Introduction

1Avec un sous-sol riche en minéraux en forte demande, le secteur minier québécois doit relever des défis d’acceptabilité sociale et de formation de sa main-d’œuvre. Si les conditions salariales y sont avantageuses, le travail se fait dans un environnement dit hostile (obscurité, humidité, froid, chaleur, poussière, bruit et vibrations) et les sites miniers peuvent être très éloignés des centres de services. Ainsi, les enjeux de santé, de conciliation travail-famille, d’intégration dans une communauté locale, sur un territoire souvent habité par une communauté Inuit ou une Première Nation, sont importants (Pelletier et al., 2018). Bien que des améliorations en santé et sécurité, en gestion des matériaux contaminés ou en sécurisation culturelle aient été observées dans les dernières années, les risques d’atteinte à l’intégrité des personnes, des communautés et des écosystèmes restent présents.

2Pour mieux faire face à ces risques, la réglementation s’est accrue et nombre d’entreprises minières embauchent des personnes détentrices du diplôme d’études secondaires (DES), soit le diplôme de niveau 344 selon la Classification internationale type de l’éducation (CITE) (Institut de statistique de l’UNESCO, 2013). Cependant, l’Institut national des mines du Québec (INMQ)1 (2021) constate que de plus en plus d’employeurs du secteur minier demandent, pour les postes d’entrée, un diplôme de formation professionnelle (DEP) (niveau 354 CITE). Ainsi, les personnes recrutées depuis peu ont souvent une formation minière reçue dans un centre de formation professionnelle (CFP), alors que celles expérimentées sont moins nombreuses à avoir un DEP. Selon le Conseil des Ressources humaines de l‘industrie minière (RHIM), près du tiers de la main-d’œuvre canadienne du secteur minier n’avait pas de diplôme qualifiant2, soit 10 % sans aucun diplôme et 25 % avec un diplôme de formation générale seulement (Conseil RHIM, 2019). Ledoux et ses collègues (2015) insistent sur l’intérêt de reconnaître les savoirs d’expérience des travailleurs sans diplôme de formation minière. Une façon de le faire est la reconnaissance des acquis (RA)3, appelée reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) au Québec.

3Au Québec, depuis 2002, les établissements offrant les programmes menant au DEP ont adopté la même démarche, identifiée ici à la RAC-FP, et établie par une instrumentation ministérielle (MELS & MESRT, 2014). Cette démarche se déroule en six ou sept étapes, selon que la personne candidate a à compléter une formation : 1) accueil (première demande d’information) ; 2) préparation du dossier ; 3) analyse du dossier pour évaluer sa recevabilité ; 4) entrevue de validation pour confirmer quelles compétences peuvent être évaluées dans le dispositif et les modalités à privilégier; 5) évaluation selon une des modalités établies dans l’instrumentation ministérielle (ex. : observation et entretien en milieu de travail ; vidéo sur une prestation) ; 6) acquisition de compétences ou formation complémentaire suivie d’une évaluation ; 7) si l’évaluation est réussie, un succès est attribué confirmant la compétence reconnue, puis, lorsque toutes les compétences sont un « succès », le système informatique déclenche une demande d’émission du diplôme par le ministère de l’Éducation.

4Dans le secteur minier, on constate que les modalités d’évaluation en RAC-FP les plus courantes sont l’observation en situation de travail avec entretien, dans le milieu de travail de la personne candidate, dans un CFP ou dans une entreprise partenaire. Une importante particularité du modèle québécois est l’intégration de la formation complémentaire dans la démarche de RAC-FP, identifiée comme l’étape d’acquisition de compétences. La dimension pratique et concrète est centrale dans l’approche par compétences préconisée (MELS & MESRT, 2014) et les (mi)lieux de travail sont pris en compte. L’objectif de cette communication est d’approfondir la dimension spatiale des parcours en RAC-FP dans le secteur minier, en portant une attention particulière à ce que renseigne le territoire.

