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Sélections, du système éducatif au marché du travail

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Marianne Blanchard
, 
Gérard Boudesseul
, 
Thomas Couppié
, 
et al.

Session 17 – Accompagner et/ou orienter les parcours scolaires

Choisir ou subir son orientation en fin de classe de troisième : les conséquences sur la performance des élèves de seconde professionnelle

Sabrina Foka et Patrick Werquin

Texte intégral

1L’image positive de la voie professionnelle de l’immédiate après-guerre n’est plus. L’orientation vers le lycée professionnel est aujourd’hui considérée comme la « voie de l’échec » pour les élèves et leur famille. Si la proposition d’une orientation en classe de seconde générale et technologique n’est pas faite à un élève en raison de résultats scolaires insuffisants, alors une orientation vers la classe de seconde professionnelle peut être subie, et vécue comme un échec par l’élève. En effet, la plupart du temps, une orientation vers la filière professionnelle ne correspond pas à l’élaboration d’un choix et ne résulte pas de la construction d’un projet professionnel.

2Cette contribution cherche à évaluer l’influence des conditions de l’orientation en classe de troisième sur la performance des élèves de classe de seconde professionnelle (mesurée ici par les notes et le sentiment de bien-être). Elle s’appuie sur une enquête menée à dessein auprès d’élèves de classe de seconde professionnelle (spécialités tertiaires et industrielles) dans trois lycées de l’académie de Créteil, d’avril à mai 2017, dans le cadre d’un travail de mémoire à l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (Inetop - Conservatoire national des arts et métiers). Notre écrit cherche notamment à mettre en évidence les différences de performances selon que l’élève est lui-même individuellement à l’origine de ses vœux en fin de classe de troisième ou non.

1. Évolution de la voie professionnelle depuis un siècle

3C’est dans un contexte de prospérité économique industrielle, où la demande d’ouvrier.ères qualifié.es se fait pressante, que les premiers centres de formation professionnelle sont créés en 1939 (Brugier & Troger, 2000). À cette période, l’attractivité de la voie professionnelle découle du fait qu’elle permet un accès rapide à l’emploi, qu’elle offre un nombre réduit de spécialités, et qu’elle impose une sélection à l’entrée pour intégrer la formation, qui sont des gages de qualité. La voie professionnelle offre la possibilité d’une ascension socioprofessionnelle aux enfants issus de milieux populaires en leur permettant d’obtenir un certificat d’aptitude professionnelle (CAP ; Schwartz,1998, cité par Cayouette, 2014). À partir des années soixante-dix, la suppression de la sélection à l’entrée (politique de massification scolaire) et l’augmentation du nombre de spécialités (notamment dans le tertiaire) entrainent un processus de dévalorisation de la voie professionnelle (Troger et al., 2016). Depuis ce moment, le lycée professionnel est passé de l’école des ouvrier.ères à celle des employé.es (Jellab, 2017).

4Le lycée professionnel est, depuis 1985, l’établissement scolaire permettant une spécialisation professionnelle. Il prépare les élèves sortant de la classe de troisième au CAP (niveau V, ou 3 dans le nouveau cadre national des certifications) ou le baccalauréat professionnel (niveau IV/4). Durant leur formation, les élèves développent des compétences dans une spécialité parmi la centaine proposée. Suite à la réforme de la voie professionnelle de 2008, le nombre d’années d’études pour obtenir un baccalauréat professionnel est ramené de quatre à trois comme pour un baccalauréat général et technologique. Cette harmonisation a une double visée. Elle permet l’augmentation du nombre de lycéen.nes pour atteindre les 80 % attendus de bachelier.ères par tranche d’âge (objectif de la politique Chevènement, 1985), et une égalisation des parcours des lycéen.nes avec l’objectif de valoriser la voie professionnelle (Bernard et al., 2013 ; Jellab, 2008 et 2016). Il existe une injonction de réussite en voie professionnelle liée aux différentes réformes mises en place par l’institution (Cayouette-Remblière, 2016). L’obtention du baccalauréat pour 80 % des lycéen.nes professionnel.les en 2018 (Depp, 2019) témoigne de cette réussite. Cependant, depuis trente ans, le lycée professionnel a connu beaucoup de changements ; il est devenu aujourd’hui un « observatoire des contradictions du système scolaire » (Jellab ,2008).

  • 1 Taux de réussite de 59 % parmi les 14 % qui ont réussi à intégrer la deuxième année soit 26 points (...)

5En effet, la stratégie du continuum « bac – 3 / bac + 3 » (politique d’accompagnement systématique des élèves de bac-3 à bac+3) permet d’assurer la sécurisation des parcours et sous-tend ainsi la poursuite d’études après le baccalauréat pour une meilleure insertion professionnelle. Afin de faciliter de tels parcours, plutôt longs, des dispositifs sont mis en place notamment pour les bachelier.ières professionnel.les : lorsqu’il existe un brevet technicien supérieur (BTS) en lien avec un baccalauréat professionnel, celui-ci est alors la voie privilégiée pour intégrer l’enseignement supérieur. Le gouvernement a ainsi institué un quota de 30 % de places pour les lycéen.nes professionnel.les afin de leur garantir un accès à ces formations sélectives. Cependant le mauvais taux de réussite au BTS des bachelier.ières professionnel.les (59 %, Depp 2020)1 laisse à penser que ce quota est trop important et qu’il ne devrait pas dépasser 20 % (Maillard, 2013).

