Forces et dispositions
|Annexe A
La mécanique quantique est-elle soluble dans l’ontologie de Leibniz ?
Texte intégral
A-1.Une position néo leibnizienne ?
1Dans un article consacré à la sémantique des dispositions, Rom Harré, s’interrogeant sur les problèmes d’interprétation ontologique soulevés par la mécanique quantique remarque la chose suivante :
- 1 Harré, 2006, p. 127-8.
Depuis la fin du xvie siècle, deux ontologies se sont fait concurrence. La conception corpusculaire, dérivée de l’atomisme épicurien, faisait appel à un monde de particules matérielles indivisibles caractérisées par leur volume, leur figure (forme), leur texture (leur disposition, <arrangement> dans des touts plus grands) et leur mouvement. Les corpuscules étaient non observables par les sens de l’homme, mais appartenaient à la même catégorie ontologique que les entités qui peuvent être perçues. Le dynamisme, dérivé du néo-platonisme et de la tradition hermétique, faisait appel à un monde de structures de forces occultes et de pouvoirs en interaction. Ces pouvoirs occultes étaient ontologiquement très distincts de quoi que ce soit de perceptible par les sens de l’homme1.
2D’après lui, l’interprétation donnée par Niels Bohr de la mécanique quantique permet, en particulier grâce à la notion d’entités « appareillage-monde », de penser à nouveaux frais cette ontologie dynamiste, longtemps écartée par la physique newtonienne. Il conclut ainsi son article :
- 2 Harré, 2006, p. 132-133.
Leibniz et Boscovich, et ensuite Kant de façon plus systématique, ont fourni des efforts importants pour montrer que les propriétés mécaniques newtoniennes, les propriétés occurrentes, comme la forme, tout comme les propriétés dispositionnelles, comme la solidité, pouvaient être expliquées comme étant des manifestations, dans le monde empirique, de l’activité de pouvoirs causaux non observables. La philosophie de la physique de Bohr fait revivre, à l’intention de l’état contemporain du développement de la physique, le projet leibnizien2.
- 3 Les positions d’Harré sur ces questions sont développées tout particulièrement dans son ouvrage int (...)
3Même s’il ne s’agit évidemment pas pour Harré de plaider en faveur d’un retour pur et simple à la Dynamique ou à l’interprétation métaphysique qu’en donne Leibniz, le rapprochement est, à ses yeux, justifié par le fait que Bohr chercherait, comme son illustre prédécesseur, à construire une ontologie à la fois critique et réaliste. Critique, car elle ne repose pas sur une extrapolation spéculative des concepts utilisés pour décrire les phénomènes observables, et réaliste parce qu’elle a bien l’ambition de dire ce qu’est le monde, sans le réduire à des séquences de phénomènes indépendants les uns des autres. Ce faisant, Harré propose du même coup d’inscrire ses propres conceptions sur les différents niveaux de réalité, placées sous l’égide d’un « réalisme prudent » dans une tradition ancienne déjà établie3.
A-2. Une interprétation à la fois critique et réaliste de la mécanique quantique
A-2.1. Les limites de l’expérience
- 4 Harré, 2006, p. 128.
4Reprenant la distinction kantienne entre l’usage constitutif et l’usage régulateur des concepts, ainsi que son interdiction d’utiliser de manière constitutive des concepts hors du champ de l’expérience possible, Harré considère les tentatives de Bohr comme une position critique analogue, dans la mesure où ce dernier s’interdit de construire une ontologie quelconque à partir des concepts utilisés pour décrire les phénomènes. Importer, dans le domaine de l’ontologie, des concepts qui nous servent à décrire les phénomènes observables, nous conduit nécessairement à une impasse. Si nous voulons sortir de la perplexité dans laquelle nous laissent les résultats de la mécanique quantique, il nous faut quitter ce qu’Harré désigne comme « la conception iconique de la construction des modèles4 ».
5L’exemple qu’il retient pour illustrer une telle conception, c’est celui de la théorie cinétique des gaz, dont les modèles pour les états et les processus actuellement non observables, sont construits exclusivement à partir de concepts mécaniques, c’est à dire de concepts d’observables. Dans ce cas, il est clair, que les concepts utilisés pour décrire la réalité empirique sont repris tels quels pour saisir les objets réels qui sous-tendent les phénomènes. En tout cas, l’idée d’une ligne de démarcation entre le domaine phénoménal et le domaine nouménal des « choses en soi » n’intervient pas.
6D’après Harré, on retrouve au contraire chez Bohr une frontière assez similaire à celle que Kant trace entre le monde nouménal et le monde des phénomènes. Et, de la même manière que Kant interdit l’usage constitutif des concepts utilisés pour le phénoménal lorsqu’ils sont appliqués aux noumènes, Bohr considérerait que l’usage des concepts empiriques appliqués aux objets considérés en eux-mêmes ne pouvait être qu’un usage régulateur :
- 5 Ibid.
La limite de Bohr, qui ne peut être outrepassée que par un usage régulatif des concepts empiriques, est la limite imposée par les limites de l’expérimentation. Il est commode de penser que les causes des traces dans une chambre à bulles sont produites par des électrons considérés comme de petites entités matérielles chargées, mais c’est faire un usage régulatif du concept de chose matérielle localisable. Nous ne pouvons pas, sous peine d’incohérence, faire un usage constitutif de ce concept dans ce cas5.
- 6 « S’il n’y avait pas de véritables unités substantielles, il n’y aurait rien de substantiel ni de r (...)
7Le parallèle avec Leibniz n’est pas injustifié sur ces points, dans la mesure où ce dernier reproche régulièrement à ses adversaires cartésiens comme aux atomistes partisans de Gassendi, d’extrapoler leurs concepts ontologiques à partir de leur représentation des phénomènes empiriques. Les atomistes pensent les composants ultimes de la matière sous la forme de petites billes de matière extrêmement dure, transposant à l’échelle microscopique ce que nous pouvons observer à l’échelle des phénomènes macroscopiques. Mais il y a là une erreur dans la mesure où ces atomes de matière nous exposent à une régression infinie du fait de leur divisibilité et ne prennent pas en compte le caractère dispositionnel (« dynamique » dans le lexique leibnizien) de la solidité elle-même6.
8Contre les cartésiens, il n’a de cesse de souligner que les notions d’étendue tridimensionnelle, de figure ou de mouvement, qui constituent, à leurs yeux, les catégories fondamentales de la matière, sont encore trop empreintes d’imaginaire et cherchent maladroitement à reproduire dans l’ordre de l’intelligible, ce que nous observons dans l’ordre des phénomènes. En ce sens, il y a bien une démarche d’inspiration critique dans les positions leibniziennes puisqu’il s’efforce bien distinguer les concepts à l’aide desquels nous pouvons essayer de décrire la réalité empirique de ceux qui sont requis pour rendre compte de la réalité intelligible d’où découlent ces phénomènes. Admettons donc, sur ce point, l’analogie entre ce dont parle Bohr et le partage entre le sensible et l’intelligible et les concepts qui leurs sont spécifiques chez Leibniz.
A-2.2. En faveur du réalisme scientifique
- 7 Harré, 2006, p. 127.
9Mais Harré ne met pas seulement en avant cette interprétation critique des concepts de Bohr. Il cherche également à exposer une interprétation réaliste de ses découvertes. Reprenant la distinction entre les régressions homogènes et les régressions hétérogènes (selon qu’il y a ou pas une différence de type ontologique entre les phénomènes et la base qui leur sert de support), il propose d’inscrire l’enquête ontologique contemporaine dans la perspective « d’une ou de plusieurs régressions homogènes, qui sont bornées par une descente (pour filer la métaphore), jusqu’à une autre régression homogène qui est hétérogène par rapport à celle qui dépend d’elle7.
10Tout le problème avec les concepts de la physique contemporaine, c’est qu’il semble bien, à un moment donné, que nous quittons la chaîne des choses matérielles qui garantit l’homogénéité de la régression, des pouvoirs causaux attribués aux substances matérielles à ceux attribués à leurs micro-constituants. Lorsqu’elle a recours aux charges, aux champs, aux pôles ou aux potentiels, la physique quitte le domaine empirique des choses matérielles dont parle Kant. Et, qu’elle que soit la nature de ces entités, il semble bien, selon Harré, qu’elles ne peuvent pas être simplement dérivées des catégories dont nous usons pour décrire les phénomènes. Le recours aux propriétés ordinaires des objets matériels comme « le volume, la figure, la texture ou le mouvement des parties non sensibles », dont parle Boyle risque de ne nous être ici d’aucune utilité. C’est ce qui nous invite, selon Harré, à revenir à l’héritage des théories dynamistes de la matière, lesquelles ont toujours soutenu que les phénomènes affectant la matière ne pouvaient être saisis que si on les rapporte à des entités inobservables.
11C’est la notion d’entité appareillage-monde de Bohr qui fournit, selon Harré, la piste la plus intéressante pour comprendre l’ontologie de la physique « profonde ».
12D’après Bohr, les phénomènes manifestes, par exemple les traces, sont en réalité des attributs d’êtres complexes, d’entités appareillage-monde. Ce sont ces entités que décrivent les fonctions d’onde et non monde caché d’états quantiques.
- 8 Gibson, 1979.
13Ce qu’a découvert Bohr, c’est que les électrons ne sont pas révélés par l’usage d’un appareillage, disons une chambre à bulles. Parler ainsi serait utiliser le concept d’électron de manière constitutive. Cela reviendrait à extrapoler à partir des concepts dont nous usons pour décrire la réalité empirique et leur supposer un usage extra-empirique. Or, il est ici crucial de comprendre que l’appareillage que nous utilisons pour observer les phénomènes fait partie intégrante, d’un point de vue ontologique, de la réalité que nous cherchons à décrire. Un tel appareillage est indissolublement intégré au monde. Il s’« offre » aux traces et ainsi, aux faiseurs de traces, les électrons. Harré reprend ici le concept d’affordance, utilisé par Gibson, et que l’on pourrait traduire par « la capacité à s’offrir8 ». En ce sens, une capacité d’offre est une disposition qui se manifeste dans des contextes spécifiés par une pratique humaine :
- 9 Harré, 2006, p. 129.
L’antécédent de la paire « si…alors » qui exprime une capacité d’offre implique une pratique humaine spécifique, déterminant le contexte de la manifestation. Un sol s’offre à la marche ; une chambre à bulle s’offre aux traces d’électrons. Le type de marche auquel un sol s’offre dépend du projet qu’un être humain a en s’y engageant9.
- 10 Jansen, 2006, p. 90-91
14Harré reprend ensuite, pour développer cette idée, un exemple utilisé par Ludger Jansen10. Jansen montre que la capacité d’offre d’un pont est relative au but que l’on se fixe quant à l’usage de ce pont. Un pont peut parfaitement être considéré comme stable et franchissable pour un piéton, tout en s’avérant parfaitement dangereux s’il est traversé par une colonne d’infanterie marchant au pas cadencé. Ce qui différencie les capacités d’offre apparemment contradictoires d’un tel pont et celles d’une entité appareillage-monde, telle qu’on en utilise dans la mécanique quantique, c’est que dans le cas du pont, une enquête empirique peut, en un temps fini, exhiber les raisons pour lesquelles le pont est franchissable par un piéton et non par une colonne d’infanterie qui marche au pas. Nous sommes donc fondés à mener cette enquête si nous le souhaitons. Or Harré souligne qu’il n’existe pas de solution semblable concernant la question de savoir pourquoi le monde semble s’offrir à la fois à des traces (électrons) et à des structures d’interférences (ondes) :
- 11 Harré, 2006, p. 129.
Nous ne ferons que mettre au jour les mêmes capacités d’offre ou d’autres différentes à nouveau dans d’autres expérimentations puisqu’il n’existe aucun moyen d’étudier le monde séparément de l’appareillage avec lequel il forme une seule unité ontologique11.