1. État de connaissances sur la dimension spatiale en reconnaissance des acquis

5Les études en éducation et formation des adultes et, plus particulièrement en reconnaissance des acquis (RA), se multiplient depuis que les États ont adopté des politiques d’apprentissage tout au long de la vie (lifelong learning). Ces politiques valorisent l’activité d’apprendre dans plus d’une sphère de vie et la RA y est promue comme passerelle entre des contextes d’apprentissage formel, non formel ou informel (Werquin, 2010). La dimension temporelle y est centrale et celle spatiale, mise en valeur dans l’apprentissage tout au « large » de la vie (lifewide learning), est souvent secondarisée. Par ailleurs, des études s’intéressent aux différents environnements, espaces ou lieux d’apprentissage, parfois à la mobilisation de compétences dans un autre espace de vie que celui où elles ont été d’abord développées, comme les acquis de la formation de base en entreprise davantage mobilisés à la maison (Ouellet, 2012).

6Dans les publications en RA, en français ou en anglais, plus spécifiquement celles portant sur les parcours des personnes candidates en quête d’un diplôme qualifiant par voie de RA (Bélisle & Fernandez, 2018), on constate que la dimension spatiale est présente dans les études descriptives documentant, par exemple, les disparités de fonctionnement, dans un même État ou d’un territoire à l’autre. Cependant, la majorité des études sont très localisées, se limitant à des données de parcours de personnes candidates ayant déposé leur demande de RA dans la même institution ou dans la même région. Quelques études laissent penser que certains lieux de développement des acquis ne sont pas toujours lisibles ou valorisés par les personnes évaluatrices. Par exemple, l’apprentissage dans des milieux de travail rémunéré serait davantage valorisé que celui dans la vie familiale. La lisibilité des acquis développés dans un autre pays pose aussi des défis de mise en mots, pour des raisons de langue, mais aussi parce que l’activité de travail ne s’y fait pas toujours avec les mêmes instruments et les mêmes tâches. Ainsi, on note une meilleure communication de l’institution responsable de la RA avec les personnes candidates ayant une proximité culturelle avec le personnel en RA, comme un confort dans l’usage d’un vocabulaire commun pour parler du métier, la possibilité de se rapporter à des techniques enseignées, etc. La dimension spatiale est présente dans l’étude des logiques d’accès ou d’engagement en RA (Personnaz et al., 2005) et des effets du diplôme obtenu par la RA dans le parcours de vie. Par exemple, des études, confirment l’intention et la réalisation d’une mobilité professionnelle grâce à la RA, chez le même employeur ou un autre.

7Par ailleurs, les analyses quantitatives établissant des relations entre variables, délaissent souvent celles relevant de la dimension spatiale, privilégiant la variable de durée des séquences, le nombre d’années d’expérience ou des moments marquants (perte d’un emploi, entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation) (Bélisle & Fernandez, 2018). Ceci peut notamment s’expliquer du fait que des promoteurs de la RA mettent en valeur son rôle pour réduire le temps à mettre pour obtenir un diplôme qualifiant (Werquin, 2010). De plus, plusieurs études en RA sont multisectorielles, rendant particulièrement complexe la collecte de données sur les lieux possibles d’apprentissage-évaluation ou sur les déplacements sur un territoire donné. Le peu de recherche sectorielle laisse penser que la dimension spatiale ne se pose pas de la même façon selon les secteurs de formation ou les lieux d’exercice des métiers. Par exemple, le secteur des services de proximité (aide aux soins, éducation à l’enfance), bien représenté dans les travaux en RA (Bélisle & Fernandez, 2018), est présent sur tout le territoire national avec des programmes de formation offerts, vraisemblablement, dans toutes les régions. Ce n’est pas le cas du secteur minier où l’activité économique est fortement ancrée dans le territoire (Rossi et al., 2021). La formation professionnelle, tout comme le travail, est disponible dans certaines régions seulement. Ce secteur parait donc une porte d’entrée des plus pertinentes pour amorcer une réponse à la question : « Comment l’analyse longitudinale de la relation formation-emploi au cœur des JDL peut-elle s’enrichir de l’introduction d’une dimension spatiale ? » (Céreq, 2022, p. 1).

