Archéologie de sauvetage dans la vallée du Río Chixoy 3
| ,Chapitre VII. Conclusions
Texte intégral
1L’évolution du site d’El Jocote au cours des différentes périodes qui ont précédé – et suivi – la conquête espagnole de 1524 peut être reconstituée à partir des données fournies par nos fouilles ; ces données concernent essentiellement : l’implantation du site (structures cérémonielles, habitations), l’orientation générale des structures, les techniques architecturales, les coutumes religieuses et funéraires, enfin le matériel céramique et lithique.
2Quatre périodes d’occupation successives, peut-être séparées par des périodes d’abandon, ont ainsi pu être décelées.
L’occupation préclassique
3La première occupation d’El Jocote date apparemment du Préclassique moyen (vers 500 av. J.C.?). L’étude plus détaillée du matériel doit nous permettre de préciser ce point ; cependant la fréquence de types comme l’Utatlán bichrome, de formes telles que les tecomates, semble prouver une occupation antérieure au Préclassique tardif, bien que le site n’ait vraiment connu son essor que durant cette dernière période.
4Nous savons grâce aux travaux des linguistes (cf. Marie-Charlotte Arnauld, 1980 : 26) que l’arrivée dans notre zone des premiers groupes Kekchi et Pokomchi venant de la région d’Uspantán date de cette époque. Selon Campbell (1976 : 11), les Kekchi se seraient séparés du groupe quichéen de la région Sacapulas-Uspantán-Cunén vers 600 av. J.C. pour émigrer vers Cobán. Cette migration pourrait correspondre à la fondation des sites préclassiques de la vallée du Chixoy, qui était l’une de ses voies possibles. Vers 200 av. J.C., les Pokom à leur tour auraient quitté la région d’Uspantán-Sacapulas pour gagner la Baja Verapaz (Kaufman, 1976).
5Au Préclassique tardif, les habitants d’El Jocote seraient donc déjà des Pokom ; ils devaient le rester pendant près d’un millénaire.
6Comment se présentait le site à cette époque ?
7Une telle reconstitution restera en grande partie hypothétique. Nous savons que deux terrasses naturelles étaient occupés : la Vega de Ixquel (tout-au-moins sa partie sud) et la terrasse du groupe A, zone à la fois cérémonielle et résidentielle. Le centre cérémoniel n’était constitué que d’une seule structure, A-5a, dont la forme et les dimensions nous sont inconnues ; si nous admettons que la str. A-5 est entièrement préclassique jusqu’au niveau du temple que nous avons mis au jour et qui date, lui, du Classique tardif (cf. supra p. 27), elle devait avoir entre 1,50 et 2 m de hauteur. Ce monticule, qui supportait peut-être un temple, a révélé l’existence d’une superposition : un premier sol est apparu au niveau + 20 environ, avec plusieurs sépultures à même le remblai et une vingtaine de poteries entières, sans doute déposées là comme offrandes au moment de la surélévation de la substructure. Cette dernière opération peut être datée, précisément par le type des poteries (nous n’avons pas trouvé de charbon permettant une datation absolue), du Préclassique tardif.
8Deux autres structures, A-3 et A-8, dateraient de cette époque, mais il s’agit de structures d’habitation. A-3 Est devait avoir environ 1 m de hauteur ; les murs de soutènement étaient faits de simples galets liés par de l’argile ; la superstructure en matériaux périssables n’a laissé aucune trace. La str. A-8 (partie centrale) était identique, bien qu’un peu plus basse (80 cm).
9Il reste un doute au sujet de la str. A-4, dont le remblai au-dessous du niveau +140 est entièrement préclassique. Nous sommes certains, par contre, que la “longue maison” A-2, la pyramide A-1 et le jeu de balle n’existaient pas encore.
10En résumé, au Préclassique tardif, le groupe A d’El Jocote comprenait une petite structure cérémonielle A-5, encadrée au nord et au sud de deux structures d’habitation dont l’importance est marquée par la hauteur de leur substructure.