15Bref, il n’y a, pour ainsi dire, aucune extériorité du réel observé à l’appareillage par lequel nous l’observons. Cet appareillage est intégré au monde et il s’offre aux traces et ainsi, aux faiseurs de traces, les électrons. Mais dans ce cas, Harré précise que nous faisons un usage purement régulateur du concept d’électron, dans la mesure où il ne correspond pas à une entité ontologiquement distincte que nous pourrions observer et analyser de manière empirique.
16Ce que nous observons, ce ne sont donc pas directement des entités susceptibles de faire en tant que telles les objets d’une enquête empirique (et donc d’un usage constitutif de nos concepts), mais uniquement leurs capacités d’offre à un appareillage expérimental approprié.
- 12 Ce qui sous-tend cette position de Harré, c’est l’interprétation qu’il donne du principe de corresp (...)
17D’après Harré, ces capacités d’offre sont à la fois, et de manière indissociable, celles du système physique observé et de l’appareillage d’observation, elles peuvent être considérées comme des attributs de cette entité complexe : un appareillage intégré au monde qu’il observe. En effet, comme elles sont, elles, observables, elles sont bel et bien soumises à ce qu’il appelle la grammaire de la substance et de l’attribut. Seulement, cette grammaire doit ici être modifiée, pour que nous puissions considérer l’attribut comme une capacité et la substance comme une entité appareillage-monde12.
- 13 Harré, 2006, p. 130.
18Ces capacités d’offre sont à leur tour « fondées sur des pouvoirs causaux du monde, en tant qu’ils se réalisent dans la manifestation des dispositions des complexes appareillage-monde13 ». Même s’il faut bien reconnaître ici que le propos de Harré reste remarquablement elliptique, on considérera que les pouvoirs causaux doivent être envisagés comme la dimension ontologique positive des capacités d’offre. Il ne s’agit pas de chercher au-delà de ces capacités d’offre le « noyau dur » extérieur qu’elles manifesteraient, quant à elles, dans un dispositif expérimental précis. Les pouvoirs causaux sont les points d’ancrage de ces dispositions observables, mais ils sont eux-mêmes indissociables de l’appareillage qui permet d’observer les dispositions par lesquelles ils se manifestent.
- 14 On reconnaîtra ici une reformulation du principe de complémentarité de Bohr.
19L’enquête portant sur ces pouvoirs causaux doit également prendre en compte le fait que certaines capacités d’offre ne peuvent se manifester ensemble dans un même système physique : il y a des interdits pratiques qui interdisent la construction simultanée au même lieu de certaines paires de capacités14. Ainsi est-il impossible pour une même entité appareillage-monde de déterminer à la fois la vitesse et la position d’une particule quantique (c’est le sens des relations d’incertitude découvertes par Heisenberg), ce qui explique en quoi les mesures que nous pouvons établir à leurs propos sont conditionnées a priori par l’appareillage dont nous disposons.
20Enfin, souligne Harré, il faut noter que chaque personne est, entre autres, un appareillage de Bohr, ce qui, à n’en pas douter invite au moins à un certain parallélisme avec le type de perspectivisme défendu par Leibniz.
A-3. Une ontologie de dispositions et de pouvoirs.
21Toutes ces remarques de Harré, qui vont dans le sens d’une interprétation paradoxalement réaliste de l’interprétation de Copenhague, ne sont effectivement pas sans rappeler certaines formulations de la métaphysique leibnizienne tardive. L’idée que les substances ultimes, les monades, doivent être pensées comme des foyers perceptifs, susceptibles, grâce à leur capacité expressive, de se représenter l’univers qui les entoure à partir du point de vue qui leur est propre n’est pas sans rapport avec l’idée d’une entité appareillage-monde où s’accordent les dispositions mutuelles du monde et celles de l’observateur. De même, la notion de pouvoir causal inhérent à la matière n’est pas non plus sans rappeler les conceptions dynamiques de la matière défendue par Leibniz, qui la définissait comme diffusion continue et simultanée de forces de résistances, ces dernières trouvant leur raison et leur source dans les forces actives des monades exprimées par la matière.
- 15 Harré, 2006, 130.
- 16 Id., p. 131.
22Lorsqu’Harré définit les pouvoirs causaux comme « des entités inobservables qui se manifestent de façon observable15 », il est également difficile de ne pas songer à la définition leibnizienne de la force, qui constitue aux yeux de Leibniz, l’élément supra-géométrique permettant d’unifier et d’expliquer les mouvements observables accomplis par un mobile. En revanche, il faut sans doute examiner de plus près la seconde affirmation de Harré qui pose que « les pouvoirs causaux sont les initiateurs ou les sources du changement16 ».
- 17 Ibid.
23D’après lui, il y a ici l’expression d’un principe essentiel du dynamisme et c’est sur ce principe que repose son recours à cette tradition scientifique et ontologique. Il reformule cette thèse de la manière suivante : « La thèse dynamiste est seulement la suivante : les chaînes d’événements sont produites par l’activité de particuliers dotés de pouvoirs causaux17. »
24La difficulté de ces formulations, c’est qu’elles restent un peu trop générales et ne permettent pas d’expliquer en quoi, par exemple, les dispositions (« les capacités d’offre » pour reprendre les termes de Harré) peuvent être « fondées » dans certains pouvoirs causaux inhérents aux particuliers. Elles ne précisent pas non plus en quoi consistent ces particuliers, et notamment en quel sens on peut les qualifier d’agents. Il y a en effet une certaine ambiguïté à dire que les pouvoirs causaux sont les sources ou les initiateurs des changements. Si c’est vraiment le cas, cette conception réduit le particulier à un simple support de ses facultés, support au statut largement indéfini, et dont on voit mal l’intérêt. Cela a aussi pour conséquence d’obscurcir sensiblement la notion d’agent, puisque celui-ci s’efface devant les pouvoirs qu’il supporte. Enfin on risque de réifier les pouvoirs causaux et de retomber sur les critiques classiques déjà formulées sur cette démarche.
- 18 Harré, 2006, p. 132.
25À la fin de son article, Harré propose de classer les pouvoirs causaux en quatre types, les pouvoirs émergents, les pouvoirs d’agrégation, les pouvoirs dérivés et les pouvoirs originaux. Dans ce dernier type, Harré regroupe les pouvoirs qui ne renvoient pas à un niveau causal inférieur comme ceux qu’on attribue, par exemple, à la charge d’un électron ou au champ gravitationnel d’une masse inertielle. La différence entre les pouvoirs causaux qui tombent sous les trois premiers types et ceux qui tombent sous le dernier, c’est que les premiers peuvent être considérés comme des attributs des particuliers matériels, ces derniers pouvant, dans la plupart des cas, être identifiés par des critères fondés sur des propriétés occurrentes, c’est à dire sur des propriétés autres que les manifestations de ces pouvoirs causaux. Dans le cas des pouvoirs causaux originaux, les critères d’identité ne peuvent pas dépendre de l’existence de particuliers ou de substances matérielles, dont ils seraient les attributs, et ce pour la simple raison que nous ne pouvons pas utiliser de manière constitutive les concepts de particulier ou de substance matérielle à leur propos. À l’échelle quantique, nous ne pouvons utiliser ces concepts que de manière régulatrice. Pour identifier ces pouvoirs causaux originaux, nous devons nous en tenir à ce qui nous apparaît, les critères d’identité se réduisent donc à la continuité d’une trajectoire spatio-temporelle et « à la cohérence de la manifestation du même pouvoir causal (l’identité étant celle de manifestations qualitativement identiques)18 ». Une fois encore, on ne peut pas vraiment dire que le propos soit particulièrement développé et on aimerait en savoir un peu plus. Ce que formule Harré, c’est l’idée qu’il ne saurait y avoir de critère ontologique pour définir les pouvoirs causaux et les attribuer à des particuliers précis. On doit s’en tenir, pour ce qui est de l’ontologie, à les supposer comme attributs, tout en les reconnaissant effectivement à l’œuvre dans leur manifestation observable. Toute la difficulté consiste à comprendre le sens de cette extension du champ sémantique, dans la mesure où l’enquête ontologique apparaît ici subordonnée à l’enquête linguistique et à l’inventaire de nos usages de la notion de pouvoir causal.
26À ce point, on comprend pourquoi Harré présente la question des pouvoirs causaux comme étant susceptible d’un dilemme opposant le kantien au humien, et aussi pourquoi il préfère, en fin de compte, opter pour le dynamisme kantien.
27Lorsqu’on a affaire à des particuliers macroscopiques ou à des particuliers composés, l’attribution de pouvoirs causaux à ces particuliers que nous identifions comme des agents ou des patients, selon ce qu’ils offrent à l’observation, est pleinement justifiée dans la mesure où ces pouvoirs causaux, même s’ils échappent, en tant que tels, à l’observation empirique, se manifestent bel et bien. Sur ce point, le refus humien, repris par les néo- positivistes, de faire usage d’entités inobservables est en décalage avec nos observations ordinaires, par lesquelles nous identifions sans difficulté un particulier agissant du particulier subissant son action. Ces pouvoirs causaux sont, si on peut dire, l’ombre portée, dans le domaine ontologique, de leurs manifestations dispositionnelles observables. Ils permettent ainsi d’expliquer les chaînes d’événements que nous pouvons observer : celles-ci sont produites par l’activité de particuliers dotés de pouvoirs causaux. Le partisan de Hume préférera, pour sa part, s’en tenir à la chaîne d’événements pour ne pas avoir recours à des entités dont l’existence ne peut, en tant que telle, faire l’objet d’aucune manifestation. Mais le prix à payer sera pour lui de rester dans l’incapacité d’expliquer quoi que ce soit à propos de cette chaîne d’événements, ces derniers étant, par définition, radicalement indépendants les uns à l’égard des autres et passifs.
- 19 C’est ce que confirme l’analyse de Mauro Dorato. Celui-ci montre, dans son article intitulé « Dispo (...)
28De sorte qu’Harré finit par conclure en faveur de la position dynamiste, ce qu’il désigne par une « ontologie des dispositions-pouvoirs ». Cette ontologie présente, selon lui plusieurs avantages, dans la mesure où ses concepts sont déjà largement en usage en physique et en chimie19, dans la mesure où ils permettent une défense pertinente du réalisme scientifique, y compris dans les domaines où cela paraît le plus difficile à faire, dans la mesure, également, où ces concepts ne modifient en rien la structure typique de l’explication scientifique, et enfin dans la mesure où cette ontologie reprend les critiques, selon lui pertinentes, adressées par Leibniz puis par Kant aux propriétés mécaniques newtoniennes, critiques destinées à les présenter comme étant des manifestations dans le monde empirique de l’activité de pouvoirs causaux.
29C’est donc du côté de la tradition leibnizienne qu’il faudrait aujourd’hui chercher pour trouver les éléments d’une position qui des résultats de la mécanique quantique, ne nous conduise ni au positivisme, ni à un abandon pur et simple de la mécanique classique. Pour séduisante qu’elle apparaisse, cette piste néo-leibnizienne n’est peut-être qu’à moitié imputable au philosophe de Hanovre, en particulier pour tout ce qui touche à l’analyse des dispositions analysées comme des « capacités d’offre » des entités complexes appareillage-monde. En revanche, les conclusions de Harré sont beaucoup plus discutables en ce qui concerne son interprétation de la notion de pouvoir causal. Ce qui pose problème, c’est que cette notion semble servir à Harré de notion de substitution à celle de substance dans le domaine ontologique. Tous ces efforts tendent à montrer que nous ne sommes pas tenus à une alternative qui nous ferait poser de manière abusivement constitutive, dans le domaine ontologique, des substances ou des particuliers dont les concepts n’ont d’usage pertinent que dans le domaine empirique d’un côté, ou qui nous conduirait à renoncer à toute interprétation ontologique de la causalité et à nous priver de toute explication des changements et des actions que nous observons au quotidien. Nous pouvons, selon lui, décrire un monde « quasi-nouménal » sans spéculer sur nos concepts empiriques. Dans le cas des pouvoirs causaux ordinaires, nous pouvons sans difficultés les attribuer à des particuliers identifiables par des propriétés occurrentes. Bref, il est possible d’attribuer ces pouvoirs causaux à des particuliers sans se référer uniquement à leurs manifestations. Mais ce que permettent surtout les concepts de Bohr, c’est de faire de telles attributions dans le cas des pouvoirs causaux originaux, c’est à dire irréductibles à de quelconque propriétés occurrentes. En attribuant des pouvoirs causaux aux entités appareillage-monde dont parle Bohr, il devient possible de leur donner une interprétation ontologique sans faire appel à la notion de substance ou de particulier. Le monde étudié par la physique fondamentale est constitué de manière ultime par des pouvoirs causaux dont l’existence, inobservable, en tant que telle, est pourtant certaine, dans la mesure où elle est requise pour rendre compte des dispositions qui se manifestent au cours des expériences. Ce faisant, nous ne spéculons pas, nous ne faisons pas de l’importation non contrôlée de nos concepts empiriques dans le domaine de l’existence. Nous ne faisons que compléter nos observations empiriques par des concepts que nous ne dérivons pas de nos observations, mais qui nous permettent cependant de les expliquer de manière pertinente.
