Introduction

1Aujourd’hui, il convient de souligner l’intérêt de se pencher sur le sens que revêtent la mobilité et le travail pour l’individu. En effet, le fait que la personne trouve du sens dans sa mobilité et plus largement dans sa vie professionnelle pourrait avoir une incidence sur sa santé et son bien-être ainsi que sur la perception de son propre parcours. L’originalité de la présente étude est de porter non seulement sur l’évolution du sens donné par l’individu à la mobilité mais aussi sur l’évolution des liens unissant mobilité professionnelle et sens du travail. Qu’elles reposent sur des méthodologies qualitatives ou quantitatives, certaines recherches longitudinales antérieures ont porté plus spécifiquement sur la question du sens du travail (Clausen & Borg, 2011 ; Harpaz & Fu, 2002 ; Harpaz et al., 2002).

2Tout d’abord, nous chercherons à définir ce qu’est la mobilité professionnelle, le sens qu’elle peut recouvrir pour l’individu et ses liens avec le sens du travail et leur potentielle évolution. Puis sera présentée une étude qualitative menée auprès de personnels administratifs d’une université française, interviewés à deux reprises à sept ans d’intervalle.

1. Approche longitudinale de la mobilité et de ses liens avec le sens du travail

1.1. La mobilité professionnelle. Quel sens pour l’individu ?

3Le concept de mobilité professionnelle peut renvoyer à des changements de postes, recouvrant des réalités diverses, des formes et des motifs variés. Sa dimension objective correspond à l’aspect factuel d’opérer un changement d’un emploi à un autre tandis que sa dimension subjective renvoie davantage à son vécu et sa perception par l’individu. A l’occasion d’une mobilité professionnelle, l’individu peut être amené à réinterroger son parcours dans son ensemble, à questionner son identité, ses représentations de soi, de son travail et de l’avenir. La question du sens peut alors se poser de manière accrue.

4En outre, la mobilité professionnelle a fait l’objet d’études longitudinales (Durand & Machado, 2006 ; Rouleau, 2010). A titre d’exemple, il ressort de l’étude de Swaen et al. (2002) d’une cohorte sur trois ans que le groupe ayant vécu une mobilité a témoigné de plus d’autonomie et de diversité dans les tâches effectuées, de moins de conflits avec le supérieur hiérarchique, de moins de stress physique et émotionnel, de plus de possibilité de formation, et de sécurité professionnelle qu’avant le changement.

1.2. Des études longitudinales antérieures

5Des recherches se sont intéressées de manière spécifique à la question de savoir si le sens était plus ou moins stable dans le temps. Son caractère évolutif constitue l’une des caractéristiques du sens. Dans leur revue de la littérature, Rosso et al. (2010) mentionnent le fait que le sens du travail se construit socialement et individuellement. Celui-ci est susceptible d’évoluer, en particulier en fonction de l’environnement professionnel et des caractéristiques propres à l’individu (Arnoux-Nicolas, 2019). Plus précisément, des recherches longitudinales quantitatives se sont focalisées sur les variations du sens du travail de populations adultes au fil du temps. Celle menée par Harpaz et al. (2002) portant sur le sens du travail et les variations interculturelles dans le processus de socialisation des jeunes nouvellement entrés sur le marché du travail a montré que la centralité du travail augmentait de façon significative lors de la deuxième année de travail. En revanche, dans le cadre d’une recherche auprès de travailleurs israéliens sondés en 1981 puis en 1993, Harpaz et Fu (2002) ont montré la relative stabilité de la structure du sens du travail, reposant sur la centralité du travail, les normes sociales à propos du travail, la motivation professionnelle extrinsèque et intrinsèque (MOW International research team, 1987).

