Introduction

1Pour les affectations post-bac dans le supérieur, la très grande majorité des bacheliers sont affectés en suivant la procédure en ligne (application APB, puis Parcoursup). Jusqu’en 2017, les vœux formulés étaient ordonnés (APB). Une majorité de jeunes obtenait, si ce n’est leur premier vœu, au moins un des trois premiers. Par exemple, 62,2 % des bacheliers de 2016, qui font l’objet de cette communication, obtenaient leur premier vœux, toutes filières et types de bacs confondus. Autre exemple, 75,8 % des bacheliers de la filière S obtenaient leur premier vœu à l’université, et 88,5 % un des trois premiers (Lemistre, 2019). Ce chiffre relativise à nouveau l’idée d’une université comme second choix (Bodin et Orange, 2013). Ces pourcentages sont plus faibles pour les autres filières qui sont sélectives. L’affectation va différer alors des tout premiers vœux en regard des performances antérieures (notes en première et terminale prises en compte dans la procédure APB).

2Performances mises à part, origine sociale et genre vont jouer un rôle déterminant dans les choix formulés par les jeunes, voire dans le processus d’affectation. Concernant les différences selon le genre, la surreprésentation féminine dans certaines filières a déjà été documentée et plusieurs explications avancées, parmi lesquelles des représentations stéréotypées et genrées (Baudelot & Establet, 1992), ou l’évitement par les garçons des filières marquées du sexe opposé, en lien avec un enjeu identitaire (Vouillot, 2007). Quant à la sélection associant origine sociale et performances scolaires, elle participe de l’élitisme républicain à la française qui combine performances scolaires et reproduction sociale (Baudelot & Establet, 2009). Les aspirations des filles et des garçons vont donc différer, comme diffèrent les aspirations entre classes sociales. Nombre d’études ont traité chacune de ces questions. Les investigations qualitatives, tout en privilégiant un de ces deux aspects, prennent néanmoins souvent l’autre en compte ainsi que les performances scolaires antérieures. C’est le cas des approches intersectionnelles qui examinent les effets du genre en combinaison avec ceux de l’origine sociale (Buscatto, 2016).

3Dès lors qu’il s’agit d’études quantitatives, ces variables sont le plus souvent juxtaposées dans des investigations « toutes choses égales par ailleurs » (TEPA désormais), où elles vont expliquer, par exemple, le type d’affectation obtenue ou souhaitée. L’hypothèse sous-jacente est que si les effets peuvent se cumuler, ils agissent indépendamment l’un de l’autre1. Leur prise en compte simultanée (et non combinée) n’est destinée qu’à saisir « l’effet propre » de chacun, une fois les autres déterminants pris en compte par ailleurs. Concernant le genre et l’origine sociale, l’approche intersectionnelle a justement pour vocation de démontrer que selon l’origine sociale, les arbitrages selon le genre diffèrent. Les variables ne sont donc pas indépendantes, et toutes choses ne sont donc pas égales par ailleurs. Concernant les performances antérieures, leur usage peut aussi être distingué selon l’origine sociale. Cette hypothèse a été récemment formulée dans un cadre qui associe les théories de Sen et Bourdieu. Dans ce cadre d’analyse, une origine sociale donnée est un facteur de conversion permettant de convertir des ressources de manière différenciée par rapport à une autre origine sociale. Les performances certifiées sont alors autant de ressources dont les usages seront distincts selon l’origine sociale, par exemple les choix d’orientation ou aspirations (Hart, 2014). Tel est le cas en France, par exemple, où selon le type de bac et les performances au bac (mention) les aspirations pour les étudiants de licences scientifiques d’une grande université sont différentes en fonction de la combinaison entre origine sociale et performances antérieures. Un tel résultat est obtenu via des investigations TEPA, où les variables caractérisant l’origine sociale et les performances au bac (mentions) sont croisées pour obtenir un effet de chaque combinaison entre origines sociales et performance (Lemistre & Ménard, 2019).

4Les données mobilisées ici sont issues de la base APB 2016 anonymisée2. L’exhaustivité de la base (432 540 bacheliers diplômés et affecté via APB en 2016) permet de croiser le sexe avec sept niveaux de classe sociale et la performance au bac (mention). Ainsi, l’approche est intersectionnelle entre sexe et origine sociale, tout en postulant un usage différencié des performances dans le secondaire pour l’affectation dans le supérieur.