30Toute la difficulté, c’est que Leibniz insiste au contraire sans cesse sur la notion de substance et qu’à ses yeux, les pouvoirs causaux n’ont pas d’effectivité indépendamment d’elles et encore moins d’existence séparée :
- 20 Leibniz, NE, IV, 3, § 3.
Quand on parle tout simplement de donner ou d’accorder des puissances, c’est retourner aux facultés nues des écoles et se figurer des petits êtres subsistants, qui peuvent entrer et sortir comme les pigeons d’un colombier. C’est en faire des substances sans y penser. Les puissances primitives constituent les substances mêmes, et les puissances dérivatives, ou, si vous voulez, les facultés, ne sont que des façons d’être, qu’il faut dériver des substances, et on ne les dérive pas de la matière en tant qu’elle n’est que machine, c’est à dire en tant qu’on ne considère par abstraction que l’être incomplet de la matière première ou le passif tout pur20.
Chez lui, l’ontologie complète effectivement nos observations empiriques en leur conférant unité et rationalité, mais il s’agit bien d’une ontologie de substances actives, qui agissent par l’intermédiaire de leurs facultés, et qui sont, en tant que telles, les sources des changements observables.
31Le but de ce qui suit est de clarifier la position de Leibniz sur la question du statut des substances dans lesquelles sont ancrés les pouvoirs causaux, et sur la nature de leur efficience. L’enjeu consiste à voir dans quelle mesure le rapprochement opéré par Harré entre les concepts fondamentaux de la mécanique quantique et la métaphysique leibnizienne est justifié, et quels enseignements on peut éventuellement en tirer d’un point de vue ontologique.
A-4. La typologie des puissances dans la philosophie de Leibniz
32Le projet de la dynamique leibnizienne est, dès le départ, engagé dans une tentative pour assurer le passage entre l’analyse mécaniste des phénomènes empiriques et leur ancrage dans une métaphysique des substances individuelles. Elle s’efforce ainsi, pour reprendre les termes d’Harré, d’étendre le champ sémantique en dégageant un espace propre pour décrire l’ontologie de la réalité physique et recoupe bien, en ce sens, le projet revendiqué par Harré. Cette tentative se traduit, comme on sait, par une interprétation de la notion de force, distinguée de celle de mouvement, par laquelle les cartésiens voulaient expliquer les changements qui affectent la substance étendue. Cette interprétation d’une grandeur irréductible à l’enquête purement géométrique souhaitée par la cinématique cartésienne a conduit Leibniz à produire une typologie assez sophistiquée des différents types de puissances requis pour donner une compréhension complète de la réalité physique et c’est d’abord à cette typologie que nous devons nous intéresser si nous voulons comprendre comment Leibniz a essayer de rendre compte du statut ontologique de la force.
33Dans le fameux chapitre 21 du livre II des Nouveaux Essais sur l’Entendement humain, Leibniz propose une typologie assez complète qui reprend les résultats des recherches qu’il a conduit dans la querelle des forces vives menée contre les cartésiens. Le but de cette typologie est de raffiner les distinctions aristotéliciennes de la puissance et de l’acte, afin de montrer comment la dynamique permet de fonder une ontologie de tendances exprimant l’activité des substances elles-mêmes.
34Partant de la distinction classique de la puissance et de l’acte, il propose d’abord de définir la puissance comme « possibilité du changement ». Cette dernière doit, à son tour, être divisée en deux types, selon qu’on a affaire à une puissance active ou à une puissance passive. La première prend ici le nom de « faculté », la seconde celui de « capacité ». Une faculté désigne la puissance inhérente au sujet pour qui le changement observé est une action, une capacité désigne la puissance inhérente au sujet pour qui ce même sujet est une passion. C’est le concours réglé de ces deux types de puissance complémentaire qui permet de rendre raison d’un changement de manière complète.
- 21 Leibniz, NE, II, 21, § 1.
35Mais Leibniz indique ensuite que toute faculté est, à son tour, susceptible d’être décrite de deux manières différentes dès qu’on ajoute à sa puissance la notion de tendance21. C’est seulement à partir de ce moment qu’on a réellement affaire à une force, c’est à dire au type d’entité étudié par la Dynamique. C’est cette notion de tendance, c’est à dire d’impulsion spontanée à la réalisation, impulsion réalisant la possibilité portée par la faculté si rien ne l’en empêche, qui confère à la faculté sa dimension proprement ontologique. Une force, ce n’est pas simplement une possibilité d’action sur quelque chose. C’est une tendance à la réalisation de cette possibilité. Et c’est l’analyse de cette tendance qui permet de saisir en quoi la force permet de penser et de connaître la réalité physique. Remarquons que la force est, en tant que telle, inobservable. Pour parler en termes kantiens, on dira que la Dynamique est donc à cheval entre le domaine de l’expérience empirique où nous pouvons observer les effets des forces qui animent la matière et celui de la métaphysique, qui invite à départir des concepts que nous utilisons pour décrire ces manifestations dans notre imagination. Pour autant, il n’y a évidemment pas, chez Leibniz, de « rideau de fer » entre les deux domaines, dans la mesure où l’enquête empirique ne peut donner lieu qu’à des descriptions incomplètes des phénomènes. Les manifestations des forces (les mouvements qui animent la matière et sont à l’origine des changements qu’on y observe), ne trouvent leur unité et leur intelligibilité qu’à partir du moment où le divers sensible est rapporté à des lois qui permettent à la fois d’organiser les différents positions successives occupées par un mobile dans une série et d’expliquer le fait même de leur succession dans sa dimension dynamique. L’originalité de la Dynamique consiste donc dans la dimension directement ontologique qu’elle donne aux explications physiques, dimension ontologique qui ne vient pas s’imposer aux phénomènes de l’extérieur comme une métaphysique ex machina, mais qui est requise pour donner une expression complète au donné empirique.
- 22 Nous n’entrerons pas ici dans la complexité des formulations successives proposées par Leibniz sur (...)
- 23 Leibniz, Monadologie, § 18.
36Cette dimension empirique apparaît clairement dans la suite du texte des Nouveaux Essais. Leibniz distingue ensuite deux types de forces, respectivement désignées sous les termes de forces primitives et de forces dérivatives. Les premières relèvent directement des substances et de la métaphysique. Désignées souvent par le terme d’entéléchie, elles portent sur les forces animant de manière spontanée les substances qui composent l’univers. Ces substances ne sauraient, aux yeux de Leibniz, être elles-mêmes de nature matérielle, dans la mesure où toute entité matérielle est irréductiblement composée (divisible) et suppose logiquement et ontologiquement des éléments simples et permanents, pour qu’on puisse leur conférer un être quelconque. C’est ce type de raisonnement, récurrent dans les textes leibniziens22, qui le fait conclure à l’existence d’ « automates incorporels », source des changements dans la matière23. Ces substances individuelles ou monades, en effet animées par une énergie spontanée qui les rend aptes à organiser la diversité de leurs relations au monde autour d’elles. La force primitive des monades est donc une tendance spontanée à l’expression de l’univers. Si on ajoute à cette force la notion de perception, par quoi il faut comprendre l’organisation d’une diversité à partir d’un foyer unique, il faut alors parler d’« âme ». On sait que selon Leibniz, ce sont de tels atomes spirituels qui forment la texture ontologique de notre univers, et on se bornera pour l’instant à remarquer qu’il y va, selon lui, de la possibilité même d’une description complète des phénomènes que nous y observons et de leur rationalité.
37À ces forces primitives correspondent dans l’ordre des phénomènes les forces dérivatives, qui sont leur expression empirique. Leibniz désigne ici, l’« effort » inhérent aux forces animant les mobiles. Cet effort n’est, une fois encore, pas observable en tant que tel mais il est requis pour rendre compte de phénomènes empiriques parfaitement mesurables comme celui de l’accélération lors de la chute d’un corps. Parler d’effort inhérent aux forces vives qui sous-tendent les phénomènes physiques, c’est montrer que les phénomènes requièrent des concepts d’ordre ontologique qui ne dérivent pas directement de ceux que nous utilisons pour décrire ces phénomènes (les concepts du mécanisme classique, de nature géométrique).
38Enfin, le texte des Nouveaux Essais nous invite à distinguer une puissance dérivative passive particulière dotée d’une certaine réalité, celle qui se trouve dans la matière en plus de la capacité à recevoir le mouvement (mobilité), à savoir la résistance (impénétrabilité + inertie). C’est ici que se joue le statut ontologique de la matière, qui, contrairement à ce que voudrait une lecture trop idéaliste de Leibniz, ne s’évanouit pas dans la perception, comme c’est le cas chez un Berkeley. La matière possède bien une forme de réalité, mais il s’agit en quelque sorte d’une réalité négative. Elle est, en tant que telle, formée par la diffusion continue et simultanée de forces dérivatives passives, ce qui en fait non pas un non-être mais une pure limitation des forces actives, le point où ces forces, qu’elles soient primitives ou dérivatives s’achèvent et en rencontrent d’autres, extérieures, qui viennent les limiter.
A-5. Expression
39Le concept qui permet à Leibniz de revendiquer une unification des différents types de puissance ainsi distingués, c’est celui d’expression : chaque type de puissance a une expression physique et phénoménale et une source ontologique qui lui confère unité et cohérence. Il s’agit donc pour Leibniz de montrer comment l’ontologie, loin de recourir à une sorte de « saut » hors des phénomènes, ne procède que d’une analyse complète de la réalité empirique. Les forces dérivatives, dont nous pouvons observer les effets dans l’expérience empirique expriment les forces primitives, qui leur confèrent, en retour, leur unité et leur rationalité : l’effort ou impetus qui sous-tend les vitesses et les positions successives du mobile (et nous aurons bien évidemment à revenir sur cette conception qui semble nous éloigner considérablement du principe d’incertitude, comme de son interprétation en termes de « complémentarité » par Bohr) exprime l’« appétition » inhérente aux substances, cette force primitive, qui leur permet de passer, de manière réglée et cohérente, d’une perception à une autre. À l’évidence, on est ici en droit de se demander si Leibniz ne tombe pas précisément sous les critiques adressées par Harré à l’importation de modèles iconiques hors du champ de l’expérience empirique. Comment comprendre cette notion d’effort, indépendamment des expériences empiriques que nous pouvons en faire, lorsque nous exerçons, par exemple nous-mêmes certains mouvements physiques ?