1.3. Liens entre mobilité professionnelle et sens du travail. Premiers résultats

6Dans le cadre de la première phase d’entretiens, les données recueillies ont permis de mettre en lumière des liens entre mobilité professionnelle et sens du travail (Arnoux-Nicolas, 2019). En 2013, des personnels administratifs BIATSS1 travaillant au sein d’une université française ont été interviewés dans le cadre d’une recherche qualitative exploratoire (Arnoux-Nicolas, 2019). L’échantillon était alors constitué de dix sujets, volontaires pour participer à l’étude et ayant vécu une mobilité professionnelle depuis moins de trois ans (Singh & Greenhaus, 2002). La première phase de la recherche avait pour objectif de mieux comprendre la construction du sens par le sujet suite à l’expérience de vie particulière qu’est la mobilité professionnelle. Il a été procédé à une analyse du discours par repérage et comptage des thèmes évoqués, doublée d’une analyse à l’aide du logiciel ALCESTE. Les résultats ont notamment montré que, conformément au modèle de l’adaptation aux événements de vie, la construction de sens s’opère en référence aux caractéristiques interpersonnelles (sexe, âge, expérience antérieure, optimisme, motivation, statut, diplômes), aux valeurs de l’individu, à l’ambiance de travail, à l’équilibre entre vie familiale et vie privée, à la représentation que l’individu se fait de son travail et des conditions de la mobilité (Arnoux-Nicolas et al., 2018).

2. Une deuxième phase de recherche sept ans plus tard

7Sept ans plus tard, nous avons recontacté ces mêmes personnes déjà interviewées lors de la première phase, en vue d’un deuxième entretien dans le cadre d’un suivi longitudinal. L’objectif de la recherche présentée ci-après était de mieux comprendre les aspects évolutifs du sens des mobilités et de ses liens avec le sens du travail.

2.1. Caractéristiques de l’échantillon

8Dans le cadre de la deuxième phase de la recherche, sept personnes sur les dix participants initiaux ont pu être jointes. Ainsi, l’échantillon obtenu rassemble différents types d’établissement (quatre sujets travaillant dans un IUT, deux sujets pour la « maison mère » et un sujet dans une autre administration), différentes catégories (deux sujets de catégorie A, deux de catégorie B, trois de catégorie C), différents grades (dont un sujet IGE2, un sujet Adjoint Principal, deux sujets SAENES3, un sujet ADAENES4, un sujet ADJAENES5), et divers corps administratifs (dont celui des AENES6 représenté par quatre sujets, celui des ITRF7 représenté par deux sujets). Les participants dont six femmes et un homme, ont tous un statut de titulaire. La moyenne d’âge de l’échantillon est de 51 ans (mini = 46 ans/max = 56 ans). L’ancienneté moyenne des sujets au sein de leur poste actuel est de 6.5 ans (mini = 3 mois/max = 7 ans). Leur ancienneté moyenne au sein de leur établissement est de 11.7 ans (min = 24 mois/max = 20 ans). Les participants ont vécu d’une à six mobilités entre le premier et le deuxième entretien. L’ancienneté de la dernière mobilité des agents est comprise entre trois mois et sept ans.

2.2. Une démarche qualitative

9Même si de nombreuses études longitudinales reposent sur des données statistiques et la passation de questionnaires, il peut s’avérer pertinent d’avoir recours à des matériaux qualitatifs et des entretiens pour saisir des parcours biographiques (Demazière, 2007). Ce choix se justifie par le fait que cette recherche est centrée sur l’étude exploratoire de l’évolution du sens du travail et du sens des mobilités professionnels, auprès d’un échantillon restreint.

10Des entretiens semi-directifs d’une durée comprise entre 45 minutes et une heure trente, ont été menés auprès des participants de la première phase de la recherche, ayant pu être recontactés. Un guide d’entretien a été conçu en deux axes autour d’une question de départ sur leur évolution professionnelle depuis le premier entretien : l’évolution du sens de la mobilité évoquée pendant le premier entretien, l’évolution du sens de leur travail depuis cette mobilité évoquée lors du premier entretien. En fonction du déroulement de l’entretien, l’interviewer pouvait adapter l’ordre des questions et improviser des relances de manière adhoc. La question de départ invitait les participants à porter un regard rétrospectif sur la manière dont avait évolué leur parcours professionnel depuis le premier entretien, sur les mobilités professionnelles vécues durant cette période. Le deuxième volet de l’entretien visait à recueillir des éléments sur la façon dont le sens de la mobilité évoquée dans le premier entretien avait évolué. Le sujet était invité à s’exprimer librement sur la manière dont celui-ci envisageait le sens de cette même mobilité aujourd’hui. L’interviewer invitait à interroger les éventuels écarts et la manière dont la perception s’était éventuellement modifiée ou était restée stable. Le troisième volet de la recherche portait sur la façon dont le sens trouvé dans leur travail avait évolué depuis le premier entretien, et notamment depuis cette même mobilité évoquée lors du premier entretien. De même, l’interviewer proposait de questionner la progression, les éventuelles modifications ressenties afin de comprendre les motifs et processus à l’œuvre.