6L’accès à l’enseignement supérieur est délicat pour les élèves de la voie professionnelle. Pour Troger (2008), la formation suivie en lycée professionnel n’est pas compatible avec les attentes en BTS, notamment dans le secteur tertiaire où les élèves de la voie professionnelle sont en concurrence avec ceux des voies générale et technologique qui correspondent plus au profil attendu. De plus, la vocation première du baccalauréat professionnel est l’insertion professionnelle (Pitte, 2008) ; or les résultats ne sont pas non plus satisfaisants de ce point de vue. Pour les diplômé.es qui optent directement pour la vie active, le taux d’emploi est de 51 % sept mois après l’obtention du baccalauréat professionnel, et seulement 37 % d’entre eux sont en emploi à durée indéterminée. Bien que ce taux augmente depuis 2015 (+10 points), les entreprises embauchent prioritairement les jeunes ayant un niveau BTS (67,3 %), surtout dans le secteur tertiaire (Depp, 2020).

7Face à ces constats, en 2018, le gouvernement élabore une nouvelle réforme pour améliorer l’image de la voie professionnelle, et en faire une « voie vers l’excellence ». L’accompagnement des élèves et l’individualisation des parcours sont les leviers privilégiés pour garantir la réussite de la réforme. Cependant, la spécificité du public rencontré en lycée professionnel complexifie ces prises en charge, comme nous allons le voir ci-dessous.

2. Entre bas niveau scolaire et origine sociale défavorisée : les caractéristiques des élèves de lycée professionnel

8Tous les élèves évoluent depuis l’école primaire dans un cadre homogène. Quelle que soit leur origine sociale, les élèves sont ainsi scolarisés dans leur établissement de secteur. Malgré les mesures mises en place par la réforme Blanquer (2017), comme le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones à éducation prioritaire, la France reste un pays marqué par des fortes inégalités des chances (OCDE, 2019). La distinction entre les élèves se majore au fur et mesure de la progression dans le système scolaire, la différenciation officielle ayant lieu à la fin de la classe de troisième, quand certains élèves sont sélectionné.es pour intégrer le lycée général et technologique. Pour les autres, soit ils choisissent d’eux-mêmes d’intégrer la voie professionnelle, soit cette orientation leur est imposée.

9Les lycéen.nes professionnel.les représentent presque un tiers des lycéen.nes français.es en 2018 (Depp, 2019). Le lycée professionnel accueille une population hétérogène, notamment constituée d’élèves ayant les caractéristiques suivantes : difficultés d’apprentissage (élèves sortant d’enseignement professionnel adapté), en voie de décrochage ou ayant décroché et niveau scolaire trop faible pour accéder à une demande d’affectation en voie générale et technologique.

10L’origine sociale des élèves est souvent étudiée afin de comprendre la spécificité du lycée professionnel. Des sociologues comme Cayouette (2015 et 2016), ont beaucoup travaillé sur les inégalités de trajectoires scolaires des élèves, notamment ceux issus de familles défavorisées. Ils constatent que ces jeunes composent majoritairement la population des lycées professionnels.

Tableau 1. Population des élèves en lycée, en fonction de la CSP des parents ()

Lycée général et technologique

Lycée
professionnel

Enfants d’ouvrier.ières

19.3

34.9

Enfants d’employé.es

16.7

18.9

Enfants d’inactif ives

5.9

16.6

Source : Depp, Repères et références statistiques, 2019.

11Le constat, mis en avant par Bourdieu dès 1970, selon lequel un enfant provenant d’un milieu défavorisé ou dont la famille est éloignée culturellement de l’école, n’a pas les mêmes chances d’accéder à l’enseignement général, reste toujours d’actualité (Rochex, 2013 ; Guyon & Huillery, 2014 ; Vrignaud, 2016 ; Cnesco, 2016). Le manque d’information et la pression parfois exercée par le personnel éducatif contraint certains élèves à être orienté.es vers la voie professionnelle (Depp, 2019). Il s’agit majoritairement de garçons issus de milieu social défavorisé qui auraient pourtant eu les compétences pour accéder à la classe de seconde générale et technologique. Les établissements proposent plus facilement l’orientation vers cette voie à des familles de milieux défavorisés, et/ou acceptent plus facilement de telles demandes (Duru-Bellat, 2012). « L’orientation, comme tout processus de sélection, se place en aval des inégalités scolaires qui elles-mêmes résultent en grande partie des inégalités socioculturelles » (INRP, 2008).

12Les spécificités des élèves scolarisés dans ces établissements font du lycée professionnel une institution en mal de réussite. Cependant ce propos n’est pas partagé par l’ensemble des chercheurs qui s’intéressent au sujet.

3. Évaluer la performance du lycée professionnel : des regards divergents

13La littérature qui aborde le thème du lycée professionnel est principalement sociologique. Elle se développe dans les domaines de la psychologie, de la psychologie de l’orientation et de la pédagogie. Les études menées auprès des lycées professionnels n’apparaissent pas univoques. Certaines mettent en avant des résultats élogieux, d’autres relèvent les difficultés intrinsèques du lycée professionnel. Bien que ces recherches ne s’opposent pas, elles traitent de paradigmes différents, renvoyant une image positive ou négative du lycée professionnel. Pour certains, il est le lieu de reprise de confiance en soi et d’épanouissement pour ses élèves qui se trouvent enfin dans une situation de réussite (Jellab, 2011 ; Beaud, 2002). Pour d’autres, les chiffres montrent également que c’est une institution qui est le lieu de violences scolaires et d’un taux important de décrochage scolaire (Depp, 2014). Les enseignants consacrent trop de temps à l’apprentissage du savoir-être au détriment du transfert de compétences techniques. Ces recherches antinomiques permettent néanmoins de poser la question de l’évaluation de la performance du lycée professionnel et des conséquences des résultats de ces évaluations sur l’image de l’institution. Aujourd’hui, lorsqu’on s’intéresse à la voie professionnelle et notamment au lycée professionnel, il apparait difficile d’en dessiner une image claire et révélatrice de la réalité. Les recherches sont contrastées et les affirmations du gouvernement peuvent sembler en décalage avec les discours émanant du terrain. Ces données font du lycée professionnel un sujet d’étude d’autant plus intéressant. Il reste aujourd’hui une institution à part et la façon dont les élèves y sont affectés est mal interprétée.

