TRANSITION POLITIQUE A L’EGYPTIENNE

1Les années 80 ont été, du point de vue politique, les années de la transition. Cette transition est fondamentalement liée à un processsus de libéralisation du régime. Sans doute, la troisième présidence de la République a apporté des changements si importants qu’on peut la considérer comme une nouvelle étape dans l’histoire politique du pays. Mais les causes constitutionnelles et les déséquilibres entre pouvoirs empêchent que l’on puisse appliquer à l’Egypte les termes de démocratie ou de démocratisation.

2Sadate a été l’artisan de la dénassérisation du régime qui, contrairement à la transformation effectuée par les Officiers libres, n’a pas effectué de rupture radicale avec le régime précédent. Il s’agit d’un “putsch” à l’intérieur de la classe dirigeante qui lui a permis de transformer progressivement la composition sociale et idéologique de l’élite sous couvert d’une continuité avec le régime de 1952.

3Le nouveau président Hosni Moubarak, comme d’ailleurs ce fut le cas pour Ben Ali en Tunisie ou Benjedid en Algérie, a dû amorcer une ouverture politique qui, en réalité, était motivée par la sauvegarde du régime et de sa classe dirigeante. Voilà la raison pour laquelle, comme en Tunisie ou en Algérie, on trouve des éléments autocratiques continuant à offrir une résistance à tout partage du pouvoir, de la part de ceux qui ont bénéficié du monopartisme, et d’autres acteurs, communément considérés comme démocratiques, préconisant le multipartisme et les élections libres, qui légitimeraient le nouvel ordre et qui, dans le cas égyptien, font partie d’une culture politique qui remonte à 1923.

4Les élections et le jeu politique pluripartiste qui sont les deux manifestations de la libéralisation vont être l’objet de cette communication. Les deux élections législatives de 1984 et 1987, ainsi que l’apparition de nouveaux partis des 1983 nous donnent suffisamment de perspective pour pouvoir considérer si cette nouvelle étape a établi un pont avec l’expérience précédente du libéralisme et dans qu’elle mesure les héritages politiques et les comportements électoraux ont pu être retrouvés après trente ans de monopartisme1.

5Il s’agit de connaître quels éléments survivent à côté des nouveaux pour arriver à faire un bilan de la profondeur du changement en Egypte.

6Le cadre légal qui organise et réglemente les nouveaux processus électoraux relie encore l’Egypte d’aujourd’hui à l’ère de Sadate. Cependant, l’esprit autoritaire qui inspire quelques lois fondamentales est en train d’être contrecarré par une grande libéralité de la part du gouvernement à l’heure de leur application. Ainsi, la loi de formation des partis est encore celle qui fut promulguée sous Sadate le 20 juin 1977. C’est une loi sélective qui limite les possibilités d’insertion dans le système à quelques formations de l’opposition, et à travers laquelle le pouvoir a pu contrôler la participation dans le jeu politique institutionnel de certains secteurs à base sociale, tels les Frères musulmans, les communistes ou les nassériens. La relative tolérance du gouvernement a été la seule garantie de la présence des Frères musulmans lors des élections de 1984 et 1987, ainsi que de celle des communistes et des nassériens aux dernières élections.

7De même, le règlement du ministère de l’Intérieur sur la propagande électorale établit des conditions très strictes sur l’organisation des meetings et interdit toute participation d’éléments “qui puissent nuire à la paix sociale, à l’unité nationale ou aux acquis socialistes des ouvriers et paysans, ainsi qu’aux idées relatives à la foi religieuse” 2. Très proche de l’esprit de la loi sur la formation des partis, ce règlement permet au gouvernement, si tel est son souhait, de contrôler le contenu et l’organisation de la propagande électorale. Cependant, aussi bien les campagnes électorales de 1984 que celles de 1987 ont joui d’une permissivité gouvernementale quasi totale, tandis que la presse de l’opposition bénéficiait d’une liberté d’opinion uniquement limitée par une autocensure prudente3. Mais, dans les médias à plus grande audience populaire comme la radio ou la télévision, les partis ont eu un accès limité à 80 minutes qu’ils pouvaient diviser en fractions de 20 minutes4, tandis que le parti du gouvernement bénéficiait, de fait, du monopole de ces médias.

