Introduction

1Les carrières scolaires, envisagées comme des processus dans lesquels les familles et les élèves peuvent choisir telle ou telle possibilité dans les bifurcations qui se présentent à chaque palier de la scolarité, sont encore peu connues (Masson, 2012). Les placements scolaires à l’entrée d’un cursus d’enseignement sont l’objet de nombreuses recherches depuis les années 1970. Cela s’explique notamment au regard de l’engagement que représente le choix initial du collège pour les familles en mesure de choisir. Pour elles, il n’est « ni facile ni souhaitable de changer souvent d’établissement » (Felouzis, Maroy & Van Zanten, 2013). Pourtant, bien que les déplacements scolaires en cours de cursus concernent près de 25 % des collégiens (Dupuy, 2014), ils ont, pour leur part, fait l’objet de peu de recherches. Cette contribution présente quelques résultats d’une thèse récente de sociologie portant sur les mobilités scolaires en cours de cursus collégien (Dupuy, 2017). Ils permettent de mieux comprendre qui sont les élèves mobiles et l’orientation générale du flux d’élèves entre des établissements socialement et scolairement très hiérarchisés dès l’entrée en sixième. Ils mettent également en évidence les motifs des déplacements scolaires, les conséquences des mobilités sur les carrières scolaires des élèves et sur la spécialisation sociale et scolaire progressive du recrutement des établissements tout au long de la scolarité secondaire.

1. Étudier les mobilités scolaires

1.1. Analyser les mobilités scolaires au sein d’un espace local des établissements

2Des nombreux travaux centrés sur les modalités de fonctionnement et de régulation des « marchés scolaires », sur les stratégies de placement scolaire des familles et les politiques d’établissement menées dans un contexte officieusement concurrentiel, on peut retenir que dans l’enseignement secondaire, « les concurrences entre établissements comme les choix éducatifs des familles ne se font [que très rarement] à l’échelle nationale ou même régionale » (Felouzis, Maroy, Van Zanten, 2013). Les espaces scolaires sont toujours, à l’exception de quelques établissements qui proposent une offre scolaire singulière, des marchés inscrits dans le « local ». En conséquence, compte tenu de l’importance pour les parents d’élèves de la proximité de l’établissement par rapport au domicile et/ou au lieu de travail (Léger, 2001) et de l’imbrication des dynamiques résidentielles et scolaires (Fack & Grenet, 2009), seules des études localisées permettent de comprendre les relations de concurrence entretenues entre établissements d’enseignement secondaire. Dans la mesure où l’expression « marchés scolaires » recouvre des réalités variées selon les traditions nationales (Felouzis, 2011) et des acceptions diverses dans d’autres champs de recherche tels que l’économie ou la gestion, l’ensemble des établissements d’un territoire engagés dans des relations de concurrence afin de capter chaque année suffisamment d’élèves pour se pérenniser et/ou se développer est nommé ici, dans une perspective sociologique, un espace local des collèges. En effet, quels que soient les terrains d’enquête sur lesquels sont réalisées les recherches, il est finalement toujours question des conséquences de l’existence de positions différenciées entre plusieurs collèges concurrents, de l’organisation de celles-ci les unes par rapport aux autres. Il est également toujours question des formes prises par les relations entretenues entre une institution scolaire très différenciée et des élèves aux dispositions tout aussi différenciées. Or, l’« idée de différence, d’écart, est au fondement de la notion même d’espace, ensemble de positions distinctes et coexistantes, extérieures les unes aux autres, définies les unes par les autres, par leur extériorité mutuelle et par des relations de proximité, de voisinage ou d’éloignement et aussi par des relations d’ordre, comme au-dessus, au-dessous et entre » (Bourdieu, 1994).

3La recherche prend en considération les positions relatives occupées par les élèves mobiles au sein de leurs établissements de départ en même temps que les positions relatives des établissements au sein de l’espace local des collèges. Elle s’inscrit, ainsi, dans le cadre d’analyse proposé par Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie (1993) pour étudier les institutions en général et l’institution scolaire en particulier.