11En vue de l’analyse des données, nous avons catégorisé les matériaux recueillis en fonction d’une grille d’analyse thématique constituée conformément aux objectifs, en lien avec les questions des modalités d’évolution du sens d’une mobilité et du sens trouvé dans le travail ainsi que celles des facteurs et des processus à l’œuvre dans la construction du sens trouvé dans la dernière mobilité et le poste actuel.

2.3. Présentation des résultats

12Nous détaillerons ci-après les données descriptives collectées afin de mieux comprendre la manière dont évoluent le sens de la mobilité et le sens du travail, ainsi que les facteurs en jeu et le rôle des expériences précédemment acquises pouvant influer sur ces processus.

2.3.1. Le sens d’une mobilité professionnelle et son évolution au fil du temps

13Le sens que l’individu accorde à une mobilité et la manière dont celui-ci peut évoluer au fil du temps, s’avèrent pouvoir se confirmer ou se modifier.

Le sens d’une mobilité professionnelle peut se confirmer

14Certains des seconds entretiens recueillis suggèrent une confirmation du sens précédemment donné à la dernière mobilité professionnelle. Cette confirmation semble en lien avec les caractéristiques objectives et subjectives de la mobilité. Par exemple, si elle est qualifiée de promotion par l’individu, cela tend à renforcer un vécu positif de la mobilité. Tel est le cas pour trois des personnes interviewées ; le sens trouvé dans une mobilité s’est confirmé et reste qualifié de positif dans leurs parcours. Ainsi, le sens trouvé dans la mobilité est parfois décrit comme étant un « élan dans l’existence », un « tournant dans la vie », un « challenge » à relever ou encore un moyen d’appréhender un nouvel univers professionnel, de se renouveler professionnellement et d’apprendre de nouvelles choses, ou encore d’acquérir une identité professionnelle. Selon une participante, la mobilité évoquée en 2013 qui lui a apporté sérénité et reconnaissance, a constitué un tournant dans sa vie qualifié de positif. Un participant envisage quant à lui, toujours sa mobilité en 2010 sur le poste de responsable administratif de site comme un véritable élan dans sa vie professionnelle. Le sens qu’il y trouvait lors du premier entretien, demeure très positif et s’est confirmé. Pour une autre participante, le sens de la mobilité décrite est non seulement d’avoir changé d’univers professionnel et d’avoir appris de ce nouveau milieu, ce qui constituait un challenge à part entière, mais aussi de se spécialiser dans un domaine professionnel, d’utiliser ses compétences, de mettre en place des méthodes de travail en qualité de responsable de service et d’acquérir par là-même une forme de reconnaissance.

15Par ailleurs, tout comme dans les premiers entretiens recueillis, les participants décrivent les mobilités en termes de gain et de pertes, et font la balance entre les deux. Ainsi quatre d’entre eux déclarent avoir trouvé plus de gains que de pertes dans la mobilité décrite à l’instar d’une participante qui y associe d’une part une perte financière au départ, ayant été contrebalancée par un changement de grade suite à la réussite d’un concours administratif, et d’autre part, l’apprentissage et la connaissance d’un nouvel univers professionnel.

16Quant à une autre personne interviewée, celle-ci indique que le sens qu’elle mettait dans sa mobilité effectuée il y a dix ans est toujours le même, continuant de considérer le changement comme positif dans la mesure où celui-ci lui a permis de changer d’environnement professionnel, de passer de celui de la sphère hospitalière à celle de l’enseignement supérieur tout en restant fidèle à ses valeurs de service public. Les valeurs fondamentales de l’individu ont tendance à rester stables et sont liées avec le sens trouvé par l’individu (Harpaz & Fu, 2002). Mais, cette même personne déclare concomitamment : « En arrivant sur ce poste, j’ai eu l’impression de régresser, mais ensuite, j’ai compris qu’il y avait plein de choses à construire, c’est ce que j’en retire. » Nous voyons ici combien la paroi du sens s’avère parfois ténue, oscillant entre stabilité et réélaboration car le sens d’une mobilité est susceptible de se réinventer à tout moment.

