Leçons de l’histoire de l’Afrique
|Préface
Texte intégral
1Le temps perdu n’existe pas. En inaugurant aujourd’hui la chaire Histoire et archéologie des mondes africains, le Collège de France ne répare rien – ni oubli, ni retard, ni remords. Il ne fait que reconnaître l’évidence d’une présence. Homme des carrefours, François-Xavier Fauvelle arrive au bon moment. Car c’est lui qui entre au Collège de France, lui seul – je veux dire lui, si nombreux. C’est lui tous que nous accueillons, et non l’Afrique qui appartient depuis toujours à la conversation globale des sociétés et des savoirs, même si nombreux et hargneux sont ceux qui ne veulent pas le voir. Le temps perdu n’existe pas, mais il n’y a plus de temps à perdre. Voici peut-être le sens de la célébration qui nous rassemble aujourd’hui : reconnaître la contemporanéité entre un homme, un moment, une méthode, la reconnaître et nommer la joie qu’elle nous procure, quand chacun, décidément, est fidèle au rendez-vous.
- 1 François-Xavier Fauvelle-Aymar, La Mémoire aux enchères. L’idéologie afrocentriste à l’assaut de l’ (...)
2François-Xavier Fauvelle a 51 ans. Directeur de recherche au CNRS, ancien directeur du laboratoire Traces à Toulouse, c’est un combattant, un découvreur et un narrateur – voici les trois traits de son tempérament d’historien que je développerai ici tour à tour. De la philosophie à l’histoire moderne, puis de l’histoire moderne à l’archéologie des mondes anciens, François-Xavier Fauvelle a inventé sa manière d’être historien, traçant son propre chemin, un chemin que ne balisaient ni titres ni traditions, un chemin que j’aimerai dire simplement universitaire, en espérant que ce mot puisse encore faire résonner à quelques oreilles le nom d’universel. Car François-Xavier Fauvelle, travailleur infatigable, est un combattant de l’universalité des savoirs. Au-delà de la critique de l’afrocentisme qui risque de mettre la mémoire aux enchères (pour reprendre le titre d’un de ses livres1), ses combats pour l’histoire consistent à rappeler qu’aucune discipline scientifique ne saurait tolérer un épistémé clivé : si l’histoire est possible, alors elle est possible pour tous, partout, sur tous les continents, et j’ajouterai : du même ton.
- 2 Francois-Xavier Fauvelle et Isabelle Surun (dir.), Atlas historique de l'Afrique ; de la préhistoir (...)
3Sa réputation internationale, très tôt acquise, il la doit à son œuvre propre – que le temps me manque pour énumérer ici –, mais aussi aux responsabilités nombreuses qu’il exerça de Johannesburg à Sijilmâsa en passant par Addis Abeba. Partout, il cultive le courage de dire et la liberté d’agir, partout il travaille à récapituler les savoirs africanistes issus de plusieurs disciplines et de plusieurs traditions historiographiques. Celui qui vient à nous est donc l’homme des grands rassemblements – que ces rassemblements prennent la forme de colloques internationaux, de vastes programmes de recherche ou de livres comme la récente et monumentale synthèse qu’il a dirigée sur l’Afrique ancienne2.
- 3 François-Xavier Fauvelle-Aymar, L’Invention du Hottentot : histoire du regard occidental sur les Kh (...)
4S’y découvre non pas la civilisation évanescente d’une Afrique fantôme mais la coprésence énergique des mondes africains. Pour brosser le portrait de François-Xavier Fauvelle en découvreur, il conviendrait de suivre son parcours selon le triple motif du rapprochement, de l’approfondissement et du contournement. En 1999, il soutenait à l’université Paris 1 sa thèse de doctorat consacrée à l’histoire du regard occidental sur les Khoisan du xve au xixe siècle, L’Invention du Hottentot, récemment réédité3. Il ne cessa depuis lors de se rapprocher au plus près et au plus vif des sociétés africaines elles-mêmes, en un mouvement qui était aussi d’approfondissement chronologique. Voici pourquoi la longue durée n’est pas pour lui un choix théorique, mais une nécessité de méthode.
- 4 François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l’Afrique du Sud, Paris, Seuil, coll. « L’Univers histo (...)
