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Mobiliser le savoir pour éradiquer la faim

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Ismail Serageldin

Mobiliser le savoir pour éradiquer la faim

Leçon inaugurale prononcée le jeudi 18 novembre 2010. Chaire Savoirs contre pauvreté

Ismail Serageldin

Note de l’éditeur

La chaire internationale Savoirs contre pauvreté du Collège de France reçoit le soutien de l’Agence française de développement.
Page du professeur associé sur le site du Collège de France : http://www.college-de-france.fr/site/ismail-serageldin/index.htm

Texte intégral

1Chers Collègues,
Mesdames, Messieurs,

2C’est pour moi un très grand honneur de me trouver parmi vous aujourd’hui au Collège de France pour parler d’un sujet qui me tient à cœur et qui devrait nous tenir tous à cœur, à savoir la condition humaine et l’abolition de la faim.

Introduction

3Tout d’abord, pourquoi ce cours ? Pourquoi ce thème en particulier ? Eh bien, parce que, si en Occident on fait généralement bonne chère, on a largement oublié les famines. La dernière vraie famine en Europe fut sans doute la famine irlandaise de la pomme de terre entre 1845 et 1852. Elle a ôté la vie à un million d’habitants, et deux millions durent émigrer. Or, la famine continue de nos jours à frapper d’autres parties du globe ; l’humanité continue à souffrir de la faim au quotidien. Alors que nous parlons des grands problèmes d’obésité aux États-Unis, nous parlons de la pauvreté ailleurs.

4Au xixe siècle, les abolitionnistes se sont dressés contre l’esclavage, ils ont dénoncé ses conditions indignes et inhumaines et sont parvenus à l’abolir ; mais aujourd’hui, au xxie siècle, dans un monde productif et interconnecté tel que le nôtre, il est impensable que presque un sixième de l’humanité ne puisse manger à sa faim. À une époque où beaucoup de gens jettent les surplus et les restes de leurs repas, dans d’autres parties du monde on ne trouve pas à manger. Que pouvons-nous faire ? Il faut montrer, pour abolir la faim au xxie siècle, la même passion que les abolitionnistes du xixe siècle ont manifestée contre l’esclavage.

5Dans cette leçon inaugurale, je vais donc passer en revue presque tous les sujets qui seront développés dans chacune des conférences que j’aurai l’honneur de présenter au Collège de France en janvier 2011. Ainsi, je traiterai successivement : (1) la faim et la sécurité alimentaire ; (2) le diagnostic de la pauvreté ; (3) la faim et la pauvreté urbaine ; (4) la faim et la pauvreté rurale ; (5) la dimension du genre ; (6) la dimension environnementale ; (7) le rôle de la science ; (8) les instruments à mobiliser pour réaliser nos objectifs : les prix, les taxes, les subventions et le commerce international ; et, pour finir, (9) la transformation de l’agriculture mondiale.

La faim et la sécurité alimentaire

6Comment se fait-il qu’un milliard de personnes n’aient pas accès à la nourriture aujourd’hui ? Un milliard de personnes, dont la majorité se trouve en Asie et dans le Pacifique, souffrent de malnutrition chronique. Cependant, l’Afrique subsaharienne, où le nombre d’individus sous-alimentés est en hausse continue, demeure beaucoup plus vulnérable que l’Asie. Si nous regardons la carte du monde élaborée cette année par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour recenser les pays les plus touchés par la faim et les carences alimentaires, nous pouvons tout de suite constater qu’elle est quasiment la même que la carte du revenu par habitant. La faim est là où sont les pauvres. L’Afrique subsaharienne demeure la région la plus vulnérable, et aussi celle où nous pouvons prévoir la plus grande croissance démographique, voire un doublement de la population d’ici à 2050.

Figure 1. La sous-alimentation dans les pays en voie de développement.

Figure 1. La sous-alimentation dans les pays en voie de développement.

Source : FAOSTAT 2010 (http://fao.org/​hunger)

7En revanche, il est lamentable que tous nos efforts depuis la fin des années 1960 n’aient quasiment pas changé la situation de la faim dans le monde. En 2000, nous nous étions engagés à réduire le nombre de personnes touchées par la faim et la pauvreté de moitié – de 850 à 425 millions – avant 2015. Nous sommes bien en-deçà des prévisions : le nombre d’affamés n’a pas cessé d’augmenter, notamment après la flambée des prix en 2007.

Figure 2. Nombre de personnes touchées par la faim entre 1960 et 2010.

Figure 2. Nombre de personnes touchées par la faim entre 1960 et 2010.

Pour 2009 et 2010, les chiffres ont été estimés par le FAO à partir des données du Department of Agriculture, Economic Research Service des États-Unis.

Source : FAO 2009-2010 (http://fao.org/​publication/​sofi/​en/​)

  • 1 2010 Global Hunger Index: The Challenge of Hunger: Focus on the Crisis of Child Undernutrition, oct (...)

8L’indice de la faim dans le monde, Global Hunger Index (GHI), établi en 2010 par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)1 est calculé à partir de trois indicateurs :

  1. le pourcentage de la population sous-alimentée (souffrant d’un apport énergétique déficitaire) ;

  2. le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans ayant un poids insuffisant pour leur âge ;

  3. le taux de mortalité infantile parmi les enfants de moins de 5 ans, ce qui reflète partiellement la synergie fatale entre malnutrition et environnement insalubre.

9Cet indice, qui recoupe les données enregistrées par la FAO, nous aide à mieux comprendre la faim, évaluée selon plusieurs degrés de gravité. Il permet de classer les pays sur une échelle de 100 points, 0 étant l’indice le plus bas (chacun mange à sa faim) et 100 le plus alarmant (famine), même si aucun de ces deux cas n’a jamais été atteint en réalité. On définit la situation des pays ainsi : > 5.0 : faim inférieure ; 5.0-9.9 : faim modérée ; 10.0-19.9 : faim sérieuse ; 20.0-29.9 : faim préoccupante ; ≥ 30.0 : faim extrêmement préoccupante. Il nous montre également que, plus le produit national brut (PNB) par habitant augmente, moins les risques de sous-alimentation sont élevés ; c’est dans les pays pauvres que la souffrance frappe le plus. L’Afrique du Nord, par exemple, est beaucoup moins menacée par la faim. Le Yémen, en revanche, le plus pauvre des pays arabes, est particulièrement touché par la faim. Alors, permettez-moi de dire, Mesdames et Messieurs, que nous ne pouvons pas échapper à la réalité : c’est là où il y a des pauvres que se trouve la faim.

