1Depuis le milieu des années 2000 et plus particulièrement depuis 2010, les opportunités d’études supérieures des bacheliers professionnels n’ont cessé de croître. Néanmoins, du projet scolaire à l’obtention d’un diplôme, en passant par l’admission dans une formation, leur parcours semble encore jonché d’obstacles. L’augmentation du taux de poursuite d’études des bacheliers professionnels signifie-t-elle que l’enseignement supérieur se démocratise ? Les portes de l’enseignement supérieur sont-elles restées « entrouvertes » aux bacheliers professionnels (Lemêtre, Mengneau & Orange, 2016) ?

2Ce travail explore les enjeux des poursuites d’études supérieures des bacheliers professionnels à travers trois épreuves de sélection successives : la sélection informelle, la sélection formelle, puis enfin la sélection « effective » en cours de formation soit la sélection vers l’obtention du diplôme. Nous cherchons les déterminants du succès de chacune de ces étapes.

3La sélection informelle, d’abord, correspond au phénomène par lequel tous les bacheliers n’expriment pas les mêmes choix scolaires. La recherche a solidement établi que les préférences scolaires ne relèvent pas uniquement des goûts individuels mais aussi, en grande partie, de l’environnement socioéconomique et culturel (Landrier & Nakhili, 2010 ; Maroy & Van Campenhoudt, 2010). Dans le cas des bacheliers professionnels et des candidats aux sections de technicien supérieurs (STS), largement issus des classes populaires, un phénomène d’autocensure scolaire est observé (Orange, 2018). Les élèves ont aussi tendance à s’autosélectionner au regard de leur risque d’échec au diplôme visé : cette autosélection est là encore, socialement différenciée puisque les jeunes les moins dotés auront davantage tendance à privilégier, dans leur arbitrage, leur risque d’échec plutôt que le potentiel taux de rendement du diplôme en question (Mingat & Eicher, 1982). Nous chercherons les caractéristiques ou événements susceptibles d’expliquer comment certains bacheliers professionnels parviennent néanmoins à franchir cette étape de sélection.

4Mais les aspirations scolaires des jeunes ne sont pas uniquement déterminées par des choix éclairés et la sélection peut également se jouer dans l’accès à l’information. Ici, il s’avère que les bacheliers professionnels sont moins informés par l’institution sur leurs possibilités d’orientation, que ne le sont les autres bacheliers (Lemêtre, Mengneau et Orange, 2016). En outre, la littérature montre qu’en matière d’orientation, certaines informations ont tendance à élargir les possibles scolaires, quand d’autres conduisent à l’inverse à modérer les projets scolaires des bacheliers (Pistolesi, 2015 ; Van Zanten, 2015). Nous testerons l’effet que peuvent avoir ces informations sur la formation souhaitée.

5Une fois le projet scolaire exprimé, encore faut-il le concrétiser. C’est le temps de la sélection formelle. Si l’université ne ferme théoriquement la porte à aucun candidat, les STS – essentiel projet des bacheliers professionnels – sont loin d’accueillir toutes les demandes. La littérature a identifié de nombreux critères invisibles de la sélection formelle tels que le genre, l’origine sociale, la maîtrise du langage utilisé par l’outil de la sélection, et dans le cas des candidatures en STS, la proximité géographique ou la modestie scolaire (Orange, 2010 ; Bodin, 2009 ; Beaud, 2003 ; Lemêtre & Orange, 2017) : cet ensemble dessine en filigrane un profil de candidat favorisé : « les moyens », dont la validité sera testée dans une étape ultérieure des travaux, en étudiant l’effet de ces différentes variables sur la probabilité d’être admis en STS.

6Dans cette phase de sélection formelle, les réformes récentes en matière d’allocation des bacheliers suggèrent que le renforcement du rôle de l’élève dans le processus d’orientation, donc l’individualisation plus forte des choix, pourrait contribuer à accroître les inégalités sociales d’orientation (Lehner & Pin, 2019). À l’inverse, dans le cas des STS, les critères de sélection des bacheliers professionnels y sont spécifiques puisqu’un certain nombre de places leur sont réservées. Ils sont donc prioritaires sur les autres candidats et cette règlementation relevant de la discrimination positive ou de l’action positive, constitue bien un critère de sélection en soi. Ces deux politiques publiques pourraient diminuer (pour la première) ou augmenter (pour la seconde) les chances de sélection formelle des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur. Des investigations sont également prévues pour mesurer ces évolutions.

