1Parmi les diplômes visés par les personnes en reprise d’études, le diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) tient une place singulière. Créé en 1956 puis rénové par le décret n°94-684 du 3 août 1994, il est préparé à l’université. Relativement méconnu, ce diplôme de niveau IV est considéré comme un diplôme de « seconde chance » pour des personnes qui ont quitté le système scolaire sans le baccalauréat. Il ouvre en effet l’accès à toutes les formations post-baccalauréat, universitaires ou non. Chaque année, près de 5 000 DAEU sont délivrés en France, dont 85 % de DAEU A à dominante littéraire et 15 % de DAEU B à dominante scientifique (DEP, 2000 et 2006, EESRI 2019).

2Dans un contexte où le baccalauréat est progressivement devenu la norme scolaire – près de 80 % d’une classe d’âge est titulaire d’un bac – l’absence de diplôme, est un « handicap » (Mazari et al., 2011). À cet égard, obtenir un diplôme de niveau IV, parfois bien après sa scolarité initiale, en cours d’emploi ou pendant une période de chômage, peut être envisagé comme une étape vers de nouvelles opportunités professionnelles ou de formation.

3Dix-sept personnes diplômées du DAEU ont été interrogées sur leur parcours scolaire et professionnel. Elles relatent des parcours différents, mais tous marqués par un arrêt « précoce » de leur scolarité, ou par une orientation subie, souvent vers la voie professionnelle. Parfois contraintes par des verdicts scolaires, dont certaines déclarent qu’ils ont été formulés trop tôt dans leur cursus, elles ont quitté l’enseignement général qui ouvre la porte du lycée – du baccalauréat puis des études supérieures. Elles ont alors intégré des formations professionnelles à l’âge de 14 ou 16 ans ou sont entrées sur le marché du travail sans diplôme. Leurs expériences professionnelles diverses, le plus souvent dans des emplois peu qualifiés et précaires, les ont conduites à envisager une reprise d’études en DAEU – voire plus – pour s’autoriser d’autres possibles. Clé d’entrée dans des formations ou des emplois qui leur étaient jusqu’alors inaccessibles, l’obtention du DAEU a en outre contribué à restaurer une confiance en soi mise à mal par une scolarité difficile.

4Cette contribution s’attarde sur les parcours de ces personnes qui, à un moment de leur scolarité, ont été « mises à l’écart », détournées du baccalauréat par les critères de la sélection scolaire ou pour des raisons plus personnelles. Cette étude vise à comprendre comment cette situation – de non-bachelier – a été vécue par les personnes concernées. Y voient-elles, a posteriori, le résultat d’un processus de sélection au collège ou au lycée ? Les processus de sélection à l’œuvre sur le marché du travail, les-ont elles écartées de certaines opportunités professionnelles du fait de leur niveau scolaire ? Le cas échéant quelles stratégies ont-elles adoptées ? Cette étude vise également à comprendre la place que tient le DAEU dans leur parcours. Leur a-t-il permis des évolutions professionnelles, de quitter des places assignées par l’absence de bac, ou de se projeter vers des métiers qui exigent d’avoir fait des études longues ? Leur a-t-il permis de « réparer » un parcours scolaire marqué par l’échec ?

5Les processus d’orientation et de sélection racontés par les personnes sont décrits en trois temps. Le premier temps concerne le déroulement de la scolarité, à travers notamment la sélection par les notes et les appréciations des enseignants. Le second temps décrit les expériences professionnelles et la perception relative d’un « handicap » lié au niveau scolaire sur le marché du travail. Le troisième temps évoque le cheminement professionnel ou estudiantin qui a suivi l’obtention du DAEU.

1. À l’école, une sélection parfois incomprise

6Invitées lors de l’entretien à raconter et décrire leur parcours scolaire et professionnel, les dix-sept personnes rencontrées relatent, à distance de leur scolarité initiale, leurs expériences d’élèves et leurs orientations. Toutes ont obtenu le diplôme d’accès aux études universitaires et ont quitté l’école sans baccalauréat, à la différence de la grande majorité des jeunes de leur âge, certaines ont connu très tôt l’expérience de la sélection scolaire.

7Pour Cayouette-Remblière (2016) c’est au collège que les écarts entre les élèves se creusent et que l’orientation commence. Ainsi, pour ceux dont elle a suivi les parcours : « Le collège a constitué un univers enveloppant où leurs efforts ont été régulièrement récompensés, où apprendre est parfois devenu un plaisir, où des relations sociales enrichissantes ont été nouées. D’autres ont subi l’échec et les commentaires désobligeants de certains enseignants, ils ont dû reconnaître qu’ils n’étaient pas "doués" (on le leur avait déjà un peu dit avant), mais qu’ils devaient quand même "faire leur temps" au collège. Pour d’autres encore, cet univers du collège est longtemps resté ambivalent, jusqu’au verdict de la fin de troisième ». Les vœux d’orientation et les avis du conseil de classe marquent alors la scolarité et pour la chercheure, « les conseils de classe de troisième font partie de ces moments sociologiquement heuristiques où le passé et l’avenir font corps, où l’histoire scolaire des élèves est rapidement condensée et épinglée d’un verdict ultime » (p. 159).

