Introduction

1Le plus souvent, les opérations de recrutement sont mesurées par les difficultés et les délais de recrutement, ainsi que par les moyens mobilisés pour recruter : tests, canaux de recrutement... Plus rares sont les enquêtes portant sur les qualités attendues des candidats et les critères de recrutement, car il s’agit d’éléments plus difficilement objectivables. Cette étude porte sur ces aspects plus méconnus que sont les critères de sélection des candidats et les éléments explicatifs du choix du candidat retenu finalement. Après avoir présenté l’enquête Compétences attendues au moment du recrutement (1), on analysera les critères de sélection des candidats tels qu’ils sont déclarés par les employeurs, et les déterminants de ces critères : mode de représentation de l’acquisition des compétences, niveaux de qualification, spécialités professionnelles et taille de l’établissement, compétences attendues (2). Une typologie des métiers selon les critères de sélection des candidats et les représentations de l’acquisition des compétences sera ensuite dressée (3). Enfin, à l’aune de cette typologie, seront analysés les canaux de recrutement, les tests pratiqués et les critères ayant présidé au choix du candidat finalement retenu (4).

1. Les pratiques de recrutement et les compétences attendues : présentation de l’enquête Compétences attendues au moment du recrutement

2Dans les enquêtes quantitatives, les pratiques de recrutement des employeurs sont examinées le plus souvent par le prisme des canaux de recrutement mobilisés et des moyens utilisés pour sélectionner les candidats (CV, pratique de tests… voir par exemple Bergeat & Remy, 2017). Les attentes des employeurs en termes de compétences et plus largement de qualités attendues, ainsi que des critères qui ont présidé au choix du candidat retenu font l’objet de moins d’investigations quantitatives. Les enquêtes OFER fournissent quelques éléments sur ce sujet mais qui restent limités. Des opérations de testing sur les CV ont certes été réalisées mais elles ont comme objet principal les discriminations à l’embauche. Enfin, l’analyse des offres d’emploi (critères demandés lors du dépôt d’une offre à Pôle emploi, analyse textuelle des offres) peut éclairer la question des qualités attendues chez les candidats mais celles-ci ne sont pas forcément mentionnées dans les offres. L’enquête Compétences au moment du recrutement, réalisée par Pôle emploi en 2017, a visé à rassembler des informations conjointes d’une part, sur les canaux de recrutement et moyens de sélection des candidats, et d’autre part sur les qualités attendues et les critères ayant permis de sélectionner le candidat retenu. Cette enquête a porté sur le dernier recrutement effectué par 4 500 établissements ayant recruté au moins une fois entre novembre 2016 et avril 2017 sur des contrats de plus d’un mois.

3Les qualités attendues des candidats telles qu’elles sont mesurées dans l’enquête sont de quatre types :

• les critères de sélection des candidats que sont le diplôme, l’expérience professionnelle dans le même métier, et l’expérience de travail dans un environnement de travail proche ;

• les compétences de base attendues dans les domaines de la littératie, du calcul et de l’arithmétique, de l’informatique et de la bureautique ;

• les compétences comportementales : dix compétences comportementales ont fait l’objet de questions, comme le respect des règles et consignes, la capacité à communiquer et le sens de l’écoute, la capacité à travailler en équipe, la capacité d’adaptation… ;

• une compétence technique spécifique : la connaissance des nouvelles techniques dans le métier et la capacité à s’y adapter.

4Pour chacun de ces items, sont formulées des questions d’opinion, relatives au dernier recrutement opéré. Après avoir demandé la profession sur laquelle a porté le dernier recrutement, sont posées des questions du type « Pour recruter un candidat au métier de… est ce que l’expérience professionnelle dans le métier (ou telle compétence) est indispensable, utile ou superflue ?».

5En complément, des questions sur les canaux de recrutement, la pratique de tests, les difficultés de recrutement et les critères ayant permis de recruter le candidat finalement retenu ont été posées.

2. Les critères de sélection des candidats

2.1. L’expérience professionnelle dans le métier avant tout

6Lors d’un recrutement, les employeurs sont attentifs aux signaux qui, chez les candidats, attestent de leur capacité « à être compétent » dans le poste de travail proposé. Trois de ces signaux ont fait l’objet de questions en référence au dernier recrutement effectué : le diplôme, l’expérience professionnelle dans le même métier, et l’expérience dans un environnement de travail proche (même type d’entreprise, ou même public ou même conditions de travail).