11Le matériel préclassique est abondant dans les sondages des deux places au nord et au sud de la str. principale ; il l’est aussi dans les remblais et les déblais extérieurs des monticules classiques ou postclassiques (en dehors de A-2). Il est donc certain que l’occupation ancienne ne se limitait pas aux trois (ou quatre) structures les plus importantes : la terrasse du groupe A devait être entièrement peuplée. La coutume voulait que les morts fussent enterrés sous le sol de leur maison, ce qui expliquerait la présence des sépultures mises au jour au niveau du talpetate en plusieurs endroits (centre de la str. A-3, nord du mur A-11, puits HH).
12Le fait à souligner dans cette organisation du centre préclassique d’El Jocote est l’existence d’une structure cérémonielle unique et de dimensions modestes relativement aux structures d’habitat voisines, qui avaient presque la même hauteur. Elle est en total contraste avec les centres contemporains des plateaux de Rabinal (Chiwiloy) et de Cubulco (La Laguna), qui comprennent plusieurs structures imposantes dont certaines atteignent 10 m de hauteur.
13Il apparaît donc qu’au Préclassique tardif l’occupation de la vallée moyenne du Chixoy ait été assez réduite par rapport à celle des plateaux s’étendant au sud entre le fleuve et la sierra de Chuacús. Elle se présente sous la forme d’une série de petits sites, dotés d’une seule structure cérémonielle (et funéraire) répartis le long du Chixoy et de ses affluents. Une dizaine de ces sites ont été reconnus dans la zone de retenue du barrage ; le plus important serait Los Encuentros.
L’occupation classique
14Nous n’avons pas de preuve certaine de la continuité de l’occupation d’El Jocote durant la période : Protoclassique-Classique ancien et moyen, qui va de 100 à 600 ap. J.C. environ. Le Protoclassique n’y est pas du tout représenté. Le nombre des tessons ou des poteries que l’on pourrait attribuer au Classique moyen, période caractérisée par l’influence de Teotihuacán, est infime : rares supports creux de forme aplatie (slab feet) et décorés d’une croix évidée, vase cylindrique tripode G/5 trouvé sur la face est de la str. A-5 (supra p. 20) offrande V/2 du niveau +137 dans la même structure...
15Cette situation n’est pas particulière à El Jocote : l’absence d’un horizon classique ancien-moyen a été notée dans tous les sites fouillés jusqu’ici dans la vallée ; elle semble même s’étendre à toute la Verapaz (M.C. Arnauld 1980). On peut se demander cependant si cette impression de vide ne provient pas de notre connaissance encore imparfaite de la séquence céramique de notre zone, qui masquerait une remarquable continuité culturelle entre le Préclassique et le Classique tardif, soit un laps de temps de près de 8 siècles. Cependant, Marion Popenoë Hatch, qui a étudié le matériel provenant d’un puits stratigraphique pratiqué dans la pyramide A-2 de Los Encuentros – cette pyramide contenait des sépultures préclassiques, protoclassiques et du classique tardif – conclut à un abandon probable du site au Classique moyen : “... Early Classic ceramics are not abundant and there are none relating to the late part of the phase (i.e., the Middle Classic), nor is there any evidence of Teotihuacan influence. It thus appears that a hiatus, possibly brief, interrupts the sequence during this interval”. (in “Archéologie de sauvetage dans la vallée du rio Chixoy. 4 : Los Encuentros”, à paraître).
16Dans l’état actuel de nos recherches, nous devons donc admettre l’existence d’une période d’abandon de la plupart des sites durant le Classique ancien et moyen, sans qu’il soit encore possible de relier ce fait à quelque évènement marquant l’histoire générale de l’occupation de la vallée.
- 1 Nous disposons de deux datations absolues : 870 ± 60 ap. J.C. (GIF-5204 et 5205). Le premier échant (...)
17Pour en revenir à El Jocote, la stratigraphie de la str. A-5 montre une rupture nette, au niveau + 180, entre la partie inférieure du monticule, qui daterait, d’après le matériel, du Préclassique tardif, et la partie supérieure, qui est certainement du Classique tardif1. Nous en concluons provisoirement que le site d’El Jocote a été abandonné vers le début de notre ère pendant 4 ou 5 siècles ou que l’occupation, pendant cette période, a été très faible, sans commune mesure avec l’occupation “massive” du site au Classique tardif. C’est en effet durant cette période qu’El Jocote connaît son apogée, si l’on en juge par l’abondance du matériel et par la multiplication des zones d’habitat, aussi bien à l’est qu’au sud, la Vega de Ixquel continuant à être utilisée.
