Probabilités d’orientation déjouées par le sport : le cas des étudiantes à l’université
p. 365-374
Texte intégral
Introduction
1En 2020, les femmes restent sous-représentées dans le monde du sport, aussi bien parmi les pratiquantes1, plus encore parmi les sportives de haut niveau, les dirigeantes et présidentes de fédérations sportives2. Dans ce contexte, la dimension sportive des étudiantes à l’université leur confère un profil « atypique ». Les unes choisissent le domaine d’étude dédié aux métiers du sport, les STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives), représentant le tiers des inscriptions en 20213. Les autres associent un cursus universitaire en dehors des STAPS à une pratique sportive de haut niveau, représentant le tiers des sportifs de haut niveau parmi les élèves de terminale4. Toutes font de leur goût du sport un élément déterminant de leur trajectoire, déjouant ainsi à des degrés différents les probabilités d’orientation.
2Ainsi, se retrouvent sur les campus français, des étudiantes sportives dont les cursus universitaires et projets de formation diffèrent, tout en renvoyant à des formes de distinction sociale par l’intermédiaire du sport. Or, le moment du choix des études, a fortiori dans l’enseignement supérieur, constitue pour les athlètes « un temps d’indétermination où se combattent les forces contradictoires des ambitions subjectives et de la pression sociale » et « il est moins évident qu’une femme se lance dans une carrière sportive et s’y maintienne » (Papin, Viaux, 2018a). Ces étudiantes qui font du sport une pratique centrale pour leur orientation à l’université sont-elles des « héritières sportives » (Forté, Menesson, 2012) ou des pionnières, premières de leur famille à vivre un tel parcours5 ? En s’orientant en STAPS, des étudiantes font preuve d’« insoumission discrète » (Pahleta, 2012) au regard de leur cursus dans le secondaire. Pour d’autres, l’insoumission discrète s’exprime par le maintien d’une pratique sportive de haut niveau.
3Afin d’appréhender les profils de celles qui déjouent les probabilités d’orientation par le sport, nous avons mobilisé une enquête6 quantitative menée auprès de jeunes en L1 de STAPS en 2018 (124 étudiantes, 313 étudiants), complétée par des entretiens biographiques auprès de vingt sportives compétitrices étudiantes en STAPS et dans d’autres filières. Certaines étaient aussi inscrites au pôle d’excellence des pratiques sportives (PEPS) dans l’université enquêtée, qui propose des mesures d’accompagnement afin de faciliter la pratique sportive de haut niveau et les études. Les entretiens structurés autour de thèmes jalonnant leur cursus scolaire et sportif, les modalités de leur orientation, leur rapport aux études et au sport, leurs projets, avec un fil conducteur du (non) choix de la formation STAPS, ont fait l’objet d’un traitement thématique attentif à ce que les étudiantes perçoivent de leurs parcours, expériences et perspectives7.
4Cette communication questionne l’articulation entre choix individuels et structures sociales sous l’angle des « destins sociaux et scolaires des élites sportives » (Papin, Viaud, 2018b) déclinés au féminin. C’est essentiellement à travers les entretiens qu’il est possible d’analyser les histoires scolaires et sportives qui se construisent à travers des événements, des rencontres, des obstacles… Compétitrices sportives et étudiantes en STAPS ou dans un autre domaine à l’université, leurs propos viennent éclairer les conditions qui rendent possibles des parcours de formation, structurés par une pratique extra-scolaire (le sport) les amenant à entrer dans des espaces qui restent « masculins »8 (Louveau, 2006).