8Ce sont ces expériences de sélection en cours de scolarité que nous proposons de mettre en lumière ici. Deux moments se distinguent, au collège avec des décisions d’orientation fondées sur les aptitudes scolaires à poursuivre au lycée et au lycée quand les élèves peinent à trouver du sens à leur scolarité.

1.1. Au collège, une sélection académique qui augure une orientation vers les filières professionnelles

9Parmi les dix-sept personnes rencontrées, huit décrivent une expérience scolaire marquée par des orientations subies. Elles relatent notamment qu’au collège, les enseignants leur ont signifié que leurs notes et leur dossier scolaire ne permettaient pas d’accéder au niveau supérieur, ni à l’orientation qu’elles souhaitaient. Elles expliquent avoir accepté ces verdicts scolaires – fondés sur des pronostics d’échec – car il leur était impossible de s’y opposer. Sans soutien de leurs parents, eux-mêmes relativement démunis face à la démonstration des enseignants et leurs critères de sélection, ces personnes déclarent avoir abandonné, parfois provisoirement, leur projet. 

10Finalement, elles expliquent avoir consenti à cette orientation face à des enseignants qui n’ont, selon elles, pas entendu ni compris leur projet initial. Dans l’histoire qu’elles racontent, l’usage du pronom « ils » (les enseignants, les conseillers d’orientation) est clairement opposé au « je », contraint d’improviser une orientation par défaut. D’autres déclarent qu’elles ont subi une décision qui leur a échappé en précisant « j’ai été orienté »1.

11Les notes sont le principal critère de sélection pris en compte pour une orientation vers une filière professionnelle. Mais cette orientation, qui visait à les écarter des filières générales, ne leur semblait pas toujours justifiée. Ainsi, Aurélie explique que ses camarades de BEP se demandaient ce qu’elle faisait là et Lilian déclare que ses amis, autorisés à poursuivre « dans le circuit classique », n’avaient pas de meilleures notes que lui.

12Ce déclassement, induit par l’orientation « en professionnel », implique d’une part de renoncer à des vœux d’orientation et d’autre part d’accepter une place qu’ils ne pensaient pas occuper dans la hiérarchie scolaire, dont ils découvrent progressivement les ressorts. Mais les notes ne sont pas les seuls éléments pris en considération, les capacités de travail personnel et le soutien familial à la scolarité sont aussi évalués par les enseignants (Cayouette-Remblière, op. cit., p. 165). Ces critères les amènent parfois à proposer des orientations peu adaptées aux yeux des élèves et donc difficiles à comprendre.

13Ainsi, certaines personnes s’interrogent sur le bien-fondé des spécialités conseillées qui ne correspondaient pas à leurs aspirations. Pour Aurélie, la proposition de faire un BEP secrétariat, « comme sa sœur aînée », démontre que ses souhaits à elle ne sont pas pris en compte et révèle une forme de mimétisme.

« J’avais ma sœur aînée qui avait fait un BEP secrétariat, pour elle, ça se passait bien, mais moi je faisais comprendre au conseiller d’orientation que ce n’est pas parce que pour elle, ça s’est bien passé que pour moi… je sais que je ne voulais vraiment pas faire ça. […] Donc j’ai dû insister en disant que ça ne me plaisait pas, que ce n’est pas ce que je voulais faire. À la rigueur, je voulais bien faire un BEP vente, mais pas un BEP secrétariat » (Aurélie, 28 ans).

14Pour Yvan et Lilian, l’orientation dans une spécialité industrielle ne correspond pas non plus à leurs souhaits, ni même à leurs résultats scolaires.

« J’ai été orienté dans une filière BEP qui n’existe plus je crois aujourd’hui […] qui était tout ce qui était maintenance, physique chimie, tout ça. Ça ne me plaisait pas du tout, surtout qu’au collège j’étais très mauvais en physique chimie et en maths et je suis tombé dans une filière où il n’y avait que ça. Donc j’ai été vraiment assez mal orienté » (Yvan, 28 ans).

« En fait, j’ai suivi un cursus scolaire assez rapide. J’ai été en BEP électromécanique, que je n’ai pas eu, parce que ça ne m’intéressait pas du tout. À l’époque, j’avais été mis là, parce que par rapport à l’orientation, il fallait choisir quelque chose et à l’époque, c’était quand même assez rapide l’orientation. […] Je ne savais même pas ce que c’était. Je n’étais pas du tout parti là-dessus. Au départ, je pensais faire comme mes amis, un bac littéraire ou histoire, et du coup, ça ne s’est pas du tout déroulé comme ça » (Lilian, 50 ans).

15Au-delà des notes, c’est le processus de sélection du système scolaire et la perception que les enseignants ont de leur capacité cognitive et d’apprentissage que ces personnes ont peu ou pas perçu. C’est notamment ce qu’ils expriment en creux quand ils évoquent leur moyenne générale, leur absentéisme, leur désintérêt et leur manque de travail dans certaines matières. Les conséquences de leur désinvestissement et leurs faibles notes ne leur semblaient pas disqualifiants. Pourtant, J. Cayouette-Remblière (2016) souligne que les quatre années de collège creusent les écarts entre les élèves : « C’est le décalage entre ce que leurs enseignants estiment qu’ils devraient réussir à faire et ce qu’ils savent faire en réalité qui s’accroît d’année en année. Ce résultat indique donc l’évolution de la valeur scolaire des élèves telle qu’elle est perçue par leurs enseignants, d’une part, et en tant que signal transmis à l’élève, d’autre part » (p. 99).