1.2. Les sources et leur exploitation

4À partir d’une étude longitudinale ciblée sur une cohorte d’élèves entrés dans les collèges d’un espace local des collèges provincial étendu sur des territoires à la fois urbains (centre ville, quartiers intermédiaires d’une ville moyenne), périurbain et rural, l’analyse a non seulement pour objet de préciser dans quel sens se réalisent les mobilités des élèves au sein de cet espace, mais également quels élèves sont les plus concernés par celles-ci, quels contextes favorisent la mobilité scolaire en cours de cursus.

5À cette fin, les observations prises en note en tant que professeur dans un collège pendant toute la scolarité d’une cohorte d’une soixantaine de collégiens sont complétées par l’exploitation secondaire de la Base centrale scolarité (BCS) ainsi que par un travail sur les archives de l’inspection académique relatives aux demandes de dérogations de cette cohorte d’élèves. La BCS permet de connaître, pour chaque élève, les origines sociales et le retard ou l’avance scolaire, les établissements d’origine et de destination au sein de l’espace local des collèges. Elle offre, en cela, la possibilité d’analyser les mobilités au sein de l’espace local des collèges. Le choix s’est porté sur les fichiers concernant les rentrées scolaires 2006, 2007, 2008 et 2009 des établissements de l’espace local étudié pour caractériser les circulations d’élèves de ce qui tend à représenter la cohorte d’élèves entrés en sixième en 2006. La circonscription de l’échantillonnage à un même espace scolaire et la connaissance de la structure de cet espace permettent d’objectiver les mobilités des élèves entre les établissements pour une cohorte de 2 534 élèves, dont 939 élèves mobiles et 802 élèves mobiles entre deux établissements de l’espace scolaire.

6Aux indicateurs classiques immédiatement disponibles dans la BCS, tels que le sexe, l’âge, la nationalité, la classe, l’origine sociale détaillées en 32 postes, l’établissement les années X et X-1, sont ajoutées des variables permettant de caractériser à la fois la composition sociale et scolaire des établissements (l’indicateur élève BCS), la mixité sociale de leur public (relative à la composition sociale moyenne du département), la nature ascendante ou descendante des trajectoires des élèves dans l’espace scolaire et l’ajustement / désajustement des dispositions des élèves par rapport à leurs établissements de départ et d’arrivée.

7En effet, en attribuant à chaque collège le score qui correspond à la moyenne des indicateurs des élèves de la cohorte qui y sont scolarisés les années X et X-1, il devient possible de comparer la composition sociale et scolaire de chaque collège, donc aussi de donner un sens aux mouvements des élèves entre les différents collèges de l’espace scolaire. Ceci permet non seulement de distinguer les mobilités ascendantes, descendantes ou stables, mais également de calculer l’indicateur d’ajustement / désajustement de l’élève par rapport à son collège initial (année X-1) et à son collège de destination (année X) à même d’appréhender la situation de chaque élève par rapport aux autres élèves scolarisés dans le même établissement. En soustrayant à l’indicateur élève l’indicateur moyen de l’établissement pour l’une ou l’autre année, on se donne en effet les moyens de percevoir grossièrement si les dispositions scolaires de l’élève sont globalement ajustées à celles de l’ensemble des autres élèves du collège, désajustées par le bas ou désajustées par le haut1.