1. L’insoumission discrète par le choix des STAPS
5Parmi les formations universitaires, la filière STAPS est particulièrement plébiscitée par les jeunes qui la placent dans le trio des vœux de terminale pour l’admission dans l’enseignement supérieur. Attractive, cette formation demeure l’une des plus masculines avec une représentation qui stagne autour de 30 % d’étudiantes au plan national ou local, alors que la population féminine représente près de 60 % des inscrits à l’université (Érard et al., 2019). Depuis plusieurs années, les STAPS accueillent des jeunes d’origine sociale ou scolaire composite avec une répartition féminine similaire à celle des étudiants (tableau 1 en annexe) : la moitié des inscrites en L1 ont un parent diplômé du supérieur, près de 30 % un parent cadre9, le quart un parent ouvrier ; plus de la moitié ont un bac scientifique, le quart un bac économique, 20 % un bac technologique et professionnel. Les 124 étudiantes en L1 STAPS dans l’université enquêtée10 se distinguent toutefois par une meilleure réussite scolaire que les étudiants mais aussi par un souhait d’engagement vers les études sportives qui s’enracinent plus tôt dans leur histoire.
6Ces étudiantes ont en commun une socialisation sportive précoce, « depuis toute petite », notamment dans les familles où le sport occupe déjà une place importante (69 %) : « J’ai toujours fait du sport, beaucoup de sport, j’ai une famille très sportive », « il y a toujours eu l’esprit sportif », « tout le monde est dans le foot »… Si la pratique sportive de leur père paraît élevée (86 %), les mères se démarquent aussi (77 %), de surcroît par la compétition, à l’image de travaux antérieurs repérant ces mêmes tendances (Érard, Louveau, 2016a, 2016b). Les activités physiques et sportives font partie de leurs loisirs, confortées parfois par une scolarisation en section sport-étude (19 %), qui se prolongent fréquemment sous forme d’une modalité sportive compétitive et polyvalente avec au moins une pratique masculine.
7Dans l’ensemble, elles présentent un capital sportif, personnel et hérité, comparable à celui des étudiants : elles ont autant pratiqué à un niveau de compétition (inter)national (44 % vs 42 % via les clubs, associations et UNSS11). Même si elles affirment, à l’instar des hommes, avoir été parmi les meilleures en éducation physique et sportive (EPS) au collège et au lycée (90 %), leur cursus révèle un choix plus fréquent de l’option sport au baccalauréat et d’obtention de diplômes de moniteur/entraîneur12. Si ces femmes déclarent s’entraîner moins souvent en 2018 (toutes proportions gardées, 32 % évoquant un entraînement hebdomadaire de trois fois au minimum pour 43 % des hommes), elles encadrent autant des équipes ou des activités sportives que les hommes. Par leurs ressources sportives, elles se différencient nettement d’une jeunesse féminine qui présente une pratique en club moins fréquente et moins compétitive.
8Les bachelières scientifiques, sportives compétitrices, représentent les profils féminins les plus fréquents en STAPS. Autrement dit, ces filles ont développé un profil scolaire et sportif masculin semblable à celui de la majorité des étudiants de STAPS par leur baccalauréat, leurs pratiques sportives (athlétisme, sports collectifs, sports de combat, etc.) et leurs modalités de pratique (compétition (inter)nationale et entraînement trois fois par semaine au moins). Toutes n’ont toutefois pas ce profil scientifique : des titulaires d’un autre baccalauréat osent une orientation statistiquement minoritaire, qui les distingue doublement au regard de leurs homologues inscrites dans d’autres formations non-scientifiques et/ou dans le prolongement de leur baccalauréat13, faisant preuve « d’insoumission discrète » (Palheta, 2012).
9Se qualifiant fréquemment de « multi sportive », les bachelières économiques et littéraires optent pour la filière STAPS en lien avec leur engagement sportif comme pratiquante et souvent encadrante. La pratique sportive est devenue au fil des ans un élément central de leur vie. Leurs propos dévoilent comment un capital non académique, construit en parallèle du capital scolaire, devient objet d’investissement dans les études, reportant au second plan la spécialisation acquise au baccalauréat, comme l’illustre le récit d’Anaïs, bachelière littéraire.