8Finalement, la nouvelle loi électorale, destinée à réglementer les processus électoraux pluripartistes, perpétue la tradition sadatienne puisque, sous couvert d’une proportionnalité qui devrait favoriser la représentation des partis, elle a émis toute une série de conditions destinées à établir un parti hégémonique dans l’Assemblée du peuple et a assuré un partage des rôles entre le Parti national démocratique (PND) dominant et une opposition minoritaire où, pour l’instant, il ne semble pas possible de prévoir une alternance du pouvoir5

LA MEMOIRE HISTORIQUE DES EGYPTIENS

9D’un autre côté, la renaissance des élections pluripartistes a aussi rétabli un pont avec l’ancien régime monarchique, enterré après le coup d’état des Officiers libres, et pendant lequel, de 1924 à 1950, il y eut dix élections législatives où plus d’une douzaine de partis ont été présents.

10Les liens entre le système libéral parlementaire d’hier et celui d’aujourd’hui pourraient se situer à deux niveaux :

11Le premier, que l’on pourrait définir comme niveau conscient, s’appuie sur la mémoire historique égyptienne et a fait de l’ancienne époque libérale une référence démocratique pour la plupart des forces politiques actuelles qui, par ce biais, cherchent à se démarquer des régimes autoritaires de Nasser et de Sadate. Dans la mémoire collective des Egyptiens, l’ancien régime parlementaire se confond avec l’éclosion des révolutions nationales de 1882 et de 1919 et avec la configuration de principes démocratiques qui ont disparu avec le nassérisme et le sadalisme. C’est ainsi qu’aujourd’hui il ne s’agit pas seulement d’une référence de légitimation pour les héritiers des forces politiques pré-révolutionnaires, comme le Néo-Wafd, les Frères musulmans ou le Parti communiste, mais pour des partis “nés” après 1952.

12Le parti socialiste du Travail (PST), créé en 1978 par la volonté de Sadate d’avoir une opposition “constructive”, se proclamait, lors des élections de 1984, l’héritier de Misr al-Fatât (la Jeune Egypte) et de son successeur, le Parti socialiste d’Egypte, créé en 19496, puisque celui qui fut son vice-président, Ibrâhîm Chukrî, est revenu, avec quelques anciens compagnons, en tant que président du nouveau parti. Dans cette même mouvance, une tendance du PST a abandonné le parti à cause de son alliance avec les Frères musulmans, pour devenir le parti Misr al-Fatât, récupérant ainsi le nom de l’ancienne association extrémiste.

13Le choix par Sadate du nom de Parti national démocratique, pour remplacer le Centre arabe socialiste d’Egypte, n’est pas dû au hasard. Il voulait ainsi le rattacher à l’ancien parti nationaliste de Mustafa Kûmel – le Parti national (Hizb al-Watanî) – et lui transposer l’héritage nationaliste face à celui du Wafd qui, en 1978, est revenu sur la scène égyptienne.

14Il est clair que le Nèo-Wafd, tel que l’on peut l’apprécier dans ses campagnes et programmes électoraux, se proclame l’héritier de la tradition démocratique et libérale constitutionnelle de son prédécesseur et utilise cette légitimation pour se présenter devant les citoyens égyptiens comme champion et défenseur de la démocratie, en concurrence avec le PND, qui revendique pour lui la démocratisation du pays depuis 1981.

CONSTANTES POLITIQUES EN EGYPTE D’HIER A AUJOURD’HUI

15Le deuxième niveau, que nous allons définir comme “inconscient”, se manifeste d’abord dans des constantes de la tradition politique égyptienne, et plus particulièrement dans des circonstances électorales qui apparaissent dans les assemblées actuelles.

16Par rapport aux premières chambres, le cadre constitutionnel du pays assume la tradition autoritaire du gouvernant, autrefois le roi, aujourd’hui le président, qui, lui permettant une grande participation au pouvoir législatif, met à sa disposition des mécanismes lui facilitant le cas échéant le contrôle de la chambre parlementaire7.

17Comme le roi, le président peut proposer des lois, promulguer des décrets dans des circonstances déterminées et opposer son véto aux projets de loi. Le roi avait le droit de dissoudre le Parlement (art. 38), ce qu’il fera en neuf occasions, de même que le président, grâce à l’article 136, qui lui permet de dissoudre la chambre “en cas de besoin et après un référendum populaire”, moyen que Sadate utilisera pour dissoudre l’Assemblée en 1979, et Moubarak en 1987 et 1990.

18Par ailleurs, le système d’organisation interne des partis politiques pendant les années 20, 30 et 40 s’est perpétué chez ceux d’entre eux qui ont ressuscité ou sont nés après Nasser. Les acteurs du pluripartisme pré et post-révolutionnaire partagent un manque de démocratie interne, une base militante faible et une faiblesse des discours politiques.