10Il ne faut pas non plus oublier les guerres : là où il y a une guerre ou un problème d’instabilité politique, la faim s’installe souvent parmi les pauvres. Étant le continent le plus pauvre de tous, l’Afrique est malheureusement le plus frappé par les guerres civiles, ou plutôt dites civiles. Et pourtant, ce sont les idées et non les guerres qui font avancer l’humanité. Je voudrais citer, dans ce contexte, Napoléon Bonaparte, qui nous dit : « Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit. » Alors, espérons que l’esprit vaincra le sabre, que nous pourrons faire face à ces problèmes, et que les livres remplaceront les bombes dans le monde.

11Mesdames et Messieurs,
Il ne faut pas faire semblant d’ignorer ce qui se passe. Nous le savons. C’est ignoble, mais c’est vrai. Depuis que la BBC a diffusé en 1983 un documentaire sur l’Éthiopie, la qualité des reportages de tous les grands médias ne nous permet plus d’ignorer qu’il y a des gens trop faibles et trop pauvres pour pouvoir accéder à la nourriture. Une photo, récompensée en 1994 par le prix Pulitzer, le plus grand prix américain de journalisme, montrait une petite fille soudanaise trop fatiguée pour atteindre le camp de ravitaillement et un vautour attendant sa mort pour s’attaquer à elle. L’auteur de la photographie, Kevin Carter, s’est suicidé trois mois plus tard, écœuré de la situation mondiale et de la réalité cruelle dont il était témoin et qu’il a donnée à voir au monde.

12Nous sommes donc informés de ce qui se passe, nous n’avons pas d’excuse. Nous ne pouvons pas dire que nous ne savions pas, que nous n’étions pas tout à fait au courant ou que nous n’imaginions pas que le problème était aussi grave que cela. Non, le problème a été documenté, étudié et les données régulièrement remises à jour ; mais c’est nous qui n’y avons pas raisonnablement réagi. Où est notre indignation ?

  • 2 Cf. Amartya Sen, Poverty and Famines: An essay on entitlement and deprivation, Oxford University Pr (...)
  • 3 Voir Leon F. Hesser, The Man Who Fed the World: Nobel Peace Prize Laureate Norman Borlaug and His B (...)

13Essayons donc de comprendre les causes de la faim. L’extrême pauvreté en est la cause principale. Philosophe, spécialiste de renom en économie et lauréat du prix Nobel, Amartya Sen a montré que les famines coexistent avec la production, et que ce sont les gens trop pauvres pour avoir accès à la nourriture en quantité suffisante qui se trouvent dans le cercle vicieux de la faim2. Cela ne veut pas dire que la production n’est pas importante. L’augmentation de la production entraînera la baisse des prix, ce qui ouvrira l’accès à la nourriture à un plus grand nombre de personnes. Par contre, si la production reste faible, les prix monteront et moins de personnes y auront accès. Un autre lauréat du prix Nobel, Norman Borlaug, le père de la révolution verte des années 1970, a très bien compris la question de la production et de l’accès à la production. C’est pourquoi il a œuvré pour doubler la production alimentaire mondiale en augmentant la productivité par parcelle cultivée3.

  • 4 Bread For the World, 2010 Hunger Report: A just and Sustainable Recovery, Washington DC 2010.

14La sécurité alimentaire, quant à elle, consiste à assurer à toute personne, et à tout moment, un accès à la nourriture dont elle a besoin, une nourriture de bonne qualité et en quantité suffisante, produite de manière durable. La nourriture, soit vous l’achetez, soit vous la produisez vous-mêmes. En conséquence, la sécurité alimentaire se révèle être non seulement une question de production, mais aussi une question d’accès. D’ailleurs, si nous détruisons tout l’environnement pour essayer de répondre à nos besoins de cette année, nous n’aurons peut-être pas la possibilité de produire l’année prochaine ou la suivante. En somme, il n’y a pas de sécurité alimentaire sans développement durable. Ce n’est pas seulement le résultat (la quantité de nourriture produite) qui importe, mais aussi le processus de production. Il faut savoir produire d’une manière durable ; et ce n’est pas nécessairement le recours à une certaine technologie qui compte, mais la stratégie permettant d’appliquer cette technologie là où il y a urgence, ainsi que le contexte sociopolitique et culturel permettant son exploitation. Ce ne sont pas les équilibres au niveau mondial qui sont déterminants, parce que la famine peut frapper des pays spécifiques dans une période de bonne disponibilité alimentaire mondialement. Ce ne sont même pas les équilibres au niveau national, étant donné que la faim frappe au niveau individuel. Si elle était uniquement perçue au niveau national, personne n’aurait faim aux États-Unis. David Beckmann, titulaire du prix mondial de l’alimentation, nous l’a déjà prouvé en dénombrant aux États-Unis des millions de personnes confrontées à la faim4. C’est inimaginable, mais vrai ! Ce n’est pas seulement le monde rural qui souffre de la faim et de l’insécurité alimentaire, mais également le monde urbain – et nous vivons dans un monde de plus en plus urbain. Par ailleurs, ce n’est pas seulement la quantité de nourriture qui compte, mais aussi son contenu nutritionnel qui se révèle déterminant pour la santé de l’individu.

15Étant donné la complexité de la situation, il faut s’attaquer à beaucoup de problèmes en même temps ; c’est pourquoi les débats sont souvent faussés. Si nous observons la sécurité alimentaire sur les plans local, national et mondial, c’est le problème d’accès à la nourriture qui apparaît à court terme, tandis que sur le long terme, ce sont la production durable et le commerce mondial équitable qui font défaut.

16Par-là même, nous avons beaucoup de défis à relever car, au-delà du milliard de personnes qui ont faim aujourd’hui, nous nous attendons à une augmentation de la population mondiale, dont 98 % touchera les pays les plus pauvres. D’après la répartition de la population mondiale âgée de 15 à 24 ans, c’est l’Asie pacifique qui représente évidement la plus large majorité ; mais, si nous prenons en considération le nombre de jeunes d’ici 2050, ceux qui vont former les ménages, c’est en Afrique que se trouve le grand défi à venir. C’est également en Afrique que se trouvent aujourd’hui les régions les plus frappées par la famine dans le monde.