4. L’orientation en fin de classe de troisième : un choix prématuré

14La première expérience de l’orientation scolaire pour les élèves français se déroule en classe de troisième. Les élèves peuvent alors se diriger vers une seconde générale et technologique ou une seconde professionnelle. Selon Palheta (2016), c’est le moment où « l’histoire scolaire s’accélère ». Les jeunes doivent choisir pour la première fois entre deux voies de formation qui ne sont pas identiques en termes de pédagogie ni en termes de représentation sociale. Pour la plupart d’entre eux et elles, le lycée professionnel est la voie de la relégation (Dubet, 1991). Elle se place en dernière position dans la hiérarchisation des vœux des collégiens, la voie générale étant la voie « normale » (Maillard, 2013). Le lycée professionnel devient trop souvent un lieu d’enseignement non choisi, et génère ainsi de la frustration (Molier, 2017).

15Pour les acteurs du système éducatif, la procédure d’orientation en fin de classe de troisième est la formulation de vœux pour un lycée par les élèves et leur famille. Pourtant, de manière implicite et non conventionnelle, ce pallier d’orientation apparait comme une sélection des élèves de bon niveau académique qui peuvent intégrer le lycée général et technologique. Pour les élèves ayant des résultats trop faibles, la négociation lors du choix d’orientation prend alors la forme d’un jeu de dupes (Cayouette, 2016). En effet, c’est dans un intervalle de temps très court que certain.es élèves doivent construire un projet professionnel. Son élaboration est compromise faute de temps (Dagot & Dassié, 2014). Pourtant, à la lecture des réformes et des politiques éducatives, les acteurs du système éducatif estiment que cet objectif est réalisable. La Loi d’orientation du 10 juillet 1989 met en avant la place du projet dans la scolarité des élèves. En 2013, le dispositif Parcours Avenir permet « à lélève dacquérir les compétences et connaissances suffisantes pour se projeter dans lavenir et faire des choix dorientation éclairés » (MEN, 2013). Or, sur le terrain, les collèges peinent à mettre en place ce dispositif, même si des actions isolées peuvent être relevées. Cependant, le manque de données chiffrées ne permet pas d’avoir une vision précise de ces initiatives. Le volet orientation intégré à Parcours Avenir est encore moins investi. Dans la continuité de ces politiques, le ministère de l’Éducation nationale met au cœur de sa dernière réforme (2018), l’accompagnement à l’orientation avec des heures planifiées à l’emploi du temps des élèves. Cela représente 12 heures en classe de quatrième et jusqu’à 54 heures en lycée général et technologique. L’importance de l’accompagnement en lycée professionnel est prise en compte avec un nombre d’heures plus important (265 heures sur les trois années de lycée).

16Il est aujourd’hui trop tôt pour faire un bilan des bénéfices de ces heures d’accompagnement. Cependant la réforme modifie la répartition des heures d’enseignement (professionnel et général), diminue les subventions allouées au lycée professionnel et modifie la validation des acquis des lycéens. Ces mesures ont une influence directe sur la possibilité qu’ont les établissements de consacrer du temps pour l’accompagnement à l’orientation.

4.1. Schéma institutionnel de l’orientation en classe de troisième

17L’orientation au collège est une mission partagée entre le.la professeur. e principal. e, le.la psychologue de l’Éducation nationale et les familles. Dès la classe de quatrième, les élèves en difficultés scolaires sont « repéré.es » et une proposition d’orientation vers une classe de troisième prépa-métier peut être envisagée. Cette orientation précoce permet à ces élèves d’intégrer une classe où leur projet professionnel post-troisième est élaboré. Ils ont la possibilité de réaliser des mini-stages dans des lycées professionnels et/ou en entreprise afin de s’informer et d’observer des situations de travail qui pourraient faciliter leur choix professionnel. Les bénéfices de cette classe sont discutables. D’un côté, les élèves réalisent plus fréquemment leurs mini-stages dans le lycée professionnel où ils sont affectés, minimisant ainsi l’ouverture du champ des possibles. De plus, la recherche de stage étant complexe pour des jeunes de 14 ans, ils sont le plus souvent obtenus grâce à leur réseau, indépendamment de leur intérêt intrinsèque et/ou d’un projet personnel naissant. D’un autre côté, à l’issue de cette année de troisième prépa-métier, les élèves capitalisent un bonus de points dans les vœux formulés, leur permettant ainsi d’accéder plus facilement à la filière désirée. Ce dispositif a pour vocation d’accompagner les élèves dans leur orientation. Il permet en outre aux jeunes de prendre du recul sur leur scolarité et d’être en situation de réussite. Cette « filière », malgré ses écueils, permet notamment de commencer à sensibiliser les jeunes aux avantages d’une affectation en lycée professionnel.

18C’est en classe de troisième que le travail d’orientation s’effectue tout au long de l’année avec l’aide du ou de la psychologue de l’Éducation nationale et du ou de la professeur.e principal.e. Au cours du deuxième trimestre, ou à la fin du premier semestre, une fiche navette est fournie aux parents pour qu’ils puissent formuler leur intention d’orientation post-troisième. En mars, les intentions de la famille sont formalisées officiellement. Le conseil de classe donne alors un avis, favorable ou non, aux différents vœux. Dans le cas où le conseil de classe ne donne pas un avis favorable pour la classe de seconde générale et technologique, il faut alors travailler le projet d’orientation en voie professionnelle. Les élèves concernés ne disposent que de quelques semaines pour construire un projet viable qui engage les trois années en lycée professionnel. Cette absence de temps porte préjudice aux jeunes en limitant la maturation nécessaire à l’élaboration d’un projet abouti, et peut ainsi augmenter les demandes de réorientation et de décrochage scolaire au lycée professionnel. C’est au cours du conseil de classe du troisième trimestre ou du deuxième semestre que la décision définitive est prise par le collège. Dans certains cas, les élèves et leur famille, dont la temporalité n’est pas la même que celle de l’institution, n’avaient jusque-là pas envisagé d’autre possibilité d’orientation que la voie générale et technologique. On constate que le temps institutionnel est fixe alors que celui de la famille et de l’élève est plus mouvant (Lannegrand-Willems, Cohen-Scali & Guichard, 2008).