7Si le bachelier professionnel franchit ces étapes avec brio, le voilà dans l’enseignement supérieur. Mais à l’université, ses chances d’obtenir un diplôme relèvent de l’exception ; et en STS, elles sont faibles. Pour y parvenir, il devra franchir une nouvelle série d’étapes de sélection vers le diplôme : c’est la sélection effective. Le premier des critères de la sélection effective relève de la préparation scolaire. La littérature suggère en effet que l’apprentissage du métier d’étudiant, particulièrement délicat pour les bacheliers professionnels, est une étape cruciale sur le chemin de la réussite (Lahire, 2000 ; Coulon, 1997 ; Troger, Bernard & Masy, 2016 ; De Clercq, 2019). Les facteurs de réussite propres aux étudiants issus des classes populaires, ainsi que les facteurs de réussite au sein des STS, sont deux dimensions encore imparfaitement connues des recherches en éducation. Nous prévoyons donc une série d’investigations visant à expliquer les déterminants de la réussite des bacheliers professionnels en STS.

8Quels sont les leviers d’une augmentation de la réussite des bacheliers professionnels en STS ? Cette question soulève un enjeu important en matière de politique publique, dans la mesure où les STS apparaissent comme la seule voie raisonnablement envisageable aux bacheliers professionnels et que leur présence y est institutionnellement encouragée.

9Enfin, il faudra s’intéresser à la valorisation de la poursuite d’études sur le marché du travail, analysée au prisme des épreuves de sélection antérieure. Les bacheliers professionnels ainsi sélectionnés au fil de leur parcours éducatif intègrent ensuite le marché du travail, où d’autres critères de sélection, cette fois professionnelle, vont s’appliquer (Moullet, 2005 ; Bouchet-Valat, Peugny & Vallet, 2016). L’objectif est d’expliquer d’autres éventuels régimes de sélection voire des effets de cumul des phases antérieures de la sélection.

10Les bacheliers professionnels ayant réussi à franchir une, deux ou trois phases de sélection successives durant leur parcours éducatif, connaissent-ils des débuts de carrière différents ? Lorsqu’elle est infructueuse, la sélection formelle peut-elle laisser des stigmates sur les parcours professionnels des jeunes ? Ici nous ne nous intéresserons pas uniquement aux bacheliers professionnels ayant franchi toutes les étapes de sélection précitées, mais également à ceux n’ayant pas poursuivi ou pas dans la filière de leur choix, ainsi qu’à ceux qui n’ont pas réussi à obtenir leur diplôme, dans une perspective de comparaison des parcours et de leur valorisation. Il s’agira, dans un premier temps, d’estimer les conséquences de la sélection éducative sur les débuts de carrière ; et dans un second temps, d’analyser spécifiquement les débuts de carrière des bacheliers professionnels diplômés d’un BTS. Une fois ces « enfants de la démocratisation scolaire » (Beaud, 2003) entrés dans la vie active, leur diplôme tient-il ses promesses ? La politique publique consistant à orienter massivement les bacheliers professionnels en STS depuis 2013 sera ici étudiée au regard de la théorie de la démocratisation ségrégative (Merle, 2000) selon laquelle la diversification des filières, via l’ouverture de filières dédiées à l’accueil des jeunes les moins dotés, tendrait à détourner ces publics des opportunités qui demeurent réservées aux élites, plutôt qu’elle ne constituerait un véritable vecteur de promotion sociale.

11Il s’agit, au total, d’identifier les opportunités effectives des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur ainsi que les voies de passage leur permettant d’accéder à un diplôme de l’enseignement supérieur et de le valoriser par la suite.

12Ce cadre général est celui d’un travail de thèse en cours à l’Iredu et s’il circonscrit le sujet de cette communication, il ne pourra pas y être traité de façon exhaustive. Aussi, pour ces Journées du Longitudinal, la présentation s’attachera à explorer un seul des trois types de sélection évoqués, la sélection informelle. Les résultats présentés ci-dessous et qui seront présentés à l’occasion des journées d’études, visent donc à expliquer les déterminants de la sélection informelle des bacheliers professionnels dans l’enseignement supérieur et notamment en STS. La première hypothèse (H₁) suppose que les aspirations scolaires des bacheliers professionnels sont déterminées par leur profil socioéconomique, culturel et scolaire. La seconde (H₂) postule que la nature des informations reçues par les bacheliers professionnels au sujet de leur projet d’orientation exerce un effet sur leur sélection informelle vers l’enseignement supérieur.