19Les partis égyptiens des années 20, aussi bien ceux qui provenaient des mouvements nationaux – le Wafd et le Parti national – que les simples partis de cadre, le Parti Libéral Constitutionnel (PLC), le Parti sa’diste, le bloc wafdiste indépendant (Kutla), que les cliques de Palais, le parti de l’Union et le parti du Peuple, ou encore que les partis dont l’organisation militarisée traduisait une idéologie autocratique, Misr al-Fatât et Frères musulmans, tous avaient des leaders qui jouissaient de pouvoirs absolus et des instances suprêmes dont le choix ne venait absolument pas de la base.

20A l’heure actuelle, les partis politiques égyptiens continuent à avoir une organisation où manquent cruellement le débat et la démocratie interne. Par exemple, comme le soulignait ‘ Alî al-Dîn Hilâl récemment, le cas de Fu’âd Sirâg al-Dîn devenu président à vie du Néo-Wafd 8 est éclairant à ce sujet.

21De même, les partis d’aujourd’hui, comme ceux qui précédèrent l’année 1952, ont fait preuve de leur incapacité à présenter des programmes solides et des alternatives de changement. Ils continuent à représenter les mêmes trois discours qui existaient sous l’Egypte monarchique : le libéral, le religieux, et celui de la gauche révolutionnaire.

22Le discours libéral, qui est de celui du Wafd, du PN, du PLC et des sa’distes, a eu le monopole au Parlement monarchique. Il était représenté par la classe socio-économique dominante : la grande bourgeoisie foncière et, dans une moindre mesure, la bourgeoisie du commerce et de l’industrie. Voilà la raison pour laquelle il n’a jamais développé de programmes politiques, économiques et sociaux différenciés, étant donné que ces partis appartenaient tous au même système de hiérarchie, paternaliste et conservateur, qui n’a jamais offert aux électeurs de vrais choix de transformations sociales et économiques.

23Actuellement, ce discours libéral représente la bourgeoisie de l’infitâh, la nouvelle élite politique et socio-économique dominante, composée par des éléments du capitalisme traditionnel pré-nassérien, de la bureaucratie bourgeoise constituée dans les années 60 et de ce que Samia Imam a défini comme “les groupes parasitaires des années 60ʼʼ9.

24Le PND, le Néo-Wafd et le PL illustrent ce discours comme on peut l’apprécier dans leurs programmes électoraux. Chez eux, les visions sociales, politiques et économiques ne s’affrontent pas, au plus ils établissent un ordre de priorités différent.

25Dans les Parlements de 1984 et de 1987, le discours libéral a continué d’être très majoritaire, bien qu’à la différence du passé, pour la première fois, le discours religieux a pu ainsi accéder à la Chambre avec 1,9 % face à 97,8 % du total des sièges en 1984 et avec 11,7 % face à 87,3 % dans l’Assemblée de 198710.

26Cependant, il faut relever que, bien que les Frères musulmans défendent un choix politique très différent du choix libéral et très proche de l’autoritarisme du parti unique, ils ne sont pas en contradiction flagrante avec les libéraux dans le domaine économique. Preuve en sont les “sociétés de placements de fonds” (charikât tawzîf al-amwâl) si rentables, résultat direct de l’infitâh malgré l’égalitarisme justicier qu’elles prônent.

27La gauche, quant à elle, est la grande absente des Parlements égyptiens. Pendant la période monarchique, après la vie fugace du Parti socialiste de Rosenthal et Salâma Mûsâ (1922-25), la gauche marxiste, divisée en de nombreux groupes, devait être l’une des forces qui, dans la rue de l’après-guerre et en marge du système parlementaire, canaliserait le mécontentement de la population11.

28Dans l’Egypte d’aujourd’hui, le discours de la gauche est développé uniquement selon sa version marxiste ou nassérienne. il est confronté aux sempiternelles accusations d’athéisme et au manque de tradition parlementaire, sans tenir compte des transformations nationales et internationales des vingt dernières années. Le RNPU, seule force de la gauche légale, rassemble quatre tendances : marxiste, nassérienne, nationaliste et “religieuse éclairée”12.

29Deux d’entre elles aspirent à être des partis, le Parti arabe socialiste nassérien et le Parti communiste. Cet amalgame fait osciller le RNPU entre la gauche radicale, une certaine nostalgie nassériste et un discours modéré qui, certes, offre un programme plus élaboré que le reste des partis, mais qui doit encore dépasser ses contradictions et ses crises.

