1La théorie de Bourdieu sur la reproduction (Bourdieu & Passeron, 1970) défend que le système scolaire a un rôle actif dans le maintien des inégalités d’origine. D’autres approches insistent sur les choix contraints des individus dans un système social comme Boudon (1973) avec le calcul coût-avantage, Sen (2012) avec les « capabilités » adaptées à l’éducation (Hart, 2013 ; Ménard, 2017) ou Naville (1945) avec les « adaptitudes ». Les thèses de Naville sur l’école ont eu un faible écho mais apportent un éclairage intéressant. Il explique que « les fonctions de triage, de sélection, que remplit le système scolaire [tendent] à maintenir en place les ordres d’inégalité de la société [et] corrigent l’effet stabilisateur de ces ordres en ouvrant la soupape de sûreté d’une orientation et d’un choix qui restent sévèrement contrôlés dans leur ensemble » (1945, p. 302). Par contre, « l’avenir personnel de chaque enfant n’est nullement tracé à l’avance dans toutes ses particularités » (1948, p. 133), ainsi, « le choix [des élèves] apparait en définitive comme un déterminisme de proche en proche, un probabilisme par étapes » (1945, p. 303). Le traitement inégalitaire tient donc davantage au système social qu’au système scolaire (Dubet, 2010) et si ce dernier n’est pas neutre, il permet également une ascension sociale à certains enfants de milieu populaire (Poullaouec, 2010). Les choix des individus dépendent de leurs espérances en termes de certifications. Les enfants de milieu populaire gardent des aspirations fortes seulement lorsqu’ils ont de bons résultats au contraire des enfants de milieux aisés (Duru-Bellat et al., 1993). Les enfants d’immigrés ont des parcours diversifiés (Ichou, 2018) mais subissent des inégalités (Mons, 2016) qui sont en grande partie liées à l’origine sociale. Ils font figure d’exception car ils gardent de fortes aspirations même lorsque leurs résultats faiblissent (Brinbaum, 2019). Si certaines filles ne reproduisent pas les stéréotypes de genre (Kergoat, 2016), une majorité d’entre elles s’autocensurent dans leurs choix de scolarité (Duru-Bellat, 1990) malgré leur réussite (Baudelot & Establet, 2007). Elles réussissent mieux que les garçons et bénéficient davantage de préjugés favorables dans leurs scolarités (Brinbaum, 2019) mais ont moins tendance à investir les segments valorisés au lycée (Gouyon & Guérin, 2006) et dans l’enseignement supérieur.

2L’origine sociale des élèves, leurs résultats, classes et établissements s’imbriquent et conditionnent leur circulation dans le système scolaire (Duru-Bellat & Mingat, 1993). Cette circulation des élèves a des régularités et des parcours-types peuvent être observés (Cayouette-Remblière, 2014). L’objectif de cet article est de prendre un point de vue global par le biais de statistiques nationales de suivi des cohortes pour analyser les carrières des élèves dans les différents segments et d’analyser la circulation des élèves comme des flux scolaires. À cette fin, les techniques novatrices de Matthias Studer (2012) sur l’analyse des données séquentielles seront mobilisées. Les élèves sont marqués scolairement dès l’enseignement primaire et les flux scolaires s’initient (Netter, 2019) avec la confrontation entre monde scolaire et famille (Darmon, 2001) qui s’intensifie à l’entrée au collège (Cousin & Felouzis, 2002). Les carrières divergent selon la taille des établissements (Grisay, 1997) et leurs politiques de répartition des classes (Paty, 1997). En fin de collège, les élèves sont orientés par une procédure désormais automatisée (Hiller & Tercieux, 2014) et une partie d’entre eux est orientée dans des sections spécifiques de l’enseignement professionnel. Les autres sont orientés dans des séries ou des options spécifiques l’année suivante au cours du lycée. Selon leurs résultats et leurs stratégies, les élèves suivront une série valorisée, historiquement la série scientifique (Merle, 1993a), ou des séries plus utilitaires (Convert, 2003). Les investissements des élèves et des enseignants diffèrent selon les séries (Merle, 1993b) et constituent des contextes d’apprentissages qu’on peut distinguer par un « effet série » (Jouvenceau, 2018). En fin de lycée, les élèves passent par un second système automatisé pour intégrer l’enseignement supérieur (Frouillou et al., 2019). Les recrutements des élèves dans l’enseignement supérieur ne sont pas indépendants de l’origine sociale notamment le secteur le plus élitiste des classes préparatoires aux grandes écoles (Darmon, 2012). Cet effet est renforcé par le recrutement en amont du baccalauréat qui concerne l’ensemble des filières avec les procédures automatisées. Les filières sélectives sont plus valorisées par les étudiants que l’Université (Vatin, 2016) à part les spécialités de santé, de sciences ou de droit (Convert, 2010) et dans ces spécialités en particulier, les universités sont également diversement valorisées (Frouillou, 2017). Les préférences dépendent plus spécifiquement d’une combinaison entre origine sociale, série de baccalauréat et résultats (Lemistre & Merlin, 2019).