16Face à la déception des jeunes, l’assentiment des parents ou leur silence laisse entendre que cette bifurcation vers l’enseignement professionnel est somme toute plus prudente, ou plus raisonnable, que de poursuivre dans une filière générale qu’ils méconnaissent bien souvent. Ces personnes expliquent que leurs parents « ont suivi » l’avis du conseil de classe, ou se sont peu intéressés. Finalement les normes de la sélection scolaire – et des futures positions sociales (Vignoli & Mallet, 2012) – sont intériorisées et peu discutées.

17D’autres déclarent avoir anticipé la sélection et formulé des vœux sans doute jugés conformes à leur dossier scolaire par leurs enseignants. C’est le cas de Romuald : « Je sentais que les études, ce n’était pas pour moi, donc il fallait que je fasse un truc assez rapide. Et donc j’ai eu mon BEP, sans trop de problèmes. » Il ne relate pas d’échanges relatifs à son orientation, qui relève de son initiative. Cette « anticipation » des verdicts scolaires est plus fréquente au lycée, où la perspective du baccalauréat et des aspirations personnelles plus affirmées ont détourné les jeunes de leur scolarité.

1.2. Au lycée, une sélection plus silencieuse avec le bac comme horizon

18Huit personnes sur les dix-sept rencontrées ont intégré le lycée. À cette étape aussi la sélection relève de critères académiques, avec des redoublements et des orientations vers les séries technologiques après une seconde générale. Cependant, le fait d’avoir passé la première étape de sélection du collège laisse entendre à ces élèves qu’ils « ont le niveau » pour préparer un baccalauréat. Les récits soulignent cette différence notable entre les personnes qui ont bifurqué au collège et celles qui ont bifurqué au cours du lycée. Alors que pour les premières, ce sont les notes ou le dossier scolaire qui sont invoqués, c’est le comportement ou l’attitude face aux apprentissages, voire une décision personnelle, qui dominent dans les discours des seconds.

19Les personnes décrivent des années de lycée pendant lesquelles elles ont « bien profité de leur jeunesse », ou un contexte familial peu favorable, voire délétère, dont elles souhaitaient s’extraire. Dans tous les cas, elles ne mettent pas l’institution en cause, déclarent avoir « décidé » de se mettre en retrait de l’école, anticipant somme toute les conséquences de leur absentéisme. Finalement, elles expliquent de manière latente qu’elles ne répondaient pas aux attentes des enseignants et aux enjeux du lycée.

20C’est le cas de Guérin qui évoque « une jeunesse tumultueuse », mais aussi de Camille, qui établit un lien entre la séparation de ses parents, son décrochage du lycée et sa passion pour l’équitation.

« J’ai fait deux premières du coup, deux première STMG. En fait, avant le lycée, j’étais une bonne élève et arrivée au lycée, j’ai complètement décroché et une fois que mon père est parti, là ma mère n’avait plus aucune emprise sur moi, et à part faire la fête et m’occuper de mes chevaux le matin avant d’aller à l’école… Je n’allais pas à l’école mais j’allais voir mes copains au lycée, donc du coup j’ai arrêté pendant ma deuxième première, quand j’avais 16 ans, quand j’étais autorisée à arrêter » (Camille, 28 ans).

21Louis décrit une situation similaire, avec un décrochage durant sa 2^nde qu’il redouble : « J’ai fait un parcours scolaire basique jusqu’à ma seconde ; j’ai redoublé ma seconde et puis après j’ai arrêté en seconde parce que j’ai fait un peu des bêtises, je n’allais pas souvent en cours, donc pour absentéisme ils m’ont mis à la porte. Donc je suis allé travailler à 17 ans, 16 ans et demi » (Louis, 23 ans).

22Pour Tina et Raphaëlle, ce sont des conflits familiaux qui ont eu raison de leur scolarité. Elles ont toutes les deux quitté le lycée à quelques mois du baccalauréat. La consommation de stupéfiants détourne Tina du lycée, Raphaëlle décrit un souhait de s’émanciper et de quitter le domicile familial rapidement. Pour cette dernière, inscrite en T^ale S, le dénigrement de son père à l’égard de sa scolarité est l’élément déclencheur. La situation de Myriam est dans un entre deux, elle évoque une adolescence complexée et une phobie scolaire qui l’éloigne du lycée.