Figure 3. Répartition de la population mondiale, 1950-2050.

Figure 3. Répartition de la population mondiale, 1950-2050.
  • 5 Estimation consensuelle du GCRAI (Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale) et (...)
  • 6 Pour répondre aux besoins de l’humanité de 2010 à 2060 (soit pendant 50 ans), il faudra produire 73 (...)

17Il est clair que la grande majorité des besoins (plus de 85 %), tant du point de vue de la production nutritionnelle que de la production calorifique, concernera les pays en voie de développement. Ainsi, pour répondre aux besoins des milliards de personnes qui ont toujours faim ou qui auront faim à l’avenir dans les pays en voie de développement, il est indispensable d’augmenter la production mondiale de plus de 40 % d’ici 2030 et de 70 % d’ici 20505. En fait, dans le demi-siècle à venir, nous aurons besoin de produire plus de nourriture que le monde n’en a produit dans les cinq siècles passés6 ! C’est un grand défi car la production, bien qu’elle soit une condition nécessaire, ne suffit pas à elle seule pour garantir la sécurité alimentaire. Or, pour augmenter la production, il nous faut soit multiplier les surfaces cultivées soit accroître les rendements. Et pour accroître les rendements, il faut améliorer la teneur en éléments nutritifs, intensifier l’agriculture et gérer les ressources naturelles d’une manière durable. Voilà de grands défis qui nous sont soumis par un grand sage, le Professeur M.S. Swaminathan. Il rappelait toujours à ceux qui parlaient du développement durable que « nous vivons tous sur cette Terre en tant qu’invités des plantes vertes et de ceux qui s’en occupent ». C’est bien vrai. Sans ces plantes vertes, nous n’aurions pas d’oxygène, et nous n’aurions pas non plus de nourriture. Parce que finalement, que nous mangions de la viande ou que nous soyons végétariens, tout est fondé sur les plantes vertes.

18Aussi le défi exige-t-il la mise en place d’un plan d’action visant à faire face à l’accroissement démographique, à assurer l’accès de tout le monde à la nourriture et à favoriser la protection du patrimoine écologique. La solution n’est donc pas de produire moins, mais de produire autrement et de transformer la production agronomique des petits agriculteurs en Afrique et en Asie ; ceci en tenant compte de la complexité du domaine de l’agriculture, où se recoupent toute une gamme de questions de nature sociale, économique, environnementale, ainsi que d’expertises en sciences botanique, biologique et écologique. Pour faire face aux défis agronomiques, il y a donc un nombre important de secteurs à gérer et un large éventail de stratégies à mettre en œuvre.

Figure 4. La complexité du domaine agronomique.

Figure 4. La complexité du domaine agronomique.

19Comment ? Eh bien, pour abolir la faim dans le monde d’aujourd’hui et y assurer la sécurité alimentaire dans le sens que je viens de définir, il faut mettre en place de nombreux programmes et de nombreuses politiques en matière d’agriculture, d’environnement, d’urbanisation, d’infrastructures, d’économie, de finance, de commerce, de commercialisation, de crédits, d’interface public/privé, de participation, de soutien aux femmes, de lutte contre la pauvreté ; et cela aux échelles locale, nationale, régionale et internationale. Comment faire pour conjuguer toutes ces politiques, tous ces programmes, toutes ces interventions ? C’est difficile, mais réalisable.

20Mon modèle pour ce cours sera le cube de Rubik, casse-tête ayant l’air très simple au départ, mais qui se complique au fur et à mesure. À chaque fois que nous le retournons, un problème se présente ailleurs. À force de s’y connaître et de conjuguer les savoirs, l’énigme peut être résolue malgré tout. Voilà ce que nous allons faire dans ce cours. Voilà ce que nous allons faire pour vaincre l’insécurité alimentaire.

Comprendre la pauvreté

  • 7 Au delà du chiffre retenu, il y a une question méthodologique troublante : le seuil de pauvreté n’e (...)

21D’abord, pour comprendre la pauvreté, qui est la raison principale de la faim, nous devons distinguer la pauvreté absolue de la pauvreté relative. La pauvreté absolue est le fait d’avoir un revenu inférieur au minimum nécessaire pour satisfaire les besoins de base. Pendant de longues années, un dollar par jour et par personne a servi de référence pour les comparaisons internationales. Récemment, la somme s’est élevée à un dollar et quart, mais c’est toujours aussi dérisoire7. Quant à la pauvreté relative, elle provient de l’inégalité dans les sociétés et crée beaucoup de tensions sociales. Se situant souvent dans les 40 % des revenus les plus faibles de la distribution de revenus dans le pays, elle est parfois définie par un revenu inférieur à 60 % du revenu médian.

22Presque tous ceux qui souffrent de la faim sont ceux qui vivent dans la pauvreté absolue, mesurée selon plusieurs indices. Cependant, je voudrais souligner ici qu’il ne faut pas se cantonner uniquement au cadre des mesures du revenu et de la consommation, parce qu’il y a la marginalisation, l’impuissance, l’exclusion sociale qui font également partie de la réalité de la pauvreté. Nous entendons par « incidence de la pauvreté » le pourcentage des individus vivant en dessous du seuil de pauvreté, tels les chiffonniers que nous pouvons voir dans toutes les villes du Tiers-Monde, tandis que nous désignons par « profondeur de la pauvreté » l’écart moyen séparant le niveau de vie des pauvres du seuil de pauvreté. Cela nous aide alors à savoir si ces derniers sont tout près du seuil de pauvreté, s’il leur faut juste un coup de pouce pour qu’ils passent au-dessus ou si la pauvreté est beaucoup plus profonde. En outre, il y a un indice que nous appelons la « sévérité de la pauvreté » et qui mesure l’inégalité dans la pauvreté, c'est-à-dire les écarts entre les ménages pauvres.

  • 8 Voir la discussion de ces questions et bien d’autres dans Amartya Sen, On Economic Inequality, New  (...)

23Un indice remarquable regroupe les trois mesures en mettant en évidence les rapports mathématiques qui les relient : c’est l’indice de Foster-Greer-Thorbecke (FGT)8. L’indice FGT se définit par :

24où : Pα = la mesure de la pauvreté donnée par l’indice FGT ; n = la population totale ; q = le nombre de ménages en dessous du seuil de pauvreté retenu ; z = le seuil de pauvreté retenu ; yi = le revenu (ou consommation) du ième ménage pauvre. Cette formule permet de mesurer les trois indices :

Α = 0, Pα = L’incidence de la pauvreté ;

Α = 1, Pα = La profondeur de la pauvreté ;

Α = 2, Pα = La sévérité de la pauvreté.