3Le diplôme garde une place déterminante pour obtenir un emploi (Couppié et al., 2018) et éviter le déclassement (Peugny, 2009). Les étudiants ayant suivi une filière sélective courte s’insèrent plus rapidement mais à des niveaux de qualification moindres (Delès, 2018). L’effet de l’origine sociale à sexe, diplôme et résultats égaux reste marginal (Lopez & Thomas, 2006) alors que la série de baccalauréat et les résultats dans l’enseignement secondaire ont des effets de longue durée sur les carrières scolaires des individus mais également sur leur entrée dans les carrières professionnelles (Calmand & Lemistre, 2019). De même, les compétences en français et en mathématiques peuvent expliquer les différences entre niveau de diplôme et niveau d’emploi (Branche-Seigeot & Giret, 2014). La mobilité sociale est globalement plus forte à chaque génération mais l’accroissement des trajectoires de déclassement brouille la visibilité de ce phénomène (Vallet, 2014, 2017). Par ailleurs, les trajectoires de mobilité ascendante concernent davantage les hommes que les femmes (Remillon & Lelièvre, 2018) et si leurs trajectoires se rapprochent (Couppié & Épiphane, 2019), de fortes inégalités persistent dans le détail (Buisson-Fenet, 2017).

4Cet article cherche à répondre à deux questions. En premier lieu, il s’agit de comprendre comment s’imbriquent l’origine sociale des parents et les caractéristiques scolaires des élèves pour expliquer les destins des élèves et la rentabilité des carrières de réussite. En second lieu, l’objectif est d’illustrer l’entrelacement entre effets de sélection et d’autosélection. Le plan suivra les carrières des individus et les enquêtes de suivi des cohortes de façon chronologique en présentant d’abord les carrières scolaires dans l’enseignement secondaire puis dans l’enseignement supérieur et enfin les entrées dans l’emploi.

1. Enseignements primaire et secondaire : reproduction sociale et autonomisation scolaire

5La variable prépondérante pour éviter le redoublement et obtenir de bons résultats aux évaluations de sixième est logiquement le niveau à l’entrée en école élémentaire. Cette variable est difficile à objectiver car il faudrait distinguer les compétences des enfants en bas-âge du niveau social des parents (Caille & Rosenwald, 2006). Les inégalités sociales influencent fortement les débuts de carrière scolaire avec une évaluation qui débute dès l’école maternelle (Garnier, 2016) tout en restant invisible pour les élèves et leurs parents (Millet & Croizet, 2016). Ce phénomène renforce les inégalités sociales car les parents des classes populaires identifient plus difficilement les attentes didactiques de l’école (Kakpo, 2012). Si la durée de scolarité en maternelle ne permet pas de conclure sur un effet clair (Caille, 2001), il est établi qu’un enseignement intensif (Bissonnette et al., 2005) et l’investissement des professeurs renforcent les acquis des enfants les plus en difficulté. La part d’élèves qui redouble est nettement plus faible depuis une vingtaine d’années (Caille & Rosenwald, 2006) mais son effet est plus discriminant. De même, les inégalités précoces de résultats durant l’école élémentaire ont des conséquences importantes et durables sur les carrières des élèves (Brinbaum, 2019). Le redoublement et les résultats faibles concernent davantage les élèves dont les parents sont employés ou ouvriers et qui n’ont pas de diplômes de l’enseignement supérieur. Le diplôme de la mère conditionne notamment les compétences des enfants à l’entrée (Place & Vincent, 2009) et au cours de l’école car les mères supervisent plus systématiquement les devoirs (Gouyon & Guérin, 2006).