23Finalement ces jeunes s’auto-sélectionnent alors qu’ils prennent conscience que leurs aspirations sont ailleurs, ou qu’ils souhaitent se mettre à l’épreuve sur le marché du travail. C’est ce qu’explique Louis :

« J’ai toujours été un peu réticent sur le système scolaire français, je ne veux pas le critiquer mais j’ai toujours été réticent à apprendre des choses bêtement, à les recracher bêtement, ça n’a jamais été pour moi quelque chose d’utile pour plus tard. Ce que je n’ai pas compris, c’est que si, c’est utile parce que c’est un tremplin pour faire autre chose. […] Moi je voulais aller voir du terrain, je voulais travailler, c’était la jeunesse ; je voulais travailler. Après je me suis rendu compte que travailler ce n’était pas forcément plus cool, du coup je suis revenu sur mes positions » (Louis, 23 ans).

24Pour les sortants du lycée, le sentiment d’inachevé – plus présent que dans les discours des ex-collégiens – et leurs expériences d’emplois peu qualifiés les incitent à reprendre des études.

2. Quand on n’a pas le bac : orientation et sélection sur le marché du travail

25Ces dix-sept personnes ont quitté l’école, soit après avoir suivi une formation professionnelle et pour certaines obtenu un diplôme de l’enseignement professionnel (CAP ou BEP), soit à l’issue d’une scolarité interrompue précocement. Elles ont raconté leurs parcours, de la recherche du premier emploi jusqu’à la décision de reprise d’études. Lors de leur première inscription en DAEU, elles ont entre 21 ans pour la plus jeune et 47 ans pour la plus âgée et elles ont passé entre deux et une trentaine d’années sur le marché du travail. Trois parcours se dessinent dans lesquels l’univers des possibles « sans le bac » et les expériences professionnelles ne sont pas vécues de la même manière.

2.1. Des parcours dominés par l’échec et des places assignées

26Une première série de propos caractérisent des personnes fortement marquées par l’échec scolaire, qui leur a fait perdre confiance en leurs capacités. Elles gardent la mémoire d’une orientation subie sur le mode de l’échec et vivent leurs expériences professionnelles sur le même mode. Elles décrivent des emplois uniquement « alimentaires », souvent précaires et à temps partiel. Le premier travail d’Aurélie (28 ans), un CDD à temps partiel dans la vente, est « très dur, très fatigant, épuisant ». Après une année de chômage « galère », elle « en a marre » et entre comme agent d’entretien au CCAS par le biais de sa mère, sur des remplacements à temps partiel, durant 3 ans. Yvan (28 ans) expérimente quant à lui l’intérim, « dans les entrepôts, les livraisons et tout ça […] », grâce à son frère. Il interprète aujourd’hui ce choix de l’intérim comme un moyen de ne pas se retrouver piégé dans un emploi qui ne lui correspondait pas : « Peut-être inconsciemment, j’avais du mal aussi à rester fixe dans un emploi, et je ne voulais pas des durées trop longues pour peut-être ne pas bloquer dans un truc qui ne me convenait pas ». Dans ce tableau noir scolaire et professionnel, face au « ras-le-bol », à « l’écœurement », les personnes profitent d’un épisode de chômage – le provoquent parfois – d’un passage à la mission locale ou à Pôle Emploi, pour se relancer dans les études, dans l’espoir de « trouver mieux » et de « faire quelque chose qui plait ».

27D’autres personnes s’accommodent davantage des verdicts scolaires et trouvent en partie leur compte sur le marché du travail, du moins au début. Patricia (39 ans) a choisi un BEP cuisine, passionnée par la restauration, et a imaginé un temps reprendre la brasserie familiale. En raison de conditions de travail qui lui deviennent pénibles, elle se réoriente dans la vente car, dit-elle, « n’ayant pas diplôme, je n’avais pas trop le choix des boulots que je pouvais faire ». Elle juge le travail de vendeuse « pas intéressant », pas « riche intellectuellement », sa situation suscitant chez-elle un sentiment de « honte » vis-à-vis d’un entourage qui a fait de longues études. Durant ses 17 années sur le marché du travail, elle oscillera ainsi entre vente et restauration. Raphaëlle (40 ans) arrête en terminale scientifique avec l’objectif de prendre au plus vite son indépendance vis-à-vis de ses parents. Elle fait une formation courte « d’auxiliaire de puériculture », juste parce qu’elle « rentre dans les cases ». Elle décroche à 20 ans un CDI dans une crèche, puis devient fonctionnaire territoriale, poste qu’elle abandonnera pour suivre son mari et s’occuper de ses trois enfants, tout en exerçant comme assistante maternelle. Cette situation lui convient jusqu’au jour où elle ressent le besoin d’utiliser « ses neurones », de s’enrichir intellectuellement car « assistante maternelle, c’est en fait un métier peu valorisé, très dévalorisant ». Toutes deux se sentent ainsi condamnées à accepter des places assignées par l’absence de bac, qui ne leurs conviennent pas, tant par les conditions et le contenu du travail que par l’image qu’elles renvoient. Dans cette impasse, le retour aux études offre alors des perspectives d’ouvrir de nouvelles possibilités, « d’évoluer mieux que si on n’a pas de diplôme ».