40On distingue traditionnellement quatre types de modèles, susceptibles d’apporter une interprétation aux termes d’une théorie scientifique : les modèles iconiques, les modèles analogiques, les modèles théoriques et les modèles imaginaires. Les modèles iconiques entendent représenter physiquement un certain prototype de telle façon qu’il soit possible de se servir du modèle pour effectuer certaines expériences ou calculs au sujet du prototype : modèles et prototypes ont censément une structure similaire, ils sont supposément isomorphes. Les modèles analogiques se distinguent des modèles iconiques en ce qu’ils ne reproduisent pas les propriétés du prototype, mais se situent dans une relation analogique avec lui. Ainsi pourra-t-on, en physique, se servir d’un circuit électrique comme modèle analogique d’un système acoustique. On transposera un certain problème au niveau du système acoustique dans les termes du circuit électrique et, une fois la solution découverte, on l’applique mutatis mutandis au système acoustique. Les modèles théoriques sont tout à fait différents des deux premiers. Il ne s’agit plus ici d’un objet que l’on met en regard avec un prototype, mais plutôt de suppositions au sujet de l’objet. Il peut arriver que les suppositions du modèle théorique s’inspirent d’une analogie entre l’objet ou le système à expliquer et un autre objet ou système (par exemple, le modèle de l’atome de Bohr qui établit une analogie avec le système solaire). En ce sens, un modèle théorique peut être également un modèle iconique ou analogique. Enfin, les modèles imaginaires décrivent également un objet ou un système à l’aide d’une ensemble de suppositions, mais sans se commettre quant à la vérité de ces suppositions, voire quant à leur plausibilité.
41Il nous semble que ce serait ici faire un contresens sur la notion d’expression que de la réduire à un modèle de type iconique. Mais il n’est pas plus aisé d’en faire un modèle strictement analogique non plus. La notion d’expression est définie dans un texte assez précoce de 1678 :
- 24 Leibniz, Quid sit idea ?, GP, VII, p. 263-4 [RG, 445-6).
Est dit exprimer une chose ce en quoi il y a des rapports qui répondent aux rapports de la chose à exprimer. Mais ces expressions sont variées ; par exemple, le modèle exprime la machine, le dessin perspectif exprime le volume sur un plan, le discours exprime les pensées et les vérités ; les caractères expriment les nombres, l’équation algébrique exprime le cercle ou tout autre figure : et ce qui est commun à ces expressions est que, à partir du seul examen des rapports de l’exprimant, nous pouvons parvenir à la connaissance des propriétés correspondantes de la chose à exprimer. […] On voit que, parmi les expressions, certaines ont un fondement dans la nature, et les autres sont en parties au moins fondées arbitrairement, comme le sont les expressions produites au moyen de sons et de caractères. Quant à celles qui sont fondées dans la nature, elles postulent ou bien une certaine similitude, comme celle qui existe entre un grand cercle et un petit, ou entre une région et la carte géographique de cette région ; ou en tout cas, une connexion comme celle qui existe entre le cercle et l’ellipse qui le représente optiquement, dans la mesure où tout point de l’ellipse répond selon une loi déterminée à un point du cercle ( et dans un tel cas, on ne saurait représenter le cercle par une autre figure plus semblable). De même tout effet entier représente sa cause pleine, car je peux toujours, à partir de la connaissance d’un tel effet parvenir à la connaissance de sa cause. Ainsi, les actions de chacun représentent son âme et le Monde lui-même représente Dieu en quelque façon24.
42La diversité des exemples donnés dans le texte montre que, malgré l’origine strictement mathématique de la notion, Leibniz ne s’interdisait pas dès cette époque, d’en faire un usage métaphysique assez large. De même que l’ellipse représente le cercle selon une projection perspective, de même l’effet entier représente la cause pleine, les actions du corps représentent l’âme et le monde représente Dieu. Comme le souligne F. de Buzon dans sa présentation du texte :
- 25 Leibniz, RG, p. 442.
Par son caractère strictement formel, l’expression doit assurer une série d’enjambements ontologiques qui demeuraient problématiques dans les métaphysiques antérieures, des signes aux concepts et des signes aux choses, de l’âme au corps, du créateur à sa création25.
- 26 Voir, par exemple, Leibniz, DM, vi : « Car supposons, par exemple, que quelqu’un fasse quantité de (...)
43Le concept d’expression ne renvoie donc ni entièrement à la notion de modèle iconique (même si le modèle exprime bien la machine), ni à celle de modèle analogique (même si la carte exprime le paysage). Il renvoie davantage à la notion d’isomorphisme, qui permet à Leibniz d’embrasser ces deux types de modèles sous une même dénomination. Tous les exemples de Leibniz présentent en effet la particularité d’autoriser une correspondance biunivoque entre l’exprimé et l’exprimant. À chaque élément du premier correspond un élément du second. En même temps, le modèle de la fonction, auquel Leibniz a parfois recours26, ne fonctionne que partiellement dans la mesure où Leibniz utilise la notion d’expression pour décrire le rapport du signe au signifié, du caractère au nombre, comme celui de la cause à son effet, ou de l’âme et des mouvements du corps. À cela s’ajoute le fait que Leibniz applique indifféremment la notion à des relations posées de manière arbitraire et à des relations ayant un fondement dans la nature.
44Tout ceci tend à écarter les accusations qu’on pourrait adresser à Leibniz quant au statut des rapports existants entre les forces dérivatives et les forces primitives, quant au passage, donc, de l’ordre des phénomènes et de leurs conditions d’intelligibilité, à celui de leur interprétation ontologique. Il n’y a pas, chez Leibniz, d’usage abusif d’un quelconque modèle iconique, et ce pour deux raisons : les forces sont, en tant que telles, impossibles à modéliser sous une forme matérielle empirique, la notion d’expression qui assure la correspondance entre l’ordre des substances et celui des phénomènes, n’est pas réductible non plus à un rapport matériel observable.
45Dans le domaine de la Dynamique, ce qui se rapproche le plus de la notion d’expression, c’est peut-être, pour reprendre les termes d’Achinstein, la notion d’analogie substantielle. Il y a bien une ressemblance entre les référents de ce qui est désigné par le terme de force quand on parle de force « primitive » et de force « dérivative » : dans les deux cas, il s’agit de tendances réglées à la succession, qui se réalisent si rien ne les en empêche. Et ces tendances prennent leur source, leur unité et leur norme, dans des substances individuelles animées d’une activité spontanée, par où elles agissent sur ce qui les entoure conformément aux rapports qu’elles entretiennent avec cet environnement.
A-6. La notion de pouvoir causal
46Si nous prenons au sérieux l’idée leibnizienne que l’effet exprime sa cause, comme les forces dérivatives expriment les forces primitives, au sens où nous venons de le dire, cela nous invite à reconsidérer la notion de pouvoir causal, telle qu’elle se trouve défini dans l’article d’Harré, ainsi que les perspectives ontologiques qu’elle ouvre chez lui.
47Selon lui, conformément à l’usage fait par Heisenberg des « potentiae aristotéliciennes », la valeur révélée après l’acte de mesure est causée par l’interaction entre le système quantique et l’appareillage classique, en ce sens que le caractère défini de la propriété est littéralement produit par elle. Le pouvoir causal, c’est le pouvoir d’un attribut inhérent à une entité appareillage-monde, de présenter aux « capacités d’offre » de cette même entité certaines dispositions, c’est à dire un certain nombre de valeurs formellement possibles des phénomènes observables de cette entité.
48Ce faisant, Harré a, on l’a dit, l’ambition de donner une lecture réaliste de l’interprétation de Copenhague. Il lui semble possible d’esquisser, conformément à la tradition dynamiste, une ontologie des dispositions et des pouvoirs causaux en les comprenant comme des attributs des entités appareillage-monde dont parle Bohr. En ce sens, son réalisme semble présenter la particularité d’être un réalisme en partie relativiste, dans la mesure où les pouvoirs causaux conservent une dimension contextuelle irréductible, les dispositions par l’exercice desquelles ils deviennent observables étant dépendantes de l’intégration particulière d’un appareillage d’observation dans le monde.
49Ce qu’il nous faut alors examiner de plus près, c’est la question de savoir en quel sens ces entités appareillage-monde peuvent être rapprochées des substances percevantes dont parle Leibniz, et en quel sens le concept de causalité dont il est question chez Harré se distingue de celui dont usait le philosophe de Hanovre. Ce que nous voudrions ici montrer, c’est que les positions leibniziennes, si elles peuvent, par contraste, apporter des éclairages intéressants sur un certain nombre de concepts utilisés par la mécanique quantique, restent fondamentalement tributaires d’une conception substantialiste des corps et d’une conception déterministe de la causalité, ce qui les rapproche peut-être davantage des interprétations dites de la variable cachée, plutôt que de celles défendues par l’École de Copenhague.
A-7. Les entités « appareillage-monde » et les monades
50La découverte par Heisenberg des « relations d’incertitude » a donné lieu à de multiples débats portant sur le rôle de l’observateur dans l’expérience scientifique, dans la mesure où elles semblent inviter à poser un limite radicale à toute expérience possible : l’impossibilité de mesurer à la fois les propriétés cinématiques des particules (localisation dans l’espace et dans le temps) et leurs propriétés dynamiques (vitesse). Cette limitation de l’expérience a semblé menacer le projet même d’une quantification de l’action mécanique, définie jusqu’alors par le produit de l’énergie d’un système par le temps dans lequel elle s’exerce. Les limitations propres à tout appareillage de mesure ont alors été interprétées par certains physiciens comme la marque d’une perturbation inévitable de l’observateur dans le travail de mesure des propriétés d’un système physique : les limitations quantiques portent, non sur les approximations provisoires d’expériences particulières, mais sur toute expérience possible. On ne peut construire aucun dispositif expérimental qui permettrait de tourner la limitation impliquée par les relations d’incertitude.
51Pour éviter d’avoir à conclure sur l’impossibilité d’une connaissance complète des systèmes dans lesquels interviennent des entités quantiques du fait de cette limitation radicale de nos systèmes d’observation, Bohr s’est efforcé de dépasser la dualité monde-observateur, en introduisant des entités d’un nouveau genre, dans lesquelles, le dispositif d’observation se trouve intégré au monde. Ces entités seraient, selon lui, les objets mêmes de la mécanique quantique, et permettraient de dépasser les difficultés soulevées par une absolutisation de la séparation monde / observateur. Tous les résultats de la mécanique quantique ne porteraient ainsi plus sur une réalité objective extérieure à l’observateur, mais décriraient les propriétés de ces entités d’un genre nouveau. C’est bien dans cette perspective que s’inscrit la démarche de Harré qui soutient que ces propriétés, inobservables en tant que telles (ce qui les rattache, à ses yeux, aux conceptions dynamistes), peuvent néanmoins être induites à partir des mesures formellement possibles du système. Ces propriétés pourraient donc être décrites en termes de dispositions, dans la mesure où elles correspondent, à l’intérieur du système, à des capacités d’offre en termes de mesures, inhérentes au système, et à des pouvoirs causaux permettant d’expliquer ces capacités d’offre.
52Ce qui doit nous intéresser ici, c’est l’analogie qui peut être établie entre des entités de ce genre et les monades leibniziennes, dans la mesure où ces dernières, qui constituent chez Leibniz, les éléments de la réalité, sont définies à la fois comme des foyers expressifs et comme des constituants de l’univers. Les qualités propres aux monades sont des perceptions, par quoi Leibniz désigne non pas des images ou des sensations, mais l’expression d’un multiple dans une unité, du composé dans le simple. La monade est parfois comparée à un point de vue, point de vue à partir duquel se trouve exprimé l’ensemble de l’univers. Aussi Leibniz a-t-il souvent recours à l’image d’une ville, dont la réalité complète requiert la multitude points de vue qu’elle recèle.
53Cette conception générale de la monade, définie à la fois comme élément du monde et comme perception du monde, pourrait être rapprochée de la notion d’entité « appareillage-monde » reprise par Harré. Chaque monade est bien intégrée à l’univers, au sens quasi mathématique du terme et ses perceptions peuvent être considérées réciproquement comme des différentielles de la perception générale qui se trouve en Dieu.
54L’analogie pourrait même être poussée encore plus loin dans le sens d’un rapprochement avec le propos d’Harré, à la lecture de certaines formulations du philosophe de Hanovre. Ainsi, Leibniz écrit-il dans l’article XXIX du Discours de Métaphysique :
- 27 Leibniz, DM, xxix.