2. Des élèves mobiles majoritairement désajustés dans leur collège d’origine

2.1. Ajustements initiaux et poursuite de la scolarité dans le même collège

8Pour mieux connaître les caractéristiques des élèves mobiles en cours de cursus, il est d’abord nécessaire de préciser qui sont majoritairement les élèves immobiles. L’analyse des archives des dossiers scolaires des soixante élèves de la cohorte observée met en évidence que ceux qui réalisent l’ensemble de leur cursus dans le collège (37 élèves) rencontrent majoritairement moins de difficultés scolaires, avant même l’entrée en sixième, que les élèves mobiles au sein de l’espace local étudié (21). Ils sont aussi moins fréquemment en retard scolaire qu’eux dès l’entrée au collège (19 % contre 38 %) et ont des performances scolaires très majoritairement supérieures à celles des élèves mobiles (81 % contre 9,5 %). Ces dernières leur permettent de ne pas subir les effets de la sélection académique et leur garantit, sous réserve qu’ils ne s’opposent pas trop fortement aux règles du jeu scolaire, de ne pas se voir contraints par l’institution à changer d’établissement.

9Parmi les élèves non mobiles suivis, 43 % ne changent pas de collège car ils en sont satisfaits et qu’ils donnent satisfaction dans l’établissement. Si rien ne vient remettre en cause les éléments qui amènent initialement la famille à faire leur choix de collège, leur efficience scolaire favorise l’établissement d’un rapport à l’École et au collège suffisamment satisfaisant pour que la famille n’envisage pas une mobilité scolaire. 30 % se maintiennent au collège du début à la fin de leur cursus en parvenant à s’accrocher malgré leurs difficultés, comme d’autres le font au lycée (Cayouette-Remblière & De Saint Pol, 2013). Ni décrochés cognitivement, ni perturbateurs au point de remettre en cause leur présence dans le collège, ni suffisamment démobilisés pour être orientés vers des filières et établissements de relégation scolaire avant la fin du cursus collégien, ils se maintiennent bon gré mal gré dans leur établissement avant de s’orienter ou de se voir orientés vers les filières de relégation du deuxième cycle de l’enseignement secondaire et d’y doubler une classe pour la majorité d’entre eux. Entre ces deux configurations, 27 % sont des élèves moyens, ni en relative aisance scolaire dans ce collège, ni suffisamment en difficulté pour être considérés à quelque moment que ce soit comme en train de s’accrocher scolairement.

10À l’échelle de l’espace local des collèges, ce qui unit statistiquement les élèves ne changeant pas de collège et les distingue majoritairement des élèves mobiles est l’ajustement moyen de leurs dispositions sociales et scolaires à celles majoritairement constatées dans leur établissement, quelle que soit sa position dans l’espace local des collèges (tableau 1). Avec des indicateurs moyens d’ajustement / désajustement positifs et proches de 0 aux entrées en cinquième, quatrième et troisième (respectivement 0,8 -0,6 et 1,6), les élèves qui ne changent pas d’établissement se différencient en effet des élèves mobiles en ce que leurs dispositions scolaires probables sont en moyenne beaucoup plus ajustées à celles de leurs pairs l’année X-1 (celle qui précède le changement de collège chez les élèves mobiles). Autrement dit, conformément aux observations réalisées, les élèves non mobiles font probablement moins souvent partie des moins bons ou des meilleurs élèves de leur collège que les élèves mobiles. Cet ajustement moyen ne signifie en rien que les dispositions scolaires et sociales des élèves qui ne changent pas de collège à la fin de l’année soient toutes ajustées à celles des autres élèves de l’établissement. L’hétérogénéité des publics scolarisés dans chaque collège implique par définition que les élèves qui se maintiennent dans leur collège, presque toujours majoritaires, ne peuvent tous être ajustés à leurs camarades. Il n’en demeure pas moins que cet ajustement moyen est remarquable en ce qu’il ne caractérise que les élèves non mobiles.