2.2. Chercher une place et effacer l’échec

28D’autres propos montrent des acteurs qui se saisissent de leurs expériences professionnelles pour chercher une place qui leur convient malgré leur niveau scolaire. Ils trouvent un premier emploi plus ou moins rapidement, parfois se forment, se stabilisent, acquièrent des responsabilités… Sur le marché du travail, la reconnaissance de qualités qui ne doivent rien au diplôme les amène à relativiser l’échec scolaire, à retrouver confiance en eux et à réparer une estime de soi abimée par le système. Certains parcours sont marqués par des changement d’employeurs ou de domaines d’activités en fonction des contraintes, des envies et des opportunités, changements qui participent d’un processus d’essai et d’erreur pour trouver sa place.

29Myriam (38 ans) découvre très vite sa voie. Dès son premier job d’été en maison de retraite, elle comprend qu’elle veut travailler dans l’animation. Elle « tombe » à la mission locale « sur un métier, éducatrice ». Suivront un stage « qui se passe bien », un contrat aidé à temps partiel, puis à temps complet, des remplacements, le concours de moniteur éducateur accessible sans le bac, qu’elle réussit à 24 ans, la formation durant une année, au cours de laquelle elle retrouve le goût d’apprendre : « C’était la première fois où je réussissais aussi bien, j’ai eu une mention très bien à mon mémoire, soutenance et tout ; j’ai eu 19/20, j’ai eu les félicitations. Du coup j’ai repris confiance en moi, du plaisir dans l’apprentissage ». Elle travaille pendant une dizaine d’année dans de multiples structures, le plus souvent dans le secteur médico-social, en mobilisant ses compétences de musicienne amatrice. Au gré de ses rencontres professionnelles, elle relativise le rôle des diplômes comme vecteur identitaire et sur le marché du travail. Une de ses employeurs, qu’elle admire pour sa créativité et son dynamisme, n’a aucun diplôme. Elle a besoin du DAEU pour pouvoir préparer un « diplôme universitaire de musicien intervenant » exigeant le niveau bac, diplôme qui lui sera utile dans son domaine professionnel.

30Trouver une place prend un peu plus de temps à Louis et Richard qui essayent différents métiers, avant qu’un employeur leur fasse confiance et leur confie des responsabilités. Louis (23 ans) va « se faire les dents » sur le marché du travail à 16 ans. Il « saute » sur tout ce qui se présente, saisonnier, intérim, usine, grande distribution, Mac Do… des expériences « pas faciles » et « enrichissantes » à la fois. Il accède à 19 ans à un poste de commercial dans une entreprise de démarchage de rénovation immobilière, dans lequel se révèlent ses qualités pour cette profession. Des responsabilités, un bon salaire, une voiture, un ordinateur, un téléphone de fonction… à 19 ans, c’est « vachement cool ». Mais il finit par ne plus supporter des pratiques qu’il juge malhonnêtes et décide de reprendre les études. Toujours critique sur l’école, il considère néanmoins les études comme un « sacrifice » nécessaire pour mieux maitriser son avenir professionnel : « Sans diplôme on fin[it] caissier ». Richard (36 ans), qui avait des capacités mais pas de motivation scolaire, n’a pas obtenu son BEP de tourneur fraiseur. Son parcours est riche d’événements et de changements : rupture familiale, la rue, intérim, paternité à 20 ans, ambulancier pendant huit ans, élu du personnel, formation d’agent funéraire, correspondant de presse, bénévolat en bibliothèque… Autodidacte, il se forme en parallèle dans différents domaines, comme la comptabilité. À 30 ans, il est recruté en CDD puis titularisé comme adjoint du patrimoine dans une mairie, poste pour lequel il nous dit : « Je suis bien là où je suis… on me fait confiance, ils me donnent beaucoup de responsabilités, on m’accorde beaucoup de crédit, je rends un petit peu la pareille en ne quittant pas tout de suite ». Il explique reprendre les études pour sa fille lycéenne, évaluée à haut potentiel intellectuel et qui a sauté plusieurs classes, sans motivation professionnelle au départ mais « pour l’exemplarité ».

2.3. Des parcours qui relativisent le rôle du diplôme

31Les derniers propos illustrent des situations dans lesquelles les personnes, en plus de chercher leur place, ont élargi le champ des possibles au plan professionnel, en termes de salaires, de métiers, de promotion. Elles relativisent le rôle du diplôme dans les processus de sélection sur le marché du travail car pour elles ont joué d’autres critères comme la motivation, les qualités personnelles, l’expérience professionnelle accumulée… Guérin (27 ans) travaille depuis ses 16 ans pour l’argent de poche. À 20 ans, il a « la chance d’être embauché dans le service jeunesse de la SNCF » comme « superviseur ferroviaire pour m’occuper de la Hotline de tous les animateurs de France ». Dans ce poste avec de « grosses responsabilités », son directeur « a su [lui] faire confiance et ça s’est très bien passé ». Il a su par la suite valoriser cette expérience : « J’ai toujours réussi à me débrouiller, à être dans des postes qui demandaient parfois un bac+2 +3, ce que j’occupe demande un bac+3 ; c’est mon expérience professionnelle qui a joué en ma faveur, plus que mes études ». Il passe le DAEU pour terminer un parcours inachevé, car en terminale littéraire il n’a pas obtenu le bac, et pour se donner la possibilité de réaliser son « rêve de gamin », devenir professeur des écoles. Dans son emploi actuel, il n’en a pas besoin.