18En comparaison de cette extension de l’habitat, le centre cérémoniel nous apparaît encore bien modeste. Il comprend en effet une seule pyramide-temple, qui n’a fait que réutiliser, sans guère la rehausser, la substructure préclassique ; et plusieurs habitations “nobles”, A-3, A-8, A-4 (?), construites elles aussi sur des monticules préexistants. La structure principale, A-5, est une petite pyramide à 1 ou 3 gradins, de 1,80 m de hauteur, supportant un temple aux murs de pierre ouvert à la fois au nord et au sud. Il est probable toutefois que la pyramide est orientée vers le nord, avec un escalier sur cette face et un bloc central formé par le ciste 1.
19L’orientation générale des structures de cette période est proche de 17° à l’est du nord magnétique. C’est aussi l’orientation de nombreux sites mexicains, comme le note Aveni (1975 : 166), en particulier celle du grand axe de Teotihuacan (15° 21’).
20L’occupation classique d’El Jocote s’est déroulée en deux phases, dont nous venons de décrire la première. Au cours de la seconde, le temple de la str. A-5 est comblé de pierre ponce et de sable, la substructure surélevée de 1,20 et agrandie de 3m. vers l’est. C’est probablement aussi à cette occasion qu’elle est dotée vers le nord d’une plateforme un peu plus basse, se terminant par un grand escalier donnant sur la place, et contenant les cistes 2, 3 et 4. Cette disposition d’une structure à deux niveaux rappelle, nous l’avons dit plus haut, la str. A-13-16 de Chitomax qui constitue le côté est du jeu de balle de ce site ; elle suggère l’existence à El Jocote d’un jeu de balle classique, limité à l’ouest par la str. A-5, dont le couloir et la structure est auraient été recouverts au Postclassique par le jeu de balle tardif. Cette hypothèse n’a cependant pas été confirmée par nos fouilles dans ce dernier.
21De cette époque date aussi probablement le grand mur de contention allant de la str. A-8 à la str. A-2, qui limitait à l’est la place sud ; de même que le premier agrandissement latéral de la plateforme A-3, et l’adjonction d’une plateforme annexe à la str. A-8 Est.
22Dans le domaine religieux, le Classique tardif est marqué à El Jocote par l’existence d’un culte phallique (peut-être lié à Quetzalcoatl, divinité de la fécondité ?), dont le “champignon” de pierre naturel trouvé au centre du temple ainsi que le phallus serpentiforme du ciste 3 devaient être les instruments.
23Aucune tombe voûtée dans la str. A-5 : les sépultures sont contenues dans des cistes ou caissons faits de dalles. Dans un cas, le squelette est étendu avec l’un des bras replié, main sur l’épaule – position particulière, semble-t-il, aux sépultures de cette période dans notre zone. Les autres sépultures à même le sol mises au jour en divers endroits de la terrasse A sont toujours en décubitus dorsal, sans orientation définie (mais toujours vers les points cardinaux), avec parfois une offrande : poterie, collier d’os.
24La zone résidentielle principale est le groupe B, à l’est du centre cérémoniel, qui doit comprendre une dizaine d’habitations ; et la Vega de Ixquel, dont la partie nord est cependant inoccupée – réservée à la culture ? –. Les trois croupes au sud du centre cérémoniel sont également utilisées. C’est sur la dernière, E, que l’on trouve l’ensemble le mieux conservé, ayant peut-être abrité un atelier utilisant des outils d’obsidienne élaborés.
25La multiplication des sites au Classique tardif dans la vallée après une apparente période d’abandon, pose un problème qui ne sera pas abordé ici. Nous nous contenterons de soulever deux questions concernant : 1/ la durée de l’occupation classique ; 2/ les relations d’El Jocote avec les autres sites de la vallée du Chixoy durant cette période.