1. Méthode et données

13Les données mobilisées pour cette communication sont issues de l’enquête de suivi des bacheliers 2014 dans l’enseignement supérieur (dénommée ultérieurement « le panel des bacheliers »), une cohorte de jeunes ayant obtenu leur baccalauréat en 2014 et ayant été enquêtée une fois par an, aux printemps 2015, 2016, 2017 et 2018. Il est choisi de travailler sur les seuls individus ayant répondu intégralement à chaque vague d’enquête. La population d’intérêt retenue est donc constituée des individus n’ayant pas connu d’autre statut que répondant et hors champ (c’est-à-dire ayant arrêté ses études), soit un total de 14 999 individus représentant 65 % des 23 240 jeunes ayant participé à l’enquête.

14La majorité des analyses porte sur les seuls bacheliers professionnels répondant aux mêmes contraintes de réponse, soit 3 465 individus représentant 51 % de l’ensemble des bacheliers professionnels ayant participé à l’enquête. Parmi eux figurent 2 032 jeunes ayant poursuivi des études après leur bac.

1.1. L’indice de statut économique, social et culturel (Isesc)

15Un indice de statut économique, social et culturel (Isesc) a été construit en s’inspirant de la méthodologie développée dans le programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa. OCDE, 2017).

16Dans le Pisa 2015, le statut économique, social et culturel est construit par une analyse en composantes principales conduite à partir de trois indicateurs que sont le plus haut niveau d’éducation des parents, la plus haute position professionnelle des parents et les biens possédés par le foyer, dont notamment les livres. Ce dernier groupe d’informations est absent du panel des bacheliers. Nous avons donc construit une cote sociale qui constitue une forme simplifiée de la méthodologie mobilisée dans le Pisa.

17Pour approcher le plus haut niveau d’éducation des parents, le Pisa traduit les réponses des élèves en niveaux de la classification internationale type de l’éducation (CITE), ce que nous avons fait avec les limites de détail imposées par les données. Pour chaque foyer, la valeur la plus élevée des deux parents a été retenue pour coder la variable afin de la faire correspondre, comme dans le Pisa, au plus haut niveau d’éducation des parents (ou à celui du seul parent le cas échéant).

18Pour renseigner la position professionnelle, le Pisa mobilise l’indice socioéconomique international du statut professionnel (Isei) élaboré par Ganzeboom et Treiman (2003), qui proposent une mesure quantitative du statut social à partir de la classification internationale type des professions (CITP)1. Si les informations structurant cette classification sont incomplètement disponibles dans le panel des bacheliers, des agrégations ont été effectuées et les différentes catégories ont été hiérarchisées en suivant le niveau de l’Isei observé pour chacune de ces catégories CITP. Ces démarches sont synthétisées en Annexe 1.

19Des tests de corrélation entre les deux variables (niveau d’éducation et position professionnelle) ont ensuite été exécutés, complétés d’un test alpha de Cronbach permettant de mesurer la cohérence interne d’un ensemble de questions. Les deux variables ont été agrégées par addition pour constituer un indicateur du statut économique, social et culturel se distribuant sur dix positions.

1.2. Procédure et interprétation des modèles

20L’ensemble des estimations économétriques a été exécuté en suivant la méthode des retraits séquentiels : après avoir initialement intégré un grand nombre de variables explicatives, les modèles sont affinés par le retrait successif des variables les moins significatives. L’objectif est d’améliorer, pas à pas, la robustesse du modèle en minimisant notamment le critère d’information d’Akaike (AIC). Ceci explique que la liste des variables explicatives varie légèrement d’un modèle à l’autre. Néanmoins, c’est bien la même série de variables qui a été introduite initialement. Elle est reproduite intégralement en Annexe 2.

21Les tableaux de résultats indiquent les effets marginaux pour les régressions linéaires et les odds-ratios pour les régressions logistiques, accompagnés d’une indication de significativité résumée selon la convention suivante :

2. Des bacheliers professionnels orientés au cœur de leur lycée

22Au sein de l’échantillon, les hommes sont plus nombreux parmi les bacheliers professionnels (56 % contre 44 % de femmes), quand c’est l’inverse parmi les bacheliers généraux et que la parité est quasi parfaite au sein des bacheliers technologiques (Figure 1).