1. Affectation dans les filières du supérieur : les effets distincts de l’origine sociale, de la performance et du genre

1.1. Performances, genre et origine sociale : du bac aux filières du supérieur

5Dans chaque filière du supérieur, domine un ou plusieurs types de baccalauréats et la plupart sont genrés, plus ou moins marqués socialement, et délivrent également des mentions de manières différenciées. Ils sont aussi plus ou moins sélectifs et ouverts vers le supérieur. Nous ne reprendrons pas ici les arguments sur la hiérarchie des bacs, en partie en lien avec leurs finalités professionnelles ou non3. Rappelons que le bac S est le plus sélectif, suivi par le bas ES, puis le bac L. Ces bacs généraux sont destinés à la poursuite d’études à bac plus trois au moins. Les baccalauréats technologiques ont vocation à une poursuite vers les filières professionnelles courtes (IUT, STS). Quant au bac professionnel, filière moins sélective que la filière technologique, il est devenu très récemment propédeutique vers les STS, mais conduit encore plus d’un tiers des diplômés vers le marché du travail. L’affectation dans une filière du supérieur étant liée au type de baccalauréat, les différences en termes de genre et d’origine sociale sont donc en partie héritées du secondaire. Il nous semble donc nécessaire de donner un rapide aperçu de la caractérisation des bacs selon nos variables d’intérêt dans la suite.

6Concernant l’origine sociale, nous mobilisons une cote sociale en 7 niveaux qui s’appuie sur la profession des deux parents ou autre référent légal et est construite à partir des catégories en 5 niveaux élaborés par la DEPP (cf. Encadré 1). Si la profession des parents domine comme facteur distinctif, la répartition des PCS (32 postes) dans les cinq niveaux proposés par la DEPP prend également en compte les niveaux d’éducation des ascendants (Lemistre, 2019).

7En regard de cette cote sociale, plus d’un bachelier scientifique sur cinq (21,9 %) est d’origine très favorisée et seulement 20 % (12,1+7,9) sont issus d’un milieu social défavorisé ou très défavorisé. Cette proportion est plus de dix points en dessous de celle de l’ensemble des bacheliers (17,9+14,5), et inférieure, voire très inférieure, à celles des autres bacheliers, puisqu’elle culmine à 64,5 % pour les baccalauréats professionnels du tertiaire (27,8+36,7). Pour autant, si la filière S demeure plus sélective socialement que les autres, elle n’accueille pas que des élèves favorisés, comptant 20 % de défavorisés ou très défavorisés.

8Les mentions sont aussi obtenues de manières très différenciées selon le type de bac. La moyenne de 10,2 % de détenteurs de la mention très bien pour l’ensemble des bacs masque en effet une disparité qui va de 17,7 % (bac S) à 1,6 % (bac technologique Services).

9Les baccalauréats sont aussi très genrés. Si les filles sont majoritaires parmi l’ensemble des bacheliers (53,1 %), elles le sont plus nettement encore pour les baccalauréats professionnels tertiaires (68,8 %) et le bac général littéraire (80,5 %). En revanche, malgré des performances plus élevées en amont, elles ne le sont pas pour le baccalauréat S, compte tenu d’une attractivité plus forte des filières scientifiques pour les garçons. Ces performances relatives plus élevées se confirment pour tous les baccalauréats où elles sont en proportion plus nombreuses que les garçons à obtenir des mentions très bien et aussi bien, à une seule exception près (sur 14) pour les baccalauréats technologiques en production pour lesquels les proportions sont identiques (14,6 % des garçons mention bien et 14,6 % parmi les filles). Si elles sont plus nombreuses parmi les bacheliers, c’est aussi grâce à leurs performances antérieures. Par conséquent, elles atteignent aussi des niveaux d’études plus importants dans le supérieur (Couppié & Epiphane, 2019).

10Seules cinq filières seront examinées par la suite, la filière « Autre » sera donc passée sous silence puisqu’agrégeant des filières disparates aux effectifs trop limités pour les investigations qui seront menées.