25Nombreux sont les indices qui ont besoin d’être revus dans le cadre sociopolitique et socioculturel de la société moderne, y compris celui de Foster-Greer-Thorbecke (FGT), puisque beaucoup de personnes sont écrasées par les structures existantes, qui ne cherchent pas à instaurer l’égalité. Il nous revient alors d’ajouter à ces indices passés d’autres indices comme le coefficient de Gini, qui nous permet de mesurer l’inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée. L’indice de Gini est défini par la formule :

26G = 1.0 indique l’inégalité parfaite et G = 0.0 indique l’égalité parfaite.

27Aux États-Unis par exemple, nous pouvons constater qu’il y a une montée frappante des inégalités parmi les citoyens. Mesurée année par année par le coefficient de Gini et par la courbe de Lorenz, cette inégalité de revenus rapproche davantage les États-Unis (46,6) du Mexique (54) que du Canada (33,1) ; et les éloigne fort du Japon (24,9), de la Suède (25) et des autres pays européens qui viennent en tête de la liste. L’utilisation réfléchie de multiples indicateurs d’analyse conduira donc à un éventail de politiques plus complet et plus nuancé, ainsi qu’à la conception de programmes adéquats pouvant faire face à la réalité cruelle que nous appelons « pauvreté ».

28D’autres outils d’évaluation, y compris l’outil d’évaluation de la pauvreté multidimensionnelle (MPAT) développé par le FIDA (Fonds international de développement agricole9), nous donnent un panorama beaucoup plus nuancé, mais ils ne prennent pas en considération les instabilités sociopolitiques menant à des guerres et à des conflits ; celles-ci non seulement aggravent le problème, mais elles sont telles que ce sont toujours les plus pauvres qui subissent leurs conséquences. Au delà de cette question de pauvreté relative ou absolue, il y a dans la condition de pauvreté quelque chose qui dépasse l’absence de ressources et la mesure du revenu, à savoir la marginalisation, la privation, l’exclusion sociale et la perte de la dignité humaine. Quand j’étais étudiant à Harvard, j’avais très peu d’argent, mais je n’étais pas pauvre : comme on disait en bon américain, « I was broke, but I wasn’t poor » (j’étais fauché, mais je n’étais pas pauvre). C’est très différent : j’étais membre de la société, j’étais respecté et j’avais mon opinion. La pauvreté, une fois considérée sous ses multiples facettes, nous obligera à agir à de multiples niveaux, et c’est ainsi que nous parviendrons à éliminer la faim, aussi bien dans les pays où la pénurie de production est évidente, que dans les pays riches où la production est déjà énorme comme aux États-Unis.

  • 10 Littéralement : « ruissellement ». C’est la conception selon laquelle en investissant d’une manière (...)
  • 11 Partha Dasgupta, An Inquiry into Well-Being and Destitution, Oxford University Press, 1993.
  • 12 Dans son ouvrage The Wealth of Nations, Smith dit : « …[the state is responsible] for erecting and (...)
  • 13 Pour la régulation des banques, Smith avait écrit : « To restrain private people, it may be said, f (...)
  • 14 Voir Emma Rothschild, Economic Sentiments : Adam Smith, Condorcet, and the Enlightenment, Harvard U (...)

29Si nous comparons la pauvreté urbaine à la pauvreté rurale, nous pouvons constater qu’une majeure partie de la pauvreté du monde se situe dans le monde rural, là où les revenus, l’accès à l’éducation, l’accès aux services sanitaires sont moindres. Mais où qu’ils se trouvent, les plus pauvres ont besoin d’une attention spéciale. Mon ami Partha Dasgupta, professeur d’économie à l’université de Cambridge, a démontré que, pour atteindre les plus pauvres, ou plutôt les ultra-pauvres, il faut dépasser tous les instruments du marché et la conception du trickle down10. Dans son livre remarquable intitulé An Inquiry into Well-Being and Destitution11, il affirme que nous ne pouvons pas compter là-dessus, sauf si nous avons une croissance économique soutenue qui dépasse les taux de croissance observés dans la plupart des pays. C’est pourquoi les politiques, les programmes et les projets socioéconomiques à mettre en œuvre ne doivent pas se cantonner uniquement dans le domaine de la croissance économique, malgré son importance indiscutable. Nous ne devons pas non plus accepter cette conception faussée que M. Ronald Reagan et Mme Margaret Thatcher nous ont présentée en disant : « governs best who governs least » (gouverne le mieux qui gouverne le moins) ou, en d’autres termes, laisser tout au secteur privé, car même Adam Smith, le plus grand philosophe du secteur privé, ne l’a pas professé. Bien au contraire, Smith a donné un rôle important à l’État12, à la régulation du marché13 et aux valeurs sociales14.

  • 15 Voir, entre autres, Ismail Serageldin, Themes for the Third Millennium: the Challenge for Rural Soc (...)

30Nous avons besoin d’apports sociaux dans les décisions concernant le développement. Étant donné que la politique sociale est supérieure aux conséquences sociales des politiques économiques, les objectifs sociaux et politiques doivent être poursuivis avec la même vigueur que celle que nous mettons à atteindre les objectifs économiques. De ce fait, l’analyse économique en elle-même demeure insuffisante ; et les dimensions sociale, culturelle, politique, éthique sont à prendre en considération. L’objectif de maintenir la cohésion sociale n’est pas forcément économique. Les objectifs visant à favoriser une action vers l’égalité, à atteindre les ultra-pauvres, à préserver l’identité culturelle par un partage de valeurs universelles et non par un éclatement de micro-identités, à promouvoir la participation, à favoriser la mobilité sociale, à soutenir le développement institutionnel et le développement des capacités et à promouvoir la recherche sociale participative sont autant d’objectifs de caractère social, qui doivent être poursuivis dans une politique générale15 au lieu de limiter l’analyse sociale à mesurer les retombées des politiques économiques sur les différentes couches sociales.