2.2. Désajustements initiaux et mobilités scolaires

11Si, dans l’ensemble, le maintien dans l’établissement tout au long des années de collège représente la situation la plus courante, ce n’est pas le cas pour certaines catégories d’élèves. En effet, au sein de l’espace local des collèges étudié, il convient plutôt d’indiquer que l’immobilité est la situation la plus fréquente dès lors que les élèves ne sont pas trop désajustés par le bas par rapport à leur établissement. Les élèves extrêmement désajustés par le bas dans leur établissement changent en effet majoritairement de collège à un moment ou à un autre de leur scolarité collégienne (51,2 %), tandis que près de la moitié de ceux très désajustés par le bas font de même (46,1 %). Cet éclairage statistique est complété par l’observation à l’échelle de la cohorte suivie. On peut s’appuyer sur un total de 44 cas pour apporter des éléments de compréhension au sujet des mobilités scolaires réalisées en cours de cursus collégien.

2.2.1. Élèves désajustés par le bas et mobilités descendantes majoritairement subies

12Que l’on considère les élèves inscrits en sixième puis partis en cours de cursus, ceux arrivés pendant les années collège ou encore ceux arrivés puis repartis, le constat est toujours le même : les mobilités descendantes sont très majoritairement le fait d’élèves désajustés par le bas au sein de leur collège. Parfois imposées par les personnels des collèges, souvent négociées avec eux, plus rarement décidées par les familles, les mobilités descendantes sont des conséquences de rapports difficiles entretenus entre les élèves, leurs familles et les personnels des collèges. Qu’elles soient liées à des difficultés scolaires relativement plus importantes que celles des autres élèves de la classe, de comportements considérés par les personnels pédagogiques comme plus déviants ou encore d’une difficulté à s’intégrer à un groupe d’amis, les mobilités descendantes sont le fait d’élèves le plus souvent en retard scolaire et parmi les moins en réussite à l’entrée en sixième. Elles touchent tout particulièrement les élèves manifestement impliqués dans les enjeux de représentation propres aux réseaux juvéniles des quartiers populaires, même s’ils n’en proviennent pas tous.

13Plus fréquemment subies par les élèves et leurs familles qu’elles ne sont choisies, elles sont majoritairement la conséquence de négociations entre enseignants et familles conduisant à une orientation vers des classes de relégation scolaire ouvertes dans des lycées professionnels, agricoles ou dans des établissements de relégation privés hors-contrat d’association avec l’État. Elles sont également l’aboutissement du processus d’exclusion des élèves les moins disposés à se conformer aux comportements attendus d’eux par les personnels du collège et, très marginalement, liées à l’insatisfaction des familles à l’égard de l’établissement.

14Grâce à l’analyse de la statistique scolaire à l’échelle de l’espace local des collèges, il est possible de généraliser les observations faites à l’échelle d’un établissement en ce qui concerne la corrélation entre désajustements par le bas des élèves dans leurs collèges d’origine et mobilités descendantes. Contrairement aux trajectoires ascendantes dans l’espace scolaire local, les mobilités stables et descendantes sont très majoritairement vécues par des élèves désajustés par le bas par rapport à leur collège initial. Ainsi, entre 79,4 % et 93,7 % des élèves en mobilité descendante ou très descendante sont désajustés par le bas par rapport à leur collège l’année X-1. Autrement dit, elles sont principalement le fait des moins bons élèves de chaque collège : des élèves qui occupent régulièrement des positions reléguées au sein de leur classe et de leur établissement.

15Preuve que la sélection à l’œuvre dans les établissements contribue largement à déterminer les mobilités descendantes des moins bons élèves, l’indicateur moyen d’ajustement / désajustement est, quelles que soient l’année et la position du collège dans l’espace local, d’autant plus négatif que leur mobilité est descendante (tableau 1). La position dans l’espace occupée par le collège d’origine ne modifie pas ce constat : quelle que soit la position relative du collège quitté dans l’espace scolaire local, les mobilités très descendantes sont presque toujours le fait d’élèves plus désajustés par le bas que ceux impliqués dans une mobilité descendante.