6La première mesure objective des compétences des élèves dans le panel 1995 est l’épreuve nationale de sixième à l’entrée au collège. Le tableau 1 présente la probabilité d’appartenir au quartile avec les meilleurs résultats à l’épreuve de mathématiques. La variable du redoublement en primaire, la seule corrélée au niveau, est celle dont le rapport de chances est le plus fort. Un élève ayant un retard d’un an ou plus en primaire a ainsi 7 fois moins de chances d’appartenir au meilleur quartile à l’évaluation nationale alors que les caractéristiques parentales ont des rapports de chances inférieurs à 2 pour les modalités les plus extrêmes. Les filles ont un léger désavantage en mathématiques alors qu’elles ont un fort avantage en français.

7La seconde mesure est constituée par les résultats aux épreuves du brevet. Une régression, disponible par ailleurs1, montre la continuité avec les résultats de sixième. Les effets des variables de diplôme et de profession parentales sont atténués. Le redoublement en primaire également car induit par la différence de niveau en sixième. Le niveau en mathématiques en sixième est le facteur le plus discriminant mais le niveau en français a un effet relatif qui peut s’interpréter comme un renforcement des espérances lorsque l’élève est globalement en réussite.

8Les carrières des élèves se distinguent par les résultats et les établissements fréquentés au cours de l’école primaire et du collège. Le lycée est le premier échelon de la différenciation officialisée des classes dans le cadre des séries de baccalauréat. Les séries valorisées, notamment de type scientifique, recrutent les élèves avec les meilleurs résultats, surtout en mathématiques et en français (Hlaimi & Salladarré, 2011). Les séries constituent un indicateur important car elles conditionnent l’orientation dans l’enseignement supérieur et la spécialisation des carrières scolaires en termes de type, de nature de diplôme et par extension de durée de scolarité. Une régression de la version exhaustive illustre que les variables des professions et diplômes parentaux ont des effets faiblement significatifs sur la probabilité d’intégrer les classes scientifiques. Les résultats en mathématiques sont primordiaux et, de façon moins attendue, les résultats en français. Enfin, le redoublement en primaire garde un effet important malgré l’inclusion des variables de niveau scolaire. Par ailleurs, le fort désavantage des filles peut être interprété comme une faiblesse en mathématiques héritée des niveaux antérieurs articulée à une profonde inégalité d’orientation.

9Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) sont le maillon le plus valorisé de l’enseignement supérieur à la suite du baccalauréat. Les effets des variables de professions et de diplômes parentaux ne sont pas significatifs pour la probabilité d’intégrer une CPGE. Les niveaux en mathématiques ont un effet significatif en raison de la valorisation de cette matière mais surtout du fait que les CPGE scientifiques représentent plus de la moitié des CPGE. Les deux variables les plus influentes sont logiquement la mention et la série de baccalauréat. Ainsi, les bacheliers avec une mention passable ont de nettement plus faibles chances d’être orientés en CPGE tout en sachant que cette information n’est pas disponible lors de leur sélection. Les niveaux étant homogènes avec les bulletins la plupart du temps, ce résultat est tout de même cohérent. Les élèves des séries autres que scientifiques sont tous désavantagés et cet effet est lié à la quantité de places en CPGE scientifiques mais ne s’y limite pas car les élèves de série scientifiques peuvent intégrer d’autres types de CPGE. Enfin, parler d’orientation avec son enseignant a un effet équivalent. Par ailleurs, le désavantage des filles est très important et s’ajoute à leur sous-représentation dans la série scientifique, la plus favorable au recrutement en CPGE.