26Relativement à la première, on peut se demander si l’occupation du site s’est poursuivie au cours du Postclassique ancien, ou plutôt durant cette période de transition, de 900 à 1100 ap. J.C. environ, que l’on tend maintenant à appeler Epiclassique (cf. Fox 1980 : 43-54). Comme nous l’avons dit plus haut en étudiant l’offrande centrale de la grande place, nous penchons pour la négative : aucun des traits qui marquent l’arrivée de l’Epiclassique, par exemple sur le site proche de Los Encuentros – viol systématique des tombes, apparition de la céramique Tohil Plumbate et Fine Orange, pour ne citer que les plus marquants – n’existe à El Jocote. Les deux poteries trouvées au centre de la place peuvent être plus tardives ; et le Plumbate n’est représenté sur le site que par 7 fragments sur un total de près de 50.000 tessons.
27En définitive, nous ne voyons rien d’épiclassique dans le site d’El Jocote : ou bien le site a de nouveau été abandonné à cette époque, ou bien la “vague épiclassique” n’a touché que les sites les plus importants, Los Encuentros et Chitomax. Nous verrons plus loin que la première explication est la plus plausible : il est difficile d’admettre que la dernière occupation, au Postclassique tardif, ait rencontré un site encore en pleine activité. La disposition de la pyramide-temple A-1, comme celle du jeu de balle, laisse supposer au contraire qu’El Jocote était déjà abandonné depuis quelque temps quand ces structures tardives ont été construites.
28Quant au problème de la position d’El Jocote dans l’ensemble des sites de la vallée, nous devons envisager les relations possibles de notre site avec les centres importants, qui sont pour le Classique tardif : San Juan las Vegas (le plus proche : 2,5 km à vol d’oiseau, 5 km par la vallée du río Chicruz), Chitomax en amont (6,5 km le long du Chixoy). Los Encuentros et Pueblo Viejo-Chixoy en aval (respectivement 15 et 18 km). El Jocote se trouve sensiblement à égale distance de Chitomax et de San Juan las Vegas ; il dépendait peut-être du premier de ces sites, qui est le plus important. Les centres secondaires les plus proches, qui sont de petits centres cérémoniels d’une ou deux structures comparables à El Jocote, sont : Chicruz (2,5 km), Lucas Teletor (2,5 km) et Guaynep (4,5 km).
29On peut en résumé penser que El Jocote entretenait des relations de voisinage suivies avec ces trois petits centres, tout en dépendant d’un centre plus important, soit Chitomax, soit San Juan las Vegas. La dépendance de ce dernier site serait plus logique, s’agissant d’un centre situé sur la voie la plus facile allant du río Chixoy au plateau de Rabinal en suivant le cours du río Chicruz, si l’on admet que la “capitale” Pokom de la région était alors Pakakja, un grand centre cérémoniel situé sur le plateau, à 6 km au nord-ouest de Rabinal.
L’occupation postclassique
30Le centre cérémoniel tardif d’El Jocote est contemporain de Cauinal, c’est-à-dire qu’il date du Postclassique tardif. Cela ressort tant de l’organisation générale du site, que du style architectural, des coutumes funéraires et du matériel céramique et lithique. Il n’est pas douteux qu’entre les XIIIe et XVIe siècles El Jocote ait dépendu du grand centre recteur de Cauinal. Encore serait-il intéressant de préciser le type de relations qui existait entre ces deux centres.
31L’occupation postclassique d’El Jocote se manifeste par une réorganisation profonde du centre cérémoniel classique. Les éléments constitutifs d’un centre civico-religieux protohistorique dans la région sont très constants (Ichon et al 1980 : 193) : une pyramide-temple dotée d’un escalier sur chaque côté ; une “maison longue” placée à angle droit ; et une “maison du conseil” faisant face à la pyramide, ou parfois à la maison longue. Ces édifices limitent les trois côtés d’une place dont le quatrième peut être fermé par une ou plusieurs structures moins importantes, analogues, à plus grande échelle, aux plateformes d’habitation courantes.
