1Le site de San Juan las Vegas était au Classique tardif un petit centre civico-religieux entouré d’une zone d’habitat s’étendant sur les deux rives du rio Chicruz, et qui devait grouper une centaine d’habitations au plus, soit une population de 500 à 700 habitants.

2Le site avait déjà été occupé au Préclassique. Nous n’avons trouvé aucune structure datant certainement de cette période (sauf peut-être A-1a), mais le matériel préclassique provenant des remblais des monticules du centre cérémoniel et du groupe B est assez abondant (de 6 à 60 % des tessons classés selon la structure). Nous avons de plus deux niveaux très nets – même s’ils ne sont pas marqués par des sols proprement dits – dans les str. A-3 et A-2, ce dernier comprenant un foyer, et une sépulture à même le sol 40 cm plus bas. Le site préclassique devait être peu étendu (aucun tesson préclassique dans les zones d’habitat en dehors du groupe B) et ne comportait apparemment pas de structure cérémonielle. Nous avons donc en résumé pour cette période ancienne un petit site d’habitation installé sur la rive sud du rio Chicruz et occupant la terrasse du futur groupe A et les pentes plus au sud.

3L’activité architecturale marquant l’organisation du centre cérémoniel date sans doute du Classique tardif. En effet, dans les quelques superpositions relevées – dans les str. A-1, A-3 et A-4 – aucune des structures anciennes, sauf peut-être A-1a, ne peut être attribuée à une période antérieure. Dans les 12.000 tessons récoltés sur l’ensemble du site, seules les périodes préclassique et classique tardive, ainsi que dans une très faible mesure postclassique, sont représentées : pas un seul ne peut être attribué au Classique ancien, non plus d’ailleurs qu’au Protoclassique ou à l’Epiclassique.

4Plusieurs traits nous avaient cependant fait envisager, au cours des fouilles, la possibilité d’une occupation datant du Classique ancien : traits négatifs, comme l’absence de bloc central dans la pyramide principale, l’absence de tombes voûtées... ; et traits positifs : le type du jeu de balle surtout, qui serait plus ancien que celui à extrémités ouvertes, les offrandes de galets de quartz, trait qui apparaît dès le Préclassique tardif, mais plus caractéristique du Classique ancien... Néanmoins nous devons constater pour l’instant, en attendant les conclusions d’une étude plus poussée de la céramique, cette évidence : un hiatus a dû séparer, à San Juan, l’occupation préclassique de celle du Classique tardif.

5Quant à l’Epiclassique, aucun tesson, aucune sépulture ne peuvent lui être rattachés. La seule preuve d’une activité épiclassique pourrait être le viol de la tombe de la str. A-4 ; encore les données de la fouille ne sont-elles pas absolument convaincantes.

6Enfin – et ceci est l’un des traits les plus originaux de San Juan – le centre cérémoniel a été réutilisé au Postclassique tardif, dans une mesure très limitée il est vrai, pour un culte funéraire : deux urnes à crémation ont été déposées dans la pyramide principale. Une certaine occupation postclassique est aussi évidente dans les groupes d’habitat B et C, tous deux au sud du rio Chicruz et à proximité du centre cérémoniel. On peut souligner à ce propos que les sites postclassiques les plus proches de San Juan sont :

• sur le rio Chicruz : Chilu, à 6 km en amont, centre cérémoniel important, avec une dépendance plus modeste, Chilu 2, à 1 heure de marche de San Juan ;

• sur le Chixoy : El Jocote, directement accessible en passant par le groupe D et le cerro El Jocote ; et Chicruz, en suivant le rio jusqu’à son confluent avec le Chixoy, à 5 km en aval.

7Pour en revenir au Classique tardif, sa période d’apogée, le site de San Juan las Vegas comprend alors le centre cérémoniel et au moins 5 ensembles résidentiels regroupant, nous l’avons vu, de 500 à 700 habitants. Cette occupation classique dût être assez longue, compte tenu des trois réorganisations de la str. A-3 et de l’abondance du matériel, avant l’abandon probable du site dès le Classique terminal.