16Très majoritairement caractéristiques des élèves désajustés par le bas par rapport à leur collège d’origine et d’autant plus descendantes que les élèves sont désajustés, les mobilités descendantes se présentent ainsi essentiellement comme des conséquences de la difficulté des élèves à se maintenir dans leur établissement compte tenu de la sélection qui y est à l’œuvre. Il est nécessaire d’insister sur ce point : plus que l’origine sociale ou le niveau scolaire objectif des élèves, c’est bien leur position relative par rapport à leurs camarades au sein de leur classe et de leur établissement qui détermine majoritairement leur propension à la mobilité et contribue à définir le sens de la mobilité. Car si les désajustements par le bas sont très majoritaires chez les élèves en situation de mobilité descendante quelle que soit la position de leur établissement dans l’espace scolaire local, les dispositions scolaires des élèves qui les subissent sont en moyenne très différenciées. Alors que les élèves initialement scolarisés dans des collèges très relégués et amenés à changer d’établissement pour un autre encore plus relégué ont en moyenne de très faibles dispositions scolaires (indicateurs élèves moyens de 6,2 et 9,5), ceux qui connaissent le même type de mobilité à partir de collèges positionnés plus haut dans l’espace local des collèges ont des dispositions scolaires d’autant plus importantes qu’ils sont initialement scolarisés dans des collèges qui occupent des positions hégémoniques (indicateurs élèves moyens de 41,1 et 41,4, à la fois supérieurs à la moyenne constatée dans l’espace scolaire (35,3) et par définition inférieure à celle observée dans leur établissement). Autrement dit, des dispositions scolaires moyennes ne préservent pas des effets de la sélection scolaire différentielle à l’œuvre dans les établissements et ne garantissent pas nécessairement le maintien en leur sein.

17Ces résultats convergent avec ceux de l’analyse de cohorte du panel 1995 de l’Éducation nationale selon lesquels les élèves qui circulent d’un établissement à l’autre sont en moyenne plus en difficulté scolaire que ceux qui réalisent l’ensemble de leur scolarité dans le même établissement (Tableau 2).

2.2.2. Élèves désajustés par le haut et mobilités ascendantes majoritairement choisies

18Tout tend, au contraire, à montrer que les mobilités ascendantes représentent pour les familles le moyen de réviser dès que possible un choix initial d’établissement perçu comme erroné car ne correspondant pas suffisamment à leurs attentes envers l’école. Quelles que soient les situations observées à l’échelle du collège dans lequel est menée l’enquête, le constat est là aussi toujours le même : les mobilités ascendantes sont quasiment toutes (94 % des cas) des conséquences d’un choix de réhabilitation scolaire réalisé par les familles pour tenter de maîtriser la socialisation auprès des pairs ou pour trouver un climat scolaire plus studieux. Elles sont beaucoup moins fréquentes que les mobilités descendantes (44,7 % contre 71,1 %)2 et majoritairement réalisées par des élèves désajustés par le haut au sein de leur collège. Ceci est également observable statistiquement à l’échelle de l’espace local : 24,1 % à 63,8 % des mobilités ascendantes ou très ascendantes sont le fait d’élèves ayant un indicateur d’ajustement / désajustement positif, contre seulement 6,3 à 26 % de ceux qui réalisent des mobilités descendantes ou très descendantes.

19Au même titre que les mobilités descendantes, les mobilités ascendantes apparaissent, ainsi, comme des conséquences de rapports difficiles entretenus entre les familles des élèves mobiles et les personnels des établissements ou les autres élèves rencontrés au sein des collèges. Ce rapport à la scolarisation collégienne est lié à un décalage entre les attentes des familles et le climat scolaire propre à la classe ou à l’établissement. De ce point de vue, si on considère la réussite scolaire globalement supérieure des filles par rapport à celle des garçons (MENESR, DEPP, 2016), il n’est pas surprenant que les mobilités ascendantes soient très majoritairement réalisées par des filles, soit dans 70,1 % des cas de la cohorte observée. Cette observation est confirmée par une différence statistiquement significative3 à l’échelle de l’espace local : les filles, qui ne représentent que 42,7 % des élèves mobiles, sont impliquées dans 52,7 % des mobilités ascendantes.