  • 2 « La capacité à anticiper son propre avenir en utilisant de manière logique et cohérente l’informat (...)

19Ce choix d’orientation peut sembler prématuré au vu de l’âge des élèves de classe de troisième, à qui l’on demande alors de faire preuve d’autonomie et de clairvoyance quant à leur futur, leurs envies et leur potentiel. Ce choix peut, en outre, être vécu comme irrévocable. À l’âge de quatorze ans, les élèves n’ont pas la maturité vocationnelle2 suffisante pour faire ce choix. Pour elles et eux, s’orienter, c’est choisir une identité, choix générateur d’une forte angoisse à un âge synonyme de fragilité identitaire. Cela peut aller jusqu’à l’inhibition de leur pensée et l’incapacité de construire un projet pour leur futur proche.

4.2. Processus de construction d’un projet

20Un projet d’orientation est plus complexe que la simple formulation d’un choix. En effet, il nécessite une analyse de la situation de choix, alors que celui-ci peut être fait de manière impulsive (Pemartin, 1988). Pour le construire, il est nécessaire de prendre en compte ce qu’il est possible de faire mais aussi ce qui est concrètement réalisable. Dans une certaine mesure, il s’agit d’harmoniser le principe de réalité et le projet idéal. Cela nécessite d’élaborer un plan d’action afin de mettre en place des buts et des objectifs. Afin de mieux comprendre et accompagner les adolescents, des théories issues de la psychologie de l’orientation ont été développées. Elles concernent la construction d’un projet et abordent entre autres, la notion du temps, l’image de soi, la construction psychique et les représentations des métiers. L’histoire familiale, l’appartenance sociale et la déscolarisation jouent également un rôle majeur dans les projets (Capdevielle-Mougnibas et Courtinat-Camps, 2019).

21Élaborer un projet professionnel demande à l’élève de se projeter dans le futur et de donner un sens à sa vie (Jellab, 2015). Pour cela, comme le souligne Guichard (2006), la temporalité est un élément important. Les différents protagonistes soutenant l’élaboration du projet professionnel de l’élève (essentiellement la famille et l’école) doivent « stimuler l’activité réflexive » afin d’en construire les contours, d’autant plus pour celles et ceux qui s’orientent vers la voie professionnelle. Le temps dédié à cette construction permet aux adolescent.es de réaliser des découvertes et expériences professionnelles grâce auxquelles ils apprennent à mieux se connaitre et à prendre en compte les contraintes extérieures. Ainsi ils. elles peuvent stabiliser leurs préférences et optimiser leur orientation. Cependant, selon Page (2005), ce processus est influencé par le contexte social et le sexe. Selon lui, les jeunes de milieu défavorisé ne vont que peu explorer les filières prestigieuses par peur de l’échec et par manque de retours d’expériences de leur entourage.

22La construction d’un projet engage l’image de Soi de l’adolescent et réactive des conflits psychiques antérieurs pouvant générer de l’angoisse (Lannegrand-Willems, Cohen-Scali & Guichard, 2008). Le concept d’Idéal du Moi est actif pendant l’émergence d’un projet. Plus le sujet va se connaitre et savoir se définir dans un avenir, plus il va être en capacité de s’approprier les caractéristiques d’un métier. Afin de se projeter dans une profession, les adolescent.es vont plus facilement choisir un métier qui leur sera accessible, leur permettant ainsi de se construire une image positive et ne pas subir d’échec. Par exemple, l’adolescent.e peut idéaliser un métier ou une filière et ne plus en voir que les côtés positifs. Mais, confronté.e à la réalité, il.elle pourra ressentir une forme de désillusion. À l’inverse, il. elle peut rejeter certains métiers à cause de la représentation négative qu’il.elle s’en fait. La construction d’un projet professionnel nécessite une assise narcissique suffisamment forte pour permettre la rencontre avec l’autre et pouvoir s’envisager dans un futur. « Le projet vient signifier la qualité des assises narcissiques dont le Moi est l’objet » (Ouvry, 2012). Afin de construire celui-ci, il faut une alliance entre le Moi du sujet et sa structure narcissique, qui se développe dès le plus jeune âge. Selon Ouvry (2012), le projet existe au fond de chaque individu. Il faut le rendre conscient s’il n’est pas exprimé explicitement. C’est d’autant plus difficile pour les élèves de classe de troisième, entre autres car ils. elles peuvent être en difficulté dans l’élaboration de leur pensée.

23Le modèle de trajectoire décrit par Dumora (cité dans Guichard & Huteau, 2006) illustre les différents parcours d’orientation des élèves qui sont orienté.es en classe de seconde professionnelle :

  • la trajectoire vocationnelle lisse correspond à l’élaboration d’un projet professionnel en désaccord avec les résultats scolaires. Celui-ci est envisagé grâce à une pensée magique. Par exemple, des élèves qui désirent faire des études de médecine alors qu’ils.elles sont orienté.es en lycée professionnel faute de bons résultats. Ce type de trajectoire rend plus difficile l’acceptation d’une orientation en voie professionnelle. L’écart qui existe entre les deux parcours peut rendre difficile l’adaptation en classe de seconde professionnelle ;

  • la trajectoire vocationnelle de rupture est caractérisée par des réorientations successives. Certain.es élèves, au regard de leurs résultats de troisième, vont rationnaliser et se rendre compte que leur projet de départ n’est plus possible ; ils vont alors rechercher de nouveaux intérêts afin d’éviter toute désillusion supplémentaire. Ils.elles construisent un projet de moins en moins valorisé. Par exemple, ils.elles passent de l’envie de faire une seconde générale et technologique à celle d’une seconde professionnelle dans une filière sélective, puis choisissent finalement une filière sans prestige.