32Enfin, dans certains métiers, l’armée, le sport, la culture… l’absence de diplôme n’a jamais posé de problème, les recrutements et les carrières se jouant sur d’autres critères. Lilian (50 ans) entre dans l’armée à 19 ans et y fait sa carrière, de l’école de sous-officier à ses débuts à un concours interne « à niveau bac+2 à peu près », grâce auquel il obtient une promotion de chef de bureau. Il décide de passer le DAEU pour lui, pour se prouver qu’il aurait pu avoir le bac. Camille (28 ans) qui pratique l’équitation à très haut niveau prend très jeune la responsabilité d’un centre équestre, entreprise familiale : « Avant le DAEU je ne connaissais que le cheval ». Irène (50 ans) débute certes en contrat aidé, mais avec enthousiasme, dans le milieu associatif et militant. Durant trente années, elle occupe des emplois très différents (elle fait du théâtre, suit une formation en menuiserie, s’installe en maraîchage) toujours « choisis », jamais « alimentaires ». Pour toutes deux, c’est le souhait ou la nécessité d’une reconversion qui les amène au DAEU, après un bilan de compétences à Pôle Emploi.

33Le DAEU prend donc place à des moments variés dans des parcours scolaires et professionnels très différents et répond à des attentes multiples et conjuguées, personnelles et professionnelles.

3. Après le DAEU, la sélection continue

34La formation au DAEU est décrite par l’ensemble des personnes rencontrées comme une expérience particulièrement bénéfique. Elle propose en effet un environnement propice à la construction d’un nouveau rapport aux études pour des personnes ayant connu une expérience compliquée avec l’école. D’âges et de milieux sociaux différents, les stagiaires du DAEU ont en commun leurs parcours atypiques, ce qui crée une absence de jugement et une solidarité au sein de la promotion. Les relations avec les enseignants sont également vécues de manière positive, à l’opposé de leur expérience antérieure au collège et au lycée, où ils se sont parfois sentis déconsidérés. Les personnes racontent ainsi avoir trouvé un vrai plaisir dans les études.

35La réussite au DAEU apparaît comme une véritable source de « fierté ». Elle revêt des vertus réparatrices, contribue à la construction d’une meilleure image de soi, restaure la confiance en ses capacités. Ainsi, à l’instar des observations de Poliak (1990) et Zaouni-Denoux (2014), l’étude montre que le DAEU est bien plus qu’un parchemin. Il est un moyen de reconstruction identitaire et c’est sur cette dimension qu’il revêt une valeur particulièrement importante pour l’ensemble des personnes interviewées (Beaupère et al., 2020).

36Il ouvre aussi la possibilité de concrétiser des projets d’évolution professionnelle et marque alors l’entrée dans un processus de reconversion qui « vise l’atteinte d’une place valorisée sur le marché du travail et le développement d’une image de soi positive comme travailleur.euse. » (Fournier et al., 2017). Cela passe le plus souvent par un engagement dans des études supérieures. La réussite va alors dépendre de leur capacité d’adaptation à des conditions d’études qui, contrairement au DAEU, ne sont pas forcément pensées pour des adultes en formation.

3.1. S’engager dans des études supérieures pour changer de métier

37Les personnes sont réalistes, elles n’attendent aucune valorisation immédiate du DAEU dans leur entreprise ou sur le marché du travail : « Finalement, je me rends compte que […] ce n’est pas parce que j’ai un bac […] que mon employeur va me donner une promotion, que je vais être mieux payée » (Suzanne, 33 ans). Il offre néanmoins des perspectives de plus grande stabilité ou de promotion. Il va par exemple permettre à Roxanne (28 ans) de tenter le concours correspondant au poste qu’elle occupe comme contractuelle dans la fonction publique territoriale. Pour Suzanne, il est appréhendé comme le point de départ d’une démarche de VAE, qu’elle espère valoriser auprès de son employeur.

« J’ai eu le DAEU […] si j’ai le BTS [par la VAE], j’aimerais bien évoluer sur un poste d’agent de maîtrise […] Enfin, je suis prête à me former, me servir de ça pour montrer que j’ai envie de me former et d’évoluer, parce que vraiment j’ai envie d’être sur un poste à responsabilité, de management » (Suzanne, 33 ans).

38Ainsi, le plus souvent, la réussite au DAEU et la remise en confiance qui l’accompagne motivent la poursuite d’études. L’obtention du diplôme vient en effet contredire les verdicts scolaires antérieurs : « Moi qui pensais que je n’étais pas fait pour les études, ça a détruit ce truc-là […] Je suis revenu sur les rails en fait […] C’est ce genre d’année qui fait un basculement dans une vie » (Romuald, 27 ans). Onze personnes ont entrepris des études supérieures dans le prolongement du DAEU, dont neuf en licence à l’université, une en BTS et une dans une école privée.