La faim et la pauvreté urbaine

31Dans le monde actuel, la population urbaine dépasse en nombre la population rurale. Et, bien que les pauvres se trouvent en grande partie dans le monde rural, le monde urbain témoigne d’un énorme fossé séparant les riches des pauvres. C’est cette réalité frappante que nous pouvons tous découvrir dans la ville de São Paulo, où deux mondes opposés se côtoient : un monde où les gens ne savent que faire de leur argent et un autre où les gens cherchent à manger comme les animaux dans les ordures. Mais, qui sont les pauvres en milieu urbain ? Nous les connaissons tous. Il nous est facile de les repérer. Dans toutes les régions urbaines où il n’y pas d’adduction d’eau ni de drainage sanitaire, nous trouvons des pauvres. Nous n’avons pas besoin de chercher plus loin. Ils vivent dans des conditions insalubres, des conditions de misère inadmissibles et souffrent de tous les problèmes connexes à la pauvreté.

32Même en Chine, malgré une phénoménale croissance, le fossé continue de se creuser entre le monde urbain de la côte et le monde rural de l’intérieur, aussi bien qu’entre les riches et les pauvres au sein des grandes villes, où les handicapés vivent la plupart du temps dans un état de mendicité. Seule l’Amérique latine compte la majorité de sa population pauvre dans les villes, alors que dans toutes les autres régions du monde en développement, particulièrement en Asie et en Afrique, la majorité des pauvres se trouvent dans le monde rural. Alors, comment les aider ? Selon moi, le vrai progrès se réalisera quand les pauvres, les démunis et les marginalisés seront capables de produire leur propre bien-être sans dépendre des aides caritatives ou des œuvres de bienfaisance. Pour y arriver, il faut atteindre les plus pauvres et leur donner les moyens d’améliorer leurs conditions de vie : tel est le cas des habitants d’un taudis de la ville d’Amman qui sont parvenus, grâce à l’octroi de prêts accordés par un financement de la Banque mondiale, à réaménager leur quartier.

33Pour vaincre la faim et la pauvreté urbaine, il s’agit de mettre en application trois stratégies-clés, à savoir :

  1. la réduction des prix alimentaires ;

  2. l’augmentation des possibilités d’emplois pour les pauvres ;

  3. l’intensification des apports et des soutiens qui augmentent la valeur des atouts qu’ils possèdent, c'est-à-dire le travail manuel.

34En milieu urbain, les pauvres dépensent la majeure partie de leurs revenus dans l’achat de nourriture. Étant donné que la réduction des prix peut s’opérer sans mesures administratives, elle se traduit immédiatement par une amélioration du bien-être des pauvres. Et puisque ces derniers n’ont pas de moyens ni d’accès à l’éducation pour occuper des emplois, dans le domaine de la technologie par exemple, il faut, d’une part, leur assurer des offres dans le cadre de l’économie informelle et, d’autre part, valoriser leur travail au lieu d’avoir recours à une discrimination en faveur du capital. Pour beaucoup, l’octroi de tout petits prêts par les institutions de la micro-finance constitue un soutien très important dans cette direction.

  • 16 David Bornstein, The Price of a Dream: The Story of the Grameen Bank, Oxford University Press, New  (...)
  • 17 Voir : http://www.sewa.org.

35Deux projets-phares de micro-finance sont dignes d’être mentionnés dans ce contexte. Le premier émane de la Grameen Bank16, première institution de microcrédits au Bangladesh, fondée par mon ami Muhammed Yunus, et qui lui a valu le prix Nobel de la paix en 2006. Les groupes de solidarité qu’il a créés sont devenus des instruments, tant sociaux qu’économiques, œuvrant, entre autres, pour donner la parole aux femmes et réduire leur vulnérabilité. Le deuxième exemple est celui d’Ela Bhatt, fondatrice de l’Association des femmes travailleuses indépendantes en Inde, le Self-Employed Women’s Association (SEWA)17, qui a aidé les femmes, aussi bien dans le monde urbain que dans le monde rural, à améliorer leur condition économique et à devenir socialement et politiquement actives.

36Il nous revient alors de lutter contre la marginalisation en encourageant les pauvres à contribuer à résoudre leurs problèmes socioéconomiques, et de nous pencher davantage sur la question de l’économie informelle, sur laquelle l’économiste péruvien Hernando de Soto a longuement travaillé.

37L’agriculture urbaine dans les espaces ouverts des villes est préconisée par de nombreux spécialistes pour la production de nourriture. Dans certaines grandes villes comme Detroit, qui a perdu presqu’un tiers de ses habitants, certains projets s’attellent à transformer de larges superficies abandonnées en fermes locales pour la production de nourriture ; cela rejoint les rêves des villes planifiées des urbanistes et utopistes depuis le xixe siècle.

La faim dans le monde rural

38Abordons maintenant la question de la faim et la pauvreté rurale. Selon les estimations du FIDA, la plupart des petits agriculteurs achètent leur nourriture ou la complètent par l’achat de ce qu’ils ne produisent pas ; seule une minorité d’entre eux jouit de l’autosuffisance. Comme dans le cas des urbains pauvres, la réduction des prix est donc d’une importance majeure pour le bien des ruraux pauvres.

39Mais comment réduire les prix sans nuire aux agriculteurs pauvres qui produisent la nourriture ? Voilà le grand défi. Il faut augmenter la productivité des petits agriculteurs plus vite que les prix ne baissent, pour améliorer leurs revenus, tout en aidant les pauvres, urbains et ruraux, qui achètent leur nourriture, et sans oublier les agriculteurs sans terres vivant dans la précarité. Ceux-ci mangent le jour où ils travaillent et jeûnent les jours où ils ne travaillent pas. Dans ces conditions, la réforme des politiques et des marchés semble indispensable pour combler le manque dont souffre le monde rural en matière d’investissements, d’écoles et de routes.

40Il faut également tenir compte du fait que la baisse des prix est dévastatrice pour les petits agriculteurs si leur productivité reste faible, et que le changement climatique ne fait qu’accroître leur vulnérabilité. Tous ceux qui me diront : « Oh ! Ils n’ont qu’à travailler plus », je les inviterai à visiter avec moi le Sahel. Que pouvez-vous faire dans un village du Sahel pour produire quoi que ce soit, si ce n’est attendre les pluies ? Que pouvez-vous faire si le plus proche village est situé dans un rayon de 12 à 20 km ? Que pouvez-vous faire pour trouver des moyens de vivre, sinon dépendre de la terre ? Or, la pluviométrie change et semble baisser sur le long terme. Cela veut dire que nous pouvons prévoir plus de migrations vers les villes ; et cela nous renvoie à l’urgence d’amener la recherche agronomique vers ces populations vulnérables plutôt que de les considérer comme laissées-pour-compte.