2. Analyse processuelle de parcours en RA

8Nous travaillons les parcours en RA à partir de l’analyse processuelle (Mendez et al., 2010) permettant de repérer l’agencement dynamique de différentes composantes agissant dans un processus donné, ici le parcours en RA. Ce parcours, nous l’avons défini comme…

« …un enchaînement plus ou moins linéaire de situations et d’événements dans diverses sphères de vie (famille, travail, etc.) qui mènent à la demande de reconnaissance officielle de certains acquis de métier, qui participent à l’obtention d’une reconnaissance scolaire par voie de RA, reconnaissance qui à son tour contribue à des changements personnels ou professionnels. Ainsi, le parcours en RA concerne l’avant, le pendant et l’après de la démarche de RAC-FP, ainsi que des situations et événements qui semblent avoir une résonance sur celle-ci et son résultat » (Bélisle & Supeno, 2022, p. 20).

9Pour ce type d’analyse, les données sont de nature hétérogène « situées à des niveaux multiples (individu, collectif, société, marché du travail…) et dans des lieux et des organisations très différentes (familles, associations, entreprises, groupes d’amis, etc.) » (Mendez et al., 2010, p. 15). Le contexte, spatial et temporel à la fois, y est plus que la « toile de fond » ou le « décor » du processus en cours (Mercier & Oiry, 2010, p. 35). Cependant, la question des frontières est posée davantage en termes de période couverte que par celle des territoires fréquentés, même si la mobilité géographique est considérée. Ainsi, les données spatiales permettent de situer le ou les contextes du processus étudié. Nous appuyant aussi sur des travaux de Lahire (2002), s’intéressant aux divers cadres socialisateurs, chez les mêmes sujets, nous portons aussi attention aux chevauchements entre les différentes sphères de vie (Supeno & Bourdon, 2017).

10Ainsi notre collecte de données tient compte des lieux fréquentés par chaque personne candidate, tout particulièrement ceux se rapportant au monde minier, et des distances dans l’expérience des travailleuses et des travailleurs miniers. Convenant que la conception de la dimension spatiale, du social et des parcours, ainsi que le terme territoire ne sont ni neutres, ni consensuels (Lévy & Dussault, 2013), pour cette communication nous avons revu le corpus en nous intéressant plus particulièrement aux lieux/milieux/places et distances/déplacements/mobilités. Puis, nous avons tenté de voir si la question du territoire pouvait enrichir l’analyse longitudinale du parcours en RAC-FP. Nous inspirant de Debarbieux (2013) qui définit le territoire comme un « agencement de ressources matérielles et symboliques capable de structurer les conditions pratiques de l'existence d'un individu ou d'un collectif social et d'informer en retour cet individu et ce collectif sur sa propre identité » (p. 910), nous portons attention à la fois à la réalité concrète et observable des écosystèmes et de l’action humaine qui ne cesse de les transformer, au rapport que les individus nourrissent avec l’espace, leurs perceptions, émotions, représentations à son égard et au territoire symbolique qui nourrit des choix d’orientation, l’identité de métier ou l’appartenance à une communauté.

3. Méthodologie

11Le projet de recherche est mené en partenariat avec l’INMQ et quatre centres de services scolaires (CSS) (instances publiques regroupant les écoles et centres de formation d’un même territoire) offrant des programmes de formation minière et y faisant de la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC). Ces centres sont dans trois régions administratives du Québec où l’activité minière est centrale : Abitibi-Témiscamingue, Côte-Nord et Nord-du-Québec. Ce projet de recherche répond aux exigences de la recherche éthique dans les universités canadiennes et les prénoms sont fictifs. Il repose sur un devis mixte en trois temps : T1) après l’entrevue de validation ; T2) une fois plusieurs évaluations complétées ; T3) quelques temps après le déclenchement de l’émission du diplôme ou à la fin de la période de collecte de données. Cette période est de 16 mois (mi-septembre 2020 à mi-janvier 2022). Les méthodes sont une collecte de données administratives aux T1 et T3, un entretien semi-dirigé à chacun des temps avec les personnes candidates (durée moyenne : 77,6 minutes), et un autre avec des dyades composées d’une personne conseillère en RAC et d’une autre spécialiste de contenu, entre les T2 et T3 (durée moyenne : près de 2 heures et demi) ainsi que de la recherche documentaire, notamment sur les lieux mentionnés lors des entretiens et le vocabulaire de l’instrumentation ministérielle dont nous parle les sujets.