Le sens d’une mobilité professionnelle peut se modifier

17Pour trois des personnes interrogées, le sens trouvé à une mobilité tel qu’il s’exprimait dans le premier entretien, s’est modifié. Les processus expliquant ces transformations sont divers, en lien avec l’évolution de la situation familiale ou personnelle de l’individu, ou encore suite à la confrontation avec la réalité du poste et de son environnement, en référence notamment au mode de management et aux relations hiérarchiques en place.

18Le sens qu’une participante a trouvé dans sa mobilité en 2013, était alors d’allier vie professionnelle et vie familiale, avec des bénéficies identifiés prioritairement en matière d’organisation familiale, ce qui était important à ses yeux au moment où elle a effectué cette mobilité. Depuis, par un processus de reconsidération de ses priorités de vie familiale et professionnelle, elle a pondéré ces dernières différemment, ceci l’amenant à envisager d’autres perspectives professionnelles. 

19Deux ans plus tôt, une autre participante avait initialement envisagé sa mobilité pour devenir gestionnaire d’un service comme positive mais la confrontation avec la réalité du poste et en particulier le manque de moyens alloués dans le cadre de la réalisation de ses missions lui a fait reconsidérer le sens trouvé. Pour cette raison, elle peine à se sentir utile dans le cadre de son activité professionnelle, même si elle retire malgré tout une forme de satisfaction dans les relations tissées avec des collègues, dans la meilleure compréhension qu’elle retire de la réalité de ce que vivent les étudiants étrangers ainsi que dans la reconnaissance que ces derniers lui témoignent.

20Le sens de la mobilité pour devenir secrétaire qu’elle envisageait de manière positive en 2013 s’est modifié pour une autre participante qui depuis, a pris conscience qu’elle avait les compétences pour prendre en charge d’autres missions qui lui correspondent davantage et que ces changements de missions lui procurent une motivation accrue. Les gains identifiés suite à cette mobilité sont la réduction du temps de trajet, l’appartenance à un groupe soutenant de collègues, qualifiés de véritables « compagnons de guerre ». Ils se sont avérés moindres au regard du poids de la hiérarchie et de son sentiment de manque de reconnaissance. C’est par un processus de mise à distance que l’interviewée a pris conscience de ces différents aspects qui ont influé sur le sens qu’elle a trouvé dans la présente mobilité jusqu’à le transformer.

2.3.2. Facteurs en jeu dans l’évolution du sens trouvé dans une mobilité

21Les propos recueillis mettent en exergue l’intrication d’une diversité de facteurs dans la réélaboration du sens trouvé dans une mobilité au fil du temps.

La possible conjonction de plusieurs facteurs 

22La décision d’effectuer une mobilité peut être le fruit de la conjonction de différents facteurs. Il peut s’agir de motifs professionnels tels un changement de type organisationnel ou encore une saisie d’opportunité, le fait de ne plus effectuer un travail en accord avec ses propres valeurs, de ne plus se sentir en accord avec son environnement professionnel, ou de considérations d’un autre ordre en lien avec la longueur des trajets domicile-travail, la situation familiale, ou encore la nature des expériences antérieures. Tel est le dernier cas d’une participante qui a pris la décision d’être mobile pour plusieurs raisons : elle ne se sentait plus en accord avec les valeurs de la structure et ne trouvait plus de sens dans son ancienne activité professionnelle, ce qui l’a motivée à en rejoindre une autre dont elle apprécie les valeurs. Ses enfants grandissant par ailleurs, son besoin de travailler non loin de leur école se faisait moins pressant, lui permettant d’envisager un allongement des temps de trajet. C’est concomitamment à sa perte de sens dans le cadre de son travail, que cette même participante a pris la décision de s’investir dans une activité de visiteuse de prison, laquelle a redonné du sens à son existence. Elle présume que cette autre activité lui a donné l’élan nécessaire pour effectuer sa mobilité. Nous observons combien le fait d’effectuer une mobilité peut résulter du croisement de plusieurs facteurs en lien avec les différentes sphères de vie, affectant le sens trouvé dans cette même mobilité.

