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La Période formative à La Lagunita

 | 
Alain Ichon
, 
René Viel

3ème partie. La céramique de la structure A-6 de la Lagunita

Chapitre IV – La séquence céramique

René Viel

Texte intégral

1La séquence céramique de la structure A-6 résulte de la comparaison entre la stratigraphie de la structure et les évolutions typologiques et modales dans les couches stratigraphiques. Elle est fondée sur la définition de complexes céramiques et, dans une moindre mesure, sur la définition de traditions céramiques.

Les couches stratigraphiques

2Les 22 niveaux de fouille de la structure A-6 correspondent à une succession de dépôts stratifiés, parfois primaires (surfaces d’occupation), souvent secondaires (remblais). D’autre par, le manque d’ horizontalité des dépôts, aux limites souvent mal définies, rend la fouille délicate et la séparation du matériel difficile à contrôler, avec des “chutes” inévitables. Il faut signaler, à ce propos, que certaines sections ouest des couches V, VI et VII ont révélé des tessons qui s’ajustaient parfaitement à des tessons de niveaux supérieurs (couches III et IV). Ainsi, l’abondance de tels tessons dans le lot marqué 8b (nord-ouest du niveau 8) a conduit à écarter complètement ce lot, mais il existe cependant d’autres chutes qui n’ont pu être contrôlées.

3En résumé, la stratigraphie présente 8 couches culturelles superposées. Culminant à l’altitude + 10, 50, la couche supérieure (I) est très perturbée par des intrusions (sépultures postclassiques) et par l’érosion naturelle. Elle est suivie d’une série de remblais (couches II, III, IV) avec de possibles surfaces d’occupation (niveaux 18 et 16). Entre les altitudes -+-6, 57 et +6, 42 apparaît le niveau culturel le plus net, constitué par un sol horizontal, une banquette et des trous de poteau, reposant sur un remblai (couche V) dont le dépôt supérieur (niveau 12) n’a produit que 14 tessons. A l’altitude +5, 25 se présente une autre surface qui pourrait être un sol d’habitation avec son remblai (couche VI). La stratigraphie est ensuite moins précise, avec une série de remblais (couche VII) jusqu’à une surface avec des trous de poteau (altitude +1, 25) suivie d’un remblai ou, peut-être, d’une succession de surfaces d’occupation (couche VIII) avec des trous de poteau, enterrements et un vase entier, G-73.

4En ce qui concerne la céramique, le niveau 18, de 10 cm d’épaisseur, n’a produit que 67 tessons et son rattachement à la couche II ou à la couche III n’affecte guère la fréquence respective des types dans ces couches. Le niveau 12, qui n’a fourni que 14 tessons pourrait être écarté sans inconvénient, sa pauvreté matérielle souligne encore la séparation entre les couches IV et V. L’extrême rareté des tessons entre les altitudes +3, 30 et +1, 25 s’ajoute à l’imprécision du remblai et détache la couche VIII du reste de la structure.

Les séquences typologique et modale

5La séquence typologique (tableaux 6 et 7) représente l’évolution de la fréquence de chaque groupe, type et variété suivant les couches strati graphiques. Les résultats sont satisfaisants, compte tenu de l’état souvent hétérogène des remblais de la structure. C’est pour “diluer” cette hétérogénéi te qu’il a été choisi de présenter les tableaux 5, 6 et 7 par couches plutôt que par niveaux. D est indéniable que la séquence montre une évolution de la céramique, révélant ainsi un homogénéité certaine des couches stratigraphiques d’un point de vue chronologique. Cette évolution est, en général, régulière et ne manifeste pas de rupture dramatique dans sa continuité. On observe cependant une nette différence entre les 4 couches supérieures et les 4 couches inférieures qui représentent certainement deux complexes céramiques s’opposant par leur composition. Le complexe céramique supérieur comprend en particulier des types appartenant aux groupes Nogaro et Roqueño alors que le complexe céramique inférieur n’en comprend pas, sinon quelques chutes indiquant peut-être des balbutiements de ces groupes, mais dûes aussi probablement aux irrégularités stratigraphiques. Le changement s’amorce à partir de la couche IV et s’accentue inexorablement dans la couche III puis la couche IL Le passage d’un complexe céramique à l’autre correspond, de la manière la plus heureuse au sol le mieux défini dans la stratigraphie et qui sépare sans équivoque la couche IV de la couche V.

6La séquence modale (tableaux 8 et 9) montre une même opposition, avec un changement plus radical à partir de la couche III, ainsi que la singularité de la couche I.

