au lieu d’une mobilité résidentielle, l’étudiant effectue des navettes régulières entre son domicile et son établissement de formation supérieure situé dans un autre département, on observe que pour les 3 indicateurs de réussite, le coefficient est négatif et significatif. En d’autres termes, le maintien résidentiel au prix de navettes régulières pénaliserait davantage la réussite qu’un rapprochement résidentiel de son lieu d’études.

44Par ailleurs, dans les premiers modèles, l’effet de la mobilité résidentielle (MD1 ou M80k) devient positif et significatif dès lors que la filière d’enseignement supérieur suivi (en 8 modalités) n’est pas incluse dans le modèle. Le type de filière et d’établissement de poursuite d’études constitue donc un des motifs principaux de la mobilité résidentielle au moment d’entrer dans le supérieur. En outre, la mobilité résidentielle permet sans doute en moyenne de se rapprocher des filières d’études où les taux de validation de la première année sont les plus élevés ou concerne de manière plus que proportionnelle les bacheliers qui possèdent intrinsèquement les plus grandes chances de succès dans les filières d’élection. Dès lors, l’effet propre de la mobilité serait comme absorbé dans les coefficients des modalités de poursuite d’études dans les estimations où celles-ci sont prises en compte.

45L’effet éventuel de la mobilité selon le type de commune d’origine est testé en introduisant des interactions entre les deux variables tout en contrôlant l’effet propre sur la réussite du type de la commune d’origine. On notera qu’indépendamment de la mobilité, ce sont les bacheliers issus des communes rurales éloignées peu denses et très peu denses qui réussissent le mieux à autres caractéristiques fixées par ailleurs.

46Lorsque la destination dans le supérieur est incluse dans les modélisations, seule la mobilité au départ de l’urbain périphérique pour R1A et à la fois à partir du rural périphérique et de l’urbain périphérique pour le passage en 2^ème année de la filière suivie (R1B) avantagent la réussite de leurs auteurs relativement aux bacheliers des mêmes territoires qui ne changent pas de département.

47Indépendamment de la filière d’études, une mobilité résidentielle s’avère donc en moyenne favorable pour les bacheliers des territoires périphériques qu’ils soient ruraux ou urbains5.

48Comme les orientations d’études et les caractéristiques des publics peuvent diverger selon les espaces géographiques d’origine, la contribution à la réussite des facteurs pris en compte dans les modèles peut varier selon qu’on observe par exemple la mobilité de bacheliers originaires d’une zone rurale éloignée, d’une petite ville ou d’une commune relevant de la catégorie « urbain dense ».

49Des modèles de réussite stratifiés selon le type de commune d’origine des bacheliers ont donc aussi été estimés (Tableau 2) en gardant systématiquement en explicatives les destinations dans le supérieur.

50Pour ce qui est de la mobilité résidentielle entre départements, elle est toujours non significative pour le premier et le troisième indicateur de réussite. Elle n’est favorable que pour le passage en 2^ème année de la filière suivie (R1B) et uniquement pour les bacheliers qui résidaient dans une commune urbaine périphérique peu dense.

51Du pont de vue de la mobilité résidentielle à au moins 80 km de distance, elle se révèle « payante » pour les bacheliers issus du rural périphérique et de l’urbain périphérique à autres conditions données. Elle semble légèrement défavorable pour celles et ceux qui quittent une commune urbaine très dense. Notons que ces indicateurs de mobilité permettent de comparer les bacheliers mobiles au sens d’un changement de département ou d’un seuil de distance de 80 km par rapport, respectivement, à ceux restés dans le même département et à ceux dont la mobilité résidentielle est en deçà d’une distance routière de 80 km de la commune d’origine. Seul, le dernier indicateur (Mobcom) permet la comparaison des mobiles avec les sédentaires, c’est à dire restés dans la même commune de résidence.