4.3. Subir ou choisir son orientation

24« L’orientation subie serait celle pour laquelle avant tout, la demande formulée est refusée fortement contrainte ou quand une autre décision est imposée (affectation forcée) » (Céreq, 2008). L’orientation en voie professionnelle serait subie pour un tiers des élèves en France (Palheta, 2012). Malgré la volonté des acteurs politiques de valoriser la voie professionnelle, celle-ci souffre toujours d’une mauvaise image entrainant des orientations vécues comme une sanction pour les élèves n’ayant pas des notes suffisantes pour intégrer un lycée général et technologique.

25Face à la décision du conseil de classe d’une orientation en voie professionnelle, les deux tiers des élèves orienté.es en classe de seconde professionnelle entrent dans un processus de rationalisation leur permettant d’intégrer le discours de l’adulte sur leur future filière. Le parcours scolaire envisagé devient alors satisfaisant et ils vivent ce choix comme étant personnel (Jellab, 2015). L’autre tiers pense ne pas avoir été suffisamment informé et trouvent que le conseil de classe est injuste (Depp, 2016). Le paradoxe réside dans le fait qu’au niveau national, les chiffres d’affectation sont satisfaisants (l’écart entre les vœux formulés par les élèves et les affectations est faible) et ne reflète pas ou peu les retours des élèves selon lesquels leur orientation serait ou aurait été subie. Le fait que les établissements demandent aux élèves et leur famille de diversifier au maximum les vœux afin d’être sûr qu’il.elle soit affecté.e dans au moins un établissement en fin d’année pourrait justifier cela. Les élèves sont ainsi affecté.es en cohérence avec un de leurs vœux créant alors un sentiment d’insatisfaction chez les élèves lorsqu’ils.elles sont affecté.es dans une filière sans avoir construit un réel projet.

26Les élèves qui disent avoir subi leur orientation en classe de seconde professionnelle peuvent ne pas avoir été identifié.es en classe de troisième. En effet, certains élèves semblent avoir défini leur projet professionnel en troisième. Mais une fois au lycée, elles.ils ne s’épanouissent pas et souhaitent se réorienter. Leur orientation n’est pas subie en fin de troisième mais différents paramètres comme une absence de projection dans le métier, une certaine forme d’auto-censure ou le poids de l’histoire familiale, entraînent le même constat d’échec que pour les élèves qui énonce avoir subi leur orientation en fin de classe de troisième. On peut nommer cette orientation une « fausse choisie ».

27La proximité semble déterminer le choix des spécialités qui se fait généralement par rapport à l’offre de formation proposée par l’académie. Cette absence d’ouverture aux différentes formations existantes est liée à ce besoin de proximité, qui, paradoxalement, peut renforcer le sentiment de subir son orientation. La nécessité de garder une stabilité (amicale, familiale, environnementale) est majorée par l’obligation de choisir un lycée professionnel différent de celui de leur secteur, ce qui limite la capacité à se projeter dans un éloignement géographique.

28Être en difficulté au collège inhibe la recherche d’informations et de projection dans les buts à atteindre (Lacoste, Esparbès-Pistre & Tap, 2005). L’orientation en fin de classe de troisième est le premier pallier d’orientation dans la vie des élèves. Les adolescents découvrent que leur orientation ne dépend pas uniquement de leurs centres d’intérêts et de leur personnalité mais principalement de leurs performances scolaires. Les élèves qui prennent conscience de ce paramètre uniquement au second trimestre de classe de troisième, devront très rapidement construire un projet professionnel. Ce sentiment d’urgence ne permettra pas l’élaboration d’une réflexion sereine qui permettrait pourtant de consolider et s’approprier ce projet.

5. La performance des élèves de lycée professionnel

5.1. Performance scolaire synonyme de résultats scolaires pour les élèves et le personnel éducatif

29Pour les professeur.es, les élèves et leur famille, la performance scolaire est synonyme de notes et de résultats scolaires. Certains auteurs font remarquer que les notes ne sont pas le reflet général du niveau des élèves (Jellab & Duru-Bellat, 2012). Elles ne témoignent pas de leur potentiel et, de surcroît, ne sont pas transposables directement dans le domaine professionnel. De plus, il existe des biais importants modifiant leur valeur, notamment l’influence de l’évaluateur.rice et de l’établissement. Selon Fauconnier (2005) « les notes ne sont ni précises, ni fiables ». En dépit de ce constat, il est utopique de penser pouvoir changer catégoriquement et immédiatement le fonctionnement du système scolaire. Les notes restent un moyen d’évaluer les élèves et de faire une sélection, elle-même accentuée par la massification de l’enseignement supérieure. L’accès aux études après le baccalauréat devient sélectif dans la majorité des formations proposées par Parcoursup et porte, en grande partie, sur les résultats scolaires en classe de première et de terminale. Nombreux.ses sont les élèves de troisième qui ont entendu qu’ils ne pouvaient pas prétendre à la classe de seconde générale et technologique du fait de leur performance scolaire, c’est-à-dire de leurs notes.

30Plusieurs études (OCDE, 2015 ; Cnesco,2017) ont permis à l’Éducation nationale de prendre conscience de l’importance de l’impact de l’environnement scolaire sur les performances. Ce paradigme fut longtemps délaissé par le système scolaire. Aujourd’hui, les concepts de bien-être à l’école, de climat scolaire et de sentiment d’appartenance sont ainsi devenus des enjeux majeurs pour les politiques éducatives.