11Deux filières absorbent à elles seules près des trois quarts des affectés à l’issue de la procédure APB. Il s’agit des BTS (22,4 %) et de l’université (51,8 %). Les IUT et les classes préparatoires concernent chacun environ un bachelier sur dix (respectivement 10,6 % et 9,1 %). La conséquence de ces effectifs relatifs est qu’une filière peut recruter majoritairement certains types de bacheliers, alors que leur majorité s’oriente vers d’autres filières. Par exemple, les IUT ne sont pas la filière vers laquelle se dirige la grande majorité des bacheliers S, pour autant le bac S est le plus représenté parmi les étudiants affectés en IUT (41,3 %), suivi par les bacs technologiques, puis le bac ES (23,6 %). Deux tiers des effectifs des IUT sont donc issus de bacs généraux. On comprend mieux alors que les bacheliers technologiques affectés en IUT soient choisis parmi les plus performants au bac pour pouvoir suivre au mieux une formation où dominent des bacheliers formés aux disciplines générales. À l’inverse, les places en BTS sont pourvues par plus de 80 % de bacheliers technologiques et professionnels répartis équitablement entre les deux types de bacs. Les constats effectués confirment que les logiques de recrutement en STS sont distinctes de celles des IUT (Orange, 2013).

12Plus encore que pour les IUT, le caractère général des licences est aussi souligné par la place prépondérante des bacs généraux (79,9 %). Deux étudiants sur dix sont néanmoins issus d’un bac technologique ou professionnel, dont plus d’un sur 20 d’un baccalauréat professionnel (7 %). Pour les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), 7 % des affectés sont issus de bacs technologiques, soit à nouveau plus d’un étudiant sur 20. Il est clair que toutes les CPGE ne sont pas concernées par un afflux de bacheliers technologiques, mais la multiplication de ces dernières a permis manifestement de donner une place non négligeable à ces bacheliers. Les CPGE n’en demeurent pas moins les plus élitistes et sélectives socialement avec une proportion de jeunes issus de classes favorisées ou très favorisées de 42,4 % plus du double que la moyenne de tous les bacs (20,9 %), dont 31,6 % de très favorisés (moyenne pour tous 13,7 %). De même, la proportion de mentions très bien (45,3 %) est plus de 4 fois supérieures à la part de mention très bien pour l’ensemble des bacheliers (10,2 %). Les écoles d’ingénieurs sont plus sélectives socialement encore avec une proportion un peu plus forte de classes supérieures (très favorisé et favorisé). En revanche, les performances au bac sont moindres avec 39,5 % de jeunes sans mention ou avec une mention assez bien contre 22,9 % pour les CPGE.

1.2. Les effets distincts du genre, de l’origine sociale du type de bac et de la mention sur les affectations dans le supérieur

13Les analyses toutes choses égales par ailleurs (TEPA désormais) exacerbent ou parfois relativisent certains constats descriptifs compte tenu des interactions entre variables. Pour le genre, alors qu’il y a seulement 10 % de plus de filles à l’université que de garçons (cf. Tableau 2), TEPA les filles ont environ 1,8 fois (coeff. 1,76) plus de chances que les garçons d’être affectées en licence. Cela signifie qu’à caractéristiques comparables, les filles font davantage le choix de l’université. Il s’agit à la fois des performances plus élevées des filles (mention au bac) et aussi d’une origine sociale plus élevée liée notamment à leur part relative importante parmi les affectés en PACES. En effet, performances au bac et origine sociale diminuent la probabilité d’accès à l’université TEPA. C’est exactement l’inverse pour les CPGE où elles représentent près de la moitié des effectifs (46,3 %), mais ont 45 % de chances en moins que les garçons d’intégrer la filière à caractéristiques comparables. À nouveau, le pourcentage néanmoins élevé de filles est imputable à leurs performances et origines sociales plus élevées.