Pour Anaïs, entrer en STAPS relève d’« un rêve d’enfant ». Depuis le collège, elle veut « être professeur de sport et puis ça a été encore plus renforcé par un professeur de sport ». Alors qu’elle déclare ses parents peu intéressés par le sport, elle souligne ses multiples expériences de pratiques et d’encadrement : « Ah j’ai fait plein, plein de sports, on m’a toujours mis au sport de forcing… J’ai fait de la gym, dès que j’ai su marcher, j’ai commencé la gym. Après j’ai fini au hand parce que ça m’a bassiné en gym, j’ai fait sport-étude canoë kayak au collège. Et au lycée je me suis mise à la course, au badminton, au rugby et au cirque. » Anaïs relate son cursus scolaire en contraste avec sa famille, tous des scientifiques (parents exerçant en médecine libérale et frère étudiant en informatique) : « Dans ma famille c’est presque que des scientifiques qui ont eu des très grosses mentions au bac. Moi j’ai eu une toute petite mention en L ». Ses parents sont plutôt réticents face à son choix de STAPS, ce qu’elle explique ainsi : « C’est pas du tout des sportifs, donc ça a été très obscur pour eux que j’aille en STAPS, il y avait eu un gros refus au début, donc je me suis assez battue pour y aller […] Très compliqué, pour eux c’était pas de débouchés… » Enchantée de son expérience en STAPS, il n’est pas étonnant qu’à la question « quel baccalauréat te semple le moins adapté pour réussir en STAPS ? », elle réponde : « Aucun ! Avec de la bonne volonté et de la motivation, on peut déplacer des tapis de gym ! » Par son côté non-scientifique et son goût des sports l’entraînant vers les STAPS, Anaïs fait figure de pionnière dans sa famille.
Anaïs, 19 ans, bac L option sport, mention AB, L1 STAPS, pratique gymnastique et canoë kayak en compétition, course, handball, badminton, rugby, cirque, escalade, kitesurf
10Les bachelières professionnelles et technologiques, d’origine sociale modeste (toutes boursières), sont plus souvent les premières de leur famille à accéder à l’université. Aller en STAPS représente une façon de « se donner une chance » qui suppose de « se battre », autant de qualificatifs qui viennent souligner leur audace et leur conscience des risques, un aspect que les autres bachelières n’expriment pas. Elles viennent en STAPS compléter leur capital sportif en y ajoutant une forme scolaire liée à des ambitions professionnelles qui leur permettent de transformer leur intérêt, voire leur passion en métier, dans la continuité d’un engagement familial parfois dans le même sport. L’orientation originale de ces bachelières atypiques ne relève ni du hasard ni d’une orientation par défaut. L’ouverture à des loisirs élargit donc les possibles scolaires pour ces jeunes dont l’orientation est déterminée en partie par leur expérience scolaire et leur milieu social. Pour quelques-unes, l’entrée en STAPS s’effectue suite à un détour par le lycée technologique, ce que raconte Léa.
Léa pratique depuis longtemps plusieurs activités sportives avec son frère aîné (ambulancier qui a pratiqué football, rugby, actuellement boxe) et sa petite sœur (judo), sous l’influence familiale orchestrée par son père (professeur d’EPS et pratique du rugby en compétition) : « Quand j’étais petite, j’ai testé tous les sports et vraiment j’ai beaucoup accroché avec le judo et puis l’athlétisme. » Elle marque une nette préférence pour la compétition et explicite avoir arrêté la danse rapidement. En effet, sa famille l’avait inscrite à ces cours pour « mettre un peu de féminité » : « je me suis fait virer de mon école ». Elle encadre aussi des jeunes en athlétisme comme bénévole et salariée durant les étés. Son parcours scolaire est davantage escarpé. Première contrariété en 2de : elle souhaite s’orienter en ES, les professeurs s’y opposent et elle choisit le bac sciences et technologies de la santé et du social (ST2S) au vu des matières qui lui plaisent (physique, biologie). Seconde bifurcation à l’université : Léa s’inscrit en lettres sur les conseils de sa mère (employée commerciale), mais dès le premier semestre, elle décide de se réorienter. Elle relate son cheminement en exprimant une expérience vécue difficilement : « En fait j’étais en fac de lettres jusqu’à novembre, et ça ne me plaisait absolument pas du tout, j’étais mal dans ma peau, mal, mal. Et du coup je me suis réorientée en STAPS parce que, depuis toute petite je fais du sport, et puis j’aime trop et que ça m’intéresse beaucoup les sciences de l’homme, les sciences humaines... » Elle effectue les démarches, rencontrant la responsable pour connaître la procédure, remplissant un dossier sur Internet, précisant ses « motivations sur une lettre avec un CV. » Elle connaît une immersion en janvier « hyper difficile », mais elle s’accroche car elle veut « vraiment travailler dans le milieu APAS, c’est le seul moyen d’y accéder. » La filière STAPS, pour Léa, apparaît comme une revanche : « J’ai toujours dit que j’irai à l’université ». Tenace, elle fait fi des avis défavorables des enseignants pour entrer à l’université, puis bifurquer en STAPS.