Il faut bien aussi que l’âme soit affectée effectivement d’une certaine manière, lorsqu’elle pense à quelque chose, et il faut bien qu’il y ait en elle par avance, non seulement la puissance passive de pouvoir être affectée ainsi, laquelle est déjà toute déterminée, mais encore une puissance active, en vertu de laquelle il y a toujours eu dans sa nature des marques de la production future de cette pensée et des dispositions à la produire en son temps27.
55Si on laisse de côté pour l’instant le fait que ce passage est consacré plus précisément à l’esprit humain et à la manière dont il exprime et suscite en chaque individu des perceptions de manière déterminée, il n’en reste pas moins que cette double caractéristique des âmes, à la fois disposées à être affectées et à produire de manière spontanée des perceptions, n’est pas sans rappeler l’ontologie des « capacités d’offre » et des pouvoirs causaux dont parle Harré. Si on ajoute à cela que la philosophie tardive de Leibniz, étend cette double caractérisation des monades (« chaque monade est un Miroir vivant, ou doué d’action interne, représentatif de l’univers, suivant son point de vue et aussi réglé que l’univers lui-même », écrit Leibniz dans l’article 3 des Principes de la Nature et de la grâce), on comprend que la référence explicite de Harré au projet leibnizien n’est, à première vue, pas injustifiée. Ce qui la motive, c’est l’idée que l’univers est, dans les deux cas, composé de manière ultime par des entités que l’on peut décrire comme des points de vue intégrés au monde, doués à la fois d’une capacité d’expression et d’une activité interne spontanée.
56Reste une certaine ambiguïté, dans la mesure où le rapport établi par Harré entre ces entités « appareillage-monde » et les particules quantiques proprement dites reste assez obscur. Il nous semble que sa démarche vise en réalité à faire d’une pierre deux coups, si l’on peut dire : il cherche à la fois à préciser la signification conceptuelle des particules quantiques (ni ondulatoires, ni corpusculaires, mais dispositionnelles), et à trouver une réponse au problème, à la fois épistémologique et ontologique, de leur caractère indéterminé du fait des conséquences des relations d’incertitude d’Heisenberg. Sa solution à la première difficulté repose sur un abandon des modèles iconiques, du fait des limites inhérentes à toute expérience, du fait que qu’elle porte toujours sur des entités complexes appareillage-monde ce qui interdit tout usage constitutif des concepts par lesquels nous décrivons les phénomènes macroscopiques dans l’explication des systèmes quantiques. À l’échelle microscopique de la physique fondamentale, nous devons abandonner nos intuitions empiriques pour avoir recours à des concepts d’entités inobservables, eux-mêmes relatifs à l’intégration du dispositif d’observation dans le monde physique.
57De ce point de vue épistémologique, le rapprochement entre l’usage leibnizien du concept de force et celui des pouvoirs causaux et des dispositions dont parle Harré n’a rien d’illégitime, bien que les voix qui conduisent Leibniz à la notion de force ne soient pas liées directement à son analyse des contextes expérimentaux.
58Mais c’est bien sur ce point que le rapprochement devient problématique si on se rapporte maintenant au deuxième objectif d’Harré, à savoir sa tentative d’élucidation du caractère indéterminé de ces particules fondamentales. Car selon lui, l’indétermination irréductible des mesures dont elles sont susceptibles tient également à un usage constitutif des concepts que nous utilisons à propos des observables. C’est seulement dans le cas où nous considérons les quanta comme des particules fondamentales d’une réalité extérieure indépendante de nos observations, que nous sommes conduits à voir l’impossibilité de mesurer à la fois leur position et leur vitesse comme une indétermination. En considérant les quanta comme des propriétés d’entités appareillage-monde, cette indétermination devient relative, c’est à dire qu’elle devient, en tant que telle, une propriété des entités de Bohr. Dès lors, il ne s’agit plus d’une marque d’un caractère incomplet de notre connaissance comme des objets auxquels nous sommes confrontés à l’échelle microscopique. L’indétermination de nos mesures doit être comprise comme une marque du caractère irréductiblement dispositionnel du monde nouménal. Ce qui existe antérieurement aux contextes de mesure dans les entités de Bohr doit ainsi être envisagé sous la forme de pouvoirs causaux et de dispositions qui s’ajustent à ce que nous pouvons mesurer dans un système quantique. Bref, il s’agirait, pour Harré, de faire notre deuil, dans le domaine nouménal, ou pour reprendre le terme qu’il utilise ailleurs, dans le Réel-3, des entités susceptibles de donner lieu, dans leur dimension phénoménale, à des mesures complètes en termes cinématiques et dynamiques. D’un point de vue ontologique, cette conception nous conduit évidemment à renoncer également au modèle de la substance et de ces accidents. La mécanique quantique ne nous conduit pas à renoncer à toute forme d’objet, ni à toute interprétation réaliste, mais plutôt à modifier le type d’objets et la nature des noumènes que nous sommes en droit de supposer, du fait des limites nouvelles attribuées à toute expérience scientifique. Le concept de substance doit donc dans cette perspective, céder la place à ceux de pouvoirs et de dispositions, dans la mesure où ces derniers sont les seuls conformes à nos capacités de mesure dans le domaine des sciences.
59Toute la difficulté de cette position tient selon nous au fait que ces entités nouvelles se rapportent elles-mêmes à une entité problématique, à savoir la notion d’entité appareillage-monde dont parle Bohr. Ainsi, Harré écrit-il :
- 28 Harré, 2006, p. 129.
Les phénomènes manifestes, par exemple les traces, sont des attributs d’êtres complexes, d’entités appareillage-monde. Ce sont elles que décrivent les fonctions d’ondes et non un monde caché d’entités quantiques28.
60L’ambiguïté de cette formule tient à ce qu’elle semble mettre en concurrence, sur le plan ontologique, les pouvoirs et dispositions dont nous venons de parler avec ces « êtres complexes » dont parle Bohr. Si les phénomènes observables sont des propriétés de ces entités, il est clair que les noumènes qui leur « correspondent », entretiennent également un certain rapport à ces entités appareillage-monde. Or, à la différence de ce qu’on trouve chez Leibniz, lequel utilise, comme on l’a vu, le concept d’expression pour expliquer le rapport entre les différents types de force à l’œuvre dans la réalité physique et permettre une régression cohérente depuis les phénomènes jusqu’aux substances individuelles, on ne trouve pas chez Harré, d’explication équivalente, permettant de relier les attributs phénoménaux des entités de Bohr, aux pouvoirs causaux et dispositions réelles qui les sous-tendent. L’ambiguïté de sa position tient à ce qu’il utilise le même terme d’entité à propos des pouvoirs et des complexes « appareillage-monde », et qu’il définit les premiers comme des substrats des propriétés des seconds. Bref, on ne voit plus très bien en quel sens il utilise la distinction substance-attribut et à quoi se rapportent précisément ces deux termes. En quel sens, les substrats de certaines propriétés peuvent-ils être distincts du substrat de l’entité auquel se rapportent ces propriétés ? En d’autres termes, l’interprétation ontologique qu’il propose de la mécanique quantique peut-elle se passer d’une théorie de la substance précisant le statut ontologique des entités de Bohr et se contenter d’une ontologie des pouvoirs et des dispositions ? Le risque de la position d’Harré, c’est de postuler l’existence de propriétés sans avoir défini à quoi elles se rapportent. C’est aussi de laisser planer une certaine incertitude quant aux entités ontologiques de base sur lesquelles repose la réalité du monde physique : ce dernier est-il finalement composé de « pouvoirs aristotéliciens », pour reprendre les termes d’Heisenberg, ou bien de complexes « appareillage-monde » ? Dans le premier cas, le statut ontologiques des entités de Bohr reste flou, et les pouvoirs causaux risquent de réveiller le spectre de Berkeley et avec lui le doute du caractère réaliste de tels pouvoirs. Dans le second, il nous faut préciser en quel sens, les pouvoirs causaux peuvent être rapportés aux entités de Bohr, considérées, cette fois, comme les éléments fondamentaux de notre ontologie.
61Cette deuxième piste correspond sans doute davantage aux propositions leibniziennes et nous invite à regarder de plus près ses tentatives pour construire une ontologie dynamiste cohérente à la fois avec l’ordre des phénomènes et avec une théorie originale de la substance.
A-8. Des pouvoirs ou des substances ?
62Dans les Nouveaux essais sur l’Entendement Humain, Leibniz conteste le point de vue de ceux qui, comme Locke, ont tendance à substantialiser les pouvoirs sans se donner les moyens de donner une définition précise de la notion de substance. Ainsi, il peut dire :
- 29 Leibniz, NE, IV, 3, § 5.
Quand on parle tout simplement de donner ou d’accorder des puissances, c’est retourner aux facultés nues des écoles et se figurer des petits êtres subsistants, qui peuvent entrer et sortir comme les pigeons d’un colombier. C’est en faire des substances sans y penser. Les puissances primitives constituent les substances mêmes, et les puissances dérivatives, ou, si vous voulez, les facultés, ne sont que des façons d’être, qu’il faut dériver des substances, et on ne les dérive pas de la matière en tant qu’elle n’est que machine, c’est à dire en tant qu’on ne considère par abstraction que l’être incomplet de la matière première ou le passif tout pur29.
63Ces propos interviennent dans le débat Locke à Leibniz sur les capacités de la matière à penser, débat qui rappelle plutôt celui qui porte, aujourd’hui, sur la question du sens à donner au projet de naturalisation de l’esprit, qu’à celui qui porte sur l’interprétation de la Mécanique Quantique. Mais ce qui doit ici retenir notre attention c’est la manière dont ils nous permettent de préciser la conception leibnizienne de la matière. Pour comprendre le refus leibnizien d’une substantialisation des pouvoirs, il faut comprendre pourquoi les forces dérivatives étudiées par la physique sont seulement des « accidents » des substances, et en quoi ces dernières peuvent elles-mêmes être décrites en termes de forces « primitives ».
64D’après Leibniz, il y a deux manières de considérer la matière physique, selon qu’on s’attache à ses caractéristiques mécaniques, qui ne supposent que des pouvoirs dérivés, ou selon qu’on s’attache à sa description complète qui suppose de la rattacher à des atomes de substances actifs et incorporels.
- 30 Sur tout ceci, voir la première partie.
65Seulement, toute puissance dérivée, c’est-à-dire actuelle de manière seulement instantanée, suppose des puissances permanentes qui la sous- tendent. Ces puissances traversent également la matière et se manifestent lorsqu’un corps matériel est en mouvement, ce qui, selon Leibniz, est toujours le cas, dans la mesure où il n’existe jamais d’état de repos complet. C’est en cherchant une règle de conservation susceptible de fournir un principe de nomicité en physique que Leibniz est amené à montrer que ce qui se conserve dans un système physique n’est pas la quantité de mouvement (comme le veulent les cartésiens qui l’estiment par le produit de la masse d’un corps et de sa vitesse), mais la quantité de force (estimée par le produit de la masse et du carré de la vitesse). La force vive apporte à la matière sa dimension proprement ontologique dans la mesure où l’activité est un critère de réalité (en vertu de l’adage scolastique selon lequel Actiones sunt suppositorum)30 :
- 31 Leibniz, GP, IV, p. 396 [SNN, p. 177-8].
La force dérivative est ce que certains appellent impetus, elle est en tout cas le conatus ou la tendance (dans mon langage) à un mouvement déterminé, suivant lequel se trouve modifiée la force primitive ou principe d’action31.
66La matière « seconde », ou « substance corporelle », qui seule fournit une description complète de la réalité matérielle, comprend donc à la fois les puissances dérivatives inhérentes à la matière corporelle et les puissances primitives inhérentes aux substances qui l’animent. Or c’est précisément la présence de telles puissances primitives qui appelle une interprétation ontologique. Il faut considérer en outre que la force dérivative, ainsi que l’action, est quelque chose de modal, puisqu’elle subit le changement. Or tout mode résulte d’une modification de quelque chose qui persiste, c’est à dire qui est plus absolu. Et de même que la figure est une limitation ou modification de la force passive ou masse étendue, la force dérivative et l’action motrice sont une modification d’une chose qui n’est en aucun cas purement passive (autrement la modification ou limite envelopperait plus de réalité que cela même qui est limité), mais de quelque chose d’actif, c’est à dire de l’entéléchie primitive.