39Le choix de la filière de formation marque l’engagement dans un processus de reconversion professionnelle, basé sur les intérêts ou les passions, les perspectives de réussite et d’emploi à l’issue des études étant peu interrogées : « Mon rêve, ça a toujours été d’être instit » (Tina, 30 ans), « je voulais surtout aller vers un métier de sciences, parce que j’ai toujours été passionné de sciences quand j’étais gamin » (Romuald, 27 ans). La plupart (9/11) n’ont pas sollicité de conseils avant de se lancer, si ce n’est de leur entourage proche. La définition des projets associés aux études s’avère donc plus ou moins aboutie selon les personnes. Certaines se sont fixées des objectifs précis et ont anticipé les étapes du parcours de formation : « En fait, dès que je suis rentrée en licence, j’ai su ce que je voulais faire, moi les études, elles sont tracées […] En licence 3, je voudrais être à l’IAE […] J’envisage si je peux de faire un master en management stratégique des ressources humaines. Et… pour, par la suite, être directrice des ressources humaines » (Sonia, 33 ans). Pour d’autres, les projets sont plus flous. Les personnes visent alors un domaine professionnel correspondant à leurs aspirations, comme Aurélie qui s’inscrit en langues, littérature et civilisations pour « travailler dans le milieu culturel et artistique », ou Justine, inscrite en psychologie avec le souhait de « travailler avec des enfants ».

40Dans un cas seulement, le choix de la licence générale fait suite à une candidature refusée dans une filière sélective. Sonia considère ainsi avoir été victime d’une « discrimination » liée à son âge : « J’ai voulu rentrer en DUT GEA […] On m’a dit écoutez, on ne voit pas ce qu’une personne de plus de trente ans ferait avec des étudiants qui ont 18 ans » (Sonia, 33 ans). Dans un autre cas, il est le fruit d’un processus d’auto-sélection. Louis craignait en effet que le DAEU ne soit pas considéré au même titre que le bac et qu’il ne pourrait pas franchir l’étape de la sélection : « L’IAE, je regrette de ne pas l’avoir tenté parce qu’on m’a dit "mais tu as un DAEU, l’IAE…" » (Louis, 23 ans).

3.2. S’adapter ou être exclu

41Ces reprises d’études ne se font pas sans difficulté et tous ne connaissent pas la même réussite. Au moment de l’étude, cinq personnes sont encore engagées dans une formation et poursuivent des objectifs ambitieux, même si tout n’est pas simple : « Je suis en deuxième année […] Je rame quand même beaucoup mais voilà ça se passe, j’ai encore quatre ans d’études si tout va bien » (Camille, 28 ans), « J’ai un BTS d’optique […] On fait une année complémentaire pour avoir la licence. Je pars à Paris justement là […] et ensuite, pouvoir faire mon master directement […], pour ensuite faire le doctorat aussi » (Romuald, 27 ans). Pour les autres en revanche, l’expérience a tourné court après un bref passage à l’université : « J’ai lâché prise je dirais au bout de trois mois » (Guérin, 27 ans).

42La réussite dépend du niveau « scolaire » et des capacités d’apprentissage de chacun, mais aussi de leur capacité d’adaptation à un environnement en rupture avec leur formation précédente. Ils se retrouvent en effet plongés dans « un autre univers » et découvrent de nouvelles conditions d’études : charge horaire plus élevée2, cours en amphis, enseignants qualifiés de distants, écarts d’âge importants avec les autres étudiants. Plusieurs évoquent un sentiment d’isolement : « J’étais principalement avec de jeunes bacheliers qui attaquent leur licence. Des fois, ça ne me gênait pas du tout, et puis des fois, je me sentais quand même grandement décalée […] j’étais un peu dans mon coin » (Irène, 50 ans). Mais surtout, le rythme des cours et la charge de travail personnel font douter et certains font le constat qu’ils n’ont pas le niveau pour suivre, soulignant que le DAEU n’est pas tout à fait l’équivalent du bac :

« C’est ça que je n’ai pas suffisamment dû réaliser, que le niveau était trop élevé, que le DAEU n’était pas suffisant pour que je puisse continuer en licence » (Aurélie, 28 ans).

43Si certains remettent en question leurs compétences, d’autres soulignent l’absence de prise en compte des spécificités du public adulte par l’université, que ce soit en termes d’accompagnement ou de pédagogie. Ils font en effet partie de ces nombreux adultes invisibles et « noyés » en formation initiale (Borras & Bosse, 2017), placés « dans le circuit général » et traités de la même manière que « des lycéens qui passent directement à la fac » :

« On se sent un peu comme un chien dans un jeu de quilles simplement parce que les services qu’on a en face […] n’ont pas forcément les connaissances pour nous accueillir, nous diriger » (Guérin, 27 ans).

« On a quand même un certain vécu, on a des choses entre les mains, on n’est pas là pour rien. Il y a [des enseignants] qui l’ont compris, d’autres qui ne l’ont pas compris, qui me traitent comme si je sortais du lycée. Ça, ça m’a beaucoup dérangé » (Louis, 23 ans).

44Comme au lycée, ils se retrouvent confrontés à la seule évaluation académique. Les uns renoncent, d’autres l’acceptent bon gré mal gré et s’accrochent, comme Aurélie (28 ans) qui après un échec en première année, suit une remise à niveau en langues via Pôle Emploi, afin de retenter une licence. D’autres encore intériorisent les normes de l’organisation universitaire et ses modalités d’évaluation, comme Sonia (33 ans) qui accorde une valeur importante aux notes, perçues comme une reconnaissance de ses compétences : « J’aimais avoir ce retour des enseignants, j’aimais avoir mes notes ».