Figure 1. Distribution des hommes et des femmes par type de bac

23Au moment d’entrer dans l’enseignement supérieur, la moitié des bacheliers professionnels a un indice de statut économique, social et culturel égal ou inférieur à 4 (Figure 2), quand c’est le cas de seulement 21 % des bacheliers technologiques et généraux (et 29 % de l’ensemble des bacheliers).

Figure 2. Distribution de l’indice de statut social, économique et culturel (Isesc)

24Pour choisir leur orientation, les jeunes ayant obtenu leur baccalauréat en 2014 ont utilisé des sources d’information variées, à des niveaux différents selon le type de baccalauréat qu’ils détiennent. La Figure 3 présente les sources d’orientation citées dans l’enquête et pour chacune d’entre elles, la part de jeunes ayant déclaré « y avoir trouvé l’information pour choisir leur orientation ».

25On constate d’abord que les deux sources d’orientation les moins citées sont les deux plus explicitement dédiées à l’orientation des jeunes, à savoir le conseiller d’orientation et le centre d’information jeunesse. Seuls 12 % des bacheliers professionnels ont cité le premier, 6 % des bacheliers généraux ont cité le second.

26Plusieurs sources d’information sont mobilisées bien davantage par les bacheliers généraux que par les bacheliers professionnels (le recours des bacheliers technologiques se situant souvent entre les deux) : c’est le cas des forums et des salons spécialisés, des visites dans les universités ou écoles, des autres sites internet et de la presse, mais aussi, du site APB (admission post-bac). Ces quatre sources d’information sont citées entre 1,7 et 2,7 fois plus souvent par les bacheliers généraux que par les bacheliers professionnels. Il s’agit, dans tous les cas, de sources d’informations extérieures au lycée dans lequel les jeunes préparent leur baccalauréat.

27À l’inverse, deux sources d’information sont mobilisées plus souvent par les bacheliers professionnels (et technologiques) que par les bacheliers généraux : il s’agit des enseignants du lycée ainsi que le lycée lui-même.

28Ces usages montrent une information de proximité pour les bacheliers professionnels, qui choisissent leur orientation au cœur du lycée où ils préparent leur bac, tandis que les bacheliers généraux sortent au-delà de leur lycée chercher l’information qui sera utile à leurs choix. On en déduit que les informations dont disposent les bacheliers professionnels au moment de choisir leur orientation dessinent un horizon des possibles scolaires moins vaste que celui regardé par les bacheliers généraux.

Figure 3. Sources d’information utilisées pour s’orienter en 2014

29Concernant les aspirations scolaires, deux variables d’intérêt ont été retenues. La première porte sur le niveau d’études souhaité par les bacheliers en 2014 (Figure 4). Elle varie, de façon attendue, très fortement selon le type de baccalauréat. La moitié des bacheliers généraux se projette à un niveau bac+5, quand 60 % des bacheliers professionnels se projettent à un niveau situé entre le bac et le bac+2. Parmi les bacheliers technologiques, 41 % souhaitent atteindre le niveau bac+3.

Figure 4. Niveau d’études souhaité en 2014 selon le type de baccalauréat

30La seconde variable indique la filière d’études souhaitée par les bacheliers (Figure 5). Elle a été construite en suivant la méthode suivante : lorsque le bachelier déclare en 2015 être inscrit dans la formation « qu’il voulait », on considère la formation suivie comme celle souhaitée ; lorsqu’il déclare ne pas être inscrit dans la formation de son choix, on retient celle qu’il indique comme étant la formation qu’il aurait souhaité suivre. Enfin, quand et seulement quand ces informations sont manquantes, on retient la valeur du premier vœu indiqué sur le site APB. Ce choix de n’utiliser l’information d’APB qu’en dernier recours a deux explications : faire primer l’information déclarée par l’enquêté en raison des stratégies parfois complexes d’utilisation du site APB pouvant rendre la notion de « premier vœu » équivoque ; mais aussi la faible qualité de l’appariement avec APB dans le panel, qui nous conduit à utiliser les variables issues d’APB avec modération.

Figure 5. Filière de formation souhaitée en 2014 par les bacheliers professionnels

31On constate l’hégémonie des STS sur les projets scolaires des bacheliers professionnels : 62 % d’entre eux s’y projettent et elles constituent leur quasi seul horizon possible avec la catégorie des formations secondaires ou non identifiées.

32Les STS sont également souhaitées par presque la moitié des bacheliers technologiques. Chez les bacheliers généraux, c’est la licence universitaire (dont la première année commune aux études de santé) qui rassemble près de la moitié des souhaits d’études.