12Les principales données analysées pour cette communication sont les transcriptions des entretiens (T1, T2, T3) avec les huit sujets ayant complété le T3 (sept hommes et une femme, sept sujets natifs du Québec4, un issu de l’immigration). Trois ont obtenu le DEP directement par voie de RAC, sans formation, quatre l’ont obtenu avec de la formation complémentaire et le huitième la complétait au T3. Les programmes couverts sont en extraction de minerai (n=4), conduite de machinerie lourde de voirie forestière5 (n=3) et forage au diamant (n=1). Les guides d’entretien s’intéressent à la démarche de RAC-FP telle que vécue, aux motifs d’engagement et aux effets perçus pendant et après celle-ci, ainsi qu’à ce que représente le monde minier pour les sujets et leur sentiment d’appartenance à un de ses métiers. Ces guides abordent plusieurs sphères de vie concernées par le monde minier et des changements qui ont pu y provoquer des apprentissages ou la participation à la démarche de RAC : travail, formation structurée (en milieu scolaire ou en emploi), famille et vie domestique, voisinage, vie associative (syndicat) et loisirs. Pour l’analyse thématique secondaire pour cette communication, nous avons revisité les éléments de corpus associés à deux des cinq dimensions ayant guidé le codage initial, soit « parcours, réseau et métier » et « monde minier » et le codage associé, ainsi que le codage aux thèmes « installations » et « défis géographiques » associés à la démarche de RAC. Nous avons également lancé de nouvelles requêtes textuelles sur des mots tels que lieu, place et espace.

13La situation pandémique de la COVID-19, le confinement national de 2020 et la sollicitation forte des travailleuses et travailleurs miniers par leur employeur à la réouverture des sites miniers semblent expliquer que le nombre de personnes faisant appel au service de RAC des quatre CSS a été inférieur aux années antérieures, affectant ainsi le recrutement pour la recherche. Outre le petit nombre de sujets et la difficulté de les rencontrer en trois temps distincts, une autre limite est le fait que les personnes intervenantes savaient qui participait à la recherche, ce qui a pu entrainer des délais plus courts dans l’organisation de quelques évaluations (Bélisle & Supeno, 2022). De plus, cette communication relevant d’une analyse secondaire, elle ouvre des pistes pertinentes sur la dimension spatiale des parcours en RA et l’importance des sites miniers dans la relation travail et formation, mais les données restent limitées pour documenter les avantages que les devis longitudinaux portent attention aux changements opérés sur le(s) territoire(s).

4. Résultats

14Voici d’abord un portrait sommaire des huit sujets ayant entrepris la démarche de RAC-FP. Au T1, leur âge varie entre 25 et 58 ans, cinq ont déjà au moins un diplôme qualifiant, un sixième a un diplôme d’études secondaires (DES) et deux n’ont aucun diplôme. La troisième secondaire complétée est le plus bas niveau de scolarité, alors que le plus élevé est le premier cycle universitaire. Un sujet est sans emploi au moment du T1, étudiant à plein temps dans un autre programme, en demande dans le secteur minier. Les postes occupés au T1 et au T3 sont des postes en extraction, opération de machinerie, forage ou enseignement en FP6. Tous ont de l’expérience dans le secteur minier, de quelques mois à plus de 30 ans, mais une personne travaille en voirie du T1 au T3. Les employeurs au T1 sont des sociétés minières (n=2), des sous-traitants miniers (n=2), un organisme public (n=1) et un CSS (n=2). Quatre sujets ont changé d’employeur au cours des 12 mois précédant le T1. Celui aux études au T1 obtient, ses deux DEP en poche, un poste avec plus de responsabilités et mieux rémunéré chez son ancien employeur minier. Peu de temps après le T1, un autre obtient un emploi plus proche de ses intérêts et mieux rémunéré que le précédent, alors que les six autres sont au même poste chez le même employeur entre le T1 et le T3. Un sujet mentionne une mise à pied temporaire. Certains peuvent faire du travail sur appel et on trouve des horaires de travail variés (ex. : 7/7, 14/7, 21/217).