5François-Xavier Fauvelle est d’abord un historien de l’Afrique australe – il fut directeur du programme Archives Khoisan au début des années 2000, ce qui l’a amené à écrire une Histoire de l’Afrique du Sud en longue durée, devenue un classique4. Il y applique des méthodes de croisements documentaires (entre les sources épigraphiques, numismatiques, textuelles et environnementales notamment) qui ont été expérimentées dans le laboratoire de l’historiographie éthiopisante. Or l’Ethiopie est le deuxième terrain de spécialité de François-Xavier Fauvelle, il y a coordonné les programmes de recherche historiques et archéologiques pour la France, y menant une quarantaine de missions, y découvrant notamment trois sites urbains nouveaux du sultanat d’Ifat, dans l’escarpement du Rift éthiopien, ce qui remet en cause toute notre conception de l’articulation des pouvoir chrétiens et musulmans dans la Corne de l’Afrique.
6Cette logique articulatoire est au cœur de sa vision d’ensemble des mondes africains qu’il envisage aussi à partir d’autres terrains, du Maroc au Mali. Contournant les découpages coloniaux, il ne s’est pas laissé contraindre par les traditions de l’africanisme français, usant de l’archéologie pour déverrouiller une histoire connectée et compréhensive des mondes africains. Car au-delà de la variété réjouissante ou désespérante, c’est selon, des spécialités linguistiques, l’archéologie est la seule science susceptible de faire dialoguer les savoirs africanistes entre eux – de l’épigraphie à l’histoire orale –, mais aussi avec d’autres disciplines, depuis la génétique des populations jusqu’à la linguistique comparée en passant par l’anthropologie.
- 5 François-Xavier Fauvelle-Aymar, À la recherche du sauvage idéal, Paris, Seuil, coll. « L’Univers hi (...)
- 6 François-Xavier Fauvelle, Le Rhinocéros d’or : histoires du Moyen Âge africain, Paris, Alma, 2012.
7Archéologue, François-Xavier Fauvelle l’est d’abord par la pratique, en tant qu’il produit et interprète des données issues des archives du sol. Mais il l’est aussi par l’imaginaire, et voici ce qui guide son art de la narration, notamment dans son dernier livre À la recherche du sauvage idéal5, enquête non seulement sur la généalogie de nos altérités, mais aussi sur l’écriture de l’histoire elle-même, qui est toujours, on le sait, écriture de l’autre. Si la parution de son Rhinocéros d’or6 a tant frappé les esprits, c’est parce qu’il s’y faisait l’inventeur de récits diffractés dont les allures narratives épousaient la vérité du terrain, ou plutôt des terrains, de l’Afrique médiévale. Il y narrait en même temps une histoire retrouvée et l’espoir de lui donner une forme, dès lors que l’on ne se résigne plus à l’éparpillement des curiosités au nom de l’impossibilité de la synthèse.
- 7 Nelson Mandela, Convoquer l’histoire, trois discours commentés par François-Xavier Fauvelle, Alma, (...)
8Pour François-Xavier Fauvelle, le temps n’est pas perdu, car rien de ce qui fut n’est perdu pour l’histoire. S’il intitula son livre sur les discours de Mandela Convoquer l’histoire7, ce n’est pas pour la citer à comparaître, mais pour lui ouvrir la voie et entendre ses voix. Combattant, découvreur et narrateur : en l’écoutant, on comprendra qu’être historien des mondes africains n’est pas l’être faute de mieux ou malgré tout, de manière lointaine et atténuée. C’est l’être pleinement et intensément, car tous les enjeux de la discipline historique s’y précipitent joyeusement. Voici pourquoi, au nom de l’assemblée des professeurs, je suis si fier de l’accueillir parmi nous.
Notes
1 François-Xavier Fauvelle-Aymar, La Mémoire aux enchères. L’idéologie afrocentriste à l’assaut de l’histoire, Lagrasse, Verdier, 2009.
2 Francois-Xavier Fauvelle et Isabelle Surun (dir.), Atlas historique de l'Afrique ; de la préhistoire à nos jours, Paris, Autrement, coll. « Atlas-monde », 2019.
3 François-Xavier Fauvelle-Aymar, L’Invention du Hottentot : histoire du regard occidental sur les Khoisan, xve-xixe siècle [2002], Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Libres cours », 2018.
4 François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l’Afrique du Sud, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 2006 ; rééd. Points, coll. « Points Histoire », 2016.
5 François-Xavier Fauvelle-Aymar, À la recherche du sauvage idéal, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 2017.
6 François-Xavier Fauvelle, Le Rhinocéros d’or : histoires du Moyen Âge africain, Paris, Alma, 2012.
7 Nelson Mandela, Convoquer l’histoire, trois discours commentés par François-Xavier Fauvelle, Alma, 2015.
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