10Dans les différentes filières de l’enseignement supérieur, la réussite des étudiants est très variable structurellement selon la nature des formations et leurs spécialités qui sont liées aux séries de baccalauréat. Le tableau 2 présente la possibilité d’obtenir complètement sa première année et les variables d’orientation sont intégrées mais ne sont donc pas présentées. Les diplômes et professions parentales n’ont aucune significativité pour la réussite de la première année, tout comme le sexe de l’étudiant. Par contre, la mention a bien entendu un effet très important et à mention égale, les scores en français et en mathématiques au brevet ont également un léger effet. Enfin, les étudiants n’ayant pas choisi leur filière ou leur spécialité ont deux fois moins de chances de réussir leur année. Les objectifs des étudiants ont également une importance non négligeable car ceux qui prévoient d’aller au moins jusqu’à bac+5 réussissent tendanciellement plus.

11Les variables des diplômes et professions parentales ont tendance à conditionner les niveaux scolaires et les redoublements des élèves durant l’enseignement primaire et à l’entrée au collège. Par la suite, ces variables d’origine sociale ont un rôle direct résiduel qui reste très modéré. Par contre, elles sont induites dans les différents marqueurs scolaires que constituent les niveaux scolaires et les redoublements. Ainsi, l’orientation dans les séries de baccalauréat dépend des résultats au brevet qui dépendent des résultats en sixième. Les flux scolaires deviennent donc davantage indépendants de l’origine sociale et sont essentiellement liés aux niveaux scolaires. Les séries de baccalauréat renforcent cet effet par leur valorisation et le contenu hiérarchisé des formations (Jouvenceau, 2018). Les bacheliers s’intègrent et réussissent leurs débuts de carrière dans l’enseignement supérieur en fonction de leurs parcours scolaires qui sont ancrés dans les origines sociales. Les enfants de milieux populaires ont des probabilités plus faibles d’être en réussite dans l’enseignement primaire. La minorité qui est en réussite intégrera les meilleurs flux et pourra débuter une carrière scolaire valorisée dans l’enseignement supérieur. Les femmes ont de meilleurs résultats que les hommes mais intègrent moins souvent les meilleurs flux au lycée et dans l’enseignement supérieur. Le relatif effacement de la différence sociale se distingue donc d’une inversion de la différence de sexe. Plutôt qu’aux mécanismes de sélection, ce phénomène semble lié aux mécanismes d’autosélection.

2. Enseignement supérieur : acharnement social et cohérence scolaire

12La certification est porteuse d’inégalités sociales dans l’absolu (Garcia & Poupeau, 2003). Les poursuites d’études sont très variables et si les étudiants de milieu populaire suivent souvent des cursus courts sans réelles possibilités de continuer (Orange, 2013), d’autres intègrent des segments de promotion sociale (Lemistre & Merlin, 2019). L’origine sociale a un effet de composition certain et parfois un effet propre (Ménard, 2017). Les différences de parcours peuvent être issues des choix socialisés des individus en fonction de leurs milieux comme l’explique Bourdieu (1980) avec le concept d’illusio. Les étudiants de milieu aisé s’acharnent à obtenir un haut diplôme pour se garantir du déclassement (Doazan & Eckert, 2014) tandis que ceux de milieu populaire anticipent l’échec (Broccolichi & Sinthon, 2011). Par ailleurs, les femmes ont également tendance à opter pour des orientations moins prestigieuses malgré leur plus grande réussite (Ménard, 2017).

13Cette seconde partie est consacrée à l’analyse des parcours dans l’enseignement supérieur et des premières années qui suivent la fin de la formation initiale. Le graphique 1 est un modèle de clustering qui analyse les cinq années qui suivent l’obtention du baccalauréat des enquêtés de Devenir des bacheliers 2008. La racine présente les parcours des bacheliers de 2008 qui ont entamé une première année. Les séquences correspondent à chacune des années et les couleurs représentent les types d’institutions de l’enseignement supérieur, l’emploi et le chômage. L’apparition progressive de la coloration grise est expliquée par la sortie de certains étudiants de l’échantillon, entre l’attrition et ceux qui arrêtent leurs études. Les données sont pondérées afin de représenter l’ensemble des bacheliers tout en intégrant que certains ne font pas partie de l’échantillon initial parce qu’ils ne sont pas en poursuite immédiate d’études ou parce que certaines de leurs variables ne sont pas renseignées, les chiffres sont donc inférieurs surtout pour les populations les plus défavorisées. Les catégories ne sont pas plus fines pour ne pas compliquer davantage la lecture du graphique mais deux points doivent être précisés. La catégorie autre contient des orientations très différentes entre celles qui ne relèvent pas de l’enseignement supérieur, pour les bacheliers professionnels, celles qui relèvent d’écoles de niveau baccalauréat, pour les bacheliers technologiques ou généraux en réussite modérée, ou de niveau bac+2 comme les grandes écoles pour les bacheliers en grande réussite. Par ailleurs, la catégorie Université n’est pas subdivisée entre spécialités plus ou moins valorisées mais seulement entre licence et master. La racine se subdivise ensuite en différents blocs en fonction de la série de baccalauréat, de l’objectif de niveau d’études des étudiants en première année, de la mention au baccalauréat et enfin du sexe.