32Le problème, à El Jocote, fut d’adapter le centre cérémoniel préexistant à ce nouveau modèle ; problème qui ne s’est posé qu’exceptionnellement dans la vallée, car les centres postclassiques ont très généralement évité d’occuper le même emplacement que les centres du Classique tardif auxquels ils succédaient. Ceci est évident aussi bien à Pueblo Viejo-Chixoy qu’à Chitomax et à Chirramos : dans ces deux derniers sites, les ensembles classiques et postclassiques se font face sur les deux rives du fleuve sans qu’on puisse noter aucune interpénétration, même dans le matériel de surface.
33À El Jocote se pose donc un problème d’intégration. Le site classique occupe essentiellement la partie sud de la grande terrasse. On ne peut d’une part réutiliser la structure principale, A-5, trop vaste pour être complètement intégrée à la pyramide-temple (et d’ailleurs des raisons rituelles pourraient s’y opposer, bien que le problème ait été résolu de cette façon à Chicruz) ; d’autre part, la place laissée libre au nord est insuffisante pour loger et la pyramide, et la maison longue, dont les dimensions doivent être scrupuleusement respectées. Une solution, sans doute la plus économique, est alors d’amputer la str. A-5 de toute sa partie nord (qui par la même occasion sera utilisée comme remblai) pour installer à sa place la pyramide-temple. Le fait que l’espace entre les deux structures A-1 et A-5 soit très réduit – 1,50 m – n’est guère gênant puisque l’escalier sud de la pyramide n’est pas fonctionnel : il débouche sur le mur arrière du temple, qui est orienté vers la grande place. Ainsi sont résolus du même coup le problème de l’emplacement de la pyramide-temple et celui de son remblaiement.
34L’emplacement de la maison longue en découle : elle sera sur le côté est de la place, adossée à la colline, légèrement encastrée dans celle-ci, la terre ainsi récupérée étant utilisée pour le remblaiement.
35La maison du conseil A-4 lui fait face sur le côté ouest de la place (elle a peut-être utilisé, en la surhaussant, une plateforme déjà existante).
36Reste la str. A-3, qui limite au nord la place du centre classique. Bien que la deuxième extension latérale de cette plateforme soit certainement tardive (le remblaiement est contient un tesson Plumbate), le style général, avec les murs de soutènement en galets, les escaliers sortant et sans rampe, l’absence de stuc, est très peu postclassique. Cette structure inhabituelle a cependant rempli une fonction importante, comme le démontrent les urnes funéraires enterrées au pied du mur sud, et les grandes jarres à filets ponctués dont les débris jonchent le sol près de l’angle sud-est.
37L’autel Z, sans doute classique, a pu être déplacé au Postclassique pour laisser libre la place.
- 1 Il faut noter cependant que l’orientation des jeux de balle postclassiques est nord-ouest-sud-est d (...)
38Pour le jeu de balle en I à zones terminales, qui est toujours extérieur à la grande place, il ne reste qu’un emplacement disponible : entre l’ensemble des str. A-1 et A-5, et la colline. Celle-ci permet de faire l’économie du monticule limitant à l’est le court ; de plus, si l’on admet l’existence – non prouvée – du jeu de balle classique, il est plus commode d’utiliser le même emplacement que d’avoir à le raser complètement, tout en corrigeant son orientation. Le centre protohistorique adopte en effet une orientation générale proche de 30°, orientation qui est aussi celle des structures principales de Cauinal1.
39Reste la structure la plus au sud, A-8, dont seule la partie annexe, à l’ouest, semble avoir été utilisée – pour une habitation – au Postclassique. A la différence de la str. A-3, elle n’a pas été promue à la dignité de structure cérémonielle (funéraire) ; le dépôt d’une urne au pied du mur nord prouve au contraire son caractère résidentiel, car elle ne contient que les os non incinérés d’un petit enfant, à la différence des urnes à crémation réservées aux plus hauts dignitaires et toujours déposées en un endroit sacré : à Cauinal autour des pyramides-temples, à El Jocote au pied du monticule funéraire A-8.