30L’analyse du tableau I permet de voir que l’une des constantes du parlementarisme égyptien est l’existence d’une force politique hégémonique face à un certain nombre de partis minoritaires.

31Lors des dix élections législatives qui ont eu lieu entre 1923 et 1959, le Wafd a obtenu une moyenne de 80,3 % des sièges parlementaires13. Aux élections de 1984 et de 1987, le PND a occupé 87,3 % et 77,8 % des sièges de l’Assemblée.

32Ce qui est paradoxal dans le Parlement de la période monarchique, c’est que le parti qui exerça ce caractère dominant, le Wafd, l’a exercé non pas en tant que parti au pouvoir, mais en tant que force d’opposition. Cependant, cette constante parlementaire a affaibli l’enracinement de la Chambre des députés comme forum de débat politique entre des forces qui représentent différents secteurs de la société.

33Il ne faut pas oublier que tous ces facteurs, qui aujourd’hui apparaissent comme des constantes du pluripartisme, ont contribué dans les années 40 à l’éloignement de l’institution parlementaire par rapport à la vie réelle. De même, ils ont écarté la plupart de la population des institutions qui la représentaient. Aujourd’hui ils favoriseraient difficilement l’éducation politique des citoyens égyptiens.

REFLETS ELECTORAUX DU PASSE SUR LE PRESENT

34Ces constantes politiques s’accompagnent de certains reflets électoraux qui relient la monarchie à l’époque actuelle.

35La renaissance du Wafd sous le nom de Al-Wafd al-Gadîd est à cet égard lourd de sens quant à la filiation avec l’ancien régime parlementaire où le Wafd fut un des acteurs principaux et, surtout, le grand acteur électoral de l’époque.

36L’analyse des élections de 1984 et de 1987 montre bien que ce parti a survécu à une absence de trente ans. Si l’on observe le tableau II, le Wafd qui a vu diminuer de façon conséquente son audience électorale (d’une moyenne de 58,2 % à 15,1 %) a su cependant conserver un patrimoine électoral qui, traduit en nombre de voix, ne semble pas avoir diminué par rapport à il y a trente ans. Plus, il ne semble pas que son alliance avec les Frères musulmans en 1984 ait été le déclic électoral qui a permis à ce parti de récupérer un ancien électorat et d’être, à grande distance du PND, la deuxième force électorale. Le recul de 4,2 % (32.107 voix) aux élections de 198714 semble corroborer que ce parti compte sur un contingent électoral stable qui, plus que du secteur islamiste, provient d’un secteur de la population qui voit dans le Wafd la possibilité d’un changement politique.

37Ce comportement électoral au niveau national est accompagné d’une fidélité de voix dans certains des anciens fiefs wafdistes.

38Selon les tableaux III et IV, le Wafd est toujours un parti d’électorat à caractère urbain fortement marqué. Si l’on observe quels ont été les meilleurs résultats du Wafd lors des dernières élections de l’ancien régime parlementaire, en 1950, et lors des premières élections pluripartistes de 1984, les gouvernorats du Canal (Port-Saïd et Suez) et les grands centres urbains du Caire, de Giza et d’Alexandrie ont enregistré, dans les deux cas, les plus grands succès pour ce parti. De même, le triomphe du Wafd à Béni Suef, Kafr al-Shaykh et Al-Bchayra, en 1950, a eu un impact sur les élections des années 80 dans les bons résultats obtenus par le Néo-Wafd. Quant au Delta et à la Haute-Egypte, on peut dire que l’électorat de la seconde a fait preuve d’une plus grande fidélité au vote wafdisle que le premier, même si le Delta était une région manifestement plus wafdisle que le Sud.

TABLEAU II RESULTAT PAR PARTIS DES ELECTIONS PLURIPARTISTES EGYPTIENNES

TABLEAU III.RESULTATS ELECTORAUX DU WAFD (1950-1984)

TABLEAU IV. SIEGES DU WAFD EN 1950 ET EN 1984 Par ordre décroissant

39Le fait est probablement en rapport avec la survie des vieilles familles wafdistes dans la zone et leur "ascendant" sur la population paysanne des environs.