Léa, 18 ans, bac ST2S mention B, L1 STAPS, pratique judo et athlétisme en compétition, canoë kayak
11Quel que soit leur baccalauréat, scientifique ou non, obtenu en lycée général ou non, ces étudiantes affirment leur goût pour le sport et leur souhait de s’y former par la voie universitaire, en STAPS. Quand les unes s’y orientent fortement dotées en capital scolaire et sportif, d’autres s’y projettent scolairement et socialement moins armées, attachées à valoriser un loisir souvent central dans leur famille, et prennent le risque d’une formation puis d’un métier qui passionne. Sportives aux profils sociaux et scolaires bigarrés, elles se retrouvent dans une même filière avec un dénominateur commun : une pratique sportive compétitive tournée vers une modalité de pratique masculine (par le choix de pratique et par sa modalité d’exercice, fréquemment polyvalente et/ou de haut niveau). Souvent soutenues par un enseignant, entraîneur ou coach, et à travers les structures proposées comme les clubs, associations, sections sport-étude ou pôles sportifs, ces bachelières déterminées ont déjà une basket dans le monde du sport et présentent des configurations de triple vie (études, pratique sportive/activité d’encadrement, activité salariée/bénévole) favorables à la réussite durant les premières années de STAPS (Érard, Guégnard, 2018b).
2. L’insoumission discrète par le maintien du sport de haut niveau
12Les sportives représentent le tiers des effectifs du pôle d’excellence des pratiques sportives (PEPS)14 créé en 2010 dans l’université enquêtée, afin de soutenir les jeunes de haut niveau sportif et d’optimiser leur cursus universitaire et sportif, dans leur quête de double excellence. Depuis sa création, 1 353 jeunes dont 445 femmes (soit le tiers des effectifs) ont intégré le PEPS pour une ou plusieurs années, au fil des cursus universitaires et des exploits sportifs (tableau 2 en annexe). Sur les dix ans, la part des femmes a évolué de 31 % des inscrits en 2011 à 41 % en 2021. Le choix de mener un double projet hors STAPS est la marque des étudiantes quelle que soit l’année : 40 % des sportives pour 30 % des sportifs. Parmi la cinquantaine de sports présents, le tiercé des activités les plus pratiquées est le football, l’athlétisme, le handball chez les étudiantes, et le football, le rugby, l’athlétisme chez les étudiants. Si les domaines d’étude sont variés, les sportives se retrouvent souvent dans des filières féminisées comme le droit, les sciences de la vie et de la terre, les sciences humaines… rarement en médecine ou sciences et techniques.
Le pôle d’excellence des pratiques sportives
Le PEPS propose différents services d’accompagnement personnalisé : suivi médical, pédagogique et de préparation physique, aide au logement universitaire et à l’alimentation-restauration, cours de soutien et de tutorat, aménagement des études (adaptation des dates d’examen lors des compétitions, cursus aménagé sur plusieurs années…) et leur donne un statut particulier leur permettant de ne plus être pénalisé en cas d’absence à un cours obligatoire. Pour intégrer ce pôle, le jeune doit avoir atteint au minimum le niveau des championnats de France et l’inscription se fait selon une sélection officielle et après étude du dossier de candidature. Selon le Code du sport, la qualité de sportif de haut niveau s’obtient par l’inscription sur une liste arrêtée chaque année par le ministre chargé des sports sur propositions du directeur technique national de chaque fédération. Au plan national, la part des athlètes féminines atteint 38 % des 15 000 sportifs de haut niveau en 2020.