7De manière relativement attendue, l’expérience professionnelle dans le métier à exercer est une qualité fortement recherchée : 37 % la déclarent comme « absolument indispensable » et 52 % la considèrent comme « utile » (Graphique 1). Au-delà du métier, avoir travaillé dans un environnement de travail proche (même type d’entreprise ou de structure, mêmes publics, mêmes conditions de travail…) est également mis en avant par les employeurs : 31 % le juge « indispensable » et 56 % « utile ». L’environnement de travail est en effet au même titre que le métier explicatif de situations de travail comme le travail en équipe, le contact avec le public, des normes de qualité des produits, une gestion des risques professionnels… (Lainé, 2018a). Cet environnement de travail, au même titre que le métier, va contribuer aussi à définir des « mondes de productions » dans lesquels se construisent des conventions relatives à la qualité des produits et des services rendus entre les acteurs (Salais & Storper, 1995).

8Les diplômes détenus par les candidats constituent également une information sur les compétences qu’ils maitrisent. Parmi les recruteurs, 16 % accordent une place primordiale au diplôme (le candidat doit avoir un diplôme spécifique). Un quart des employeurs le considèrent important, le diplôme est important pour le poste à pourvoir, mais plusieurs profils en ternes de niveaux ou de spécialité de formation sont possibles. Enfin, une majorité (57 %) jugent qu’il est secondaire, l’important étant l’expérience ou les qualités comportementales.

Graphique 1. L’expérience professionnelle dans le métier, l’expérience dans un environnement de travail proche et le diplôme

9Les critères de sélection des candidats que sont le diplôme, l’expérience professionnelle dans le même métier et l’expérience dans un environnement de travail proche vont prendre plus ou moins d’importance selon les employeurs. On peut définir trois ensembles de déterminants :

• le mode de la représentation, chez les employeurs, de l’acquisition de la compétence : celle-ci s’obtient-elle, selon l’employeur, principalement par la formation avant l’embauche, par l’expérience professionnelle, par l’exercice au travail ou par la formation en entreprise ? Ce mode de représentation lui-même va dépendre du contenu du travail réalisé (type d’organisation du travail, tâches réalisées), des modes d’apprentissage usuel de la compétence ou encore de la représentation de la compétence par les employeurs ;

• l’espace de qualification et de travail du poste de travail à pouvoir : niveau de qualification, secteur d’activité, spécialité professionnelle, catégorie d’entreprise ;

• les compétences qui sont attendues pour le poste de travail à pourvoir qu’il s’agisse de compétences de base, de compétences techniques ou de compétences comportementales.

2.2. Les critères de sélection des candidats : quelles correspondances avec les modes de la représentation de la compétence ?

10Dans l’enquête, il était demandé d’exprimer son opinion sur les deux modes d’acquisition principale des compétences pour le métier ayant fait l’objet d’un recrutement, parmi les quatre proposés. Il était possible d’indiquer un seul mode d’acquisition, si telle était l’opinion de l’enquêté.

11La place accordée au diplôme est, de façon assez logique, corrélée à la manière de considérer le mode d’acquisition de la compétence. Pour un métier donné, le diplôme est davantage qualifié d’essentiel (le candidat doit avoir un diplôme spécifique), ou important (le diplôme est important mais plusieurs profils en termes de niveaux ou de spécialités de formation sont possibles) lorsque l’employeur considère que la compétence est acquise principalement par la formation (Tableau 1). A contrario, lorsque l’employeur considère que la compétence est acquise sur le tas, dans l’exercice du travail, l’employeur accorde moins d’importance au diplôme.

12L’expérience dans le métier est, de la même manière, davantage exigée quand l’employeur considère que la compétence dans le métier est acquise par l’expérience passée. Mais, ce facteur explicatif neutralisé, l’expérience dans le métier est également davantage demandée quand l’employeur considère aussi que la compétence s’acquiert par les formations suivies avant l’embauche ou encore dans l’exercice du travail. Ainsi, le poids accordé à l’expérience dans le métier comme critère de sélection semble d’autant plus important que l’employeur a une vision large des modalités d’acquisition de la compétence, en formulant plusieurs modalités d’acquisition de celle-ci.