3. Le niveau d’études espéré, insensible aux conseillers d’orientation

33Pour tester la première hypothèse (H₁), nous estimons d’abord le nombre d’années d’études souhaité par les bacheliers professionnels après leur bac (Modèle 1).

34Une régression linéaire du niveau d’études souhaité après le bac confirme que l’origine socioéconomique et culturelle détermine, nettement et positivement, le nombre d’années d’études supérieures souhaité. La taille de la commune de résidence au bac joue également un rôle très fort sur le niveau d’études envisagé. Enfin l’augmentation de la moyenne obtenue au baccalauréat conduit à allonger le projet d’études.

35Dans un second temps, les variables relatives aux sources d’information mobilisées pour l’orientation ont été ajoutées au modèle afin de tester la deuxième hypothèse (H₂).

36Le fait le plus marquant dans ce modèle est l’absence très nette d’effet des deux sources d’information les plus institutionnelles : le fait de s’être informé, respectivement, auprès d’un conseiller d’orientation ou d’un centre d’information jeunesse, n’exerce aucun effet sur le niveau d’études souhaité par les bacheliers professionnels.

37Parmi les sources d’information ayant un effet sur les aspirations scolaires, une seule exerce un effet négatif : il s’agit de celui des membres de la famille, qui a tendance à réduire le niveau d’études souhaité.

38Toutes les autres sources exercent un effet significatif et positif sur le niveau d’études souhaité, qui n’est cependant pas de la même intensité : dans l’ordre, l’effet le plus faible est celui du lycée (séances d’information, brochures) suivi dans l’ordre croissant d’intensité, des effets des amis, des forums ou salons spécialisés, des échanges avec les enseignants du lycée, des sites internet ou de la presse, des universités ou écoles supérieures (journées portes ouvertes (JPO), brochures) et enfin, du site APB. La plateforme d’allocation des bacheliers dans l’enseignement supérieur, dont la fonction première est de sélectionner formellement les bacheliers et non pas de construire avec eux leur choix d’orientation, apparaît bien comme un déterminant important du choix scolaire et du projet d’études supérieures.

39Cet effet est positif dans le sens où les bacheliers professionnels qui ont utilisé APB comme source d’information pour leur orientation affichent une ambition scolaire plus forte (c’est-à-dire souhaitent un niveau d’études plus élevé) que ceux qui ne l’ont pas utilisé. On peut toutefois se demander si l’effet mesuré est bien celui d’APB sur le niveau d’études souhaité, ou si le fait d’utiliser APB comme source d’information peut également constituer le résultat d’une aspiration scolaire plus ambitieuse.

4. À chaque filière ses déterminants de l’orientation

40Une deuxième série d’analyses consiste à estimer la probabilité de souhaiter poursuivre dans une filière d’études plutôt qu’une autre, en fonction du profil des bacheliers (H₁) puis des sources d’information qu’ils ont utilisées pour leur orientation (H₂).

41Ces régressions logistiques sont exécutées successivement sur les différents souhaits de formation, à commencer par l’estimation de la probabilité de souhaiter poursuivre en STS (Modèle 2).

4.1. Vers les STS

42Parmi les bacheliers professionnels ayant émis un souhait d’études supérieures, les facteurs individuels semblent très peu déterminants de la probabilité de souhaiter étudier en STS. Autrement dit, le profil socioéconomique et démographique des bacheliers professionnels joue très peu sur cette aspiration.

43La seule dimension du profil ayant un effet fort et global est la dimension scolaire. En effet, les retraits séquentiels ont conduit à extraire du modèle la plupart des variables de profil en raison de leur non-significativité dans le modèle. Seul le fait d’être une femme a un effet (négatif) sur l’aspiration aux STS. On n’observe, notamment, pas d’effet de l’indice économique, social et culturel.

44Ceci peut s’expliquer par le fait que les bacheliers professionnels sont déjà eux-mêmes très sélectionnés par rapport aux autres bacheliers (très nettement de milieu populaire, davantage présents dans les campagnes, etc.), mais aussi parce que la prédominance des STS dans les vœux des bacheliers professionnels est telle qu’il n’apparaît pas nettement de facteur individuel prédictif déterminant. Cette quasi-inexistence de facteurs individuels dans la sélection informelle vers les STS conforte le positionnement de cette formation comme le seul horizon possible des bacheliers professionnels.