13Les étudiantes rencontrées15, sportives compétitrices inscrites au PEPS, cumulent un parcours sportif et universitaire hors STAPS et mènent ainsi de front un double projet estimant qu’ils peuvent s’articuler sans se confondre, contrairement aux stapsiennes. Elles affirment à l’unanimité avoir choisi leur baccalauréat16 et leur formation supérieure sans hésitation (sauf une). Loin d’être toutes des héritières sportives, la plupart continuent des études dans le droit fil de leur série de baccalauréat, plus conformes aux attentes des parents et aux orientations généralement privilégiées par les lycéennes. Plusieurs portraits illustrent ce parcours dans le monde du sport qui ne semble pas être l’apanage d’un milieu social particulier ou d’un héritage.
Alice découvre ainsi l’haltérophilie tardivement en classe de 2de avec son professeur d’EPS, puis s’entraîne à l’UNSS et devient championne de France dès la première année. Ni sa mère conseillère à Pôle emploi, ni ses frère et sœur ne pratiquent de sport et seul son père, responsable de magasin, a pratiqué « un peu le handball ». Elle raconte la surprise parentale de la manière suivante : « Quand j’ai commencé déjà ils [ses parents] se sont demandés pourquoi je voulais faire ça […] c’était pas du tout l’image qu’ils avaient de moi, vu que je faisais de la danse avant. Après ils m’ont toujours soutenue… » Pionnière de par son choix en haltérophilie, « une passion » atypique dans cette famille non sportive, elle tente de se « qualifier aux championnats d’Europe » tout en continuant ses études avec succès. Lors de la transition lycée-enseignement supérieur, dotée d’une mention d’excellence pour son baccalauréat S en section AbiBac (qui prépare à la fois le bac français et l’Abitur allemand), Alice choisit les sciences de la vie et de la terre (SVT).
Alice, 19 ans, bac S et Abitur, mention B, L1 SVT, pratique haltérophilie haut niveau, danse, équitation
Comme Alice, Marie excelle dans une activité sportive individuelle masculine, la lutte, alors que ses parents techniciens supérieurs ont peu pratiqué de sport. Elle a bénéficié d’une socialisation sportive très tôt sur les traces de son frère (il arrête la lutte en école d’ingénieur) : « J’ai commencé à 3 ans. Au début, j’étais un peu jeune mais je voulais faire comme mon frère qui a quatre ans de plus. Et au début ils [ses parents] m’ont laissée parce que je m’amusais bien. Et en fait quand j’ai commencé à grandir en 4e, j’ai voulu partir en sport-étude mais déjà c’est loin les Pyrénées. Ils n’étaient pas trop pour, ils ont commencé à être un peu réticents. Sauf que j’ai fait championne de France en 4e donc je n’avais pas le choix si je voulais continuer et ils m’ont toujours soutenue du coup… » Soutenue par ses parents, elle l’est aussi par ses professeurs : « Au collège, [les enseignants] étaient super heureux, ils ont même proposé à mon entraîneur de club d’ouvrir une section sportive dans mon collège ! Donc on a ouvert une section sportive et on a fait les championnats de France UNSS au collège […] quand j’ai postulé en sport-étude ils m’ont fait un super dossier ! » Marie s’inscrit sans hésitation en droit après son baccalauréat ES car l’université, via le PEPS, lui permet d’aménager son cursus : « Mon entraîneur a réussi à m’inscrire au PEPS. Donc j’étais un peu ravie d’y aller pour pouvoir faire mes entraînements […] Là maintenant à la fac, si j’ai décidé de le faire en deux ans, c’est parce que j’ai mes priorités sur la lutte. Je favorise la lutte, les cours je pourrai toujours continuer après. Moi je compte continuer jusqu’à Paris 2024 ! »
Marie, 20 ans, bac ES, L2 Droit, pratique lutte haut niveau
14Bien que leur vie sportive prenne une place importante en parallèle de l’école, ces étudiantes font face à ce « double jeu scolaire et sportif » (Papin, Viaux 2018). Elles ont dû convaincre leurs parents en faisant leur preuve tant dans les résultats sportifs que scolaires. Menant un double projet, elles privilégient au moment de l’enquête leur carrière17 sportive, après avoir bénéficié d’une socialisation sportive le plus souvent précoce, initiée dans une famille où le sport est un élément plus ou moins central dans leur style de vie (Forté, 2006). Elles cherchent à maintenir leur pratique du sport à haut niveau tout en donnant les « gages » scolaires à leur famille en optant pour une formation dans le prolongement de leur baccalauréat, en dehors des STAPS.