14Avec la limite définie de significativité, six blocs se distinguent qui constituent une hiérarchie scolaire. Le bloc 1 représente les hommes qui ont obtenu une mention bien ou très bien dans une série de baccalauréat général ou de sciences médico-sociales (SMS, aujourd’hui sciences et technologies de la santé et du social) et dont l’objectif d’études est de bac+5 minimum. Ce bloc constitue une faible part de l’ensemble des bacheliers inscrits dans l’enseignement supérieur : un peu plus de 6 %. Les carrières qui débutent par une CPGE sont surreprésentées et se poursuivent bien souvent dans des écoles qui recrutent à bac+2 et délivrent un master. Le bloc 2 constitue une part légèrement plus importante avec 8 % et représente les femmes qui partagent les mêmes caractéristiques. Elles réalisent des trajectoires proches des hommes mais suivent plus souvent des cursus universitaires en licence comme en master. Le bloc 3 illustre les trajectoires des étudiants des séries générales ou SMS avec un objectif d’études de bac+5 mais qui ont obtenu une mention passable ou assez bien. Dans ce bloc, un peu moins de 29 % des bacheliers, les trajectoires sont davantage semblables à la moyenne. Les étudiants se distinguent en fréquentant plus souvent l’Université ou la catégorie autre, moins souvent les sections de technicien supérieur (STS) et globalement en sortant moins rapidement du système scolaire.

15Le bloc 4 représente les bacheliers des séries générales et SMS qui ont un objectif de bac+4 au maximum. Il constitue une part importante également, moins de 28 %, et les trajectoires sont proches de celles de la racine. Les différences notables sont la quasi-absence de carrières en CPGE et la sortie précoce du système scolaire. Le bloc 5 illustre les trajectoires des bacheliers des séries technologiques, hors SMS, et des séries professionnelles dont l’objectif d’études est au minimum de bac+5. Son profil est aussi proche de la racine mais il représente une part minime : moins de 6 %. Par contre, les étudiants suivent plus souvent des cursus en STS ou institut universitaire de technologie (IUT). Les sorties du système scolaire ne sont pas plus précoces et certains débutent leurs carrières en CPGE. Enfin, le bloc 6, plus conséquent avec près de 24 %, décrit les trajectoires des élèves de ces mêmes séries mais dont l’objectif d’études est de bac+4 au maximum. Ces étudiants fréquentent presque exclusivement les STS et sortent très rapidement du système scolaire.

Graphique 1. Clustering des cinq premières années qui suivent l’obtention du baccalauréat (champ global, pondéré – Devenir des bacheliers 2008 SIES)

16Les effets de l’objectif d’études et des échanges avec les enseignants du lycée sur l’orientation ont des effets importants et des conséquences durables. La série et la mention au baccalauréat ont également des effets sur l’obtention d’un haut diplôme dans les différentes modélisations disponibles dans la version exhaustive. Par contre, les variables de l’origine sociale présentent des variations heuristiques. Dans une régression sur la probabilité d’obtenir un bac+5 les cinq années qui suivent le baccalauréat, le diplôme de la mère a un effet légèrement significatif. Ce résultat est plutôt surprenant car cet effet s’était effacé sur les scolarités après la sixième et pourrait donc s’expliquer par l’influence durable du niveau des élèves en début de carrière. Dans une autre régression sur la probabilité d’obtenir un diplôme de bac+5 au minimum au cours de l’ensemble de la scolarité initiale, la profession et le diplôme du père ont des effets significatifs. Ainsi, le niveau du père semble un objectif et les étudiants persistent pour l’atteindre malgré les redoublements. Par ailleurs, les femmes sont désavantagées dans l’obtention d’un haut diplôme sans la contrainte des redoublements.