13Enfin, de manière assez logique, l’expérience dans un environnement de travail proche est davantage demandée par l’employeur quand ce dernier considère que la compétence est acquise par les expériences avant l’embauche. Mais ce critère de recrutement est également davantage mentionné quand la formation est citée comme une voie d’acquisition de la compétence.

2.3 Les critères de sélection des candidats : quelles correspondances avec les niveaux de qualification, les spécialités professionnelles et le type d’entreprise ?

14Les exigences des employeurs peuvent varier également avec le niveau de qualification, la spécialité professionnelle et le type d’entreprise recruteuse, non seulement parce que chacun de ces univers implique un contenu du travail spécifique, mais aussi parce que la construction de la qualification par les acteurs économiques, sa certification et la représentation de la compétence, y sont différents.

15Les exigences par rapport au diplôme et à l’expérience professionnelle dans le même métier divergent en premier lieu selon le niveau de qualification1. Les cadres se distinguent des autres groupes socioprofessionnels par des attentes beaucoup plus fortes des employeurs, que ce soit pour l’expérience professionnelle dans le même métier ou pour le diplôme (Tableau 2). Pour les ouvriers qualifiés, le fait le plus marquant est l’expérience professionnelle exigée dans le métier tandis que pour les employés qualifiés le critère prégnant est le diplôme.

16Mais ces attentes varient aussi selon la spécialité professionnelle qui semble jouer un rôle aussi important que le niveau de qualification. Dans les métiers de la santé et de l’action sociale, et dans ceux de l’aide à domicile et de la petite enfance, le diplôme est mis en avant, car il s’agit pour la plupart d’entre eux de métiers réglementés. L’expérience est de même fortement demandée, il en est de même de la capacité à avoir travaillé dans un environnement de travail similaire. Ces métiers demandent en effet des compétences techniques pointues et des compétences comportementales comme la capacité à gérer le stress, la capacité à communiquer et le sens de l’écoute et, pour la plupart d’entre eux, la capacité à travailler en équipe (sur ce sujet voir également Chamkhi, Lainé & Prokovas, 2020).

17Dans les métiers industriels, les exigences en termes de diplôme sont également assez importantes, il en est de même de l’expérience dans le métier et de l’environnement de travail. Pour les métiers du bâtiment et travaux publics, le diplôme est moins demandé (ces résultats font écho à ceux d’une précédente enquête, plus limitée, sur les qualités attendues, voir Lainé 2018b) ; en revanche l’expérience dans le même métier ou dans un environnement de travail proche sont mentionnées. Enfin, dans les métiers du commerce, les exigences sont relativement limitées, sans doute parce que les recruteurs considèrent que les compétences nécessaires ne relèvent pas d’un diplôme ou d’une expérience professionnelle déterminée mais d’aptitudes individuelles comme les compétences relationnelles.

18Enfin, dans les établissements de 50 et 99 salariés ou, plus encore, d’au moins 100 salariés, les attentes sont plus fortes. Cela peut correspondre à une vision de la compétence et de la qualification plus structurée dans les grands établissements (présence de service RH plus fréquente, existence de grille de classification des emplois) ou encore à une attractivité plus importante des grands établissements sur le marché du travail qui les incite à être plus exigeants. Il se peut également que les recruteurs aient des parcours professionnels différents dans les petits et grands établissements, de telle sorte que cela influence les critères de recrutement. On sait en effet que les critères de recrutement varient selon les parcours scolaire et professionnelle du recruteur (Hidri, 2009).

2.4. Les critères de sélection des candidats : quelle correspondance avec les compétences recherchées ?

19Juger les compétences au moment du recrutement est par définition un exercice délicat (Marchal, 2015) puisque la compétence est justement le fait de savoir travailler avec efficacité dans un contexte donné. Le recruteur va donc s’appuyer sur des indices qui témoignent de la compétence du candidat, comme le diplôme et l’expérience professionnelle dans le métier.

20Si cette hypothèse est vérifiée, une corrélation doit être observée entre des niveaux d’exigence en compétences et les niveaux d’exigence vis-à-vis du diplôme ou de l’expérience professionnelle. Nous testerons ici le lien avec plusieurs types de compétences : des compétences de base (littératie, calcul, outils informatiques et bureautiques), des compétences techniques et des compétences comportementales. Les analyses sont effectuées en réalisant des régressions logistiques en neutralisant les effets de structure que sont les niveaux de qualification et les spécialités professionnelles2.