7En examinant chacun des deux complexes suggérés précédemment, on observe même des oppositions discrètes mais significatives. D’abord, la couche VIII, qui est stratigraphiquement bien séparée de la couche VII, ne contient pas de tessons des groupes céramiques Trovador, Stendal et Ra pado pourtant bien présents dans les couches V, VI et VII, et ne contient qu’un seul tesson Nogaro noir (certainement une chute due à une irrégularité stratigraphique). Ensuite, les types incisés de groupes céramiques Orfeo et Nogaro, ainsi que les groupes céramiques Deldongo et Utatlan (qui apparaissent en fait à partir du niveau 17), atteignent leur maximum dans la couche II, le groupe Roqueño (dont la présence n’est vraiment signifiante qu’à partir du niveau 17) atteint son maximum dans la couche I, les modes décoratifs D2, D3 et D4 atteignent aussi leur maximum dans la couche II en doublant leur fréquence par rapport à la couche III. Une opposition discrète doit donc être opérée entre la couche VIII et les couches V, VI et VII d’une part, ainsi qu’entre les couches III et IV et les couches I et II d’autre part. Il a déjà été signalé les particularités de la couche I dont une partie du matériel évoque un troisième complexe céramique.

Les complexes céramiques

8Sans entrer ici dans la polémique de la réalité ou de l’artificialité des unités temporelles en archéologie, le complexe céramique est défini comme la somme de tous les éléments céramiques (types, variétés, modes) qui, ensemble, constituent un intervalle de temps (Willey, Culbert et Adams 1967, pp. 304-308 ; Gifford 1976, p. 11). Autrement dit, c’est le “contenu” céramique qui détermine le “contenant” chronologigue (phase). Ce contenu doit manifester un équilibre, c’est-à-dire “des similarités et une continuité dans l’inventaire de la poterie qui excèdent les différences” (Sharer 1978, p. 107). Cependant, comme le fait remarquer Sharer (1978, p. 107), le complexe céramique ne doit pas être regardé comme une unité absolue, car si certains composants peuvent être exclusifs d’un complexe, d’autres persistent à travers plusieurs complexes.

9La séquence céramique essaie de mettre en évidence une succession de complexes céramiques dans les séquences typologiques et modales. Il n’est pas toujours aisé de cerner des oppositions à l’intérieur d’une évolution uniforme à changement graduel, surtout dans un intervalle de temps assez court comme c’est le cas dans la structure A-6. Il faut réaliser, d’autre part, qu’une séquence typologique ou modale est en fait une séquence de “mo ments céramiques” séparés entre eux par des intervalles de temps plus ou moins longs. Trop de rigueur, donc, serait illusoire, mais il faut savoir aussi approcher les phénomènes céramiques de façon objective. Dans cette perspective, les oppositions signalées plus haut dans les séquences typologique et modale paraissent raisonnables et objectives.

10La séquence céramique de la structure A-6 s’établit donc suivant deux complexes qui peuvent être divisés chacun en deux “facettes” (ou “as pects”) et l’amorce d’un troisième complexe mal défini pour des raisons d’échantillonnage. Ces complexes céramiques sont appelés, dans l’ordre chronologique, Santizo, Noguta (de Nogaro et Utatlan) et Lilillá. Il peut être ajouté bien sûr un quatrième complexe représenté par les vases des sépultures postclassiques mais il s’agit là nettement d’intrusions : on se réfèrera provisoirement à un complexe céramique de phase “La Lagunita-Postclassique Ancien”.

11Les complexes céramiques seront présentés avec la liste hiérarchique de leurs composants : 1°/ suivant leur fréquence maximum dans le complexe céramique, ils seront dits majeurs (fréquence supérieure à 1 %) ou mineurs (fréquence inférieure à 1 %) ; 2 % suivant la proportion des composants représentée dans le complexe, ils seront dits exclusifs (100 %), presque exclusifs (90-100 %), caractéristiques (75-90 %), primaires (50-75 %), secondaires (25-50 %). Une définition de chaque complexe céramique sera proposée après la liste de ses composants.

12Complexe céramique Santizo (couches VIII, VII, VI et V).

13Composant exclusif majeur : type Quiludi Brun (presque exclusif de Santizo 1).

14Composant presque exclusif mineur : mode morphologique Ml.

15Composant caractéristique majeur : type Bedelio Rouge-sur-Beige : variété A.

16Composant primaire majeur : type Foscopi Rouge, groupe Corinthian Daub.

17Composant primaire mineur : groupe Trovador (seulement Santizo 2).

18Composants secondaires majeurs : types Orfeo Orange, Orfeo Orange à Rainures, Rapallo Lissé, cardumen Orange-Brun.

19Composants secondaires mineurs : types chiclo Orange Brun, variété A, Stendal Rouge-et-Noir.

20Définition : le complexe céramique Santizo est défini autant par les absences ou les raretés de composants caractéristiques du complexe céramique Noguta que par ses propres composants caractéristiques ou primaires qui sont plutôt restreints. Les types Quiludi Brun, Bedelio Rouge-sur-Beige et Foscopi Rouge constituent un trio caractéristique de la facette ancienne Santizo 1 (couche VIII). La facette récente Santizo 2 (couches V, VI et VII) est marquée par la virtuelle disparition du type Quiludi Brun et le développement des groupes céramiques Trovador, Jocote, Rapallo et Stendal.

21Complexe céramique Noguta (couches IV, III, II et partiellement I).