45In fine, les facteurs individuels ayant un effet sur la probabilité de s’inscrire en STS semblent essentiellement d’ordre scolaire, au premier rang desquels figurent les notes au bac. Ici la STS se dessine clairement comme la filière des « moyens » avec un effet des moyennes au bac situées entre douze et quatorze qui augmentent la probabilité de vouloir une STS (par rapport à une moyenne de dix), mais pas les notes supérieures. La moyenne la plus basse (moins de dix avant le rattrapage) en diminue la probabilité. La STS n’est donc plébiscitée ni par les jeunes les moins performants, ni par les jeunes les plus performants. On retrouve ici la jeunesse « sans éclat et sans écart » déjà décrite par Sophie Orange (2013, p. 5).

46Une fois ajoutées à l’estimation les sources d’information mobilisées pour s’orienter, on retrouve les mêmes tendances sur les variables renseignant le profil des bacheliers professionnels (Modèle 2).

47La moitié des sources d’orientation sont significatives. Parmi elles, deux exercent un effet négatif sur la probabilité de souhaiter s’orienter en STS : la famille et les établissements supérieurs. On note ici que la formulation de la question posée en enquête induit probablement un biais de réponse : en effet, on présume que la question portait sur le fait d’avoir mobilisé comme source d’information les établissements de formation supérieure quels qu’ils soient (dont les lycées proposant la STS, donc), or la modalité « universités ou écoles (JPO et brochures) » omet ce type d’établissement, ce qui autorise à imaginer que l’enquêté qui se serait rendu dans une JPO pour une STS n’a pas coché, logiquement, cette case.

48Restent ensuite les sources d’orientation tendant à augmenter la probabilité des bacheliers professionnels à se tourner vers les STS, dans l’ordre croissant d’intensité de leur effet : les enseignants du lycée (du bac), le lycée (du bac) et enfin, à nouveau en tête, l’application APB. Le très fort effet du lycée d’origine sur l’attraction en STS converge encore avec les travaux de Sophie Orange et le « conditionnement » des aspirations scolaires opéré au lycée en direction des STS.

4.2. Vers la licence universitaire

49Les mêmes estimations ont ensuite été conduites sur la probabilité de souhaiter s’orienter en licence universitaire (Modèle 3).

50À l’inverse des STS, l’aspiration à étudier en licence apparaît bien davantage déterminée par des facteurs individuels. Dans les grandes lignes, la licence apparaît clairement plébiscitée par les bacheliers professionnels les moins dotés.

51Sur le plan socioéconomique et culturel, plus le milieu d’origine des jeunes s’élève, moins ils ont de probabilité de souhaiter s’inscrire en licence. Au niveau géographique et démographique, le fait d’être originaire des Dom, d’une grande ville ou de Paris contribue à augmenter les chances de souhaiter s’inscrire en licence.

52Quant au profil scolaire, le modèle dessine clairement la licence universitaire comme la filière de prédilection des bacheliers professionnels les moins performants. Si la STS est la filière des bacheliers professionnels « moyens », alors la licence est celle des « faibles ». En effet, le fait d’avoir accumulé du retard scolaire, d’avoir eu son bac au rattrapage, sont des caractéristiques tendant à augmenter la probabilité de souhaiter la licence. Dans la même perspective, plus la moyenne obtenue au baccalauréat s’élève, plus la probabilité d’être attiré par la licence diminue.

53Concernant les variables d’information, le fait de s’être renseigné sur les forums ou salons spécialisés, ainsi que via des sites internet ou la presse ou encore auprès de la famille, n’a pas d’effet sur le fait de choisir l’université.

54Toutes les autres sont significatives : certaines exercent un effet négatif, comme le fait de s’être informé auprès des enseignants du lycée, d’un conseiller d’orientation, ou dans le lycée à l’occasion de séances d’information ou de brochures. Ceci suggère que l’exercice de prescription institutionnelle (Orange, 2010) voire de dissuasion (Beaud & Pialoux, 2001) par lequel les enseignants et professionnels de l’orientation tendent à éviter que les bacheliers professionnels ne s’orientent pas vers l’université, produit une certaine efficacité.

55Les informations augmentant la probabilité d’être attiré par l’université sont, de façon assez logique, celles issues de l’université, mais aussi les amis et le site APB.