52Si l’on aborde la mobilité résidentielle, cette fois selon la distance qu’elle recouvre, on voit que l’incidence de la mobilité, lorsqu’elle est significative, est peu modifiée avec la distance. Ainsi, par rapport à ceux qui n’ont connu aucune mobilité résidentielle, les bacheliers issus de bourgs valorisent systématiquement leur mobilité que l’on considère la réussite de leur première année au sens le plus restrictif ou le plus large. Il n’en n’est pas de même pour les bacheliers des petites villes dont l’éloignement d’études pèse négativement sur leur réussite que l’on considère le passage en deuxième année de la filière suivie ou la validation totale ou partielle de leur première année (2^ème critère).

53De manière moins uniforme selon la distance, des mobilités à courte ou moyenne distance semblent contrevenir à la réussite au sens de la validation totale de la première année pour les bacheliers en provenance d’une commune appartenant au type rural périphérique.

54Au total, les effets les plus robustes de la mobilité résidentielle semblent concerner les bacheliers en provenance de bourgs, apportant alors un avantage, et les bacheliers des petites villes pour les deux indicateurs les moins restrictifs avec alors une pénalisation sur la réussite.

4. Une valorisation de la mobilité qui dépend de la fréquence des contacts ?

55Les indicateurs de réussite mesurés lors de la 3^ème interrogation permettent d’intégrer une nouvelle dimension : la fréquence des contacts noués au cours de la deuxième année d’études supérieures et les catégories de personnes tributaires de ces contacts avec l’enquêté.

56En effet, une mobilité résidentielle amène à renouveler son réseau de contacts et d’amitiés ou du moins, ouvre un champ des possibles en la matière. Et l’on peut supposer que la réussite des études entreprises est aussi liée à la capacité de l’étudiant à se socialiser à ce nouvel environnement, à s’adapter à la culture étudiante en rapport avec le cursus d’études suivi et à nouer de nouveaux contacts (Beaupère & Collet, 2021). Cet aspect relationnel est donc une conséquence de la mobilité résidentielle et de la nouvelle autonomie dont dispose l’individu mais la manière dont il l‘exprime et le déploie n’a pas de raison d’être uniforme ou homogène entre les étudiants.

57Les résultats montrent que seule la mobilité au seuil de 80 km (M80K) apparait favorable à la réussite que l’on considère le premier ou second indicateur de mesure plus large. Par rapport aux sédentaires, la mobilité résidentielle couvrant une distance de 80 à moins de 200 km favorise aussi la réussite que l’on contrôle ou non la fréquence et les types de contacts noués en deuxième année dans les modélisations.

58Suivant l’idée que le renouvellement des contacts est associé à une mobilité résidentielle et que l’intensité et la forme de ces contacts participent à la réussite étudiante, comment l’effet de la mobilité est-il susceptible de varier selon les relations sociales développées en 2^ème année (tableau 3).

59Qu’il s’agisse de la mobilité interdépartementale ou de la mobilité au seuil de 80 km, elle n’est avantageuse que lorsque le déficit de contacts avec d’autres étudiants est compensé par la fréquence des contacts avec les parents. Pour la mobilité distinguée selon sa distance, cela semble toujours le cas pour les distances moyennes à importantes mais seulement pour le critère de réussite le plus restrictif.

60L’effet positif de la mobilité résidentielle sur la réussite résiste en soi lorsque le lien aux parents est maintenu malgré la distance et suppléé en quelque sorte au manque de relations avec d’autres étudiants. Pour le reste, son effet paraît s’effacer au profit de nouveaux contacts dont on établit par ailleurs qu’ils favorisent la réussite ou devient invisible, lorsque cette mobilité n’a ni permis un renouvellement relationnel auprès d’autres étudiants ni permis le maintien de contacts réguliers avec les parents.

61Notons que selon les modèles de réussite, les autres variables explicatives prises en compte et exposées au tableau B en annexe sont dans la plupart des cas pertinentes en pesant sur les indicateurs de réussite.