21Des attentes fortes sur les compétences de base que sont la capacité à lire et rédiger des documents écrit et la maitrise des outils bureautiques et informatiques induisent des exigences plus fortes vis-à-vis du diplôme. Le diplôme apparait ainsi comme un garant de la maitrise de compétence de base. La numératie (maitrise de l’arithmétique, capacité à faire des calculs...) a un statut spécifique : lorsqu’elle est considérée comme indispensable, cela va de pair avec des exigences plus fortes sur l’expérience professionnelle.

22Lorsque l’employeur insiste sur les compétences techniques (connaitre et s’adapter aux nouvelles techniques dans le métier, ou encore considérer que les compétences techniques sont plus importantes que les compétences comportementales), l’expérience professionnelle est davantage exigée. L’expérience professionnelle apparait bien ainsi comme le garant d’une certaine maitrise technique du métier. Une attente plus importante s’affirme aussi sur le diplôme, même si l’effet est moindre que sur l’expérience professionnelle.

23A contrario, le fait de mettre en valeur essentiellement les compétences comportementales aux dépens des compétences techniques s’accompagne de moindres exigences en matière de diplôme et d’expérience professionnelle.

24Cependant, lorsque certaines compétences comportementales bien précises sont attendues, le diplôme et l’expérience professionnelle peuvent être davantage exigés. Les corrélations les plus marquantes sont celles entre la compétence « capacité d’analyse » et le diplôme, la « capacité d’organisation » et l’expérience dans le métier ou « la persévérance » et l’expérience dans un environnement de travail proche. Ces résultats nous incitent à éviter d’opposer de façon un peu sommaire les compétences dites comportementales et les critères de sélection habituels que sont le diplôme et l’expérience professionnelle. La notion stricte de compétence comportementale peut également être mise en question à la vue de ces résultats : la mobilisation de ces compétences implique en effet une certaine technicité, dans un contexte professionnel donné, de telle sorte que la capacité d’analyse est associée au diplôme et la capacité à s’organiser à l’expérience professionnelle dans un métier.

3. Une typologie des métiers axée sur les critères de sélection des candidats et des modes d’acquisition de la compétence

25Les critères de sélection des candidats varient selon le métier sur lequel porte le recrutement. La construction d’une typologie permet de simplifier la comparaison entre les métiers en les regroupant dans des sous-ensembles les plus homogènes possibles au regard du diplôme, de l’expérience professionnelle et de l’opinion des employeurs sur les modalités d’acquisition des compétences : dans l’exercice du travail, par les formations suivies avant l’embauche (études initiales ou autres), par les expériences passées avant l’embauche). Sur un ensemble de 60 métiers ou groupements de métiers voisins, sept groupes homogènes peuvent être ainsi définis. Une classification hiérarchique ascendante (CAH) avec consolidation est réalisée sur les coordonnées des métiers sur les quatre premiers axes factoriels d’une ACP (cf. Annexe).

Tableau 4. Métiers/groupements de métiers issus de la typologie

26Le groupe 1, forte demande de l’expérience professionnelle : cet ensemble se distingue par le fait que les employeurs mettent en avant l’expérience professionnelle ; elle est un critère de sélection, et est considérée comme le principal mode d’acquisition des compétences. En effet, plus de la moitié des employeurs jugent indispensable l’expérience professionnelle dans le métier comme critère de recrutement contre un peu plus d’un tiers en moyenne (37 %). Dans le même sens, exercer dans un environnement de travail proche est jugé indispensable par près de la moitié des employeurs (47 % contre 31 % en moyenne).

27Parallèlement, la majeure partie des employeurs de ce groupe estiment que l’acquisition des compétences passe par une expérience avant (61 % contre 51 % en moyenne). Cet ensemble a la particularité de regrouper des métiers demandant un savoir-faire à caractère artisanal (9 métiers sur 15 : maçons, charpentiers, couvreurs, plombiers, cuisiniers, etc.). Il regroupe également d’autres métiers à l’image des cadres commerciaux, des professionnels des arts et des spectacles ou des ingénieurs de l’informatique3 (Tableau 4, Graphique 2). Ces métiers s’apparentent tous à des « métiers de marché professionnel » pour lesquels, chez les salariés, les compétences s’acquièrent avant tout par l’expérience et la mobilité entre entreprises.