67Ce que cherche Leibniz, c’est l’élément invariant de la puissance telle qu’elle s’exprime dans les forces dérivatives qui unifient le mouvement et lui confèrent sa consistance. L’originalité de sa position tient à ce qu’il tente de formuler l’acte propre à la puissance, en ayant recours à la notion de tendance, ce qui lui permet de dépasser l’opposition contemporaine entre le dispositionnel et le catégorique. En un sens, la dimension modale des forces dérivatives le conduit à rechercher un élément catégorique permanent qui serve de substrat aux actions qui animent la réalité matérielle. Mais en même temps, cet élément ne saurait être autre chose qu’une puissance active ayant un caractère substantiel, ce qu’il désigne sous le terme de « force primitive ». Bref, la notion de tendance qui prend, dans le domaine métaphysique une signification ontologique, subvertit l’opposition catégorique-dispositionnel : en tant que puissance, elle conserve une dimension dispositionnelle dans la mesure où elle est irréductible à toute forme de propriété mécanique (ou géométrique), mais en tant qu’expression de l’activité propre aux substances, elle a bien une dimension catégorique car elle est assignable de manière permanente à une substance individuelle. La notion de tendance renvoie donc à l’acte de la puissance, à ce qu’elle a de réel dans les corps, considérés à leur tour comme des agents et non comme de simple supports de leurs actions.
68Les substances elles-mêmes peuvent bien, en un sens, être décrites en termes de forces « primitives », c’est à dire de tendances spontanées à produire une série réglée de perception. Leibniz le précise dans les termes suivants :
- 32 Leibniz, Lettre à Pellisson du 8/18 janvier 1692, FC, p. 312 [SNN, p. 43].
Le mot de substance se prend de deux façons, pour le sujet même et pour l’essence du sujet : pour le sujet même, lorsqu’on dit que le corps ou le pain est une substance ; pour l’essence du sujet, lorsqu’on dit la substance du corps ou la substance du pain. Et alors, c’est quelque chose d’abstrait. Lors donc qu’on dit que la force primitive fait la substance des corps, on entend leur nature ou essence. […] Ainsi, personne ne pourra se formaliser si on prend la substance in abstracto pour la force primitive, laquelle aussi demeure toujours la même dans le même corps et fait naître successivement des forces accidentelles et des actions particulières, lesquelles ne sont toutes qu’une suite de la nature ou force primitive et subsistante appliquée à d’autres choses32. [Nous soulignons.]
- 33 Pour un aperçu des différents usages de la notion d’« abstrait » dans la philosophie leibnizienne, (...)
- 34 « L’essence dans le fond, n’est autre chose que la possibilité de ce que l’on propose. » (Leibniz, (...)
69Leibniz nous invite donc ici à considérer la force primitive d’une substance, comme ce qui constitue son « essence », sa substantialité. Il s’agit bien d’une vision abstraite de la substance dans la mesure où on ne la considère plus directement comme un sujet, mais où on s’interroge sur ce qui la constitue comme telle. La force primitive désigne donc une qualité essentielle de la substance, une qualité qui se rapporte à ce qu’elle est, en tant que substance. Jean-Baptiste Rauzy rappelle que la définition leibnizienne des termes abstraits n’est pas différente de celle proposée dans La Grammaire générale et raisonnée de Port Royal : les mots abstraits dénotent indirectement le sujet auquel ils sont inhérents et directement la qualité ou l’essence qu’ils signifient33. Dans le vocabulaire leibnizien, le terme d’ « essence » renvoie, lui, à la possibilité d’une chose, c’est à dire à son caractère pensable, non contradictoire34. Désigner la force primitive comme une qualité essentielle des substances, cela signifie aussi que la substance, si on la considère de manière concrète, désigne en réalité un corps réel, c’est à dire un corps considéré à la fois dans sa dimension phénoménale et dans sa dimension nouménale (pour reprendre la terminologie kantienne). Aussi Leibniz peut-il conclure le texte cité précédemment :
- 35 Leibniz, Lettre à Pellisson du 8/18 janvier 1692, FC, p. 312 [SNN, p. 43].
Il est vrai cependant que la substance in concreto est autre chose que la force, car c’est le sujet (c’est à dire le corps) pris avec cette force35.
70C’est ici que l’on peut voir à la fois tout ce qui rapproche la démarche de Harré et celle de Leibniz. En effet, l’un comme l’autre partagent bien le souci de ne pas dépasser les limites de l’expérience en quittant l’ordre des phénomènes pour « sauter » dans le nouménal. Mais en même temps, Leibniz inscrit sa démarche dans une analyse de la réalité objective. Il est toujours chez lui question d’une analyse des corps et non d’entités complexes associant l’être et l’être perçu. Certes, les observateurs que nous sommes sont bien des sujets percevants doués d’une âme également susceptible d’une description en termes dynamiques (auxquels doivent s’ajouter des propriétés réflexives), mais cela ne le conduit jamais à dissoudre la réalité objective en tant que telle. La manière dont il rend raison du caractère perceptible de la réalité matérielle pour les esprits que nous sommes repose sur la doctrine de l’harmonie préétablie. Si nous pouvons percevoir le monde, si un accord est possible entre nos capacités perceptives et la réalité matérielle, c’est en raison d’un fait brut qui doit être accepté comme primitif : toutes les substances de l’univers sont faites de telle manière qu’elles expriment très précisément l’univers qui les entoure en fonction de leur situation particulière. Ce n’est donc pas une quelconque interaction qui produirait des manifestations virtuellement disponibles du fait de leur contact réciproque. Il n’y a pas, selon Leibniz, à chercher d’explication à cette donnée fondamentale : les substances sont accordées les unes aux autres de sorte que tout changement se produisant dans l’une d’elle se trouve exprimé dans toutes les autres et ce, de manière cohérente et déterminée. En ce sens, l’univers leibnizien n’est pas un univers quantique, en tout cas, pas au sens où l’interprète l’école de Copenhague.
- 36 Sur ce point, voir ici les chapitres 8 et 9.
71Mais c’est aussi ce qui permet de mesurer toute la distance qui sépare le concept de « force » de celui de « pouvoir causal » auquel a recours Harré. Une force, qu’elle soit dérivative ou primitive peut et doit toujours être rapportée à une substance individuelle. Il n’y a pas, même dans le cas des forces primitives, d’indépendance ontologique des entités dynamiques. Il n’y a donc pas de « pur » dispositionnel qui existerait par lui-même sans être assignable à un sujet quelconque. À l’inverse, le concept de « pouvoir causal », dans l’acception que lui donne Harré renvoie plutôt à une pure capacité d’action existant sans avoir à être déterminée comme modalité d’une substance quelconque. De plus, son caractère « causal » tient, selon Harré aux régularités que nous pouvons établir à partir de l’observation des phénomènes, en l’occurrence, des probabilités que nous pouvons assigner aux diverses manifestations des particules quantiques. Leibniz y verrait sans doute une contradiction rédhibitoire dans la mesure où l’activité dynamique (causale) de ces entités se trouve dérivée de nos observations empiriques, alors que sa conception repose sur une démarche complètement opposée. Une compréhension correcte des relations causales suppose selon lui de partir de l’impossibilité conceptuelle de toute interaction réelle entre les corps et entre les substances qui les sous-tendent. Les relations de succession régulière qu’on observe entre les divers changements affectant les corps ne peuvent s’expliquer que par la loi fondamentale de l’univers, celle de l’harmonie préétablie, qui se traduit, dans la Dynamique, par les règles de conservation de la force vive couplées au principe de moindre action. Cela signifie que la causalité n’a de sens que sous l’égide d’une certaine conception de la légalité naturelle couplée à une compréhension correcte de la notion de substance36. En définitive, et quoi qu’en dise Harré, l’idée selon laquelle des pouvoirs causaux pourraient, en tant que tels, constituer les éléments fondamentaux de notre univers, n’a donc pas grand sens dans la philosophie leibnizienne. Les pouvoirs auxquels il fait référence renvoient soit à des modalités, soit à des accidents réels, ce qui suppose dans les deux cas de pouvoir les assigner à des substances. Ces pouvoirs d’expliquer les relations causales, que nous pouvons observer entre les phénomènes corporels, mais ils ne sont pas efficients par eux-mêmes, mais seulement en un sens dérivé. Ce sont les substances qui agissent et non leurs facultés, c’est l’accord préétabli entre ces substances, qui permet d’expliquer les lois causales, mais ces lois ne sont créées ni par les forces ni par les substances. Ces dernières les incarnent dans l’univers car elles sont faites de telle sorte qu’elles ont gardé en elles une « trace » de l’harmonie universelle. Mais si elles sont porteuses de ces lois, elles n’en sont que les instances et non les créatrices.
72En définitive, et en dépit des analogies détaillées précédemment entre les concepts avancés par Harré et ceux développés par Leibniz, il semble donc que leurs ontologies respectives sont difficilement conciliables. Tous les deux partagent bien une conception critique à l’égard du mécanisme classique et de sa version newtonienne. Mais le premier défend une ontologie de propriétés indépendantes et cherche à se passer de la notion de substance en ayant recours à des entités au statut ontologique relativement indéterminé (les complexes appareillage-monde de Bohr), alors que le second développe une ontologie de substances individuelles agissantes rigoureusement distinctes dont découlent les propriétés dynamiques de la matière. Au fond, ce qui les oppose, c’est leurs conceptions respectives d’une position réaliste à propos de l’univers physique. Selon Harré, une telle position suppose une démarche inductive à partir des phénomènes dont nous disposons vers le domaine « quasi- nouménal » qui les rend possibles. Selon Leibniz, elle suppose une régression normée à chacune de ses étapes par les critères d’unité et de simplicité qui permette de rendre raison des phénomènes en en donnant une description complète et déterminée. À l’arrivée, le premier, reste tributaire d’une conception ontologiquement indéterminée des propriétés ontologiques qu’il avance, quand le second associe la détermination des phénomènes à leur objectivité et à leur consistance ontologique.
A-9. Le réalisme leibnizien face à la physique contemporaine
A-9.1.Connexionisme et déterminisme
73Si on cherche alors à retrouver l’esprit des tentatives leibniziennes dans les interprétations modernes de la mécanique quantique, ce n’est sans doute pas vers l’interprétation de l’école de Copenhague que nous devons nous tourner. Commençons par établir un bilan des ressemblances formelles entre les principaux résultats de la mécanique quantique et les concepts développés par Leibniz.
74Dans les deux cas, sont mis en avant une connexion entre les phénomènes observés et l’observateur. Cette connexion conduit Bohr et Heisenberg, à supposer une non séparabilité des phénomènes observés et des dispositifs d’observation, ce qui les amène à proposer des entités d’un genre nouveau dans lesquels les dispositifs d’observation sont véritablement intégrés à la nature, les phénomènes susceptibles de mesures résultant de l’interaction de ces deux composants. Chez Leibniz, cette connexion n’est pas interprétée de la même manière. On a vu que Leibniz parle d’expression, entre les manifestations observables des forces dérivatives ainsi qu’entre ces forces et leurs principes spirituels, les forces primitives. Cette capacité expressive (dont on a vu que Leibniz donnait une acception métaphysique assez large) est, en définitive rapportée à la nature des substances qui composent l’univers, ce qui signifie chez lui, que la connexion entre les phénomènes et les observateurs ne conduit pas à une intégration des premiers et des seconds. Leibniz parle de connexion mais cette relation d’expression est posée entre des substances irréductibles les unes aux autres et radicalement distinctes. Ce point suffit à distinguer clairement les entités appareillage-monde dont parle Bohr des monades leibniziennes.