5.2. Les facteurs pouvant influencer les performances

31L’adaptation à l’environnement scolaire et la motivation des élèves peuvent permettre d’augmenter leur performance. Le modèle développé par Moos (cité par Huteau & Guichard, 2006) relatif à l’influence du contexte sur les performances a été élaboré à partir du paradigme interactionniste. Pour lui, la personne évolue dans un système environnemental composé de l’école, de sa famille, des exigences de l’environnement, du soutien qu’elle peut recevoir et d’un système personnel (lui-même composé de sa personnalité, de ses compétences, de ses préférences et de ses caractéristiques sociodémographiques). Selon lui, l’adaptation de la personne peut être perceptible dans ses performances, son estime de soi et son bien-être, le tout étant modulé par la représentation qu’elle se fait de la situation et de sa capacité d’adaptation à des situations stressantes. Un.e élève qui se sentira moins en difficulté (notamment grâce à sa capacité à s’adapter aux exigences des professeur.es en lycée professionnel et à mettre en place des relations nouvelles avec ces derniers) pourra plus facilement s’acclimater à son nouvel environnement. En revanche, pour les élèves qui perçoivent leur orientation comme subie, l’adaptation sera plus complexe, ce qui a aura des conséquences sur leurs performances scolaires, alors moindres. De plus, les élèves qui intègrent un lycée professionnel trop éloigné de leur cadre de référence (éloignement géographique, nouvelles matières) peuvent être en situation de stress important influençant leurs performances scolaires et peuvent aller jusqu’au décrochage scolaire. Un.e élève sur dix quitte la seconde professionnelle en cours d’année (Depp, 2019). Les attentes adaptatives vis-à-vis d’élèves déjà fragilisés par un parcours scolaire peu valorisant sont importantes, dans un contexte anxiogène (lié à la perte des repères), alors que, paradoxalement, le système scolaire offre plus de temps aux élèves dont les capacités et l’environnement semblent de meilleure qualité (orientation « réelle » en terminale en lycée général et technologique).

32La motivation est également un facteur déterminant de la performance scolaire (Leloup, 2000). Potvin (2014) a mené des recherches dans les lycées professionnels et souligne que la motivation est un catalyseur de la performance scolaire des élèves. Certains auteurs, comme Nicholls (1984), ont développé une théorie selon laquelle l’effort fourni pour la réalisation d’une tâche va avoir un impact positif sur l’investissement scolaire, l’estime de soi et, par conséquent, sur les performances scolaires. Dans un contexte scolaire de lycée professionnel, où les exigences sont moindres, les élèves peuvent, en fournissant un minimum d’efforts, obtenir de meilleurs résultats qu’au collège. Le non-investissement peut alors prendre une valeur positive tant sur les performances que sur l’estime de soi, et ce, de façon quasi instantanée. Cependant, à plus long terme, l’absence d’effort finira par diminuer leurs performances, ce qui risque d’engendrer une spirale négative. Le manque de mixité sociale et le bas niveau scolaire des élèves en lycée professionnel interfèrent également avec les performances scolaires (Potvin, 2015). L’un des leviers institutionnels pour maintenir la motivation des élèves, est la perspective de poursuite d’études après l’obtention d’un baccalauréat professionnel. Le relationnel et l’image de soi jouent également un rôle important dans la motivation des élèves.

33Pour obtenir de meilleures performances, la motivation seule ne suffit pas. L’envie d’apprendre et le fait de se penser de manière positive tiennent une part importante, ce qui est notamment facilité par la relation entre l’élève et les professeur.es. On sait que la sphère affective joue un rôle essentiel chez les adolescents, particulièrement pour les élèves de seconde professionnelle. S’ils.elles apprécient un.e professeur.e alors ils.elles vont apprécier la matière (Jarty & Kergoat, 2019). Cette notion est une clef de la réussite en lycée professionnel, où les professeur.es redonnent du sens aux apprentissages et entretiennent des relations plus « proches » avec les élèves, favorisant ainsi la motivation, une meilleure estime de soi et, ainsi, une amélioration de leurs performances (Potvin,2014).

34L’évaluation des compétences des élèves de lycée professionnel est construite sur le même modèle que celle de la voie générale et technologique (réforme de la voie professionnelle de 2018). Elle propose pour 2022, des épreuves anticipées en classe de première, des épreuves écrites en terminale et la présentation d’un chef d’œuvre. Celui-ci, dans la même mouvance que le grand oral en terminale générale, est une démarche concrète mettant en avant les compétences transversales acquises pendant les trois années de lycée. Le gouvernement souhaite que les lycéen.nes s’en saisissent afin de témoigner de leur motivation et de leur développement personnel. L’objectif sous-jacent est de valoriser la voie professionnelle et de développer chez les élèves des compétences attendues sur le marché du travail. Cependant, au vu des spécificités de la formation en lycée professionnel (plus axée sur le savoir concret), il semble difficile de calquer les exigences sur la voie générale.

35La réforme préconise également la construction progressive du projet des élèves de lycée professionnel. Pour ce faire, des familles de métiers regroupant plusieurs filières ont été développées dès la classe de seconde, puis dans un second temps, la possibilité de choisir des modules en classe de première permet d’envisager la poursuite d’études ou une insertion professionnelle. Ce principe, visant pourtant à valoriser le parcours en lycée professionnel, reste néanmoins basé sur la sélection des résultats scolaires et non pas uniquement sur le choix des élèves.

36Les problématiques de la construction d’un projet, du processus d’orientation en fin de classe de troisième ainsi que la notion de performance scolaire ont fait l’objet de l’étude suivante, menée auprès d’élèves de classe de seconde professionnelle sur l’académie de Créteil en 2016.