28Le groupe 2, des métiers moins sélectifs et moins exigeants au moment du recrutement : les employeurs relevant de cet ensemble se caractérisent à la fois, par une moindre exigence du diplôme (71 % jugent superflu le diplôme, contre 57 % en moyenne), et de l’expérience professionnelle (18 % contre 11 % en moyenne). Les employeurs de ce groupe semblent accorder un peu plus d’importance à une acquisition des compétences en exerçant le métier sur le tas (54 %, contre 50 % en moyenne), au détriment de l’expérience et de la formation avant l’embauche (respectivement : 43 % contre 51 % en moyenne, et 19 % contre 26 %). Divers métiers font partie de ce groupe : y sont recensés notamment les métiers liés à l’agriculture (agriculteurs, sylviculteurs, maraîchers, jardiniers, etc.), au bâtiment (ouvriers non qualifiés du gros œuvre et du second œuvre du bâtiment), certains métiers liés au commerce (attachés commerciaux et autres vendeurs), et enfin les métiers d’agents d’entretien de locaux (Tableau 4 et Graphique 2).

29Le groupe 3, forte exigence et de l’expérience et du diplôme : pour ce groupe, l’expérience et le diplôme sont des critères importants aux yeux des employeurs. Ils sont ainsi près de deux tiers (63 %) à juger indispensable ou important le diplôme contre moins de la moitié pour l’ensemble des métiers (43 %). L’expérience dans le même métier est également regardée de près par les employeurs (45 % jugent indispensable une expérience dans le métier contre 37 % en moyenne). Dans le même sens, les employeurs de ce groupe sont plus nombreux à déclarer que les compétences s’acquièrent d’abord via le parcours du candidat avant son embauche à travers les formations suivies (36 %, contre 26 % en moyenne), ou via les expériences passées (59 % contre 51 % en moyenne). Le surcroit de réponses relatif à ces deux modalités d’acquisition des compétences renforce ainsi l’idée du rôle important joué par le diplôme et l’expérience dans le processus de sélection des candidats. En revanche, les employeurs de ce groupe sont moins nombreux à déclarer que la compétence s’acquiert dans l’exercice du travail (43 % contre 50 % en moyenne). Il s’agit le plus souvent de métiers qualifiés demandant non seulement un certain niveau d’exigence professionnelle (ingénieurs, cadres des services administratifs, comptables et financiers), mais aussi de l’expérience et un savoir-faire (conducteurs routiers, bouchers, charcutiers, boulangers), et aussi des responsabilités dans l’exercice de leurs activités au quotidien (assistante maternelle et auxiliaires de petite enfance, éducateurs spécialisés, professionnels de l’animation socioculturelle).

30Le groupe 4, le diplôme est moins plébiscité et l’acquisition des compétences passe d’abord par une expérience avant : pour les employeurs relevant de ce groupe, presque tous les critères de sélection et d’acquisition des compétences sont proches de la moyenne, exception faite du diplôme et de l’expérience avant. En effet, près de deux tiers des employeurs de ce groupe estiment le diplôme superflu pour exercer, soit la proportion la plus élevée tous groupes confondus (57 % en moyenne). Ces derniers, mettent en revanche plus souvent l’accent sur la nécessité de disposer d’expériences professionnelles passées avant l’embauche (56 % contre 51 % en moyenne). Exception faite du groupe 2, cette modalité est la plus majoritaire parmi les employeurs du groupe 4 en matière d’acquisition des compétences (Graphique 2). Outre les ouvriers qualifiés de l’industrie, de la maintenance et de la manutention, d’autres métiers font partie de cet ensemble à l’image des techniciens et agents de maitrise de la maintenance, des employés techniciens transports tourisme, des secrétaires, etc. (Tableau 1).

31Le groupe 5, une acquisition des compétences qui passe d’abord par l’exercice au travail : pour les employeurs relevant de ce groupe, la sélectivité par le biais du diplôme est facultative pour 83 % des enquêtés (57 % en moyenne), l’expérience professionnelle ne semble, non plus, pas constituer un frein à l’embauche pour 29 % d’entre eux (11 % en moyenne). Par ailleurs, les employeurs de ce groupe mettent plus souvent l’accent sur le rôle de l’exercice au travail comme principal levier d’acquisition des compétences. Ils sont ainsi deux employeurs sur trois à avoir déclaré que l’acquisition des compétences passe d’abord par l’exercice au travail contre un employeur sur deux en moyenne (Graphique 2). Quatre métiers font partie de cet ensemble, il s’agit des autres ouvriers non qualifiés de l’industrie, et de la manutention, des conducteurs et livreurs sur courte distance, et des caissiers, employés de libre-service (Tableau 1).