15Elles mettent en retrait leur cursus universitaire tout en comptant dessus dans un futur proche et en soulignant la nécessité d’une formation. Ces sportives expriment un « intérêt pour les études, la culture générale », qualifient leur formation supérieure de « théorique », « générale », « intellectuelle » et leur attribuent parfois un prestige qu’elles n’accordent pas à la filière STAPS, considérée sans véritable débouché à l’exception du professorat d’EPS. Pour autant, elles évoquent un projet professionnel où le monde du sport n’est pas complètement absent (droit du sport, nutrition des sportifs, marketing équipementier sportif…). Ceci indique qu’elles ne choisissent pas par défaut leurs études, nettement connotées féminines. Passionnées par leur propre sport, pratiqué de manière intensive, elles souhaitent aussi se préserver et ne pas construire leur emploi du temps uniquement autour d’activités physiques.
16La filière STAPS ne correspond pas à leur projection en matière d’avenir professionnel, trop centrée sur un même sujet, le sport. Alix affirme : « En fait je trouvais que ça faisait trop de sports… J’aime bien les études, la culture générale, tout ça […] Nan, merci. Encore du sport, t’en peux plus quoi ! » Alice confirme la fatigue des sportifs : « En STAPS, des fois je vois mes collègues qui sont fatigués d’avoir fait natation badminton et tout dans la même journée. Moi mes entraînements me suffisent. » Marie souligne son manque d’intérêt d’apprendre tous les sports : « Être entraîneure de lutte ça ne me dérangerait pas dans l’absolu parce que j’aime beaucoup enseigner sur ce que j’ai vécu en fait mais hormis ça, je ne me vois pas rester dans le sport, à l’enseigner, à apprendre différentes choses. Puis il y a beaucoup de disciplines sur l’anatomie en STAPS. Donc ça ne m’intéresse pas. En plus il n’y a pas de débouchés. Et le droit ça m’intéresse plus ! » Plusieurs raisons de leur « détournement » de la formation STAPS sont ainsi évoquées : la surcharge d’entraînement physique et des pratiques sportives, mais aussi la perception négative en matière de débouchés et enfin, la difficile reconnaissance et professionnalisation des femmes dans le sport de haut niveau.
17Au final, ces étudiantes mènent de front deux parcours, scolaire et sportif, en lien avec la représentation qu’elles ont de leurs performances, de leurs perspectives à l’horizon des grandes compétitions (inter)nationales. Si quelques-unes formulent l’espoir de devenir professionnelle et de faire de leur sport un métier, elles ont toutes choisi des études universitaires qui ne mettent pas en danger leur investissement sportif, tout du moins durant les premières années, se dotant ainsi d’une sécurité par des gages scolaires face au caractère éphémère et risqué des carrières sportives : « On sait très bien qu’on ne va pas en vivre toute notre vie » (Alice). Jeanne, 20 ans, seule étudiante rencontrée qui se décrit en fin de parcours sportif, suite à « une overdose » et au bénéfice d’un master en alternance, expose aussi la difficulté d’être reconnue dans cette « arène masculine » (Terret, 2006) : « C’est un sport masculin. Pour gagner sa vie dans le golf, quand on est un homme c’est beaucoup plus simple. Quand on est une femme il faut vraiment être dans le top 10 pour espérer gagner un chèque de… pas beaucoup... » Aussi préfère-t-elle garder « le golf en mode plaisir » et ce d’autant plus qu’elle connaît des soucis financiers depuis ses 16-17 ans car il faut « se débrouiller » sans soutien de la Région, « donc financièrement, c’est un peu un gouffre, ça coûte cher ».