23Pour une autre personne interviewée, le vécu d’une période nécessitant d’accompagner la maladie d’un proche alors qu’elle continuait, toute la journée durant, à assurer ses obligations professionnelles dans son bureau, a fait naître chez elle une fatigue ainsi que l’envie de quitter ce bureau lorsque ce proche est décédé. Ce ressenti conjugué au départ de ses collègues qui ont quitté eux aussi la structure, ont été des déclencheurs dans sa décision d’effectuer une mobilité.

Des priorités qui évoluent en fonction de l’âge et du temps qui passe

24Si nous avons vu que les priorités de vie se situent pour l’individu aux confins des sphères professionnelle, familiale et personnelle, celles-ci évoluent au fil du temps. Depuis le premier entretien, une participante a obtenu un concours et ses missions ont évolué avec la prise en charge de responsabilités plus grandes et de l’encadrement d’une personne. Ses priorités évoluent autrement maintenant que ses enfants grandissent.

Les événements de vie

25Parmi les événements pouvant influer sur le sens que prend une mobilité dans l’existence d’un individu, figurent des événements survenant dans différentes sphères de vie, comme par exemple la maladie d’un proche ou encore l’évolution de l’activité professionnelle du conjoint qui peut, à certains moments de l’existence, changer l’organisation de la vie familiale, ou bien encore un déménagement dans un lieu qui conditionne le temps de trajet et par ricochet les intentions de mobilité. Tel est le cas d’une participante qui a choisi de soutenir l’activité professionnelle de son mari quand celui-ci a ouvert sa propre entreprise, ce qui a conditionné ses propres choix professionnels.

L’expérience antérieure et le développement de l’activité professionnelle

26Dans les propos recueillis, d’autres facteurs apparaissent comme ayant une influence sur le sens trouvé dans une mobilité comme l’expérience acquise antérieurement, que ce soit sur le plan professionnel ou extraprofessionnel. Ainsi par exemple, pour l’un des participants, le fait d’avoir expérimenté précédemment le travail en intérim, influe sur sa perception et son vécu de ses mobilités actuelles. Une expérience acquise dans la sphère associative ou dans toute autre activité extraprofessionnelle peut se révéler comme une source de sens pouvant rejaillir sur des intentions de mobilité. Enfin, le type d’activités développées ainsi que leur diversité ou renouvellement permettent de nourrir le sens trouvé dans une mobilité. Ainsi, comme en témoigne une personne interviewée, le fait de développer de nouvelles compétences et de se professionnaliser dans un domaine, peut contribuer à y donner du sens.

2.3.3. Le sens du travail et son évolution au fil du temps

Le sens trouvé dans le travail peut se confirmer

27Une seule des personnes interviewées considère que le sens qu’elle trouve dans son travail n’a pas changé mais qu’il s’est « renforcé », suite à la mobilité opérée il y a sept ans. Cette dernière explique ceci par le fait qu’elle est toujours mue par les mêmes valeurs de service public. Les témoignages traduisant le fait que les participants considèrent que le sens trouvé dans le travail s’est modifié depuis le premier interview, concernent la majorité des sujets de l’échantillon.

Le sens trouvé au travail peut se modifier

28Six des personnes interviewées en 2020, considèrent que le sens qu’elles trouvent au travail a évolué durant les sept dernières années, cette évolution s’avérant parfois positive. Ayant opéré cinq mobilités depuis le premier entretien, une participante explique ceci par le fait qu’elle s’est spécialisée dans un domaine professionnel dans lequel elle s’investit. Selon un autre participant, le sens de son travail a évolué du point de vue de ses missions dans la mesure où, en plus du management, il a pris en charge des aspects techniques et de maintenance, ce qui empêche la routine et lui permet de se renouveler dans son travail.

29Depuis le premier entretien, une participante a vécu une autre mobilité pour devenir secrétaire pédagogique. Le sens qu’elle trouve dans son travail a évolué, avec une variété de tâches à déployer ainsi que le sentiment de se sentir utile auprès des étudiants avec lesquels elle cherche à entretenir une relation de proximité.