32Le groupe 6, des métiers dont l’accès à l’embauche est principalement régulé par le diplôme : pour cet ensemble, deux critères de recrutement sont nécessaires. D’abord, disposer d’un diplôme pour avoir le droit d’exercer, ce critère de sélection est indispensable pour 84% des employeurs de ce groupe (18% en moyenne). Ensuite, la mise en exergue, par les employeurs, de l’importance des formations (études initiales ou autres) suivies avant l’embauche en matière d’acquisition des compétences. En effet, plus de la moitié des employeurs de ce secteur mettent en avant cette acquisition (57%) contre un quart en moyenne (26%). Tous les métiers de la santé font partie de ce groupe, auxquels s’ajoutent les agents de gardiennage et de sécurité, et les auxiliaires de puériculture (Cf. Tableau 1).

33Le groupe 7, forte demande du diplôme et dans une moindre mesure de la formation : ce groupe à la particularité d’intégrer un seul métier, celui des « autres conducteurs » (conducteurs de transports en commun, conducteurs de voitures particulière). Autre trait distinctif lié à ce groupe, c’est la forte proportion d’employeurs déclarant indispensable le diplôme (65 % contre 18 % en moyenne) ; après le groupe 6, c’est la proportion la plus élevée d’employeur exigeant le diplôme comme condition préalable à l’exercice du travail. Dans le même sens, et à l’image des groupes exigeant un diplôme (groupes 3 et 6), les recruteurs du métier des autres conducteurs insistent plus souvent sur les formations suivies avant à l’embauche (36 % contre 26 % en moyenne) par rapport aux autres modalités d’acquisition des compétences.

Graphique 2. Critères de sélection et d’acquisition par groupes

4. La procédure de recrutement : des opérations visant à sélectionner les qualités recherchées ?

34La procédure de recrutement est une opération complexe dans la mesure où « l’incertitude est propre aux situations de recrutement » (Eymard-Duvernay & Marchal, 1996 ; Marchal, 2005). Il n’existe pas de manière sûre et établie de juger de la compétence d’un candidat, le jugement de l’employeur va reposer alors sur un faisceau d’indices comme le CV, le recours au réseau pour rechercher et sélectionner des candidats, la réalisation de tests, le comportement au moment de l’entretien d’embauche… Pour agir et décider les recruteurs vont s’appuyer aussi sur des conventions de jugement des compétences (Eymard-Duvernay & Marchal, 1996).

35Cette partie vise à analyser dans quelle mesure les opérations réalisées lors de la procédure de recrutement sont le reflet des préférences des recruteurs en termes de compétences et de qualités recherchées, ou dans quelle mesure ces opérations et les choix effectués sont liés à des effets de contexte comme le type d’entreprise dans laquelle se déroule le recrutement.

36La procédure de recrutement sera analysée au travers de trois composantes : le canal de recrutement du candidat, la réalisation éventuelle de tests et enfin les critères qui ont présidé au choix final du candidat.

4.1. Le canal de recrutement

37Le recours aux relations pour recruter est plus important lorsque l’expérience professionnelle est le principal critère de sélection des candidats. Le candidat choisi est par ailleurs plus souvent connu du recruteur. Ce résultat fait écho aux analyses des pratiques de recrutement sur les marchés professionnels : la recherche de personnes très expérimentées conduit à s’appuyer sur les relations et les recommandations des pairs qui font être le garant des compétences professionnelles dans le métiers exercé (De Larquier & Rieucau, 2014 ; De Larquier, 2016). Mobiliser Pôle emploi pour recruter et le recours aux annonces autres que celle déposées à Pôle emploi est plus fréquent dans les métiers pour lequel l’accès au métier présuppose un diplôme précis. Le canal de Pôle emploi et plus largement des annonces se prête en effet à une information standardisée et formalisée comme le diplôme (De Larquier & Rieucau ; De Larquier, 2016). Lorsque la compétence est censée s’apprendre sur le tas, le recrutement s’opère davantage par les candidatures spontanées. Quand la compétence s’acquiert sur le tas, la candidature spontanée peut en effet suffire, elle va témoigner de la motivation des candidats à travailler dans l’entreprise, pour un poste qui ne nécessite pas de compétences ou de diplôme spécifiques selon l’employeur.