62Si l’espace manque pour exposer les tentatives d’estimation causale du rôle de la mobilité, les premières investigations mettent en évidence un effet net de la mobilité qui serait au mieux non significatif sur la réussite des premières années dans l’enseignement supérieur alors que DSP affecte bien positivement la probabilité de mobilité résidentielle.

Conclusion

63La mobilité géographique doit se comprendre comme un moyen permettant d’atteindre des aspirations d’études qui en son absence resteraient hors de portée. En redistribuant l’espace des possibles, elle permet au jeune de saisir de nouvelles opportunités de rencontres, de relations amicales, d’expériences et l’inscrit dans un nouveau contexte de vie. C’est la capacité à convertir cette mobilité résidentielle en de nouvelles ressources et expériences qui lui confèrent une potentielle valeur ajoutée pour se conformer au métier d’étudiant et progresser dans le cursus choisi. À cet égard, on a vu que celles et ceux qui étudiaient dans un autre département que celui d’origine sans avoir déménagé, pâtissaient de la contrainte de trajets réguliers pour mener à bien leurs études.

64Si l’influence de la mobilité résidentielle est avérée en statistiques descriptives, notamment celle à longue distance, elle ne l’est plus dès lors qu’un éventail de caractéristiques sociodémographiques et de formation contribuant à la réussite sont prises en compte dans des régressions logistiques ou lorsque l’on tente de purger la mobilité de son caractère endogène.

65Lorsque la mobilité est positivement associée la réussite dans les régressions logistiques, elle l’est en référence à la filière d’études qu’elle permet d’intégrer et de suivre, laquelle est plus souvent conforme au souhait initial émis par le bachelier que lorsque des motifs de proximité interviennent dans les choix (Dupray & Vignale, 2021) (la divergence entre le cursus effectivement suivi et le souhait initial survient plus souvent pour les jeunes qui n’ont pas ou peu bougé). Par ailleurs, la mobilité permet aussi d’intégrer les filières où les étudiants mobiles ont les meilleures chances de réussite, car elles correspondent à leurs aspirations d’études mais aussi sans doute dans une logique d’appariement car le risque d’échec lié à la filière suivie serait d’autant plus intégré dans le vœu de poursuite d’études que sa réalisation implique une mobilité géographique. On a montré ainsi que les vœux d’orientation étaient moins ambitieux pour les bacheliers de territoires isolés par rapport à ceux vivant en milieu urbain dense ou très dense à performances dans le secondaire données (Dupray, 2023). On retrouve des mécanismes de même nature pour les indicateurs de réussite à 3 ans avec la prise en compte de la fréquence et de l’intensité des contacts noués avec les autres étudiants ou conservés avec les parents, lesquelles dimensions peuvent exprimer l’apport de la mobilité à la réussite.

66La transformation de la mobilité résidentielle en réussite apparaît aussi sensible au type de la commune d’origine, et en moyenne, c’est dans les territoires périphériques qu’ils soient ruraux ou urbains que les bacheliers semblent tirer le meilleur de la mobilité au seuil de 80 kilomètres. Par rapport aux immobiles, qui demeurent dans leur commune d’origine au moment du baccalauréat, l’analyse stratifiée par type de territoire d’origine met en évidence un avantage systématique des mobiles quelle que soit la distance et l’indicateur de réussite de la première année pour les bacheliers en provenance d’un bourg, alors qu’elle se révèle défavorable pour les bacheliers de petites villes (pour 2 indicateurs sur 3). Des approfondissements sont nécessaires pour comprendre cette disparité de valorisation de la mobilité pour ces bacheliers.

67Enfin, des premiers résultats traitant le caractère endogène de la mobilité ne sont pas en mesure de révéler un avantage de celle-ci pour la réussite une fois pris en compte tous les autres facteurs documentés ici et de nature à affecter la validation des études. Ces premières pistes d’éclairage des formes de conversion de la mobilité résidentielle en réussite témoignent que la mobilité spatiale n’est pas, dans tous les cas, systématiquement associée à une plus grande réussite étudiante. Les conditions nécessaires pour qu’elles le soient restent à investiguer plus avant.