30D’autres rapportent une évolution négative du sens du travail tendant vers un sentiment de perte. Cela peut venir du rapport entretenu avec l’environnement professionnel et des moyens qui sont alloués, ou bien de l’accès à l’information nécessaire pour atteindre les objectifs fixés pour les missions. Dans certains cas, il y a eu perte de sens du travail depuis le premier entretien, suite à laquelle l’agent a quitté son emploi, parfois même la structure, lui permettant ainsi de reconstruire du sens différemment. Ainsi ce qui ressort du deuxième entretien d’une participante, réside dans le fait qu’elle a retrouvé du sens dans sa nouvelle organisation en assurant des missions d’intérim en interne.

31En effet, plusieurs interviewés évoquent une évolution fluctuante du sens trouvé dans le travail depuis le premier entretien, pouvant notamment se traduire par des hauts et des bas. Le sens au travail peut ainsi évoluer suite à un changement de direction ou de management. Indépendamment du fait que l’individu peut apprécier le domaine professionnel dans lequel il exerce, la question du manque ressenti de soutien par la direction et le sentiment de solitude qui peut en découler associés dans certains cas à un sentiment de non-reconnaissance de son travail, ou dans d’autres cas à un temps de trajet considéré comme pénible par la personne, peut conduire à des intentions de mobilités. Une personne en témoigne en ces termes : « Si j’ai envie de refaire une mobilité maintenant, c’est plus parce que je me sens seule dans mon travail. Parfois, j’ai eu l’impression de ne pas exister »

2.3.4. Facteurs dans l’évolution du sens trouvé au travail

Rôle de l’expérience acquise lors des mobilités et des activités précédentes

32Il apparaît tout d’abord dans les entretiens que l’expérience acquise lors des mobilités précédentes alimente le sens de la dernière mobilité. Ainsi, pour un participant, le fait d’avoir vécu de manière positive ses mobilités antérieures a eu une influence sur son sentiment d’efficacité personnelle et a rendu possible l’émergence d’autres mobilités professionnelles. Il considère que les mobilités antérieures ont nourri le sens qu’il trouve dans son travail actuel. Par ailleurs, le fait d’avoir expérimenté certaines activités professionnelles peut donner l’envie à la personne de saisir l’opportunité d’une mobilité lorsque celle-ci se présente, et ainsi nourrir le sens trouvé dans la situation professionnelle actuelle. La nature même des activités précédentes peut aussi aider à mieux appréhender l’activité professionnelle présente, avec des répercussions sur le sens trouvé dans le poste actuel.

Conclusion

33En dépit de l’érosion de l’échantillon entre la première et la seconde phase de l’étude, ce qui est fréquent dans le cadre de recueil répété dans le temps (Régnier-Loilier, 2009), l’analyse des entretiens a mis en lumière le caractère évolutif du sens et l’influence de multiples facteurs aussi bien en ce qui concerne celui donné aux mobilités professionnelles que le sens donné au travail, et de leurs liens. Les propos recueillis montrent avant tout une grande variabilité dans la manière de construire du sens suite à une mobilité et dans son travail actuel, en fonction notamment des situations tant personnelles que professionnelles de chacun. Quoiqu’il en soit, le constat de l’évolutivité du sens à l’occasion des mobilités professionnelles suggère combien il s’avère nécessaire pour les entreprises et organisations, d’accompagner les personnes de manière individualisée à l’occasion de ces périodes charnières afin de favoriser le sens qu’ils y trouvent. Enfin, sur le plan méthodologique, cette étude illustre à travers les entretiens semi-directifs à sept ans d’intervalle, combien les matériaux qualitatifs peuvent contribuer dans le cadre d’études longitudinales à saisir la temporalité et à mieux comprendre le sens des parcours des individus. Le sens émerge non seulement à partir de l’évocation d’événements mais aussi de leur mise en lien. Si l’analyse de ces matériaux biographiques et celle du sens peuvent s’avérer complexes parce qu’ils reposent sur une reconstruction subjective, elles nous enjoignent à prendre certaines précautions, et notamment celle de ne pas en restreindre l’analyse à des procédés analytiques simplificateurs.