40En résumé, si l’on peut parler d’intégration du site classique au site postclassique, force est de constater que cette intégration fut très incomplète et superficielle. S’il y a eu intégration, c’est bien plutôt entre le centre préclassique et le centre classique, puisque la même structure cérémonielle, réaménagée bien sûr, a été utilisée dans les deux cas.
41En ce qui concerne le Postclassique, il convient de répéter que le site était probablement abandonné à l’arrivée des nouveaux émigrants. Ceci est prouvé par l’état du monticule A-5 dont la plateforme s’était déjà partiellement effondrée, ensevelissant dans les déblais plusieurs offrandes – poteries, lames d’obsidienne – qui devaient originellement être sur le sommet ; de plus, le mur de soutènement ouest du jeu de balle est visiblement construit sur ces déblais. Les nouveaux arrivants n’ont fait en somme qu’utiliser les structures existantes pour faciliter la construction des nouvelles, sans manifester le moindre respect pour la pyramide ancienne, qu’ils ont proprement coupée en deux. Seule donc la str. A-3 peut être considérée comme “intégrée”, dans la mesure où elle a été réutilisée comme une sorte de monument funéraire.
42Nous voudrions ici souligner deux traits, relatifs aux str. A-1 et A-2 d’El Jocote, qui nous paraissent éclairer des découvertes analogues faites dans les autres sites protohistoriques voisins ; et rechercher enfin les causes du choix d’un site déjà occupé au Classique – comme c’est le cas à Chicruz –, ce qui pose le problème des relations d’El Jocote avec Cauinal et ses sites annexes.
43La découverte d’une boule calcaire en forme de tête de mort au pied de la pyramide-temple A-1 nous donne une indication sur le symbolisme probable de ces galets arrondis, non décorés, trouvés au pied de plusieurs structures cérémonielles et de certaines habitations de Cauinal. Ces galets sphériques seraient un substitut, soit de l’autel circulaire incorporé à la base des pyramides principales (groupes A, B et C-sud), soit d’une représentation anthropo ou zoomorphe stuquée plus réaliste (str. A-5 de Cauinal, pyramides de Chicruz et de Chimul). Ils pourraient être en relation avec la pratique des sacrifices humains.
44Comme Cauinal et les autres sites postclassiques de la vallée, le centre tardif d’El Jocote révèle l’existence de deux phases de construction. Nous avons vu que la pyramide A-1, presque carrée dans un premier temps, a ensuite été allongée de 2,25 m vers l’est. Il est possible que la maison du conseil A-4 ait été surélevée (si l’on admet que la plateforme ancienne était déjà postclassique) ; en tout cas, la partie nord de la structure tardive montre des traces évidentes de transformation. Seule donc la maison longue A-2 semble n’avoir subi ni superposition ni agrandissement latéral. Mais deux remarques doivent être faites à ce sujet : – tout d’abord, les sondages réalisés au centre de la longue superstructure et au centre de l’annexe sud ont révélé, au même niveau, la présence d’abondants fragments d’un sol stuqué. Ils ne peuvent provenir que d’une structure primitive, elle aussi postclassique, qui aurait été entièrement détruite, pour des raisons qui nous échappent, au moment de la construction définitive.
45– d’autre part, la disposition de la plateforme est très particulière, puisqu’elle a été divisée, dès sa construction, en deux parties distinctes représentant les 3/4 de sa longueur au nord, et le 1/4 au sud. La partie nord était réservée à la superstructure de pierre, véritable “maison longue”, avec toutes les caractéristiques de ce type d’édifice ; tandis que la partie sud, accolée à la précédente, supportait une construction de dimension plus modeste et faite de matériaux périssables (adobe ou bahareque). Cette construction était néanmoins assez élaborée, avec banquettes et sol stuqués, et n’avait apparemment pas le caractère d’une annexe à fonction domestique (cuisine ou autre).