41Ainsi, les petits agriculteurs constituent l’instrument essentiel de cette transformation visant à abolir la faim. Ils représentent la majorité des agriculteurs dans le monde et comptent parmi eux presque 90 % des 1,2 milliard de pauvres vivant avec un dollar par jour. Il est vrai que leur degré de pauvreté est disproportionné, mais leur productivité doit quand même augmenter plus vite que la baisse des prix. Ils sont confrontés à de nombreux défis, à savoir :

  1. la mondialisation ;

  2. les faibles prix de leurs produits agricoles sur le marché mondial ;

  3. le changement climatique ;

  4. le SIDA ;

  5. la croissance continue de la population, qui rend les petites fermes encore plus petites ;

  6. l’absence de voix politique pour faire construire des écoles, des hôpitaux ou des routes.

42L’élaboration d’un plan d’action implique de chercher les points névralgiques du système, de choisir des interventions qui auront le maximum d’impact et de se focaliser sur l’accroissement de la productivité. Dans ce sens, aucune politique ni aucun programme ne suffira à lui seul. C’est toute une gamme d’interventions qui doivent s’imbriquer les unes dans les autres pour faire face au problème rural. La réforme des politiques et des marchés semble indispensable pour combler le manque dont souffre le monde rural en matière d’investissements, d’écoles et de routes ; sans oublier la question du genre.

Le rôle des femmes

43Nous ne pouvons pas nier le rôle des femmes, qui est absolument essentiel dans tous les domaines du développement, notamment dans celui de l’agriculture. En Afrique, les femmes produisent 80 % de la nourriture, reçoivent 10 % des salaires et possèdent 1 % des terres. Voilà des chiffres à retenir. Le fait de les autonomiser et de reconnaître la dimension du genre dans le domaine de l’agriculture nous offrira des opportunités de progrès en matière d’éducation, de santé, de revenus, d’emplois, de biens et de prises de décision. Nous connaissons déjà de nombreux groupes de solidarité de femmes et d’agriculteurs s’occupant de la production de nourriture en Afrique qui ont remporté des succès considérables.

44Au delà de ce rôle principal dans la production, il est clair que les effets les plus néfastes de la faim se font sentir chez les bébés : c’est du sixième mois de grossesse au dix-huitième mois de la vie qu’à peu près 90 % du cerveau se forme. Une nutrition inadéquate ou insuffisante durant cette période est critique. Le rôle de la mère et la santé maternelle sont cruciaux, tant pour permettre à l’enfant d’avoir un poids suffisant à la naissance que pour pouvoir l’allaiter pendant les six premiers mois. Lorsque l’enfant est sevré, la qualité de la nourriture est très importante. Là, l’amélioration du contenu nutritionnel des récoltes apporte d’énormes avantages, le bio-enrichissement n’étant qu’un début prometteur, surtout après le travail réussi d’Ingo Potrykus et Peter Beyer en ce qui concerne le riz doré18. Aujourd’hui, il existe même des recherches visant à produire des vaccins comestibles.

L’environnement

45La dimension environnementale, quant à elle, sera approfondie plus tard dans le cours. Cependant, j’aimerais insister aujourd’hui sur l’urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons évidemment tous vu des photos de glaciers et des photos d’ouragans. Mais, en nous référant aux graphiques de la National Geographic Society montrant l’énorme augmentation du nombre d’ouragans entre 1995 et 2004 comparé à celui des ouragans survenus entre les années 1985 et 1994, nous sommes en droit de nous interroger : « Est-il possible que ce soit un phénomène naturel ? ». Non. Pourquoi ? Parce que si nous comparons les modélisations et les observations de température pour le siècle dernier (de 1900 à 2000), nous ne pouvons pas continuer de croire qu’il s’agit d’un phénomène naturel. L’activité humaine est la cause principale du changement qui a commencé à se faire sentir il y a une cinquantaine d’années.

46Faut-il nous inquiéter ? Oui. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas être alarmiste de dire que la fonte des glaces est un problème majeur à ne pas négliger. D’après les chiffres des différents modèles prévus par le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), la ligne retenue n’est ni la pire ni la meilleure, juste la moyenne. Or, la situation actuelle est encore pire. Toutes les estimations, même les plus pessimistes, étaient beaucoup trop optimistes.

Figure 5. Modélisation de la fonte des glaces par le GIEC.

Figure 5. Modélisation de la fonte des glaces par le GIEC.

Source : Dr Asgeir Sorteberg, Bjeknes, Centre de recherche sur le climat et l’université de Svalbald, Norvège, 23 septembre 2007 (www.carbonequity.info/images/seaice07.jpg).

47Alors, que faire ? Que faire chez nous par exemple, en Égypte, si le niveau de la mer continue d’augmenter ? Quel effet aura cette élévation sur les terrains agricoles et la population du Delta ? Certains prévoient la disparition de 3,8 millions d’habitants et de 1 800 km2 de terres pour une élévation du niveau de la mer de 50 cm ; et la disparition de 6,1 millions d’habitants et de 4500 km2 de terres pour une élévation de 100 cm. Les études sérieuses font défaut. Les propositions pour s’adapter au changement doivent être étudiées. Les pauvres seront ceux qui payeront le prix de l’inaction.

48Quelle que soit la nature du problème, la fréquence des inondations, des sécheresses, des désertifications et des incendies de forêts nous frappe aujourd’hui ; elle a pour conséquence, entre autres, de raccourcir la période de production agricole dans les pays africains. Mais pourquoi les gouvernements s’abstiennent-ils d’agir ? Pourquoi le doute subsiste-t-il ? Parce qu’entre 2003 et 2008, le nombre de lobbyistes contre le changement climatique au Congrès américain a augmenté de 320 à 1 600, alors que celui des environnementalistes a augmenté de 55 à 160. Cela veut dire qu’il y a trois lobbyistes niant le réchauffement climatique par législateur et qu’ils sont dix fois plus nombreux que les lobbyistes de l’environnement19.