20À l’opposé du constat réalisé à propos des mobilités descendantes, l’indicateur moyen d’ajustement / désajustement est aussi, quelle que soit la position du collège dans l’espace scolaire local, d’autant plus important et positif que la mobilité est ascendante. Autrement dit, plus leurs dispositions sont désajustées par le haut par rapport à leur collège d’origine, quel qu’il soit, plus les élèves ont tendance à changer d’établissement pour se diriger vers un autre collège à la fois mieux positionné et plus éloigné dans l’espace scolaire local. Les mobilités ascendantes peuvent ainsi être interprétées comme les conséquences de l’aspiration d’une partie des meilleurs élèves de chaque collège à en rejoindre un autre mieux positionné, le plus souvent rapidement après l’entrée en sixième. En effet, contrairement aux flux constatés à propos des mobilités descendantes, les trajectoires ascendantes sont plutôt précoces suite à l’entrée au collège. Statistiquement significatives, la surreprésentation des mobilités très ascendantes à l’entrée en cinquième et leur sous-représentation à l’entrée en troisième montrent que la temporalité des mobilités scolaires ascendantes n’est pas le fruit du hasard.

21C’est finalement toujours une partie minoritaire des élèves désajustés par le haut qui en vient à changer de collège pour un établissement mieux positionné dans l’espace scolaire. En l’occurrence, seuls 11,1 % de l’effectif d’élèves désajustés par le haut à l’entrée en cinquième sont finalement en mobilité ascendante, soit une part minoritaire mais tout de même significative. Cette part ne représente en revanche que la partie visible de l’ensemble des familles qui envisagent une telle mobilité sans finalement s’y engager. Dans le collège d’enquête, les familles d’élèves désajustés par le haut au collège se posent fréquemment des questions quant à la possibilité d’inscrire leur enfant ailleurs, notamment dans un collège privé occupant une position hégémonique dans l’espace local. Les mobilités scolaires apparaissent ainsi moins comme des conséquences de choix stratégiques de déplacements scolaires que de non-choix ou de choix initiaux d’établissement désajustés aux dispositions de l’enfant.

3. Conséquences des mobilités scolaires

3.1. Effets des mobilités scolaires sur les carrières scolaires

22Pour les élèves amenés par les personnels de leur collège à quitter l’établissement, les mobilités scolaires descendantes ont pour conséquences des réajustements dispositionnels qui favorisent dans la grande majorité des cas des raccrochages scolaires contextualisés. En permettant une réduction relative du désajustement par le bas, le changement d’établissement représente ce que nombre de familles et d’enseignants considèrent, dans des situations devenues insensées à même d’entamer leur croyance dans l’intérêt de la scolarisation, comme une « seconde » ou une « nouvelle chance » à même de faire « repartir d’un bon pied » les élèves dans un autre collège. Parce qu’elles permettent le plus souvent à des élèves désajustés par le bas dans leur collège initial de décrocher une qualification dans les filières de relégation de l’enseignement professionnel ou agricole, les mobilités scolaires descendantes sont comparables à celles réalisées ultérieurement à l’occasion du passage en seconde dans l’enseignement professionnel dont Ugo Palheta (2012) a montré qu’il « contribue inséparablement à la relégation, à la remédiation et à la qualification d’élèves qui ont généralement éprouvé des difficultés d’apprentissage dès l’école primaire ou à partir du collège ». Dans les cas moins fréquents, bien que relativement communs dans lesquels les mobilités descendantes ne produisent pas de tels raccrochages scolaires (30 % des cas observés), elles risquent au contraire d’accélérer le processus de désaffiliation scolaire déjà à l’œuvre chez les plus réfractaires à l’ordre scolaire et de favoriser leur déscolarisation précoce (Millet, Thin, 2005).