15Les revenus annuels des sujets varient entre 50 001 $ et 140 000 $ CAN. Au T1, cinq sont en ménage et six ont des enfants, dont cinq ont des enfants à charge. Au T3, leur situation familiale est sensiblement la même. On trouve chez leurs proches plusieurs personnes travaillant dans le secteur minier, souvent des « mineurs »8 : un père, un grand-père, des frères, oncles, cousins, amis. Tous ont un voisinage composé de personnes travaillant dans le secteur minier. Cette particularité du monde minier favorise une certaine familiarisation au secteur et à la culture du métier dès le jeune âge. Au T3, deux sujets ont déposé leur CV à jour, l’un dans son milieu de travail pour l’obtention d’un poste hors-terre, moins dangereux, l’autre pour revenir dans le secteur minier et occuper un poste mieux rémunéré et plus stimulant. Les huit se voient continuer à travailler dans le secteur minier dans les cinq prochaines années ou jusqu’à leur retraite.

4.1. Lieux/milieux/places/endroits

16Le monde minier étant caractérisé par une présence de sociétés multinationales et d’entreprises sous-traitantes, l’identification des anciens et actuels employeurs du secteur minier, prévue dans les guides d’entretien, ne dit pas nécessairement tous les lieux du parcours en RAC, surtout en ce qui a trait à des expériences d’apprentissage significatives ayant agi comme incitatifs ou dans le sentiment d’efficacité personnelle pendant la démarche. En effet, dans le cas des sujets travaillant ou ayant travaillé pour un sous-traitant, les sites miniers peuvent se multiplier. Dans la démarche de RAC-FP, la mention des employeurs et des lieux de travail donne de la crédibilité à l’étape d’analyse du dossier et permet, lors de l’entrevue de validation, aux personnes évaluatrices, ici d’anciens mineurs ou opérateurs, de se représenter le type de mines et de tâches qui ont pu être réalisées dans le passé. On parle de deux grands types de mines, celles dites conventionnelles, celles dites modernes, avec virage numérique ou électrique (Bélisle & Supeno, 2022). Selon que le travail minier est un travail d’exploration ou d’exploitation9, il prend place en forêt, dans les étendues de toundra, en mine à ciel ouvert ou sous-terre. Dans les sites miniers plus éloignés des centres urbains, on trouve un camp où les gens se reposent après de longues journées de travail. Dans la mine elle-même, il y a des endroits précis pour des activités précises (les refuges), la santé et sécurité met les déplacements d’un point à un autre sous haute surveillance, affectant l’organisation de la démarche de RAC-FP.

17Les employeurs et sites, dont les sujets témoignent, sont ceux où ils ont travaillé ou souhaitent travailler, ceux où des membres de leur réseau travaillent, ceux qui agissent d’une façon ou d’une autre comme symbole et dont on parle dans les médias (avènement d’une mine dite intelligente dans la région). Par exemple, François, qui a délaissé le Nord10 dans la dernière année pour un poste plus près de la maison, précise qu’il suit des groupes Facebook sur les mines et surveille « les nouveaux projets qui décollent, tu sais, quand ils cherchent des employés à des places » (T1). Pour plusieurs, le territoire de référence se limite au Québec. Quelques-uns ont travaillé dans d’autres provinces canadiennes ou pays, comme mineur ou comme formateur. Quatre des huit sujets mentionnent explicitement avoir travaillé dans le Nord et vécu dans un camp. Le sujet issu de l’immigration a été recruté alors qu’il était mineur dans son pays d’origine (Afrique du Nord) par son employeur de l’époque qui avait besoin de personnel au Québec. Au T3, un sujet se projette vers du travail ponctuel à l’international comme formateur.

18Les sujets, tous programmes confondus, mentionnent souvent la machinerie dont ils font usage au travail, dans les évaluations en RAC-FP et dans l’acquisition de nouvelles compétences. Ils mentionnent aussi des caractéristiques de leur environnement physique, surtout quand il s’agit de travail dans le Nord (froid, blizzard), de l’impact du climat sur la régularité du travail (période de dégel avec mise à pied temporaire) ou de particularités du métier.

« C’est rare que ça arrive, mais on peut voir le filament d’or dans la roche. C’est rare que ça arrive. Je te dis pas que ça arrive à tous les jours, mais on peut le voir. Puis, quand on le voit là, on est content parce que, tu sais, là on dit qu’on est dans l’or. Puis là ça plane, puis là c’est payant » (Brian, T1).