3.3. Trouver des stratégies pour financer sa formation

45Le financement des études s’avère également un élément décisif dans les parcours de réussite. En effet, contrairement au DAEU3, l’organisation de la formation permet difficilement de concilier les cours avec une activité professionnelle à temps plein : « On vous regarde un peu comme des ovnis "Si tu veux ton année, il faut venir" […] on se sent un peu exclu sans le vouloir » (Guérin, 27 ans). La plupart se « débrouillent » en essayant de concilier travail et études, en occupant des jobs à temps partiel et/ou en s’appuyant sur le soutien de leurs proches, conjoints ou parents pour les plus jeunes : « J’avais postulé pour être surveillante dans un lycée pour financer mes études » (Patricia, 39 ans,) « La faculté d’étiopathie, c’est 8 000 € l’année et donc là ma mère me paye ma formation et après moi je m’occupe de vivre avec mon job et voilà » (Camille, 28 ans). L’enseignement à distance peut être une alternative, lorsque cette offre existe. Mais mener à terme des études tout en travaillant, demeure une charge lourde, qui plus est pour celles et ceux qui ont des enfants, et peut conduire à faire un arbitrage entre emploi et études :

« J’ai laissé de côté les études […] Je me suis dit qu’il ne fallait pas trop cracher sur un CDI » (Justine, 28 ans).

« J’ai des enfants, il faut que je ramène mon salaire à la maison quand même » (Richard, 36 ans).

46Parmi les personnes rencontrées, seul Romuald bénéficie d’une allocation de Pôle Emploi lui permettant de se consacrer entièrement à ses études, même si elle ne couvrira pas l’ensemble de son cursus jusqu’au master : « C’est l’allocation d’aide au retour à l’emploi en formation. [Après le DAEU] je me suis arrangé avec mon patron pour partir en […] rupture conventionnelle » (Romuald, 27 ans). Au final, peu de personnes ont entrepris des démarches pour chercher un financement (3/11) et celles qui se sont renseignées soulignent la complexité de leur situation : « J’avais droit au chômage sauf que si je passais étudiante, je ne pouvais pas être demandeuse d’emploi. C’est l’un ou l’autre, ce qui est logique » (Patricia, 39 ans). Tina a ainsi dû revoir son projet de devenir enseignante devant le refus de Pôle Emploi de lui financer des études universitaires, après examen de sa situation antérieure. Par défaut, elle s’oriente sur une formation certifiante de secrétaire médicale mais n’arrive pas à faire le deuil de son projet initial.

« On m’avait mis en parcours renforcé, parce qu’à l’époque, il y a 10 ans en arrière, j’étais femme de ménage […] aujourd’hui, j’ai 29 ans, je suis maman, j’ai eu mon bac, j’ai travaillé pendant des années […] Quand j’ai parlé de la fonction publique, alors là, [la conseillère] m’a cassée directement […] Après elle m’a demandé pourquoi je n’irais pas faire du secrétariat en intérim […] ça a été très violent comme rendez-vous […] Je sais que j’aurais pu faire des études, je sais que j’aurais pu aller quand même plus loin dans la vie et au niveau professionnel » (Tina, 30 ans).

47Pour ces « bacheliers » tardifs, deux processus d’orientation et de sélection scolaire et professionnelle s’enchevêtrent. Quand l’absence du bac n’est pas vécue comme un handicap insurmontable sur le marché du travail, parce que compensée par l’expérience, la motivation et les qualités personnelles ou parce que le diplôme compte peu dans leur domaine, certaines personnes ressentent malgré tout un « un manque » lié à une scolarité contrariée ou inachevée. Le DAEU est alors un « titre honorifique » (Poliak, 2011) qu’ils préparent pour eux, pour leur culture personnelle ou pour leur entourage, pour effacer le stigmate de l’échec, se prouver ou prouver à autrui qu’ils en étaient capables, pour être dans la norme. Lorsque l’absence du bac devient un handicap, limitant les choix possibles de métiers, enfermant les personnes dans des emplois peu qualifiés, faisant barrière à des évolutions ou des reconversions professionnelles, le DAEU vient entrouvrir des portes pour « faire autre chose ou en tout cas avoir la possibilité de faire d’autres choses ». En cela, le diplôme permet bien de déjouer les sélections à l’œuvre durant la scolarité antérieure. Mais comme le bac aujourd’hui, le DAEU a peu de valeur en lui-même pour les employeurs et sur le marché du travail, il n’est qu’un « sésame » pour passer des concours exigeant ce niveau ou s’inscrire en études supérieures. Mais, la poursuite d’études supérieures se révèle difficile, tant pour son financement que pour l’inadaptation du modèle pédagogique à des adultes qui travaillent. À défaut de trouver des solutions, le risque est grand, après le moment de grâce de leur réussite au DAEU, d’être à nouveau confrontés à l’échec et que la porte entrouverte se referme.