Conclusion
18Ces portraits qui ne résument pas l’ensemble des cas de figure existants, soulignent la diversité des parcours s’enracinant dans les interstices d’histoires familiales et sociales variées. Loin d’une orientation par défaut, les étudiantes enquêtées, en formation de STAPS ou en dehors, présentent le point commun de poursuivre un loisir sous forme compétitive, de haut niveau parfois. Les premières, d’origine sociale moins favorisée, se placent en position de « conversion » de leur capital sportif et combinent des activités de pratiquante/joueuse, de bénévole/salariée et d’étudiante, autant d’espaces sociaux où elles renforcent la valeur de leur capital sportif et se créent des opportunités pour en tirer bénéfice. Elles développent ainsi des parcours construits sur des « carrières plurielles » avec l’espoir d’avoir un métier en lien avec leur passion du sport.
19Les secondes, socialement plus favorisées et attentives à la dimension intellectuelle et prestigieuse des formations universitaires, optent pour le « cumul » parallèle des capitaux : elles gardent un engagement intense dans leur carrière sportive durant leurs premières années à l’université, en optant pour une filière dans le prolongement de leur baccalauréat.
20Si leurs stratégies d’orientation universitaire diffèrent, toutes maintiennent leur « temps pour soi » dans des loisirs dont l’activité ou la modalité de pratique demeure masculine. Par leur parcours marqué par des pratiques sportives compétitives, ces femmes incarnent une jeunesse à la conquête d’un territoire qui reste masculin : le sport.
Bibliographie
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10.3917/soco.090.0053 :Annexe
Tableau 1 • Profil des jeunes en L1 STAPS (en %)
Femmes | Hommes | |
Profil scolaire | ||
Bac Scientifique | 54 | 52 |
Bac Economique et sociale | 25 | 26 |
Bac Littéraire | 2 | 1 |
Bac Technologique | 13 | 15 |
Bac Professionnel | 6 | 6 |
Mentions Bien et Très Bien | 14 | 10 |
Mention Assez Bien | 26 | 26 |
Bac choisi | 89 | 85 |
Bac à 18 ans | 86* | 78* |
Profil social | ||
Boursier | 44 | 46 |
Parent diplômé du supérieur | 53 | 51 |
Parent cadre | 28 | 35 |
Parent ouvrier | 25 | 22 |
Profil sportif | ||
Grande place du sport dans la famille | 69 | 69 |
Pratique sportive père | 86 | 83 |
Pratique sportive mère | 77* | 67* |
Parmi les meilleurs en EPS au collège, lycée | 90 | 91 |
Section sport-étude | 19 | 16 |
Option sport au bac | 30* | 22* |
Pratique sportive en club | 98 | 96 |
Pratique sportive à l’AS/UNSS | 74 | 74 |
Inscription en club/association en 2018 | 77* | 85* |
Entraînement 3 fois et+ par semaine en 2018 | 32* | 43* |
Encadrement d’une équipe en 2018 | 36 | 37 |
Compétition (inter)nationale + 3 entraînements, PEPS | 44 | 42 |
Diplôme sportif, BAFA | 30* | 18* |
Projet sport en primaire ou collège | 26* | 19* |
Effectif | 124 | 313 |
Source : enquête IREDU 2018.
Tableau 2 • Évolution des inscriptions au PEPS sur dix ans
Années | Femmes | Hommes | Ensemble |
2011-2012 | 31 | 70 | 101 |
2012-2013 | 30 | 69 | 99 |
2013-2014 | 46 | 83 | 129 |
2014-2015 | 32 | 64 | 96 |
2015-2016 | 39 | 91 | 130 |
2016-2017 | 39 | 87 | 126 |
2017-2018 | 38 | 92 | 130 |
2018-2019 | 47 | 114 | 161 |
2019-2020 | 66 | 127 | 193 |
2020-2021 | 77 | 111 | 188 |
Effectif | 445 | 908 | 1 353 |
% | 33 %* | 67 %* | 100 % |
Etudes suivies | |||
% STAPS | 61 %* | 72 %* | 68 %* |
% Autres filières | 39 %* | 28 %* | 32 %* |
Total | 100 % | 100 % | 100 % |
Source : listings des inscriptions au PEPS.