14Pour l’origine sociale, on voit immédiatement quelles sont les filières inclusives et celles qui le sont peu, au sens d’une affectation privilégiée des classes les moins favorisées à la filière de l’enseignement supérieur (Lemistre, 2019b). Les écoles d’ingénieurs sont les moins inclusives avec près de 2,3 fois plus de chance d’y être affecté si l’origine sociale est très favorisée par rapport à une origine très défavorisée. Viennent ensuite les CPGE avec 1,8 de chances en plus. La licence semble plus inclusive. Cette hypothèse est assez tautologique puisqu’elles ne sont pas sélectives en 2016. Ainsi, des très favorisés aux défavorisés, les chances d’être affecté en licence diminuent de 1 à 6 points entre deux classes et de 13 points entre les défavorisés et la référence, les très défavorisés. Cela signifie que TEPA, les chances relatives des très défavorisés d’être affecté en licence sont non seulement les plus élevées - seul cas parmi l’ensemble des filières - mais avec un écart relatif le plus conséquent aux autres catégories sociales. En cela, la filière peut donc être considérée comme inclusive à ce stade. Rappelons néanmoins que les très favorisés n’y sont pas particulièrement sous représentés (13,3 % contre 13,7 % pour l’ensemble des filières. D’ailleurs la distribution des origines sociales en licence est assez comparable à la distribution générale (cf. tableau 2).

15Ce n’est pas du tout le cas pour les affectés en STS. Les défavorisés et très défavorisés y représentent 45,3 % des effectifs contre 32,4 % pour l’ensemble des bacheliers. À l’autre extrême, très favorisés et favorisés représentent 9 % des effectifs contre 20,9 % pour l’ensemble. L’écart est le plus important sur la part relative des très défavorisés, pour autant ce ne sont pas ceux pour lesquels la probabilité d’être affectée en STS est la plus élevée. Elle l’est davantage pour les défavorisés, les classes moyennes et moyennes supérieures. Une première explication possible pourrait être que les effectifs de très défavorisés sont très supérieurs en STS, mais c’est aussi le cas pour les défavorisés dans des proportions comparables4. Cette différence entre l’effet de la catégorie TEPA et son importance relative en descriptif signifie donc qu’une autre caractéristique (saisie par ailleurs) commune à la grande majorité des très défavorisés explique leur présence importante en STS. Avant d’y revenir, reste le cas des IUT, ici le descriptif et le TEPA sont relativement convergents, l’affectation en IUT est l’apanage des classes du milieu (des favorisées aux moyennes), avec surtout une moindre probabilité prononcée aux extrêmes (très favorisés et très défavorisés).

16Comme pour le genre, on peut faire des hypothèses sur les liens entre variables pour expliquer que les très défavorisés, tout en étant les plus représentés, ne sont pas les plus probables en STS. Les hypothèses que l’on peut faire a minima sont le lien à la performance scolaire ou au type de bac (surreprésentation des très défavorisés parmi les bacs pros). Toutefois, les interactions s’exercent entre de nombreuses variables et il est toujours difficile d’inférer les effets des unes sur les autres, les effets se cumulant et n’allant pas toujours dans le même sens. Une autre limite importante au modèle TEPA est que toutes choses ne sont justement pas égales pas ailleurs comme cela a été invoqué en introduction pour une approche intersectionnelle et en supposant un usage différencié des performances antérieures selon le genre et l’origine sociale.

2. Approche empirique intersectionnelle des affectations postbac

17Afin de prendre en compte ces effets combinés, sont croisés le genre, la mention et l’origine sociale. Les 7 modalités de la cote sociale, les quatre mentions et le genre conduisent alors à créer une série de 56 variables. Ces dernières se substituent aux 10 variables pour le genre, l’origine sociale et la mention au bac dans l’estimation reproduite dans le tableau 3. Comme les arbitrages peuvent aussi différer selon le type de bac, l’estimation du tableau 3 est répétée par type de bac avec les 56 variables (un croisement dans une seule estimation sexe x mention x côte sociale x bac n’est pas envisageable au vu de certains effectifs et multiplie encore le nombre de variables). Une seule estimation à 56 variables est reproduite pour les coefficients de ces dernières uniquement, et ceci pour l’estimation tous bacs confondus (en annexe). Afin de clarifier la présentation, nous proposons des graphiques aux extrêmes des mentions (pas de mention ou très bien) pour les filles et les garçons. Pour certaines filières (STS, IUT, ING), les mentions intermédiaires (bien et assez bien) ont des effets spécifiques qui ne sont pas présents dans les graphiques du corps de texte mais visibles pour les plus marquants en annexe.