49En tout cas, tôt ou tard, il doit y avoir un accord universel sur les mesures internationales à prendre. Tous les responsables, dans tous les pays, doivent agir et conduire des actions d’atténuation, d’adaptation et de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour faire face au changement climatique et à ses répercussions ravageuses. Les inondations au Pakistan n’ont-elles pas réduit la production de ce pays de 20 % ? Les sécheresses en Russie n’ont-elles pas forcé l’État à bloquer les exportations ? Les sécheresses et les inondations ne frappent-elles pas en même temps, conformément aux modèles climatiques ? Les ouragans ne se multiplient-ils pas de façon régulière dans les Caraïbes et aux États-Unis ? Toutes ces conditions climatiques sévères induisent des contraintes sur la production alimentaire, notamment en Afrique où la sécheresse ravage l’agriculture et aggrave la situation de faim.

50La crise des prix alimentaires que le monde a connue en 2008 a révélé la faiblesse et la fragilité du système mondial actuel ; et cette flambée des prix, dont nous avons tous souffert, risque de revenir un jour, surtout si les politiques ne sont pas améliorées. Nous avons besoin de produits alimentaires pour nourrir non seulement les humains, mais aussi les animaux. Et, parce que la nourriture change avec l’amélioration des revenus, nous pouvons compter à titre d’exemple 1 300 millions de personnes en Chine en demande de viande et de protéines animales. Que faire donc, sinon augmenter la production ? Et il ne faut pas oublier que la demande croissante des biocarburants de première génération, en particulier l’éthanol de maïs aux États-Unis, a contribué à la flambée des prix alimentaires au Mexique sans apporter la moindre amélioration environnementale. Personnellement, je crois qu’il est inadmissible de brûler la nourriture des pauvres pour alimenter les voitures des riches ! C’est pourquoi il faut de toute urgence passer à une deuxième génération de biocarburants. Je ne suis pas contre les biocarburants, mais je suis particulièrement défavorable à ceux qui sont fabriqués à partir de végétaux qui sont des aliments, alors qu’il serait possible de produire du biodiesel à base d’algues ou de résines cellulosiques.

Le rôle de la science

51La science est l’avenir. Il faut mobiliser la science, mais comment focaliser la science sur les problèmes des pauvres ? Si les revenus dans les pays riches sont quarante fois plus élevés que dans les pays pauvres, l’investissement par individu dans la recherche scientifique y est deux cent vingt fois plus élevé ! De plus, il existe une fracture numérique entre les riches et les pauvres. Cet écart sera-t-il comblé ? L’ordinateur à 100 dollars fera-t-il la différence pour les enfants qui ont faim en Afrique et leur donnera-t-il les moyens d’améliorer leurs conditions de vie ? Je crains qu’il n’y ait des laissés-pour-compte dans le monde, et que l’application des meilleures solutions scientifiques aux problèmes des plus pauvres reste dépendante de la situation des laboratoires et des organisations de recherche dans ces pays. Ne devons-nous pas craindre l’apparition d’un « apartheid scientifique » ?

  • 20 Au sein du Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR, Groupe Consultatif pou (...)

52Pour un avenir meilleur, nous devons passer de la révolution verte des années 1970 à une révolution « doublement » verte. Bien que la révolution verte soit souvent remise en cause par les écologistes d’aujourd’hui, elle a sauvé énormément de terrains de l’exploitation agricole ; ceux-ci correspondent à la superficie des surfaces cultivées des États-Unis, du Canada et du Brésil dans leur ensemble. Imaginez combien de forêts auraient été détruites et combien de biodiversité aurait été perdue si une telle révolution n’avait pas lutté pour améliorer la productivité agricole ! De plus, j’ai eu l’honneur de présider à la remise au diapason du système international de la recherche agronomique20. Ce fut pour moi un vrai honneur de pouvoir, en 1994, mettre sous égide internationale la collection des banques de gènes constituée de 625 000 variétés ; et cela pour que la sécurité alimentaire des pauvres soit prise en charge par 183 pays au lieu d’être à la merci d’un seul. Si la révolution verte continue à progresser, grâce à la révolution « doublement verte », nous aurons une plus grande diversité génétique, une gestion intégrée de l’eau, du sol et des nutriments, et moins de pesticides.

53Évitons l’agriculture sur brûlis. Réduisons les pertes post-récoltes : dans beaucoup de pays africains, c’est entre 30 et 35 % du produit des récoltes qui n’atteignent jamais le consommateur. Soyons sans relâche pro-pauvres, pro-femmes et pro-environnement. Et en ce qui concerne le paradigme de la recherche, favorisons un double changement en termes de contextualisation et de mobilisation des nouvelles sciences de la vie. À quoi servira tout cela ? À valoriser le rôle de la science concernant la terre, l’eau, les plantes, les animaux et les ressources aquatiques. Nous savons déjà que plus de 43 % des terres ont été transformées par les humains ; ce qui a provoqué, entre autres, des glissements de terrains et des érosions du sol de grande ampleur. Aussi l’eau constitue-t-elle une contrainte, étant donné que la production d’une seule calorie nécessite un litre d’eau par jour. Si l’homme a besoin de deux, cinq ou dix litres pour vivre, il a besoin en moyenne de 2 400 à 2 700 litres pour manger. Mais, ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que 10 % de la production des céréales dans le monde dépendent des prélèvements excessifs des eaux souterraines.

54Il y a toute une gamme de stratégies à mettre en place pour cultiver des plantes plus productives avec moins d’eau et des recherches à conduire pour recycler les eaux usées dans l’irrigation : tel est le cas du sorgho et du topinambour, irrigués par des eaux usées traitées à Sorbulak au Kazakhstan. Plus encore, il faut régler la variation entre le plafond scientifiquement prouvé dans les stations d’analyse et le rendement actuel ou moyen dans un pays donné. Et pour cela, il y a trois types de démarches à mener : la première consiste à relever le plafond biologique du rendement ; la deuxième vise à combler l’écart du rendement et la troisième tend à éviter la chute du rendement actuel. D’ailleurs, si nous nous intéressons seulement à maintenir le rendement actuel tel qu’il est, il risque de baisser d’une année sur l’autre. En outre, nous avons besoin de transformer la nature des plantes (en créant un nouveau type de riz, par exemple), d’abolir l’écart entre le travail des scientifiques et celui des agriculteurs, d’analyser les coûts biologiques des mauvaises herbes, des maladies et des insectes, de financer le contrôle biologique, de travailler avec la nature, et de trouver des moyens pour résister à la nielle bactérienne et aux foreurs des tiges du riz.