8La fouille des 5 structures constituant le centre cérémoniel nous a apporté des éléments intéressants dans la mesure où ils confirment ceux dont nous disposions déjà grâce à la fouille des sites classiques étudiés à ce jour – Los Encuentros, Chitomax, El Jocote... – ou qu’ils s’en éloignent au contraire pour marquer le caractère original propre à chaque site. Parmi les premiers, nous citerons l’existence des tombes à toit horizontal, l’architecture par “blocs” de la str. A-4a (voir Chitomax), le culte lithique (pierres bizarres, offrandes de quartz, utilisation préférentielle du schiste et de la pierre ponce dans un contexte funéraire). Parmi les seconds, le type unique du jeu de balle, les sépultures multiples des str. A-1 et A-4, des premiers surtouts qui constituent une véritable fosse commune révélant soit la pratique de sacrifices humains massifs (dont nous n’avons aucune preuve ailleurs), soit l’existence d’opérations guerrières relativement coûteuses en vies humaines, suivies d’un rituel de réinhumation. Les sépultures secondaires ne sont pas inconnues dans d’autres sites, à Los Encuentros par exemple, mais leur généralisation serait plus tardive.

9San Juan est un centre modeste, encore que doté d’un jeu de balle imposant (mais jusqu’à quand l’a-t-on utilisé...?) et ne peut être comparé ni à Los Encuentros, ni à Chitomax, les centres principaux de la vallée au Classique tardif. Notre site devait avoir des relations plus étroites avec le second, beaucoup plus proche (2 heures de marche au lieu de 6 au moins pour le premier), comme le prouve d’ailleurs la parenté des céramiques de San Juan et de Chitomax ; évitons de parler ici de relations de dépendance, car chacun des sites classiques de la vallée est très différent des autres, et cette originalité est le reflet d’une certaine autonomie.

10Vers le sud par ailleurs, le centre le plus proche de San Juan au Classique tardif est Pakakja, qui se trouve sur le plateau de Rabinal, à 2 heures de marche de San Juan (fig. 1). Pakakja est un centre majeur qui devait, lui, avoir autorité sur les centres moins importants, aussi bien sur le plateau que dans la vallée. Les circonstances nous ont malheureusement empêché d’effectuer à Pakakja l’étude détaillée qui nous permettrait de préciser le degré et la nature des relations qu’il entretenait avec les autres sites de la même époque.

11San Juan, nous l’avons vu, est aussi proche des sites du bassin de Cubulco (qui restent d’ailleurs à localiser pour la période classique), puisque les pistes qui mènent de ces deux riches plateaux vers le nord convergent sur le cours inférieur du rio Chicruz et traversent obligatoirement notre site.

12L’importance très relative du centre cérémoniel de San Juan las Vegas est soulignée par le caractère généralement médiocre de l’architecture et la pauvreté réelle du matériel, aussi bien céramique que lithique. Une exception doit être faite pour les grands encensoirs à effigie, particulièrement riches et abondants ici, comparables en qualité artistique à ceux de Chitomax, Guaynep et El Jocote. Mais les autres offrandes dans les tombes, dans les caches, sont pauvres, et les types non utilitaires d’une qualité et d’une variété très limitées : aucun polychrome du Petén, et même les types fins provenant de la Alta Verapaz, comme le Nitro Blanc incisé, sont absents, alors qu’on les trouve dans plusieurs sites de la vallée du Chixoy. Ces comparaisons n’ont pas seulement l’intérêt de révéler une certaine hiérarchie entre les sites : elles permettent, dans le cas de San Juan, de souligner les traits qui rapprochent notre site beaucoup plus de Chitomax et des sites du Chixoy en amont de Chicruz, que de ceux situés entre Chicruz et le barrage. Il pourrait bien y avoir là, à partir de ce nœud de communications que constitue la jonction des trois rios – Chixoy, Chicruz et Calá – une coupure entre les sites classiques de l’aval (Los Encuentros, Pueblo Viejo) et ceux de l’amont (El Jocote, Chitomax...) et un changement dans l’orientation culturelle, vers la Verapaz pour les premiers, vers le Quiché pour les seconds – orientation qui deviendra évidente à partir de Chimul, à la frontière actuelle, précisément, des deux départements d’El Quiché et de Baja Verapaz.