2.1. Incidences de l’absence de sélection à la sélection modérée : licence et STS

Graphique 1. Affectation en licence (odd ratios)

Graphique 2. Affectation en STS (odd ratios)

18Pour l’affectation en licence, la forme des graphiques est tout à fait remarquable : quelle que soit la mention, la probabilité d’être affecté en licence diminue dès lors que l’origine sociale s’élève pour les filles ou les garçons, avec un effet néanmoins plus prononcé pour ces derniers. La prédominance des filles en PACES explique sans doute cet effet moindre (Blanchard & Lemistre, 2019). Pour autant, à mention et performance comparable, on retrouve une probabilité toujours plus forte des filles d’être affectées en licence, sans le moindre doute en regard de leur préférence pour certaines disciplines (sciences humaines et sociales et santé, notamment).

19Pour les estimations par bac, pour les bacs S et ES les graphiques sont assez similaires à celui de l’estimation globale, avec un effet genre à la faveur des filles plus prononcé qui s’explique par le lien entre ces types de bacs et les filières qu’elles privilégient (santé, sciences sociales, particulièrement). Le constat est le même pour les bacs technologiques avec néanmoins des écarts moins prononcés entre les mentions. Les écarts sont en revanche comparables pour les bacheliers professionnels. En revanche, il apparaît une faible probabilité d’être affecté en licence pour les plus performants au bac, fille ou garçons, l’alternative du BTS et les modalités de sélections des bacs pros pour cette filière expliquent ce résultat (cf. infra). Ce dernier constat est aussi valable, pour le bac L (annexe 2 graphique A1), mais cette fois l’alternative qui capte les plus performants est la CPGE. En revanche l’effet origine social est ici globalement peu prononcé à une exception notable près : les très défavorisés sans mention ont une probabilité nettement plus forte d’être affectés en licence parmi les garçons détenteurs d’un bac L. Plus généralement plus la performance au bac est faible plus les garçons ont une probabilité plus élevée que les filles d’être affecté à l’université.

20Pour la seconde filière la plus importante numériquement STS (+ de 20 % des affectés, cf. supra), la logique générale semble s’éloigner de celle de la licence pour les jeunes sans mention au bac. A contrario, elle est similaire et s’accentue pour les plus performants. Ainsi, parmi les détenteurs de mention très bien, pour les garçons comme pour les filles, entre les très défavorisés et les très favorisés, la probabilité d’être affecté en STS est diminuée de plus de 50 % au moins. Le constat est le même pour les mentions bien et assez bien, l’écart atteignant même presque les 100% pour les femmes et la mention bien : les femmes qui ont une mention bien de milieu très défavorisé ayant donc deux fois plus de chance d’être affectées en STS que les femmes de milieu très favorisé avec la même mention (annexe 2 graphique A2). La démonstration est donc assez convaincante de choix différents à même niveau de performance scolaire selon l’origine sociale. Quant à l’effet genre, pour l’ensemble des mentions il ne semble pas conséquent puisque les coefficients sont proches. En revanche pour les jeunes qui n’ont pas de mention, si la logique est la même pour les deux genres, la probabilité des garçons est plus forte que celle des filles pour l’affectation en STS, particulièrement pour les classes intermédiaires. Pour les moins performants au bac, en effet, ce sont les classes intermédiaires qui ont la plus forte probabilité d’être affecté STS, la probabilité la plus forte étant pour les classes moyennes supérieures. Le BTS est donc un refuge pour les jeunes issus de classes moyennes aux performances au bac le plus faible, pour les plus défavorisés on a vu que le choix se portait plutôt vers l’université et pour les très favorisés nous verrons qu’il est encore autre.

21Pour l’analyse par type de bac, la logique pour les bacs S est la même que pour l’ensemble des bacs, avec toutefois une probabilité relativement faible d’être affecté en STS pour les mentions bien et très bien. Pour les bacs ES, aux extrêmes la logique est la même que pour les bac S : probabilité élevée d’affectation en STS pour les classes intermédiaires sans mention et faible probabilité d’affectation pour les mentions TB. En revanche, pour les mentions AB et B, les distinctions en termes d’origine sociale sont peu marquées pour les deux sexes, avec toutefois une probabilité nettement plus élevée pour les garçons que pour les filles d’être affecté en STS.