46Nous pensons qu’une telle structure annexe pourrait bien exister sur les maisons longues de plusieurs autres sites, où nous avons noté que la plateforme n’est pas entièrement occupée par la superstructure de pierre : par exemple à Cauinal la str. A-13 et la maison longue du groupe B. On pourrait penser que cet espace libre était prévu pour une éventuelle extension de la maison longue liée à un phénomène de croissance démographique. Il nous semble plutôt maintenant que la plateforme de la maison longue, dans certains cas tout-au-moins, a été prévue pour supporter deux superstructures, contrastant par leur dimension et leur mode de construction, sinon par leur organisation intérieure. La fonction de ces deux édifices pouvait être la même, mais leurs différences reflèteraient une hiérarchie dans le statut des groupes sociaux à qui elles étaient destinées. L’hypothèse de l’organisation d’El Jocote en deux “moitiés” ou lignages inégaux, n’est pas contredite par celle des zones d’habitation : le lignage majeur aurait pu occuper le groupe B, tandis que l’autre se serait contenté des groupes sud, moins proches du centre cérémoniel et moins favorables à l’installation d’habitations.
47Quoi qu’il en soit, le centre postclassique d’El Jocote, comme les autres centres contemporains, est bien passé par deux phases successives. Son évolution historique ne peut différer de celle de Cauinal, que nous avons analysée dans l’ouvrage cité plus haut à la lumière des documents ethno-historiques. Nous admettrons ici que les sites postclassiques de la vallée du Chixoy ont été fondés, ou occupés, au XIIIe siècle par des immigrants mexicains – les Agaab ? – dans le contexte de la grande migration des groupes Quiché, Cakchiquel, Rabinaleb, et de l’expulsion des populations autochtones (ici Pokom) vers les hautes terres méridionales et l’Alta Verapaz.
48L’occupation mexicaine (ou quiché lato sensu) va durer jusqu’à la conquête espagnole. Dans tous les sites que nous avons étudiés, cette période est marquée par certaines transformations dans l’organisation des centres cérémoniels, dans le style architectural et sans doute aussi les croyances religieuses, définissant deux phases successives. Quels sont les évènements historiques qui peuvent expliquer ces changements ? On peut supposer de façon générale, avec Carmack, et Fox (1977 : 82) qu’ils correspondent aux deux grandes phases de l’histoire des Quichés centraux : phase formative (1200-1350) et phase d’expansion (1350-1500). Plus précisément, la deuxième phase révélerait soit la main-mise directe des Quichés sur le centre Agaab de Cauinal (c’est l’avis de Fox, 1981 : 13), soit la conquête des plateaux au nord de la sierra de Chuacús par les Rabinaleb, qui étendraient leur influence sur la vallée du Chixoy dominée par les Agaab entre Pueblo Viejo et Sacapulas.
49Nous avons insisté sur le fait que les immigrants mexicains semblent avoir systématiquement évité les emplacements occupés par les populations Pokom qu’ils délogeaient. Deux sites semblent cependant faire exception : El Jocote (qui, il est vrai, n’était sans doute plus occupé au Postclassique) et Chicruz, au confluent du rio Calá avec le Chixoy, dont la petite pyramide-temple a livré une superposition classique tardif-postclassique tardif. On peut donc supposer qu’El Jocote et Chicruz occupaient des emplacements assez importants pour que la règle d’or de la séparation des sites classiques et postclassiques ne soit pas respectée. Il nous semble que cette importance est d’ordre stratégique : l’implantation générale de Cauinal, avec son centre, ses groupes annexes le long du río Calá, et ses sites “perchés” sur les hauteurs environnantes, révèle le souci de compenser une situation géographique peu favorable à la défense par un réseau de postes annexes, de surveillance et de protection éloignée.
50D’autre part, le rôle de Cauinal peut avoir été double : à la fois poste frontière (et capitale de la marche orientale du domaine quiché) et relais commercial entre basses et hautes terres par la voie du río Chixoy, et peut-être du Chicruz vers Rabinal. Il était alors essentiel de coiffer ce nœud de communications que constitue le double confluent des ríos Calá et Chicruz avec le Chixoy. La situation nous paraît en somme assez comparable à celle du confluent des rios Carchela et Salamá avec le Chixoy en aval, qui a justifié l’implantation d’un poste avancé à Pueblo Viejo-Chixoy.