22Composants exclusifs mineurs : type Deldongo Rouge (composant caractéristique de Noguta 2). Modes morphologiques M5 et M6 (exclusif de No guta 2).

23Composant presque exclusif majeur : type Orico Brun (Noguta 1).

24Composants caractéristiques majeurs : type Nogaro Incisé : variétés A et B, groupe céramique Utatlan, mode morphologique M2 et mode décoratif D4.

25Composants caractéristiques mineurs : types Colero Lissé et Orfeo Incisé.

26Composants primaires majeurs : types cardumen O range-Brun, Bedelio Rouge-sur-Beige : variété B, Nogaro Noir, Roqueño Incisé.

27Composants primaires mineurs : types chiclo Orange-Brun : variété A, Stendal Rouge-et-Noir, Bedelio Rouge-sur-Beige : variété B. Modes morphologiques M4 et M8.

28Composants secondaires majeurs : groupes céramiques Corinthian Daub et Trovador, types Orfeo Orange, Orfeo Orange à Rainures, Rapallo Lissé et Roqueño Rouge.

29Composants secondaires mineurs : modes morphologiques M7 et M8.

30Définition : le complexe céramique Noguta est bien défini par ses composants exclusifs et caractéristiques. La facette ancienne (Noguta 1) est caractérisée par le type presque exclusif Orico Brun et des composants secondaires tels que les groupes Corinthian Daub et Trovador ainsi que les types Chi clo Orange-Brun : variété A, Orfeo Orange, Rapallo Lissé, Stendal Rouge-et-Noir, cardumen Orange-Brun. La facette récente (Noguta 2) est mieux définie que la précédente grâce au mode morphologique presque exclusif M6, au type caractéristique Deldongo Rouge, aux modes caractéristiques M7, M8 et M9, aux composantes primaires Orfeo Incisé, Nogaro Incisé : variété B et groupe Utatlan, ainsi qu’à des composants secondaires tels que les types Nogaro Noir, Nogaro Incisé : variété A et le groupe Roqueño.

31Complexe céramique Lilillá (partie de la couche I).

32Composants exclusifs (ou presque exclusifs) majeurs : modes morphologiques M10, M12.

33Composant exclusif mineur : type Canuto Brun. Mode morphologique M11.

34Composant primaire majeur : type Roqueño Rouge. Composant primaire mineur : mode morphologique M9.

35Composant secondaire majeur : types Roqueño Rouge Incisé, Nogaro Noir, Nogaro Incisé : variété B. Mode décoratif D4.

36Composants secondaires mineurs : modes morphologiques M7 et M8.

37Définition : mélangé partiellement avec Noguta 2, le complexe céramique Lilillá est davantage “évoqué” que réellement défini par des composants dont on sait le placement chronologique (préclassique terminal/protoclassique). Il demande, pour être véritablement décrit, un échantillon plus large et homogène.

38Complexe céramique de phase "La Lagunita-Post- classique ancien” (provisoire).

39Composants : pièces entières G/4, G/6, G/7, G/11, G/19, G/21.

40Définition : il s’agit ici d’un sous-complexe funéraire caractérisé par la présence de fossiles directeurs des complexes céramiques du Postclassique ancien (Tohil Plumbate, gobelet à support annulaire évasé, dichrome linéaire rouge sur engobe crème épais).

Les traditions céramiques

41Les traditions céramiques se réfèrent généralement à la persistance d’un mode à travers plusieurs complexes céramiques. C’est un concept qui ne peut être de grande utilité dans une séquence de deux complexes céramiques. On notera néanmoins :

42lo/ la tradition monochrome polie lustrée avec l’apparition successive des couleurs orange, noire et rouge ;

432o/ la tradition de l’engobe beige (mode décoratif Dl), déclinant avec le temps ;

443o/ la tradition du pigment rouge hématite (mode décoratif D2), caractéristique de la côte Pacifique et des Hautes Terres du Guatemala ;

454o/ la tradition “graphite-et-rouge” bien représentée par les groupes céramiques Stendal et Utatlan ; le premier, qui atteint son maximum dans le complexe céramique Santizo 2, décline quand le second composant caractéristique majeur du complexe céramique Noguta se développe.

La séquence céramique préclassique de La Lagunita

46Les résultats précédents concernent le matériel de la structure A-6. La question est de savoir si ces résultats sont applicables pour l’ensemble de La Lagunita. Nous considérons l’échantillon de la structure A-6 comme représentatif de l’ensemble du site pour les complexes céramiques préclassiques dans la mesure où les remblais de la structure ont été pris au hasard et certainement dans des lieux différents et aussi parce que la tranchée F a montré les mêmes complexes céramiques.

47Les complexes céramiques de la structure A-6 sont donc appliqués à l’ensemble du site de La Lagunita et, en l’absence d’autres complexes, définissent les phases culturelles préclassiques et protoclassique de la Lagunita : phase Santizo (Préclassique moyen), phase Noguta (Préclassique récent), phase Lilillá (Protoclassique). La datation de ces phases sera justifiée dans les conclusions.

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