75L’entr’expression des monades qui rend possible, selon Leibniz, leur communication (dont l’expérience empirique est une dimension), est elle-même soumise à un principe général d’harmonie, qui possède à ses yeux une dimension primitive et n’appelle pas d’explication particulière. De la même manière que l’âme exprime, de par sa nature, et sous forme de perceptions réglées, les divers mouvements physiques qui se produisent dans notre corps, les changements qui affectent les différentes substances qui composent l’univers trouvent un écho dans toutes les autres, de sorte que la connexion intersubstantielle a une portée universelle. Ce principe d’harmonie préétablie, d’ordre métaphysique, trouve une traduction physique dans les règles de conservation de la force vive et dans la valeur heuristique du principe de moindre action. De ce point de vue, le déterminisme leibnizien occupe une place singulière dans l’histoire de la physique, dans la mesure où la détermination des phénomènes suppose de prendre en compte l’architectonique globale de l’univers qui lui confère, seule, son intelligibilité.
76Cette forme de déterminisme offre à son tour un certain nombre de points communs avec celui qui se manifeste dans la mécanique quantique, et ce sur au moins deux points.
77Le premier point suggérant un rapprochement entre les deux positions, c’est qu’elles soutiennent toutes deux la possibilité d’une correspondance entre les analyses du mécanisme classique et celles de la mécanique quantique ou de la Dynamique. D’après Bohr et Heisenberg, les résultats obtenus par la mécanique quantique à l’échelle microscopiques, sont compatibles avec ceux obtenus par le mécanisme classique à l’échelle macroscopique, ce qu’il a formulé dans son principe de correspondance, appelé aussi parfois principe de complémentarité. Il s’agit, pour eux, d’une exigence de cohérence élémentaire : à la limite où les effets quantiques deviennent négligeables, les prédictions de la mécanique quantique doivent coïncider avec celles de la mécanique classique. Ce principe est une sorte de condition aux limites qu’il est, d’après eux, naturel d’imposer à la théorie quantique et qu’il est assez normal d’utiliser comme guide au passage de la frontière entre classique et quantique. De la même manière, on trouve chez Leibniz des formulations récurrentes pour montrer que les résultats de la Dynamique n’exigent pas un abandon du mécanisme classique, mais lui confère simplement une intelligibilité accrue. Ainsi précise-t-il dans les Remarques sur les ‘Principes de la philosophie’ de Descartes :
- 37 Leibniz, Remarques sur les ‘Principes de la philosophie’ de Descartes, GP, IV, p. 391 [OP, p. 155].
Les principes mécaniques mêmes, c’est à dire les lois générales de la nature, naissent de principes plus élevés et ne sauraient être expliqués par la quantité seule et par des considérations géométriques. Ces principes impliquent bien au contraire, quelque chose de métaphysique, indépendant des notions que nous fournit l’imagination, et qu’il faut attribuer à une substance dépourvue d’étendue. Car en dehors de l’étendue et de ses modifications, il y a, inhérente à la matière, la force même ou la puissance d’agir qui permet le passage de la métaphysique à la nature et des choses matérielles aux choses immatérielles. Cette force obéit à ses lois propres lesquelles ne découlent pas uniquement de principes qui sont d’une nécessité absolue et, si l’on peut dire, aveugle, comme des lois mathématiques, mais des principes de la raison parfaite. Dès qu’on a établi ces principes par une recherche générale préliminaire, tout peut ensuite s’expliquer mécaniquement dans les phénomènes de la nature37. [Nous soulignons.]
- 38 Voir ici le chapitre 3.
78On trouve dans ce texte toutes les limites d’un rapprochement entre le principe de complémentarité de Bohr-Heisenberg et celui avancé par Leibniz pour défendre la correspondance entre le mécanisme et la dynamique. Ce qui est en jeu chez lui, ce n’est pas la cohérence entre l’échelle micro et l’échelle macroscopique, c’est directement l’interprétation même du mécanisme. Ce qu’il conteste, ce ne sont pas les résultats du mécanisme, qui ne s’appliqueraient plus à certaines particules microscopiques. Ce sont les erreurs et les incohérences auxquelles conduisent ses interprétations cartésiennes en termes de substance étendue dotée de propriétés purement géométrique. Ce que Leibniz a en vue, c’est la cohérence conceptuelle de l’interprétation ontologique des résultats du mécanisme. Et c’est ce qui explique qu’il situe en permanence sa critique sur deux fronts : celui de la critique des catégories de l’ontologie cartésienne et celui de la confirmation de ses propres catégories dans l’ordre des phénomènes. Cette critique se construit chez lui en deux temps, d’abord par un travail d’interprétation de la nouvelle estimation des forces vives et de leur conservation, puis dans l’argumentaire a priori qui lui permet d’opérer une synthèse entre ses deux préoccupations38. Quoiqu’il en soit, il ne s’agit pas chez lui d’une correspondance technique et elle n’induit aucune limitation de la portée des résultats du mécanisme. En ce sens, ce n’est sans doute pas de ce côté qu’il faut chercher une similitude de vues entre la Dynamique et la mécanique quantique. Reste alors la question du statut des lois qui sont élaborées dans respectivement dans ces deux démarches. Leibniz indique dans cet extrait qu’il ne saurait s’agir de lois purement géométriques mais qu’elles découlent de principes métaphysiques supérieurs. Ce qu’il nous faut alors examiner c’est le type de déterminisme auquel elles nous conduisent, et en quel sens elles sont susceptibles d’un éventuel rapprochement avec le déterminisme induit par la mécanique quantique.
79Le deuxième point suggérant un rapprochement entre ces deux formes de déterminisme tient en effet à la notion de vecteur d’état utilisée par la mécanique quantique. Contrairement à ce que l’on pense souvent, la mécanique quantique ne donne pas lieu à une conception irréductiblement indéterminée des différents états mesurables d’un système donné. Il est possible de représenter les différentes valeurs prises par ces états incompatibles entre eux compte tenu des phénomènes d’interférence et de perturbation liés au dispositif d’observation, sous la forme d’un vecteur qui est la somme des vecteurs décrivant ces états. Si l’état d’un système est connu à un instant donné, il subira une évolution temporelle et l’équation d’évolution permet de déterminer le vecteur d’état à un autre instant. La prédiction des résultats d’une mesure, d’autre part, est introduite par des probabilités de trouver un de ces résultats dans une expérience où on mesure une grandeur physique représentée par son opérateur. Se dessine alors la possibilité de décrire un système logiquement et physiquement cohérent, qui repose sur la formalisation des différents états possibles de ce système à un moment donné. Pourquoi ne pas soutenir, en ce cas, que le concept de « vecteur d’état » correspond au même type de projet d’une détermination globale d’un système, de la même manière que le principe de l’harmonie préétablie affirme que la détermination complète d’un système repose sur une prise en compte globale de ses différents états ? Parce que l’harmonie préétablie dont parle Leibniz ne porte pas sur les états possibles d’un système mais sur ses états réels. La compossibilité n’est, selon lui, pas une condition suffisante de l’existence, même si elle en constitue une condition nécessaire. Il y a bien une infinité de mondes possibles dans lesquels les différents états du monde peuvent différer graduellement de celui dans lequel nous vivons, mais notre univers se trouve aussi être le meilleur, c’est à dire celui dans lequel on trouve la quantité optimum de substances compossibles. Aussi, l’harmonie préétablie, qui organise les différentes lois causales qu’on observe dans la nature, porte non seulement une exigence de complétude mais aussi une exigence de détermination optimale des phénomènes. En ce sens, elle ne saurait se satisfaire d’une simple somme des différents états possibles de l’univers à un moment donné. Dans le domaine de la physique, cette exigence de détermination doit porter sur les mesures elles-mêmes (notons, que cette détermination n’est pas, chez lui, nécessairement incompatible avec une approche probabiliste), et non sur la possibilité de ces mesures.
80En définitive, la position leibnizienne est sans doute plus proche, au moins dans son esprit, des différentes tentatives effectuées au cours du vingtième siècle pour rendre compte des résultats de la mécanique quantique par une théorie de la variable cachée, même si, on va le voir, ce rapprochement n’est pas non plus sans poser certaines difficultés.
A-9.2. Les théories de la variable cachée
- 39 Pour une présentation d’ensemble, voir Goldstein, 2001.
81Sans rentrer dans les détails techniques de cette interprétation de la mécanique quantique développée notamment par Bohm à la suite des critiques d’Einstein39, il nous importe surtout de comprendre la nature des difficultés auxquelles elle s’est efforcée de répondre.
82Le débat sur les variables cachées est né en effet dès les débuts de la mécanique quantique. Il est dû au caractère probabiliste des prédictions de la mécanique quantique et au principe d’indétermination de Heisenberg lié à la dualité onde-corpuscule. Certains physiciens se sont difficilement résolus à accepter une théorie qui ne permettait plus les prédictions rigoureuses auxquelles les équations de la mécanique classique les avaient habitués et ils ont établi une distinction entre la réalité précise du système physique et les informations partiellement indéterminées que nous avons sur lui. Albert Einstein lui-même jugeait la mécanique quantique incomplète ainsi qu’il l’exprimait en 1935 dans l’énoncé du paradoxe E.P.R. (Einstein, Podolsky et Rosen) qui est resté au centre de ce débat. D’autres, comme Louis de Broglie, allant plus loin, ont essayé de compléter la mécanique quantique en introduisant des variables cachées, inaccessibles à la mesure, mais qui sont censées cependant caractériser l’état réel du système physique.
83En 1935, Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen avaient proposé une expérience qui leur semblait de nature à établir le caractère incomplet de la théorie quantique : un système de spin 0 se désintègre en deux particules, qui partent dans des directions opposées. Le moment angulaire étant conservé, les deux particules doivent avoir des spins de sens contraires, mais chacun des spins reste indéterminé. Si l’on mesure alors le spin d’une des particules, on se trouve brusquement connaître celui de l’autre. Or la seconde particule, étant très éloignée, n’a pas pu être perturbée : l’interprétation des auteurs est qu’un « élément de réalité », nécessairement possédé par la seconde particule (là est peut-être un point faible de l’argument...), n’est pas pris en compte par la mécanique quantique.
84Les expérimentations menées à la suite des objections adressées par Einstein à l’interprétation de Copenhague reposent donc sur l’hypothèse que lorsque deux objets sont très éloignés l’un de l’autre, on peut parler séparément des éléments de réalité physique propres à chaque objet, ce qu’on a appelé par la suite le principe de séparabilité.
85Or, selon Bohr, on ne peut pas parler dans l’abstrait des éléments de réalité physique d’un système ; toute expérience de physique comporte un système étudié et un appareil de mesure, et ce n’est qu’en précisant l’ensemble des deux que l’on peut parler de réalité physique. En conclusion, pour Bohr, la notion de réalité physique défendue par Einstein est vide de sens.
86C’est donc bien le concept de réalité physique séparable qui est au cœur du débat. Pour Einstein, le monde peut être conçu comme formé d’entités localisables dans l’espace-temps, munies de propriétés qui constituent leur réalité physique. Ces entités ne peuvent interagir que localement au sens relativiste, c’est-à-dire via des interactions ne se propageant pas plus vite que la lumière. Une telle conception du monde est appelée réaliste locale, ou séparable. Bien que se disant lui aussi un physicien réaliste, Bohr propose une version différente (et, il faut bien le dire, moins claire) de la réalité physique. En refusant de considérer une réalité physique indépendante de l’appareil de mesure, il peut résister à l’attaque d’Einstein, qui cependant n’admettra jamais cette réfutation.
- 40 Trouvées en 1964, elle ont montré qu’il existait des expériences particulières où les prédictions d (...)
87Si on laisse de côté le fait que la découverte des inégalités de Bell40 et des expérimentations plus récentes ont permis d’écarter jusqu’à présent l’hypothèse des variables cachées, il nous reste à voir en quel sens c’est plutôt de cette hypothèse qu’on peut, peut-être, rapprocher, l’esprit et la démarche du projet leibnizien.