51Bref, l’implantation postclassique à El Jocote, comme à Chicruz, nous paraît justifiée par la proximité de ces deux sites et du confluent du río Calá, du Chicruz et du Chixoy, qui constituent une voie de communication nord-sud très importante, encore aujourd’hui : c’est la vallée du río Chicruz qui est utilisée en venant du nord pour accéder aux plateaux de Rabinal et de Cubulco. L’important site de Chilu, au débouché de cette vallée, est le chaînon idéal entre Cauinal et les grands sites du plateau, Chuitinamit et Cahyup.
52El Jocote nous paraît être, en définitive, comme les petits centres répartis le long du río Calá, une dépendance de Cauinal. Cependant, sa situation sur le Chixoy, comme tête de file d’une série de sites s’échelonnant tous les 3 ou 4 km le long du fleuve jusqu’à Chimul, lui donne une importance particulière. Celle-ci est soulignée par l’existence d’un jeu de balle, fait exceptionnel puisque, en dehors de Cauinal, nous le retrouverons seulement à Guajilote, 30 km en amont. El Jocote pourrait être considéré comme un “centre recteur” secondaire, intermédiaire entre la “capitale”, Cauinal, et les petits centres de la vallée en amont : Pichal, Chitomax 2, Chicuxtin, Chirramos (la Capilla), Patuy et El Cebollal (fig. 2).
L’occupation coloniale et récente
53Il est probable qu’à la Conquête, la population indigène fut regroupée à Rabinal et dans quelques centres voisins du plateau, et que la vallée resta pratiquement déserte jusqu’à la fin du XIXe siècle (Douzant 1979 : 195). El Jocote subit le sort commun ; les traces de réutilisation tardive que nous y avons décelées ne datent que de la période de réoccupation de la vallée. Les monticules du site ont pu alors faire l’objet d’un culte aux ancêtres, comme c’est actuellement le cas de nombreux sites archéologiques – comme ce fut aussi le cas de Cauinal où, à notre arrivée en 1978, le temple de la pyramide principale servait encore de lieu de culte syncrétique.
54À El Jocote, nous avons relevé ces traces de culte récent en deux endroits :
55– le couloir étroit séparant les str. A-1 et A-5 avait été comblé sur environ 1 m de hauteur par l’effondrement des deux monticules archéologiques ; la base de l’escalier sud de la pyramide était ainsi masquée jusqu’à la 4e marche (fig. 8). Contre l’escalier, sur les déblais, on a édifié un quemadero, c’est-à-dire un ensemble de dalles dressées délimitant l’espace circulaire où se faisaient les offrandes et les sacrifices. Cet autel de costumbre a sans doute fonctionné jusqu’à ce que, le terrain ayant été acheté par son actuel propriétaire, une fouille clandestine ait complètement recouvert le lieu rituel.
56– au pied du mur est de la str. A-5, l’ensemble de 24 petits objets hétéroclites déposés à faible profondeur, représente, à notre avis, le dépôt des “idoles” d’un chaman, enterré là après sa mort. La présence d’une statuette moderne parmi des objets précolombiens prouve que cette cache est récente.
57Ce groupe d’objets, dont chacun est lourd d’une signification symbolique, qui datent de toutes les périodes durant lesquelles El Jocote a été le centre d’un culte vivant, enterrés au pied du lieu sacré par excellence, est comme une affirmation de la permanence de ce culte, dédié depuis plus de 2.000 ans par les populations mayas de la vallée aux divinités locales incarnées dans ces petits objets de pierre ou d’argile.
Notes
1 Il faut noter cependant que l’orientation des jeux de balle postclassiques est nord-ouest-sud-est dans les trois sites de la vallée qui en sont dotés : Cauinal, Guajilote et Chimul.
Notes de fin
1 Nous disposons de deux datations absolues : 870 ± 60 ap. J.C. (GIF-5204 et 5205). Le premier échantillon de charbon analysé provient de l’une des poteries reposant sur le sol du temple ; le second du petit bol à offrande trouvé au pied de l’escalier nord.
Table des illustrations
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Titre | Fig. 128 – (hors-texte) – Plan général du site d’El Jocote. |
URL | http://books.openedition.org/cemca/docannexe/image/8277/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 190k |
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