56Enfin, la source d’information prédisant le plus intensément la volonté de s’inscrire à l’université, est la visite en CIO. Ce résultat interroge quand on sait que la politique publique ne tend pas à diriger les bacheliers professionnels vers l’université mais au contraire, à les en détourner vers leur filière « réservée », la STS. Il peut néanmoins demeurer une ambiguïté sur le sens de la causalité de cet effet, pour les mêmes raisons que celles déjà mentionnées sur l’effet APB : en effet, il est possible que les bacheliers professionnels les moins performants, donc ayant le moins d’opportunités d’orientation, soient plus susceptibles que les autres de se rendre en CIO. L’effet CIO serait alors en partie un effet du profil des bacheliers les moins outillés. Si tel était le cas, ce résultat interrogerait cependant car il signifie, a minima, que les CIO ne parviennent pas à fournir une réponse autre que l’université à ces jeunes peu dotés affichant un souhait de faire des études supérieures.

4.3. Vers les formations secondaires

57Dans un troisième temps, a été estimée la probabilité de souhaiter poursuivre dans une « formation secondaire ou non identifiée » (Modèle 4), catégorie dont on ne sait pas plus précisément à quelles formations elle réfère. On suppose que la mention complémentaire y occupe une place notable. L’intérêt pour cette catégorie vague est justifié par le fait qu’elle est souhaitée par 17 % des bacheliers professionnels. C’est la deuxième catégorie de formation la plus désirée après les STS.

58Le fait de souhaiter se tourner vers une formation secondaire ou non identifiée apparaît fortement influencé par les caractéristiques individuelles. Notamment, les facteurs démographiques pèsent lourd dans ce choix avec ces deux effets très nets : les jeunes femmes ont davantage tendance à se tourner vers ces formations que les hommes, ainsi que les résidents des zones rurales ou peu densément peuplées. Les facteurs scolaires sont encore présents et dessinent cette fois des formations désirées par les jeunes peu performants scolairement.

59Sous le contrôle de ces effets, les sources d’information mobilisées pour l’orientation contribuent très peu à donner l’envie aux bacheliers de se diriger vers une autre formation. La majorité des sources d’information se révèle non liée à la variable d’intérêt. Seules quatre variables présentent des effets significatifs.

60Dans le registre de la vie privée, le fait de s’être informé auprès de sa famille tend à augmenter l’attraction vers les formations secondaires mais à l’inverse, le cercle des amis conduit plutôt à s’en éloigner.

61Quant aux informations issues de l’institution éducative, le fait de s’être renseigné au sein de son lycée d’origine diminue l’envie d’une formation secondaire ou non identifiée : cela signifie qu’au sein des lycées professionnels, le « cadrage » des aspirations des bacheliers professionnels ne se réalise pas uniquement vers le bas. Au contraire, il apparaît que l’institution dissuade les bacheliers professionnels de poursuivre leurs études dans une formation secondaire plutôt que vers une formation supérieure.

62Enfin, le fait de s’informer via le site APB réduit considérablement les chances de souhaiter une autre formation. Néanmoins, l’utilisation du site APB soulève encore une question d’interprétation dans la mesure où cet usage paraît pouvoir intervenir, dans de nombreux cas, une fois la formation choisie donc après la réalisation de la variable d’intérêt. Des jeunes ayant choisi de s’orienter dans une formation absente d’APB, par exemple, n’ont que peu de raisons de se rendre sur le site APB. Or c’est probablement le cas de beaucoup des jeunes ayant souhaité « une formation secondaire ou non identifiée » et l’effet observé du site APB est à interpréter ici avec beaucoup de précaution.

4.4. Vers les formations paramédicales

63Ont ensuite été estimées les chances de souhaiter se tourner vers les formations du domaine paramédical, qu’il s’agisse d’une formation supérieure ou d’une année préparatoire (Annexe 3).

64Sans surprise, l’aspiration vers ces formations dites du « care » est largement déterminée par le genre et les femmes ont dix fois plus de chances que les hommes de vouloir s’y engager. Ces formations sont également nettement plébiscitées par les jeunes issues des zones peu densément peuplées. Le fait d’être issu d’un lycée privé augmente les chances de vouloir se tourner vers le paramédical mais la performance scolaire au baccalauréat, en revanche, ne détermine pas l’attraction vers les formations paramédicales.

65Les variables d’information sont, pour la plupart, non liées à la variable d’intérêt, et pour les trois autres, liées négativement.

66Ainsi le fait de s’être renseigné dans des forums ou salons, auprès d’enseignants du lycée ou sur le site APB, conduisent à diminuer la probabilité de souhaiter s’orienter en formation paramédicale.