17Les marqueurs scolaires au sortir du baccalauréat en termes de niveau et d’orientation sont des logiques qui président à une organisation des flux d’étudiants de façon plutôt cohérente et durable. Tout comme pour la première année, la série et la mention au baccalauréat sont des variables décisives pour analyser les parcours des étudiants dans l’enseignement supérieur et l’obtention du plus haut diplôme. Les variables de l’origine sociale sont absentes de presque tous les modèles, y compris pour le clustering qui ne permet qu’indirectement de s’affranchir des effets de composition. Le seul modèle où l’effet de l’origine sociale est réellement significatif est la probabilité d’obtenir un haut diplôme sans contrainte de temps. Ce phénomène semble représenter l’acharnement des étudiants de milieux favorisés pour tenter d’éviter un possible déclassement. La différenciation sociale tient donc davantage à ce qui entoure l’école qu`au fonctionnement de l’enseignement supérieur. Deux autres faisceaux d’indices tendent également à renforcer l’interprétation en termes d’autosélection. L’objectif d’études et les échanges sur l’orientation avec les enseignants soutiennent le rôle moteur des espérances des élèves sur leurs carrières scolaires. De même, les femmes font preuve d’autocensure. Elles ne se placent pas dans les secteurs les plus valorisés de l’enseignement supérieur et ne s’acharnent pas autant que les hommes pour obtenir un haut diplôme.

3. Emploi : discrimination sociale et rentabilité scolaire

18Le niveau de diplôme des individus est la variable la plus importante pour expliquer leur niveau de qualification à l’embauche. Les étapes des parcours, dans l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, sont des « dotations » (Calmand & Lemistre, 2019) qui peuvent expliquer les différences de destins tout comme les spécialités des diplômes. L’origine sociale a un effet résiduel à diplôme donné (Couppié et al., 2018) notamment en début de carrière professionnelle (Bouchet-Valat et al., 2016). La mobilité sociale ne se limite pas à l’entrée dans les carrières mais se poursuit au cours des carrières avec la mobilité professionnelle (Duhautois et al., 2012). Cette dernière est toutefois plus difficile à saisir.

19Les trajectoires d’insertion des enquêtés de génération 2010, en fin de scolarité initiale en 2010, sont également illustrées par un clustering. Il concerne la population pondérée dont toutes les variables incluses sont renseignées. Les situations d’emploi des individus sont décrites lors des trois vagues de l’enquête Génération : trois ans, cinq ans et sept ans après la fin de la scolarité initiale. Les couleurs représentent les groupes de catégories socioprofessionnelles, la formation et le chômage ou l’inactivité. Les individus avec un statut d’indépendant sont très rares avec des situations différentes selon les cas et ne sont donc pas analysés. La racine représente l’ensemble des trajectoires et se subdivise ensuite en fonction du plus haut diplôme obtenu, de la série comme de la mention au baccalauréat et de l’orientation post-baccalauréat.

Graphique 2 • Clustering des sept premières années suivant l’obtention du diplôme final (champ global, pondéré – Génération 2010 Céreq)

20Le clustering détermine huit blocs qui représentent une relative hiérarchie des destins professionnels en fonction de la scolarité. Le bloc 1 illustre les sorties du système scolaire des individus avec un diplôme de bac+5 au minimum suite à un baccalauréat S, les autres cas sont marginaux, obtenu avec mention bien ou très bien. Il représente un peu plus de 5 % et les individus obtiennent presque tous un emploi de cadre. Les individus du bloc 2, 10 % de l’ensemble, ont obtenu le baccalauréat avec une mention assez bien ou passable. Ils deviennent globalement cadres mais moins systématiquement que ceux du bloc 1. Le bloc 3 constitue une part identique avec les autres bacheliers possesseurs d’un bac+5 au minimum. Les destins de cadres restent majoritaires mais les autres trajectoires, notamment comme profession intermédiaire sont plus fréquentes que dans le bloc 2.