6. L’influence des enjeux de l’orientation sur les performances des élèves de classe de seconde professionnelle – Résultats

37Faute de données disponibles dans le champ public un recueil de données a été réalisé au sein de trois lycées professionnels de l’académie de Créteil : le lycée Champs de Claye, 77 (n=139), le lycée Louis Lumière, 77 (n=124) et le lycée Jean Macé, 94 (n=17). L’échantillon est composé de 280 élèves provenant de différents départements de la région parisienne et fréquentant ces trois établissements. Prendre tous les jeunes dans un bassin relativement homogène permet de limiter un grand nombre de biais (Duru-Bellat, 2008). Comme les résultats sont prometteurs, il est prévu d’étendre la collecte de données en diversifiant les caractéristiques des lycées (par exemple établissements ruraux, spectre plus large de spécialités de formation), et en introduisant une composante longitudinale. Pour étayer la réflexion théorique développée au début de cette communication, et tester nos choix de mesure de la performance des élèves – résultats scolaires et le sentiment de bien-être – l’enquête est menée sur des élèves de classe de seconde professionnelle suivant un cursus relevant du secteur industriel (33,2 %) et de celui des services (66,8 %) afin de pouvoir comparer et identifier d’éventuelles différences de résultats (Jellab, 2017 ; Cayouette, 2016 ; Beaud,2002).

  • 3 « L’expérience vicariante ou l’expérience indirecte consiste en un apprentissage qui repose sur le (...)

38Dans les modèles proposés, les performances des élèves – résultats scolaires et sentiment de bien-être – sont expliquées par le secteur de la filière choisie et le fait d’avoir subi ou non son orientation. Le matériel pédagogique dans les filières industrielles est très coûteux et ces filières sont les moins attractives. Or, les résultats montrent que les résultats des élèves du secteur industriel sont plus faibles que ceux obtenus par les élèves du secteur tertiaire tout au long de l’année. Une explication possible est que ces élèves de classe de seconde ont plus de difficultés à s’intégrer et surtout à trouver de l’intérêt dans les nouvelles matières enseignées, bien que le marché du travail semble plus propice à une insertion professionnelle réussie. La question de l’identité professionnelle, de la discrimination au sein du lycée (port du bleu de travail par exemple), et l’environnement professionnel qui est plus méconnu que pour d’autres spécialités, peuvent expliquer cette performance plus basse. Les élèves déclarant en seconde avoir subi leur orientation à la fin de la classe de troisième – un tiers des élèves interrogés, ce qui est similaire à l’étude de Palheta (2012) – obtiennent également de moins bons résultats au premier semestre de la classe de seconde. Toutefois, leurs résultats sont similaires au seconde semestre – ils sont en hausse en moyenne pour tous.tes – à ceux des élèves déclarant avoir choisi leur orientation. Différents facteurs, comme une pédagogie plus adaptée, une rationalisation de l’orientation, la confrontation aux difficultés de changement de filières, le renforcement vicariant3 (Bandura, 1977), peuvent expliquer cette augmentation au second semestre. Ils ont une image plus positive de leurs résultats scolaires pour les matières générales ou professionnelles (leur moyenne générale varie de 6 à 16).

39Pour ce qui concerne la ou les personne.s à l’origine du choix d’orientation à la fin de la classe de troisième, les résultats montrent une double différence par sexe : le sexe de la personne qui fait le choix, et celui de l’élève. Par exemple, peu de père ont décidé seul pour leur fils mais lorsque c’est le cas, les résultats scolaires des jeunes hommes sont plus faibles que ceux du reste de l’échantillon (garçons et filles). On trouve là une validation possible de l’hypothèse de réactualisation des enjeux psychiques du lien père-fils (Houssier, 2007). À l’adolescence les conflits œdipiens sont réactivés. Cette période de vie fait émerger des comportements ambivalents chez les jeunes. Dans la sphère de l’orientation scolaire, le fils dans un premier temps va se remettre entièrement à la décision de son père (choix de la filière pour son orientation post-troisième), il est alors dans un processus identificatoire. Dans un second temps, il ne va pas investir la formation choisie par son père (en classe de seconde professionnelle), il sera en échec et par ricochet mettra en échec son père. Ce processus permet de développer son individualité.

40Une large proportion des élèves interrogés exprime leur sentiment de bien-être et d’intégration dans leur lycée (87,2 %). L’explication principale qu’ils.elles apportent est la bonne qualité de la relation avec les professeur.es, ce qui est confirmé par Jellab (2008) et Jarty et Kergoat (2019). En effet 69 % des élèves interrogés se sentent plus valorisé.es au lycée qu’au collège, et les professeur.es sont dit.es plus à l’écoute lorsqu’ils.elles ne comprennent pas (41,5 %). Plus spécifiquement, le sentiment de bien-être chez les filles est plus influencé par le fait d’avoir l’impression d’avoir subi leur orientation que par des performances plus faibles. En outre, et c’est un résultat essentiel dans le contexte actuel en France, les résultats montrent que pour les élèves interrogés, le décrochage scolaire n’est pas lié au fait d’avoir l’impression d’avoir subi son orientation. Pourtant, dans la rhétorique officielle, le décrochage scolaire en lycée professionnel est assimilé au fait d’avoir subi son orientation, si on en juge par des mesures concrètes comme le droit à l’erreur manifeste d’orientation au lycée (2016), et de ce fait de ressentir un mal-être.

7. La reconnaissance de l’importance de l’orientation pour la réussite des élèves – Analyse

41Les résultats exposés à partir d’une enquête sur un échantillon réduit – mais avec des paramètres estimés tout de même fortement significatifs d’un point de vue statistique – montrent que la mise en œuvre des apprentissages professionnels au sein des lycées professionnels pose encore question aujourd’hui. Les performances attendues ne sont pas atteintes, ni en termes de niveau scolaire ni en termes d’insertion professionnelle. La volonté de mettre au même niveau les lycées professionnels et les lycées généraux et technologiques émane sans doute d’une intention d’harmonisation mais, de nouveau, il n’a pas parité de performance.