19Les questions de présence accrue des femmes, des personnes immigrantes, des autochtones sont également abordées. Quelques sujets mentionnent avoir eu à faire des formations pour s’y préparer.

« On a des formations, tout le temps, on a des formations. Parce que c’est un territoire, des territoires des Inuits. Là-bas, il faut que tu respectes ces territoires-là. […] Il y a une convention avec la compagnie et, entre les communautés inuites. Exemple, les animaux, tu as pas le droit, exemple, de nourrir les animaux. Ça, c’est strictement interdit » (Nader, T3).

20Les CFP disposent de simulateurs de certains équipements et deux CSS ont des ententes avec une société minière pour de la formation pratique sous terre. Une autre fait la formation pratique en forage en forêt et travaille avec la machinerie lourde sur un terrain appartenant au CSS ou dans des zones d’exploitation contrôlée (ZEC) avec contrat de réparation de chemins forestiers. Les défis spatiaux d’organisation de la RAC-FP (accès physique au site selon la saison, la météo ou des impératifs de production) s’avèrent très nombreux, les sujets en sont conscients, bien qu’ils semblent peu connaître toute la logistique d’organisation. Cependant, ces défis ont un impact sur le parcours des individus.

21Des événements familiaux sont signalés comme ayant eu un impact sur le parcours entre le T1 et le T3 : maladie personnelle, fermeture de la garderie multipliant les défis de conciliation famille études-travail, etc. Les médias, comme lieu d’information et d’apprentissage, sont mentionnés par plusieurs pour suivre les actualités minières, principalement au Québec, et nourrir les discussions fréquentes dans la vie sociale des personnes travaillant dans les mines et leurs proches.

« C’est toujours le sujet de conversation dans des soupers. On a un ponton, mon copain et moi, on a un ponton, on invite des amis sur le ponton, bien, ça peut parler de mine aussitôt qu’il y a un mineur. Aussitôt qu’il y a quelqu’un qui travaille sous terre ou qui travaille dans les mines, bien, c’est le sujet de conversation » (Camille, T1)11.

22Parmi les huit sujets, seuls deux ont commencé à travailler dans le secteur minier dès l’entrée dans l’âge adulte, les autres ont travaillé d’abord dans d’autres secteurs (mécanique auto, livraison), parfois dans d’autres régions. Ils ont une forte appartenance au secteur minier (et pas à une mine en particulier), par leurs proches ou leur propre travail. Selon Guy, qui a plus de 30 ans d’expérience dans le secteur, le quart des gens vient y travailler pour le salaire élevé, mais les trois quarts sont là parce « qu’ils aiment le métier » (T1). Pour certains, « la mine » semble un grand terrain de jeu où l’on a du vrai plaisir à travailler avec des machines à la fine pointe, de l’entraide et avec un salaire que plusieurs peuvent envier. Ainsi, en situation de RAC-FP, la mine devient un territoire symbolique partagé entre la personne candidate et l’évaluateur qui, dans les programmes d’extraction du minerai ou de forage au diamant, a travaillé plusieurs années comme mineur. Savoir s’y placer, s’y déplacer, y « faire sa place » (Camille), « se placer » (Brian), démontrer un savoir-faire « sur place » (Nader), etc., ajouté à de bonnes capacités à faire fonctionner des équipements en toute sécurité, contribuent à l’assurance manifestée et observée lors des évaluations en RAC-FP.

4.2. Distances/déplacements

23Les lieux de travail et la distance de la résidence et de la famille jouent un rôle majeur dans plusieurs choix de vie. Au T3, la majorité travaille à moins d’une heure de route du domicile, trois sujets ont des distances plus longues à parcourir, dont un seul qui fait du navettage aérien. Les établissements de formation minière ou forestière sont situés dans des municipalités avec une population allant d’un peu plus de 30 000 à 3 000 personnes. Du personnel de CSS mentionne que des gens faisant appel à la RAC-FP peuvent résider dans une autre région, celle de Montréal par exemple, et que l’organisation de la démarche en est complexifiée. Aucun des huit sujets ne mentionne avoir eu de soutien financier pour couvrir ses déplacements. Le « crédit d’impôt pour nouveau diplômé travaillant dans une région ressource éloignée » (voir Revenu Québec) n’est pas identifié comme un incitatif chez les deux personnes qui pourraient s’en prévaloir.