22Pour les bacs L, les détenteurs de mentions très bien ont une probabilité relative faible d’être affectés en STS. Par ailleurs, quelle que soit la mention, les très favorisés se détachent des autres classes sociales (nettement pour les mentions AB et B) avec une probabilité d’affectation plus faible. Concernant les bacs technologiques (annexe 2 graphique A3), pour l’allure générale des graphiques on est assez proches de l’estimation pour tous les bacs pour les garçons, même si l’absence de mention ou une mention assez bien se détachent nettement comme plus favorable à l’affectation en STS. Pour les filles, les probabilités les plus faibles sont pour les jeunes sans mention et les mentions TB. Pour autant, la probabilité relative d’être affectée en STS pour les filles détentrices d’un bac technologique est nettement plus élevée que celle des garçons, particulièrement pour les classes sociales les plus élevées. Et pour cause, les distinctions selon l’origine sociale sont faibles. Pour les mentions très bien, c’est donc un choix d’affectation peu lié à l’origine sociale alors que les cela reste le cas pour les autres mentions, moins que pour les garçons néanmoins. Restent les bacs pros. Quelle que soit la mention au bac, l’origine sociale a un effet peu marqué (annexe 2 graphique A4). En revanche, la mention est déterminante avec une probabilité plus forte d’être affecté en STS avec une mention, particulièrement les mentions AB et B, l’effet mention étant plus prononcé pour les filles que pour les garçons (annexe).

2.2. Lutte des classes et performances : IUT, écoles d’ingénieur et CPGE

Graphique 3. Affectation en IUT (odd ratios)

Graphique 4. Affectation en école d’ingénieurs (odd ratios)

Graphique 5. Affectation en CPGE (odd ratios)

23Les IUT ont une propriété particulière aux extrêmes puisque les formes des graphiques sont totalement inversées. Comme pour les STS, avec une mention très bien, plus l’origine sociale est élevée plus la probabilité d’être affecté dans la filière est faible. En revanche, sans mention, très clairement l’IUT est plus probable pour les classes sociales supérieures. Contrairement aux STS, c’est donc un des choix privilégiés des jeunes des classes supérieures aux faibles performances scolaires (majoritairement issus de bacs généraux). Pour les mentions intermédiaires (AB et B) le constat est aussi distinct des STS et licence, sauf dans un registre pour les STS (graphique annexe 2 graphique A5 ). En effet, pour ces mentions, la probabilité d’affectation en IUT est la plus forte pour les filles et les garçons (idem BTS). En revanche, toujours pour les mentions AB et B, la probabilité d’affectation en IUT est plus faible pour les filles que pour les garçons (elle est proche pour les STS). Surtout, l’origine sociale a un effet moins marqué pour les mentions B et AB et les nuances sont plutôt à l’avantage des classes intermédiaires. Les constats sont similaires pour les bacs généraux avec toujours une faible probabilité relative pour les mentions TB. Pour les bacs technologiques, il y a cette fois une forte différence par rapport aux bacs généraux (annexe 2 graphique A6). En effet, particulièrement pour les garçons, pour lesquels la mention joue très fortement en augmentant la probabilité d’affectation en IUT de deux, à plus de trois fois pour les mentions TB et B en regard de l’absence de mention (entre 1 et deux fois pour les filles). Pour les bacs pros, les constats sont similaires aux bacs technologiques avec un effet mention plus prononcé encore.