42L’organisation des lycées professionnels demeure perfectible. En effet, ils sont composés en majorité de jeunes qui se sentent en difficulté dès l’école primaire, ce sentiment grandit avec les années collège. La construction de l’image de soi s’en trouve dégradée, et le leitmotiv régulièrement entendu est « comme tu n’as pas de bons résultats, tu iras en voie professionnelle ». Il semble difficile de pouvoir valoriser la voie professionnelle quand on a été bercé par ce discours. Le lycée professionnel a été créé afin de former des ouvrier.ères qualifié.es. En effet, il y a quelques années, être ouvrier. ère qualifié. e permettait d’accéder à une classe sociale acceptable. Or, aujourd’hui, les représentations ont évolué. Pour la jeune génération, travailler dans une usine n’est pas valorisant. La nécessité de revaloriser les emplois dit « manuels » pour encourager les élèves à s’orienter vers des filières de la voie professionnelle et y être en situation de réussite, semble fondamentale. De même, parler de la formation tout au long de la vie pourrait leur permettre d’élargir leurs aspirations futures. La hiérarchisation entre les filières, qui entraine un manque de prestige du lycée professionnel, semble limiter aussi la possibilité de projection des jeunes sur les formations professionnelles. Ce projet n’apparaissant pas suffisamment narcissisant pour des jeunes déjà fragilisés.

43Les réformes récentes en France encouragent l’élève à être acteur de son orientation, ce qui reste complexe pour les élèves issus de milieux défavorisés, en échec scolaire et/ou trop peu académiques. Le processus d’orientation en fin de classe de troisième marque un virage dans le parcours scolaire. Dans les textes, il apparait comme un processus ajustable mais dans les faits, il est difficile de revenir dans un cursus dit « général ».

44Les jeunes témoignent que c’est auprès de leur famille qu’ils trouvent l’aide pour formuler leur choix d’orientation : 80 % des élèves interrogés disent qu’ils ont parlé de leur orientation avec leurs parents, et pour 50 % la famille est le principal interlocuteur (Cnesco, 2018). Or les résultats rapportés ici montrent que le fait que la famille soit le principal interlocuteur peut avoir un impact différencié sur la réussite en lycée professionnel : on ne peut pas prendre en compte le rôle des parents. Une préconisation serait de les accompagner à l’orientation en trouvant un moyen efficace de plus les impliquer dans l’orientation de leur.s enfant.s. Le ministère de l’Éducation nationale a déjà mesuré l’importance de la place de la famille au sein de l’école, en créant « la mallette des parents »4, une approche, et site dédié aux parents et aux professionnels de l’éducation, permettant d’avoir des ressources et des conseils pour mieux comprendre le système scolaire. Toutefois cet outil est peu utilisé par les familles. L’orientation demeure inégalitaire, notamment par l’accès à l’information, les croyances construites sur l’image que renvoie la voie professionnelle, l’origine sociale, le lieu d’habitation et le sexe. Aujourd’hui, le système éducatif ne prend pas en compte ces données ; pour exemple, la décision de mettre en place le téléservice pour Affelnet – logiciel permettant l’affectation des élèves – reste discriminante. Les parents doivent saisir les vœux de leur enfant en fin de classe de troisième et les possibilités de formuler des vœux ont doublé (dix choix en 2020) ce qui complexifie encore la démarche. Cela peut sembler paradoxal avec les résultats de l’étude décrite ici qui met en avant la nécessité d’accompagner les parents dans la formulation des vœux de leur enfant.

45Outre le travail avec la famille, la gouvernance de l’orientation serait également à améliorer. Cette fonction est partagée par de nombreux personnels de l’Éducation nationale – professeur.es principaux.ales, psychologues de l’Éducation nationale, principaux, conseiller.ière pédagogique éducatif – mais également au niveau national (État et Régions). Ce morcellement nuit aux familles qui sont le plus éloignées du système scolaire. Cela crée de la confusion, du fait d’une absence de cohérence et d’un langage commun. Le.la psychologue de l’Éducation nationale expert.e du développement des adolescents, de la construction du projet et de la prise en compte du psychisme de l’élève apporte un accompagnement spécifique. Pourtant son rôle est encore aujourd’hui oublié et pas assez intégré à la vie du collège. Cela est dû notamment au fait qu’il.elle n’intervient que très ponctuellement dans le parcours des collégien.nes. Les autres référents de l’orientation apportent des informations et des conseils à partir de leur propre représentation. Ce ne sont pas des spécialistes de la question de l’orientation, et pourtant ce sont eux.elles qui côtoient les élèves au plus près.

46Le fonctionnement du lycée professionnel est complexe. Il mérite que les professionnel.les du monde de l’éducation y consacrent du temps pour mettre en place les réformes qui feront que le lycée professionnel retrouvera sa juste place au sein du système éducatif.

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Notes

1 Taux de réussite de 59 % parmi les 14 % qui ont réussi à intégrer la deuxième année soit 26 points de moins que les élèves sortants de l’enseignement général (Depp, 2020)

2 « La capacité à anticiper son propre avenir en utilisant de manière logique et cohérente l’information dont on dispose sur ses intérêts, ses valeurs et ses compétences ». Super (1955).

3 « L’expérience vicariante ou l’expérience indirecte consiste en un apprentissage qui repose sur le phénomène des comparaisons sociales, c’est-à-dire sur l’observation. Le fait d’observer des pairs vivre sans controverse une situation jugée préalablement conflictuelle peut influencer et renforcer la propre croyance des observateurs en leurs capacités de réussir. Au contraire, l’observation de l’échec d’un pair peut remettre en doute sa propre efficacité » Rondier (2004).

4 https://mallettedesparents.education.gouv.fr/

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