Notes de bas de page
1 Chez les 16-24 ans, le taux de licenciés parmi les pratiquants est de 46 % pour les femmes et de 70 % pour les hommes en 2020. Parmi les 16 millions de licenciés, la part des licences sportives délivrées aux femmes est de 39 % au plan national (INJEP, 2020).
2 16 présidentes, 11 % d’entraîneuses nationales, 25 % de conseillères techniques… (Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, 2021).
3 DEPP, 2021.
4 INJEP, 2020.
5 Le concept de parcours prend en considération un ensemble d’expériences se situant autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du système scolaire, englobant les relations entre individus et institution, les articulations entre les évènements et leur signification pour l’individu et l’inscription dans des temporalités larges (Doray, 2012).
6 L’enquête qui a bénéficié du soutien de l’INJEP (Danner et al., 2019), vise à identifier les profils sociaux, scolaires et sportifs des jeunes qui choisissent cette filière afin d’appréhender leur éventuelle triple vie (études, sport, salariat/bénévolat) ou « carrières plurielles », « carrières d’amateurs » (Chalumeau et al., 2008 ; Chevalier, Coinaud, 2008 ; Érard, Louveau, 2016a ; Érard, Guégnard, 2018a).
7 Les auteures remercient l’ensemble des jeunes pour leur collaboration et Anne-Sophie Pelachale pour sa participation à cette recherche dans le cadre de son master. Les étudiantes ont choisi des prénoms fictifs pour préserver leur anonymat et leurs propos sont retranscrits en italique.
8 Dans la suite du texte, les guillemets pour les qualificatifs masculins et féminins sont implicites. Le terme masculin est utilisé pour désigner les espaces et pratiques où les hommes sont largement majoritaires et qui sont construits et considérés socialement et statistiquement (plus de 60 %) pour les hommes (inversement pour les pratiques féminines) (Thomas, 2013).
9 Ce terme cadre englobe les professions libérales, cadre, ingénieur, professeur.
10 Au moment de l’enquête, la filière STAPS de cette université contrairement à d’autres universités était accessible de droit avec le baccalauréat sans tirage au sort ni sélection via l’admission post-baccalauréat (APB).
11 Union nationale du sport scolaire.
12 Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), brevet national de sauvetage et sécurité aquatique, surveillant de baignade…
13 Par exemple, les bachelières L s’orientent souvent en lettres, langues ou sciences humaines, les bachelières professionnelles vont davantage en section de technicien supérieur (Danner et al., 2021).
14 Faute de données régionales exhaustives, ces éléments de contexte sont tirés des listings obtenus auprès des responsables du PEPS après saisie et traitement statistique.
15 Les sept étudiantes âgées de 18 à 23 ans pratiquent des sports variés : athlétisme, football, golf, haltérophilie, handball, lutte et volley-ball. Elles sont d’origine sociale plutôt favorisée même si elles ont rarement leurs deux parents cadres diplômés du supérieur : selon le statut le plus élevé de l’un des parents, trois sont cadres, trois ont une profession intermédiaire et un parent est employé des services comptables.
16 Trois bachelières S, deux bachelières ES, une littéraire et une bachelière STMG (sciences et technologies du management et de la gestion).
17 Carrière, c'est-à-dire une succession de séquences objectivement ordonnées par les institutions (ici les fédérations sportives et leurs clubs), et qui sont subjectivement appropriées par les individus qui les empruntent (Chalumeau et al., 2008).
Auteurs
IREDU, Centre associé Céreq, Université de Bourgogne. carine.erard[at]u-bourgogne.fr
IREDU, Centre associé Céreq, Université de Bourgogne. christine.guégnard[at]u-bourgogne.fr
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