24Plus originale encore que celle des IUT est la place des écoles d’ingénieurs. La mention joue en effet très fortement, mais surtout pour les mentions bien et assez bien et particulièrement pour les classes supérieures au premier rang desquelles les très favorisés se dégagent nettement (graphique en annexe 2 graphique A7) . Ce qui n’est pas le cas pour la mention TB, mais l’est également pour les bacheliers sans mention. Cela traduit clairement le fait que les écoles d’ingénieurs sont privilégiées par les classes supérieures dont les enfants on eu des performances en dessous de l’excellence au bac, voire très en dessous, mais avec des effectifs relatifs faibles par rapport à l’IUT. IUT et école d’ingénieurs sont donc des refuges pour les moins performants au bacs (plutôt IUT) ou en deçà de l’excellence (B et dans une moindre mesure AB, écoles d’ingénieurs). Pour les distinctions par bacs ; il n’y a que deux bacs qui se partagent les affectations vers ces écoles, très majoritairement le bac S, puis les bacs technologiques. Très largement dominant, le bac S reflète et reproduit logiquement la tendance générale. Si le bac technologique suit la tendance générale, il s’en distingue sur deux aspects, tout d’abord l’effet mention est plus que doublé avec un effet considérable de la mention TB accentué par l’origine sociale pour les très favorisés, effet d’origine sociale plus fort encore pour les mentions B. La mention AB étant cette fois très peu probable. Il y a donc une forte sélection sur la mention des bacheliers technologiques en école d’ingénieur, mais aussi un choix de cette filière nettement portée par les classes supérieures pour ce type de bac.

25Pour finir, les CPGE sont à l’exact opposé des licences. L’effet de la mention est considérable, à l’avantage de la mention très bien, par exemple, quelle que soit l’origine sociale et le sexe, avec au moins trois fois plus de chance d’être affecté en CPGE pour les jeunes détenteurs d’une mention très bien par rapport à la mention bien, qui eux-mêmes ont trois fois plus de chance au moins d’être affecté en CPGE que ceux ayant une mention B. S’ajoute à cet effet performance, un effet origine sociale très prononcé et croissant avec le niveau de la mention, particulièrement pour les filles. Par exemple, pour les filles dotées d’une mention TB, celles d’origine très favorisée ont au-delà de deux fois les chances d’être d’affectées en CPGE que celles d’origine très défavorisée avec une mention similaire. On retrouve ces tendances pour les trois bacs généraux, avec toutefois une distinction forte pour le bacs L. Pour ces derniers, l’effet de la mention est démultiplié tout comme les écarts entre origines sociales, particulièrement pour les filles qui dominent largement pour ce type de bac (cf. supra), avec des écarts de chances entre origines sociales extrêmes qui peuvent attendre 40 fois plus de chance (entre fille avec mentions TB très favorisées versus très défavorisées – annexe 2 graphique A8).

Conclusion

26L’objectif de cette communication était de montrer que l’origine sociale, le genre et les performances scolaires agissent conjointement sur les affectations post-bac et que ces effets joints peuvent relativiser, voire en partie invalider, l’effet de chacun pris indépendamment. Une telle démonstration validerait les hypothèses de l’approche intersectionnelle et aussi du cadre théorique associant Sen et Bourdieu. Dans ce cadre d’analyse les facteurs de conversion, genre et l’origine sociale, conduisent à un usage différencié des ressources que sont les performances antérieures certifiées.

27Afin de valider cette conjecture, 56 modalités ont été crées en croisant le genre, l’origine sociale en 7 niveaux et les 4 niveaux de mentions au bac. Elles ont ensuite été intégrées à d’autres explicatives de l’affectation vers les cinq grandes filières du supérieur (Licence, STS, IUT, écoles d’ingénieur, CPGE) des bacheliers 2016, ceci pour tous les bacs et par grand type de bac (S, ES, L, techno, pro).

28Tout d’abord des tendances assez générales se détachent pour chaque filière avec des logiques propres quant aux effets conjoints de l’origine sociale et de la performance. Ce croisement demeure le plus distinctif pour l’affectation dans les cinq filières, tant en ce qui concerne l’usage des différentes mentions selon l’origine sociale que l’ampleur des écarts entre les différentes combinaisons, validant en cela l’hypothèse des usages parfois très différenciés de la ressource performances dans le secondaire selon l’origine sociale.

29Si l’approche intersectionnelle n’est pas invalidée par les investigations réalisées, les logiques générales entre filles et garçons sont très souvent similaires quant à l’affectation dans telle ou telle filière en regard de l’origine sociale et de la performance. Elle se justifie surtout dans la mise en exergue d’effet combinés de l’origine sociale et de la performance aux ampleurs distinctes entre filles et garçons.