Pauvreté et développement dans un monde globalisé
|Introduction
Texte intégral
1Depuis six ans, le Collège de France consacre un enseignement à la question de la pauvreté et du développement dans le monde, dans le cadre d’une chaire annuelle intitulée « Savoirs contre pauvreté ». Les sujets successivement abordés ont été les aspects économiques de la lutte contre le sous-développement, la question du sida, celle de l’agriculture et de la faim dans le monde, le droit des minorités, la géopolitique de la santé mondiale. Ce cycle, commencé avec Esther Duflo, une économiste intéressée par la question du microcrédit, se conclut cette année avec un autre économiste, François Bourguignon, spécialiste mondialement reconnu des politiques du développement.
2La question du développement et du décollage économique des pays pauvres et émergents est certainement cruciale pour l’avenir de la planète. Elle est intimement liée à la question démographique : comment assurer l’alimentation de neuf milliards d’humains à l’horizon 2050 ? Mais également à celle de l’écologie : comment concilier l’aspiration des populations à sortir de la pauvreté et à consommer plus, avec les conséquences que l’exploitation des ressources aura sur le climat, l’environnement et la biodiversité ? Enfin à celle du renouvellement des énergies : comment répondre à des besoins énergétiques croissants tout en effectuant une transition vers des ressources plus diversifiées et moins polluantes ?
3Une dernière interrogation, qui recoupe toutes les autres, ne peut être évitée. Le développement nécessaire des pays pauvres pourra-t-il se concilier avec un partage plus équitable des ressources de la planète, qui implique logiquement une limitation de leur exploitation par les plus riches ? On peut malheureusement en douter. La loi qui semble universellement admise, dans notre monde globalisé, est qu’il n’y a pas de salut hors de la croissance. Croissance légitime des pays émergents bien sûr, mais aussi celle des pays riches qui comptent sur elle pour développer leur économie, réduire le chômage et maintenir leur compétitivité face aux pays qui sortent de la pauvreté. Et cette croissance, ce Graal que personne ou presque ne remet en cause, obéit à l’implacable loi exponentielle : une croissance relativement modeste de 3 % par an, ce serait, à l’horizon 2040, un doublement de l’économie mondiale, sur une planète aux ressources finies qu’il deviendra de plus en plus difficile d’exploiter sans remettre en cause, de gré ou de force, nos certitudes et nos habitudes. Et toute la question est de savoir si nous allons vers cet avenir les yeux ouverts, en cherchant à le maîtriser, ou de façon aveugle, sans mesurer les conséquences de politiques adoptées sous l’emprise du court terme.
- 1 Jean-Marie Tarascon, Chimie du solide et énergie. Exemples et avenir d’une science millénaire, Coll (...)
- 2 Philippe Aghion, chaire d’Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance (leçon ina (...)
4Dans cette optique générale, il est clair que les thèmes abordés par la chaire Savoirs contre pauvreté recoupent largement ceux d’une autre chaire annuelle du Collège, celle qui se consacre, en collaboration avec la compagnie Total, au Développement durable, à l’environnement, à l’énergie et à la société. Les interrogations croisées de ces deux chaires annuelles passionnent un large public au Collège de France, qui remplit ainsi une des missions qu’il s’est données, celle d’analyser l’impact de la recherche sur les grandes questions qui déterminent l’avenir de l’humanité. Ces préoccupations, le Collège de France a voulu les traduire également dans la création récente ou en cours de chaires permanentes dédiées à la chimie du solide et à l’énergie1 ou à l’économie de l’innovation2, pour ne citer que ces deux exemples.
5Pour traiter de la question du développement, qui touche, d’une façon ou d’une autre, tous les aspects que je viens d’évoquer, nous avons la chance cette année de profiter des compétences d’une personne qui est à la fois un grand chercheur et un responsable d’organisation internationale.
6François Bourguignon, vous êtes à l’origine ingénieur statisticien, formé à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE ParisTech), docteur en économie des universités du Western Ontario (Canada) et d’Orléans (France). Vous avez été directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et jusqu’à très récemment, vous avez dirigé l’École d’économie de Paris. Au cours de votre longue carrière académique, vous vous êtes consacré principalement à l’étude de la répartition des revenus et à la question du développement, en analysant de façon détaillée les diverses stratégies à mettre en œuvre pour y parvenir.
7Mais vous ne vous êtes pas limité à cette activité de chercheur académique. Vous avez également fait bénéficier de votre expertise de grandes organisations internationales et des ONG. Pour ne citer qu’une de vos responsabilités, vous avez été, de 2003 à 2007, économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale. À ce double titre de chercheur et de responsable, vous êtes l’une des personnes les plus écoutées dans le monde sur les questions liées au développement. Nous sommes heureux que vous ayez accepté de présenter vos analyses sur cette question cruciale aux auditeurs du Collège de France et je vous donne maintenant la parole pour votre leçon inaugurale intitulée Pauvreté et développement dans un monde globalisé.
Notes
1 Jean-Marie Tarascon, Chimie du solide et énergie. Exemples et avenir d’une science millénaire, Collège de France/Fayard, coll. « Leçons inaugurales », no 243, 2014 ; URL : https://books.openedition.org/cdf/3698.
2 Philippe Aghion, chaire d’Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance (leçon inaugurale à paraître en 2016).
© Collège de France, 2015