40Un autre comportement électoral semble subsister : la différence entre l’électeur urbain, abstentionniste, et l’électorat rural majoritairement participatif. En 1950, le taux d’urbanisation des circonscriptions était inversement proportionnel au taux de participation aux élections. Le pourcentage des votants dans les 31 circonscriptions du Caire n’a pas dépassé 32 %, et 35 % dans les 14 circonscriptions d’Alexandrie et les 4 de la région du Canal. Dans les circonscriptions rurales, la moyenne a été de 55 % et certaines d’entre elles sont arrivées à plus de 60 %15.

41Lors des deux élections de 1984 et 1987, le déséquilibre entre le vote urbain et rural est presque le même. Pour les premières, au Caire, à Alexandrie et à Giza, la participation n’a pas dépassé 29,8 % tandis que dans le Delta et en Haute-Egypte, elle a atteint 48,8 %16. Trois ans plus tard, en 1987, Le Caire n’a pas dépassé 19,8 % d’inscrits de même que Port Saïd et Suez (22 %)17.

42La lecture de ces données met en relief qu’hier et aujourd’hui le vote citadin, plus conscient politiquement, montre un certain rejet du système, tandis que chez les paysans, la participation demeure massive du fait des liens de dépendance envers le cacique local qui rendent difficile l’abstention et dirigent l’orientation du vote.

43Le passage des années n’a pas modifié ces liens de dépendance féodale. Le ’umda est toujours un des pôles du processus électoral et la ’asabiyya, ou allégeance, est toujours exercée par les grandes familles locales qui contrôlent la distribution de l’eau, les coopératives, les prêts dont dépendent les fellâhîn. Souvent le votant rural ne choisit pas son député, mais il reconnaît et confirme son notable.

44Pendant la monarchie, cela était possible parce que tous les représentants de l’administration locale étaient nommés et remerciés par le gouvernement, et le ’umda, d’après la loi électorale18, était présent dans la plupart des commissions électorales chargées de l’élaboration des listes du scrutin et du dépouillement, ce qui poussait au recensement de toutes les personnes en âge de voter et à leur acheminement vers les urnes. Ainsi, dans les périodes électorales, le gouvernement remerciait ou nommait les autorités locales selon l’orientation politique des uns et des autres19.

45La loi n⁰ 124 de 1960 a favorisé la décentralisation dans le but d’affaiblir les structures traditionnelles du pouvoir local. En revanche, la loi n° 52 de 1975 de Sadate réorganisait le gouvernement local pour éviter d’affaiblir le pouvoir municipal face aux puissants comités locaux de l’Union socialiste arabe. L’image du gouverneur s’est rétablie, et bien qu’on ait un conseil municipal en partie élu, les pouvoirs des conseils reviennent aux fonctionnaires locaux et aux paysans aisés.

46Le ’umda a retrouvé, pour beaucoup, son ancien pouvoir et a montré que le réseau du clientélisme est la base primordiale de l’action dans la campagne égyptienne.

47Finalement, la tendance à l’abstention des électeurs égyptiens, lors de la première expérience pluripartiste, continue d’être une constante aujourd’hui. Le taux de ceux qui rejettent leur intégration dans le processus politique parce qu’ils ne croient pas au système, qu’ils se méfient du processus électoral ou du cadre des partis qui ne les satisfait pas, a toujours augmenté depuis les années 30 avec une moyenne de 42,6 % d’après les chiffres officiels publics dans la presse de l’époque (1931 = 35 % ; 1942 = 43 % ; 1945 = 54 % ; 1950= 39 %).

48Sans doute, l’automarginalisation progressive de la société égyptienne des années 30 et 40 par rapport au système parlementaire, s’explique par l’absence de fonctionnement normal du système, interrompu par le roi en douze occasions en trente ans et à l’intervention de l’ex-puissance mandataire sur la scène politique. Sans doute aussi, le manque de foi dans le système politique de la part de la société des années 80 trouve-t-il ses racines dans les survivances du régime de parti unique dans un système de parti hégémonique.

49Il existe aujourd’hui aussi des indices qui donnent à penser que le système tend à amplifier la présence de l’opposition dans le Parlement qui de 12,2 % des sièges en 1984 est passée en 1987 à 22,2 %. De même, le pouvoir judiciaire est disposé à jouer un rôle pour établir une loi électorale plus équitable.

50Cependant, le monopole de la vie parlementaire par une classe politique, la stagnation de discours alternatifs, la faiblesse du débat parlementaire et la cohabitation du pluralisme et de l’autocratie sont des constantes qui se maintiennent depuis hier jusqu’à aujourd’hui et qui poussent vers l’abstention, reflets électoraux d’hier sur aujourd’hui.