Tableau 4. Les canaux de recrutement

4.2. Les tests et les critères qui ont présidé au choix du candidat retenu

38La réalisation de tests au moment du recrutement est plus fréquente dans les établissements de plus de 100 salariés, qui disposent davantage de moyens humains et financiers pour les réaliser (cf. Tableau 5). Des tests sont également davantage effectués quand l’accent est mis sur les compétences comportementales : celles-ci sont par définition difficiles à être certifiées ou garanties par un diplôme ou par l’expérience. Lorsque la connaissance et le respect des règles et consignes sont exigés, les tests sont également plus fréquents.

39Au contraire, les tests sont plus rares dans les métiers moins sélectifs au regard de l’expérience ou du diplôme (classe 2), ou, à l’opposé, pour des professions pour lesquelles les compétences des candidats sont garanties par l’existence de diplôme (classe 6).

40Il était demandé aux employeurs de citer les deux principaux critères ayant présidé au choix du candidat retenu au final. Sept items étaient proposés : expérience professionnelle dans le métier ou un métier proche, variété des expériences professionnelles, diplôme, compétences comportementales, capacité d’adaptation, adhésion aux valeurs de l’entreprise et au contenu du travail, choix par défaut. Parmi les réponses, l’expérience professionnelle et les compétences comportementales sont les plus citées. Le diplôme est peu mentionné : il semble servir surtout à filtrer les candidatures en amont, mais semble peu servir à choisir la personne recrutée au final.

41Quand la compétence est censée s’apprendre sur le tas, les recruteurs citent moins, assez logiquement, l’expérience professionnelle et le diplôme. Les employeurs vont s’appuyer alors davantage sur les compétences comportementales détectées ou sur la capacité d’adaptation supposée du candidat, qui vont garantir que l’apprentissage sur le tas va bien se dérouler.

Graphique 2. Les raisons du choix du candidat retenu

42L’expérience professionnelle dans un poste similaire et la variété des expériences ont servi de critère de sélection finale dans les métiers demandant une forte expérience professionnelle (groupe 1). A contrario, pour les métiers principalement régulés par l’obtention d’un diplôme, ce n’est pas l’expérience mais bien le diplôme qui ressort plus comme critère in fine de choix du candidat retenu (groupes 6 et 7). Il en est de même pour le groupe 3 « forte exigence et de l’expérience et du diplôme ». Quand la compétence est censée s’apprendre sur le tas, les recruteurs citent moins, assez logiquement, l’expérience professionnelle et le diplôme comme éléments déterminants pour choisir le candidat retenu (classes 2 et 5). Il s’appuie davantage alors sur les compétences comportementales et sur la capacité d’adaptation du candidat ou son adhésion aux valeurs de l’entreprise, qui vont être la garantie que l’apprentissage sur le tas se déroule bien.

Tableau 6. Les raisons du choix du candidat retenu : différences selon les groupes de métiers

43Les critères de recrutement modulent aussi le type de contrat sur lequel porte le recrutement. En cas de personne recrutée en CDI, l’expérience professionnelle dans le même métier compte plus et est ainsi davantage mentionnée, inversement les compétences comportementales sont moins citées. Les grands établissements, à la différence des plus petits, indiquent également moins recruter par défaut d’avoir d’autres candidats.

Tableau 7. Influence de la taille de l’établissement et du type de contrat sur les raisons du choix du candidat retenu (modèle logit)

Conclusion

44Au regard des nombreux résultats obtenus, l’enquête « Compétences attendues au moment du recrutement » éclaire les pratiques de recrutement des employeurs tant du point de vue des critères de sélection et de recrutement que des moyens mobilisés pour le recrutement par rapport à ces critères. La spécialité professionnelle joue un rôle aussi important que le niveau de qualification pour comprendre les logiques de recrutement, il en est de même que la structure de l’entreprise ou de l’établissement dans lesquels s’effectue le recrutement. Par rapport aux résultats, il est difficile de trancher sur les éléments les plus déterminants qui vont moduler ces critères de sélection et de recrutement : nature du travail, type de compétences mobilisées, cadre institutionnel dans laquelle va se construire la qualification et la vision de la compétence, fonctionnement des différents marchés du travail. Pour gagner en compréhension, il serait intéressant de comparer la vision des recruteurs sur le recrutement avec des résultats factuels sur les profils des personnes recrutées.