21Le bloc 4 représente les individus détenteurs d’un diplôme entre bac+2 et bac+4 qui ont commencé leurs carrières dans l’enseignement supérieur en CPGE, en écoles ou dans les disciplines universitaires de droit, de santé ou de sciences. Les non-inscrits, qui ont obtenu un diplôme d’enseignement supérieur sans avoir été inscrit l’année suivant le baccalauréat, forment une part négligeable. Les individus de ce bloc constituent 9 % des sortants et obtiennent essentiellement des emplois de profession intermédiaire. Les individus du bloc 5 ont le même niveau de diplôme mais ont débuté l’enseignement supérieur en IUT, en STS ou dans d’autres disciplines universitaires. Ils sont nombreux, plus de 20 %, et suivent des trajectoires proches de la moyenne. Ils deviennent plus souvent professions intermédiaires que la moyenne au détriment des autres catégories et notamment des cadres. Toutefois, ils le deviennent moins souvent par rapport à ceux du bloc 4 et sont plus souvent ouvriers.

22Le bloc 6 illustre l’entrée dans l’emploi des individus dont le plus haut diplôme est un baccalauréat général ou de sciences et technologie de gestion (STG, aujourd’hui sciences et technologies du management et de la gestion). Il représente presque 12 % de l’ensemble et son profil est très proche de la racine, les individus en formation sont toutefois surreprésentés au contraire de ceux qui deviennent cadres. Le bloc 7 décrit les trajectoires des individus avec un diplôme de niveau baccalauréat d’une autre spécialité ou de niveau inférieur. Les individus de ce bloc sont nombreux : un peu moins de 22 %. Ils deviennent souvent employés ou ouvriers, moins souvent de profession intermédiaire, jamais cadres et sont davantage au chômage. Enfin, le bloc 8 représente les individus sans diplôme, 12 % de l’ensemble, qui sont davantage en formation et au chômage ou deviennent employés, ouvriers et rarement profession intermédiaire.

23Les individus avec un diplôme inférieur au baccalauréat ont de plus faibles chances d’insertion. Les modélisations, disponibles dans la version exhaustive, sur les probabilités d’occuper un emploi en général et de de cadre en particulier concernent donc les individus disposant du baccalauréat pour intégrer les variables de série et de mention. Dans la régression sur la probabilité d’obtenir un emploi sept ans après la fin des études, l’effet le plus fort est celui du diplôme et l’orientation post-baccalauréat n’est significative, et défavorable, que pour les étudiants en Université dans une spécialité autre que santé, sciences ou droit. Par ailleurs, les femmes et les individus dont au moins un parent est né hors du sol français sont défavorisés. Dans la régression sur la probabilité d’obtenir un emploi de cadre en particulier, les variables parentales ne sont jamais significatives au contraire de l’obtention d’un emploi en général. Ces variables ont donc un effet seulement pour l’accès à des positions inférieures au niveau cadre. Par contre, les femmes ont toujours un désavantage. Le plus haut diplôme obtenu produit un effet décuplé en comparaison de l’accès à l’emploi en général. Par ailleurs, l’ensemble des orientations post-baccalauréat autres que la CPGE défavorisent l’accès à un emploi de cadre. De même, les bacheliers autres que ceux issus de S ou sans mention bien ou très bien sont défavorisés.

24L’accès à un emploi dépend avant tout du niveau de diplôme surtout dans le cas d’emplois valorisés. Les séries de baccalauréat et les mentions ont également des effets importants. Ces séries sont des dotations intermédiaires qui permettent d’intégrer des segments et spécialités dans l’enseignement supérieur qui sont valorisées et utiles pour les recrutements et les concours. La mention au baccalauréat module légèrement cet effet. Les professions et diplômes des parents n’ont pas d’effets significatifs sur l’accès à l’emploi. L’entrée des flux scolaires dans l’emploi est donc essentiellement conditionnée par les marqueurs scolaires acquis. Ce mécanisme est dépendant de l’origine sociale par des effets indirects. Par ailleurs, les individus dont au moins un parent est né hors du territoire français ne présentaient pas de carrières scolaires différentes dans les grandes lignes mais sont défavorisés pour accéder à des emplois peu qualifiés. Les marqueurs scolaires permettent de neutraliser l’origine sociale mais ne neutralisent l’origine géographique que pour les emplois de cadre. Enfin, les femmes sont défavorisées pour accéder à l’emploi en raison d’orientations scolaires moins ambitieuses qui se doublent sans doute de candidatures moins ambitieuses.