A-9.3. Le réalisme des variables cachées
88Ce qui motive ce rapprochement, c’est, à l’évidence, l’inspiration réaliste du principe de séparabilité évoqué plus haut. L’argumentation d’Einstein vise à exhiber, à l’intérieur des systèmes étudiés par la mécanique quantique, des propriétés pouvant être considérées comme possédées avant l’acte de mesure, de telle sorte que ces actes de mesure fidèles les révèlent. On aurait alors des propriétés indépendantes du dispositif d’observation et dont la contextualité tiendrait uniquement aux limites de ce dispositif et non à l’expérience proprement dites. En ce sens, c’est uniquement notre connaissance de ces propriétés qui se trouverait incomplète et non les propriétés elles-mêmes. Cette position réaliste est bien voisine de celle défendue par Leibniz :
- 41 Leibniz, Monadologie, § 60.
Ce n’est pas dans l’objet, mais dans la modification de la connaissance de l’objet, que les monades sont bornées41.
89Pour reprendre une distinction de Mauro Dorato, il semble donc en ce cas que nous ayons simplement affaire à une forme de contextualisme classique qui ne conduit pas à considérer les propriétés naturelles comme des produits directs de l’interaction entre les systèmes physiques et les dispositifs d’observation auxquels nous avons recours pour étudier les phénomènes qui s’y manifestent. En ce sens, la position leibnizienne et celle défendue par Einstein ne supposent pas une indétermination d’ordre ontologique mais seulement une indétermination d’ordre épistémologique. Les limites de la détermination de nos mesures tiennent uniquement à la relativité de la position depuis laquelle nous observons les phénomènes et non au caractère indéterminé des particules que nous étudions. La conception d’une nature indépendante de l’observateur et dotée de propriétés possédant une valeur déterminée indépendamment de nos actes de mesure est sauve, et nous n’avons pas besoin du recours à des entités associant de manière paradoxale l’observateur et le phénomène observé.
90Si cette interprétation est correcte, la seule chose qui distingue encore la position leibnizienne de celle d’Einstein tient à leurs interprétations ontologiques respectives des entités observées par la physique. Leibniz, on l’a vu, penche, pour des raisons à la fois logiques et métaphysiques, en faveur d’une ontologie de substances individuelles simples, quand Einstein parle simplement de propriétés naturelles, les « positions-changeantes-dans-le-temps » des particules, en vertu desquelles nous pouvons considérer que la détermination d’un système est antérieure à nos mesures.
- 42 Dorato, 2006, p. 207-9.
91Toute la difficulté, comme le souligne Mauro Dorato, c’est qu’il n’est pas certain que cette interprétation de la théorie de la variable cachée soit correcte. S’appuyant sur les résultats de Bohm, il montre que pour ce dernier, les variables cachées ne peuvent pas être interprétées comme des propriétés intrinsèques des particules. Elles sont au contraire bel et bien réductibles au contexte de mesure. À supposer qu’une position donnée (variable cachée) permette bien, dans un système quantique, de déterminer deux mesures différentes de deux particules à partir d’un même dispositif d’observation, le rôle prédictif de cette variable n’a, selon l’interprétation que Dorato donne des résultats de Bohm, de sens que si on l’associe à un dispositif expérimental donné. On devrait donc admettre que, si cette variable n’est pas, en tant que telle, le produit d’une interaction entre le dispositif d’observation et le système observé, elle ne peut jouer de rôle d’invariant que par rapport à un observateur donné. La seule chose qui distinguerait alors l’interprétation de Bohm de celle de Bohr, c’est donc que cette variable serait considérée par le second comme irréductible mais seulement par rapport à un contexte d’observation donné, alors que pour le premier, elle est considérée comme irréductible tout court, son indétermination étant le reflet de l’interaction inévitable entre le dispositif expérimental et le système observé42.
92Dès lors, et ce, en dépit des tentatives d’Einstein pour en donner une interprétation réaliste, il deviendrait bien difficile de se réclamer de Leibniz pour établir une filiation entre les conceptions classiques de la matière et celles que suggère la mécanique quantique. L’interprétation qu’en donne l’école de Copenhague paraît décidément être la plus cohérente avec ses résultats et inviter à une position irréductiblement positiviste ou néo-positiviste. Ce qu’une citation, traditionnellement attribuée à Bohr, semble résumer de la manière suivante :
Il n’y a pas de monde quantique. Il y a seulement une description physique abstraite. Il est erroné de penser que la tâche de la physique est de découvrir la façon dont la nature existe. La physique concerne ce que nous pouvons dire de la nature.
Tout le problème d’un tel engagement en faveur d’une interprétation purement descriptive des théories physiques, tient évidemment à ce qu’elle suggère que les raisons pour lesquelles nous devrions les adopter sont uniquement d’ordre pragmatique, et se réduisent à leur pouvoir prédictif à l’intérieur d’un contexte donné d’interprétation de la nature, qui comporte une part irréductible d’arbitraire. Il ne nous appartient évidemment pas ici d’évaluer l’objectivité scientifique d’une telle conception, que ce soit d’ailleurs pour la confirmer ou pour la critiquer. Mais il est clair que nous sommes en droit, au vu des ambitions indissociablement descriptives et explicatives qui étaient, comme nous l’avons montré, celles de la science leibnizienne, d’affirmer que la conception de la rationalité qui l’inspire n’est pas celle que Leibniz avait en tête, lui qui cherchait inlassablement à comprendre pourquoi le monde roule comme il va et pas autrement, pourquoi, en somme, il justifie la confiance que nous avons dans son caractère intelligible.
Notes
1 Harré, 2006, p. 127-8.
2 Harré, 2006, p. 132-133.
3 Les positions d’Harré sur ces questions sont développées tout particulièrement dans son ouvrage intitulé Varieties of Realism, 1987. Dans cet ouvrage, il distingue trois niveaux de réalité, désignés respectivement par les termes Réel-1, Réel-2 et Réel-3. Le premier niveau de réalité, c’est, selon lui, celui des objets auxquels nous accédons par l’expérience directe. Le second, est constitué par les êtres que nous ne pouvons observer qu’à l’aide d’instruments appropriés ; et le dernier, par des entités qui sont, par principe, inobservables. Le premier domaine est celui à propos duquel nous établissons des classifications et des prédictions. Le second est celui des mécanismes et des systèmes dont le fonctionnement dépend des régularités et des lois que nous établissons sur le premier. Le dernier niveau est celui qui nous sert à expliquer (au sens kantien de régulation), ce que nous établissons dans les deux premiers.
4 Harré, 2006, p. 128.
5 Ibid.
6 « S’il n’y avait pas de véritables unités substantielles, il n’y aurait rien de substantiel ni de réel dans la collection. Mais les atomes de matière sont contraires à la raison : outre qu’ils sont encore composés de parties, puisque l’attachement invincible d’une partie à l’autre ne détruirait point leur diversité. Il n’y a que les atomes de substance, c’est à dire les unités réelles et absolument dénuées de parties, qui soient les sources des actions et les premiers principes absolus de la composition des choses, et comme les derniers éléments de l’analyse des choses substantielles. » (Leibniz, GP, IV, p. 483 [SNN, p. 71].) Ou encore : « Cette force élastique inhérente à tout corps montre que tout corps renferme aussi un mouvement interne et une force primitive (pour ainsi dire) infinie, quoiqu’elle soit déterminée dans la rencontre des corps par la force dérivative selon que l’exigent les circonstances. » (Leibniz, GP, IV, p. 399 [SNN, p. 182)]. Sur tous ces points, voir la première partie.
7 Harré, 2006, p. 127.
8 Gibson, 1979.
9 Harré, 2006, p. 129.
10 Jansen, 2006, p. 90-91
11 Harré, 2006, p. 129.
12 Ce qui sous-tend cette position de Harré, c’est l’interprétation qu’il donne du principe de correspondance de Bohr. En vertu de ce principe, à la limite où les effets quantiques deviennent négligeables, les prédictions de la mécanique quantique doivent coïncider avec celles de la mécanique classique. Ce principe est une sorte de condition aux limites qu’il est tout naturel d’imposer à la théorie quantique et qu’il est assez normal d’utiliser comme guide au passage de la frontière entre classique et quantique. S’il s’est avéré très utile, ce principe rencontre néanmoins ses limites dès qu’on a affaire à des propriétés spécifiquement quantiques, ne donnant pas lieu à des effets classiques, comme c’est le cas pour le spin par exemple. Il ne permet donc que la construction des seules observables quantiques qui ont une limite classique.
13 Harré, 2006, p. 130.
14 On reconnaîtra ici une reformulation du principe de complémentarité de Bohr.
15 Harré, 2006, 130.
16 Id., p. 131.
17 Ibid.
18 Harré, 2006, p. 132.
19 C’est ce que confirme l’analyse de Mauro Dorato. Celui-ci montre, dans son article intitulé « Dispositions, propriétés relationnelles et monde quantique » (Dorato, 2006), que les trois interprétations dominantes de la mécanique quantique (école de Copenhague, réalisme des propensions, et théorie des variables cachées [défendue notamment par Bohm]) supposent bien chacune des propriétés dispositionnelles irréductibles.
20 Leibniz, NE, IV, 3, § 3.
21 Leibniz, NE, II, 21, § 1.
22 Nous n’entrerons pas ici dans la complexité des formulations successives proposées par Leibniz sur cette question et nous nous contenterons ici de renvoyer aux formules des premiers articles de la Monadologie : « [1] La monade dont nous parlerons ici, n’est autre chose, qu’une substance simple, qui entre dans les composés ; simple, c’est à dire sans parties. – [2] Et il faut bien qu’il y ait des substances simples, puisqu’il y a des composés ; car le composé n’est autre chose qu’un amas, ou aggregatum des simples. – [3] Or, là où il n’y a point de parties, il n’y a ni étendue, ni figure, ni divisibilité possible. Et ces monades sont les véritables atomes de la nature, en un mot les véritables éléments des choses. »
23 Leibniz, Monadologie, § 18.
24 Leibniz, Quid sit idea ?, GP, VII, p. 263-4 [RG, 445-6).
25 Leibniz, RG, p. 442.
26 Voir, par exemple, Leibniz, DM, vi : « Car supposons, par exemple, que quelqu’un fasse quantité de points sur le papier à tout hasard, comme font ceux qui exercent l’art ridicule de la géomance. Je dis qu’il est possible de trouver une ligne géométrique qui soit constante et uniforme suivant une certaine règle, en sorte que cette ligne passe par tous les points, et dans le même ordre que la main les avait marqués. Et si quelqu’un traçait tout d’une suite une ligne, qui serait tantôt droite, tantôt cercle, tantôt d’une autre nature, il est possible de trouver une règle ou une notion, ou équation commune à tous les points de cette ligne, en vertu de laquelle ces mêmes changement pourraient arriver. ».
27 Leibniz, DM, xxix.
28 Harré, 2006, p. 129.
29 Leibniz, NE, IV, 3, § 5.
30 Sur tout ceci, voir la première partie.
31 Leibniz, GP, IV, p. 396 [SNN, p. 177-8].
32 Leibniz, Lettre à Pellisson du 8/18 janvier 1692, FC, p. 312 [SNN, p. 43].
33 Pour un aperçu des différents usages de la notion d’« abstrait » dans la philosophie leibnizienne, voir la présentation de Rauzy dans RG, p. 379-382
34 « L’essence dans le fond, n’est autre chose que la possibilité de ce que l’on propose. » (Leibniz, NE, III, 3, § 15.
35 Leibniz, Lettre à Pellisson du 8/18 janvier 1692, FC, p. 312 [SNN, p. 43].
36 Sur ce point, voir ici les chapitres 8 et 9.
37 Leibniz, Remarques sur les ‘Principes de la philosophie’ de Descartes, GP, IV, p. 391 [OP, p. 155].
38 Voir ici le chapitre 3.
39 Pour une présentation d’ensemble, voir Goldstein, 2001.
40 Trouvées en 1964, elle ont montré qu’il existait des expériences particulières où les prédictions de la mécanique quantique usuelle (dite de l’école de Copenhague) et celles des théories à variables cachées étaient contradictoires.
41 Leibniz, Monadologie, § 60.
42 Dorato, 2006, p. 207-9.
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