67Aucune des variables d’information disponibles ne tend à augmenter l’envie des bacheliers de se diriger vers une formation paramédicale. Ceci tendrait à converger avec l’image répandue de formations « vocationnelles », dont l’attrait serait davantage déterminé par des caractéristiques personnelles que par l’institution scolaire. Cette notion de vocation reste néanmoins précédée par l’effet écrasant du fait d’être une femme.

4.5. Vers les IUT

68Enfin, la probabilité de se projeter en IUT a été estimée, bien que ne rassemblant que 2 % des bacheliers professionnels aspirant à l’enseignement supérieur (Annexe 4).

69Sans surprise, l’IUT qui n’est pas présenté aux bacheliers professionnels comme une possibilité d’orientation, apparaît comme une filière plébiscitée par les étudiants dotés et performants.

70C’est le capital scolaire qui constitue le déterminant le plus fort du fait de se projeter en IUT. Socialement, l’IUT est la formation des jeunes issus des milieux intermédiaires et aisés : ainsi la probabilité de se projeter en IUT augmente avec l’indice de statut socioéconomique et culturel. Sur le plan du passé scolaire, on voit aussi que l’IUT n’attire pas uniquement des profils d’élite, dans la mesure où l’effet de l’âge est non significatif, montrant que le fait d’avoir redoublé n’empêche pas de se projeter en IUT.

71Un dernier effet apparaît, moins attendu celui-ci : les bacheliers professionnels ayant déclaré vivre avec leur mère seule ont davantage de probabilité de vouloir s’orienter en IUT, par rapport aux jeunes ayant déclaré un autre mode d’habitat.

72Pour les autres formations, un effet très ténu du mode d’habitat avait été observé à plusieurs reprises, mais si léger que restant quasiment toujours à la lisière de la significativité. Ces variables ont donc été retirées des modèles précédents. Nous soulignons néanmoins un intérêt potentiel à étudier plus en détail l’effet du mode d’habitat (ou plus précisément de la composition du foyer) sur les aspirations scolaires. Ici, l’effet est net, mais nous manquons d’éléments pour l’expliquer.

73Concernant les sources d’information, seules deux d’entre elles exercent un effet significatif et positif sur la probabilité de se projeter vers l’IUT : ce sont le fait d’avoir visité l’IUT (écoles ou université) ainsi que de s’être renseigné auprès des amis.

Conclusion

74En définitive, le lien entre les STS et les bacheliers professionnels apparaît si fort que les facteurs socioéconomiques et démographiques n’ont pas d’influence sur le fait de souhaiter s’orienter en STS. Les capitaux scolaires, eux, jouent et dessinent très clairement la STS comme la filière des « moyens ». Son chemin est tout indiqué dès l’enseignement secondaire par les acteurs de l’orientation au sein du lycée.

75La licence universitaire apparaît comme celle des bacheliers professionnels les plus « faibles », dissuadés de s’y orienter par tous les acteurs de l’orientation sauf, étonnamment, les CIO dont la visite tend à stimuler les projets d’inscription à l’université.

76Les « formations secondaires ou non identifiées » sont celles des femmes et des jeunes ruraux. Les bacheliers de faible niveau scolaire, mais aussi les apprentis et les lycéens du privé s’y retrouvent. C’est le cadre familial qui a tendance à diriger vers ces formations.

77De façon comparable, les formations paramédicales, en plus d’être de façon attendue largement celles des femmes, sont aussi celles des bachelières les plus « faibles » et des résidentes en zone peu densément peuplée. L’attrait vers ces formations n’est déterminé par aucune des sources d’information mentionnées dans l’enquête, ce qui accrédite l’image de formations « vocationnelles ».

78Enfin, l’IUT, souhaité par seulement 2 % des bacheliers professionnels voulant poursuivre, apparaît comme une formation certes socialement marquée, en ce qu’elle est clairement celle des bacheliers professionnels « excellents » et plutôt aisés. Mais cette formation n’est pas la plus marquée socialement dans la mesure où le déterminant essentiel de son souhait est le niveau de performance scolaire.

79Pour finir, nous montrons que l’outil APB forme davantage qu’une simple chambre d’enregistrement et que ses usages a minima, mais peut-être aussi ses effets, sont différenciés. Une question mérite d’être posée concernant les usages du site APB et son rôle dans la construction des choix d’orientation.