24Nous avons constaté des différences dans l’organisation d’un CSS à l’autre, d’une minière partenaire à l’autre, dont certaines pourraient relever de la proximité-distance des lieux de travail, de résidence ou de formation/reconnaissance. Par exemple, si l’entreprise minière partenaire est à 10 km du CSS et à 25 km de la résidence du sujet, il pourrait être plus facile d’organiser les rencontres que s’il faut demander de faire plus de 250 km, comme c’est le cas d’un des sujets.

25Du moins dans le type de postes qui nous concerne ici, le travail minier, sous terre comme en surface, fait généralement appel à plusieurs déplacements sur le site lui-même. Un des candidats, également formateur, mentionne que c’est un apprentissage que les novices doivent faire : « On leur enseigne à se déplacer [dans la mine] » (T1, Denis). Ces déplacements sont ceux à pied ou véhiculés. Des protocoles stricts doivent être suivis et plusieurs mentionnent que leur casque a un détecteur permettant à un responsable à la surface de les suivre sous terre. Une partie des évaluations RAC-FP par entretien en extraction du minerai se fait lors de ces déplacements.

5. Discussion : le territoire marque le parcours en RAC-FP

26Ce qui frappe quand on porte attention à la dimension spatiale des propos documentant le parcours en RAC-FP, incluant l’appartenance au monde minier et l’assurance qui peut en découler lors des évaluations pratiques, ce sont les nombreuses particularités du territoire matériel qui affectent les compétences, celles à évaluer et celles à développer par formation complémentaire. Ainsi le contexte spatial est plus que la toile de fond du processus de RAC-FP. Il joue dans l’organisation de la démarche et aussi dans le confort en situation d’évaluation ou de formation. Deux grandes différences spatiales entre les espaces miniers connus et les espaces de la démarche RAC-FP semblent affecter les sujets, le premier étant le type de mine où l’on a travaillé et celui des évaluations. En effet, une partie du programme porte sur le travail en mine conventionnelle, alors que des sujets travaillent depuis plusieurs années dans des mines intégrant plusieurs nouvelles technologies. L’autre différence est en conduite de machinerie lourde où la démarche se fait en forêt ou dans un terrain non minier avec des équipements semblables, mais de moindre volume. Cependant, l’expérience qu’ont les sujets du territoire comporte suffisamment de points communs pour qu’ils puissent, assez rapidement, se familiariser à l’espace de formation/reconnaissance.

27Les données indiquent par ailleurs que l’espace, à la fois dans sa dimension matérielle (la mine, les machines, les distances), sociale et symbolique (discussions et rencontres à l’extérieur du travail, famille de mineurs, la mine comme grand terrain de jeu), semble aussi contribuer à nourrir une dynamique identitaire au regard des appartenances sociales (Gravereau & Varlet, 2019) que le travail de la mine semble susciter. L’espace semble agir ainsi comme un ciment identitaire, venant ancrer les personnes candidates à la RAC-FP dans une fierté de travailler dans le secteur minier où la mine, les machines, les déplacements comme les activités extérieures constituent autant de ressources sociales pour construire et cristalliser un fil identitaire, surtout professionnel mais parfois personnel aussi.

Conclusion

28L’approfondissement de la dimension spatiale des parcours en RAC-FP dans le secteur minier montre que l’attention portée au territoire, dans ses faces matérielle et symbolique, permet de mieux saisir les particularités du contexte des personnes candidates, de leur activité de travail, de leurs projets et des défis d’organisation du dispositif. Il parait ainsi avantageux de revoir notre définition du parcours en RA comme un enchaînement plus ou moins linéaire de situations, de lieux et d’événements dans diverses sphères de vie. Notre contribution tente ainsi de mettre en relief le rôle de l’espace et du territoire comme ancrages aux situations, lieux et événements sans pour autant céder à l’écueil de la réification grâce à la perspective longitudinale. Un défi est le fait que plusieurs études longitudinales sont multisectorielles, ce qui complexifie la collecte et l’analyse de données sur les territoires et l’espace.