23Le constat est globalement similaire en ce qui concerne les effets des mobilités ascendantes sur les carrières scolaires des élèves. Elles permettent majoritairement de soulager les élèves et leurs parents à propos des conditions de scolarisation et favorisent chez eux l’entretien d’un meilleur rapport à la scolarité, notamment parce que ces changements d’établissement leur évitent de remettre en cause les ambitions et les chances objectives de poursuite dans les filières les plus légitimes. De ce fait, les mobilités ascendantes sont le plus souvent les conséquences de choix pratiques réalisés par des familles déçues de s’apercevoir, au fil du temps, que le contexte scolaire dans lequel évolue leur enfant « ne les tire pas vers le haut », comme il en va aussi des nombreux placements par le haut, réalisés par anticipation dès l’entrée en sixième. Il reste qu’une minorité de mobilités ascendantes sont réalisées à contre-courant par des élèves ajustés ou désajustés par le bas. Elles portent le risque d’accentuer le désajustement initial par le bas déjà au principe du rapport souvent tendu entretenu à l’institution scolaire et tendent à amplifier leurs difficultés scolaires. En augmentant la probabilité de voir l’élève se décourager et se démobiliser, la mobilité à contre-courant peut ainsi se révéler contre-productive pour des parents qui visaient pourtant avant tout à donner une seconde et meilleure chance de réussir à leur enfant.

24Bien que tous ne profitent pas des effets d’un réajustement dispositionnel par rapport à leur établissement, les mobilités scolaires sont très majoritairement favorables à la poursuite de la scolarisation des élèves qui les mettent en œuvre. De ce point de vue, les stigmatiser par principe en considérant qu’elles sont néfastes pour les élèves pris individuellement ne semble pas pertinent, surtout si l’objectif poursuivi est la scolarisation prolongée de la totalité d’une génération. Elles représentent plutôt un moyen de rendre l’école acceptable auprès du plus grand nombre, particulièrement quand les possibilités objectives qu’ont les élèves de réaliser leurs plus ou moins grandes ambitions scolaires s’amenuisent dans le cadre restreint de leur collège. En cela, les mobilités scolaires sont en cours de cursus collégien ce que sont à l’entrée en sixième les placements scolaires par le haut et les orientations vers des filières scolaires de relégation, dites « d’enseignement adapté » : un moyen permettant de s’accommoder de la nécessité de scolariser au mieux ses enfants dans un contexte où les collèges offrent des conditions d’apprentissage et de socialisation très différenciées.

3.2. Flux d’élèves au sein de l’espace local et spécialisation

25À l’échelle de l’espace local des collèges et des établissements de relégation en charge de la scolarisation des collégiens, les effets d’agrégation liés aux mobilités scolaires et à l’organisation des flux d’élèves ont pour conséquence d’homogénéiser davantage les caractéristiques sociales et scolaires des publics scolarisés dans chaque collège entre l’entrée en sixième et la fin de l’année de troisième. En même temps qu’elle atténue la mixité sociale et scolaire des publics accueillis au sein de chaque établissement au fur et à mesure de l’avancement dans le cursus collégien, l’orientation générale des flux scolaires tend à accentuer la spécialisation sociale et scolaire de leur recrutement.

Conclusion

26Finalement, les nombreux changements de collège constatés en cours de cursus ne se font pas dans un sens aléatoire et touchent inégalement les élèves selon leur ajustement scolaire et social initial aux autres élèves majoritairement accueillis dans leur établissement de scolarisation. La plus forte propension des meilleurs et des moins bons élèves de chaque établissement à circuler d’un collège à un autre est la conséquence du fonctionnement ordinaire de l’institution scolaire. En laissant aux uns la possibilité de changer de collège en cours de cursus et en imposant aux autres le changement d’établissement, en offrant finalement, que les familles le veuillent ou non, des occasions de réajustement entre les niveaux de rigueur scolaire des établissements et les dispositions sociales et scolaires des élèves, l’institution scolaire tend à rendre l’enseignement possible dans les collèges et la scolarisation secondaire acceptable au plus grand nombre.