25Les observations de Bourdieu sur la reproduction sociale sont pertinentes pour expliquer les premières années des carrières des élèves. L’accession à un bon niveau scolaire au collège et sans redoublement est fortement conditionnée par les caractéristiques des parents. Le diplôme de la mère est la variable la plus importante dans les premières années de scolarité car elle passe bien souvent davantage de temps avec les enfants et gère la supervision des devoirs. Par la suite, les caractéristiques de niveau scolaire antérieur sont plus importantes et leurs effets se renforcent au cours de l’histoire. Le métier du père a une influence plus faible mais qui n’est pas négligeable. La théorie de Boudon sur la rationalité dans les choix d’orientation permet d’analyser cette double observation. L’espérance des élèves dans leur réussite scolaire est conditionnée par le modèle de réussite du père mais surtout ajustée à chaque bifurcation selon leur niveau scolaire global, leur place dans la classe et les objectifs de leurs camarades. Une minorité d’enfants d’ouvriers aura un aussi bon niveau scolaire qu’une majorité d’enfants de cadres. Par contre, cette minorité aura une espérance dans sa réussite presque comparable aux enfants de cadre et sera peu discriminée par la suite.

26La sélection sociale est forte dans les premières années de carrière scolaire car le tri social est important et la probabilité d’intégrer un flux de réussite est très inégale socialement. Ainsi, si les effets de l’origine sociale s’affaiblissent par la suite à niveau de réussite égale, ils sont déjà très largement intégrés dans les marqueurs scolaires des élèves. Les sélections au lycée et dans l’enseignement supérieur sont plus faibles au profit d’un renforcement des conséquences de la réussite des premières années de carrière scolaire. Les flux deviennent plus indépendants des caractéristiques sociales mais sont donc également plus imperméables. Autrement dit, il est plus difficile d’intégrer le bon flux au départ et presque impossible de rattraper un mauvais départ mais un bon départ est quasiment une garantie de réussite. Ainsi, d’excellents résultats à l’entrée en sixième maximisent la probabilité d’obtenir un emploi de cadre tandis que de mauvais résultats la minimisent.

27La réussite scolaire efface en grande partie les caractéristiques sociales des élèves, pour l’institution mais surtout pour eux-mêmes. Par contre, la réussite scolaire n’efface pas les caractéristiques du genre. Alors que la réussite des filles s’intensifie lors du primaire et du secondaire, elles sont défavorisées à l’entrée des filières les plus valorisées de l’enseignement supérieur et, par la suite, pour obtenir un haut diplôme et un emploi de cadre. Leurs stratégies individuelles anticipent la discrimination par une autocensure. Dans une optique marxiste ou bourdieusienne, on peut considérer que les femmes sont imprégnées par l’ordre social et s’y conforment en le reproduisant tout en intégrant que leur investissement dans les tâches domestiques, en particulier dans la prise en charge des enfants, est nettement plus important que celui des hommes. Dans une optique boudonienne, il semble que les femmes aient des créances plus faibles que les hommes en raison de repères sociétaux genrés, qui expliquent également le maintien d’identités professionnelles genrées. De plus, à ces identités professionnelles préexistent des identités scolaires genrées. Ainsi, le déficit de réussite des filles dans l’enseignement supérieur et l’emploi s’explique également par leur investissement plus faible en mathématiques, matière valorisée socialement comme étant masculine, alors que leurs résultats en général et en français en particulier sont largement supérieurs aux garçons. Dans un contexte où les flux sont plus imperméables, cette dimension est fortement pénalisante car elle complique l’accès aux flux scolaires à dominante scientifique qui sont les plus valorisés et permettent davantage d’accéder à des emplois de cadres. Les conséquences de l’origine sociale se maintiennent dans l’école malgré de nombreux effets neutralisés car pour reprendre Naville : « Parler d’égalité des chances dans un système qui ne comporte ni égalité des personnes (ou des groupes familiaux), ni probabilité théorique d’occuper les mêmes positions de la société, c’est se leurrer sur le sens de la formule » (1945, p. 301).