55Néanmoins, il ne faut pas oublier les animaux dont dépendent les petits agriculteurs, puisqu’ils ne recourent pas ou peu à l’usage des machines. Ils se nourrissent du lait de leurs vaches, qui contribuent aussi à fertiliser les terres. Les ressources aquatiques, quant à elles, ont été à peine touchées dans le monde actuel. Nous continuons à pêcher, d’abord à petite échelle, puis avec les hautes technologies, en utilisant des bateaux de pêche qui sont de véritables usines flottantes, plutôt que de chercher de nouveaux systèmes de production aquatique et de préserver la biodiversité des récifs coralliens.

  • 21 Voir les rapports annuels de l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech App (...)

56Il reste beaucoup à faire dans les sciences. Mais qu’en est-il des biotechnologies ? Certes, c’est un domaine qui présente, comme tout autre, bien des promesses et des périls ; mais, en raison de la croissance impressionnante qu’ont connue les OGM21, il a fait couler beaucoup d’encre et soulevé beaucoup de débats. Malheureusement, les médias ont complètement faussé le dialogue après le clonage de la brebis Dolly ; de nos jours, beaucoup de gens ne savent pas pourquoi Dolly était importante. Toutefois, nous pouvons constater une augmentation réelle du nombre d’hectares sous production par OGM dans beaucoup de pays du monde, y compris dans les pays en voie de développement. Cela se limite jusqu’à présent à six ou sept cultures, notamment celle du soja transgénique largement menée par l’entreprise Monsanto aux États-Unis et au Brésil. Dotée d’un énorme potentiel, la biotechnologie soulève des questions de fond et peut réaliser des transformations uniques en leur genre. Ingo Potrykus et Peter Beyer ont réussi, par exemple, à intégrer du bêta-carotène dans un grain de riz, la nourriture de base des populations pauvres, ce qui pourrait permettre de combler les carences en vitamine A et de sauver ainsi de la cécité un nombre considérable d’enfants. Il est vrai que la biotechnologie est exposée à des problèmes éthiques, des problèmes de droit de propriété intellectuelle, des problèmes de sécurité, des problèmes de gestion de technologies ; cependant, elle reste, selon moi, un outil comme les autres, qu’il ne faut ni diaboliser ni exalter mais dont il faut juste profiter.

La transformation de l’agriculture mondiale

57Il résulte de tout ce qui précède que nous devons opter pour la transformation de l’agriculture mondiale. Et, pour ce faire, je vous proposerai mes dix commandements :

  1. réformer les politiques et les marchés ;

  2. se focaliser sur les petits agriculteurs ;

  3. économiser les ressources naturelles ;

  4. accroître la productivité agricole ;

  5. améliorer le contenu nutritionnel ;

  6. déterminer la vulnérabilité à court terme ;

  7. autonomiser les femmes ;

  8. atteindre les ultra-pauvres ;

  9. soutenir la science ;

  10. traduire la rhétorique en action.

58Premièrement, la réforme des politiques et des marchés consiste à promouvoir un commerce équitable à l’échelle mondiale, à améliorer l’accès au marché et à réduire les pertes post-récoltes à l’échelle locale. Deuxièmement, nous devons nous focaliser sur les petits agriculteurs en augmentant la productivité de leurs cultures avant que les prix de la production ne baissent. Troisièmement, l’économie de ressources naturelles favorisera le développement durable dont bénéficieront les riches comme les pauvres. À ce propos, l’action environnementale la plus importante consiste à réduire les besoins en terres cultivées afin de préserver la biodiversité et un grand nombre d’habitats, surtout ceux que nous connaissons à peine, au niveau microscopique. Quatrièmement, l’accroissement de la productivité agricole à l’époque de la révolution verte a eu pour conséquence la baisse des prix du blé, du maïs et du riz, avec une croissance de la production et sans augmentation considérable, pour autant, du nombre de producteurs. L’accroissement de la productivité des petits agriculteurs a entraîné une amélioration de leurs revenus.

Figure 6. Comparaison entre l’augmentation de la production de riz et la baisse de son prix entre 1961 et 2002.

Figure 6. Comparaison entre l’augmentation de la production de riz et la baisse de son prix entre 1961 et 2002.

59Cinquièmement, l’amélioration du contenu nutritionnel est avantageuse pour la santé. Certaines de ces possibilités se dessinent dans le travail visant le bio-enrichissement du riz et des patates douces par le bêta-carotène, sans oublier les apports bénéfiques du maïs à haute qualité protéique. Une meilleure nutrition transformera la vie des enfants qui meurent de faim. Sixièmement, il faut faire face à la vulnérabilité des petits agriculteurs, accrue par les effets ravageurs du changement climatique (inondations, sécheresses ou même attaques de sauterelles). Septièmement, l’autonomisation des femmes est essentielle pour reconnaître la dimension du genre dans les sociétés et réaliser des progrès majeurs en termes de scolarisation et de mortalité infantiles. Huitièmement, nous devons approcher les ultra-pauvres qui ne sont pas atteints par les instruments ordinaires, tels les sans-terres qui, à cause des guerres civiles, sont devenus des déplacés internes menant des conditions de vie terribles à l’intérieur des frontières de leur propre pays. Neuvièmement, nous avons besoin de soutenir davantage la science et non seulement la technologie dans les pays en voie de développement. En 2004, j’ai eu l’honneur de co-présider, avec mon ami Jacob Palis, un comité de l’Inter-Academy Council pour étudier comment promouvoir la recherche scientifique dans les pays en développement. Nous avons présenté notre rapport à M. Kofi Annan au nom des quatre-vingt quinze académies scientifiques du monde. Dixièmement, il faut avouer que les discours, les plans et les objectifs n’égalent pas les actions. En 1963, le Président John Kennedy a affirmé lors de la tenue du 1er Sommet mondial de l’alimentation : « Nous avons la capacité d’éliminer la faim de la surface de la Terre de notre vivant. Il ne nous manque que la volonté. » Nous manquons toujours de volonté. Nous ne sommes pas encore les nouveaux abolitionnistes. Nous n’avons pas encore transformé la société.

60Pour réaliser nos objectifs et transformer la société locale et mondiale, trois modèles reflétant trois visions différentes de la société nous semblent intéressants et dignes d’être pris en considération. Le premier est celui de Mère Teresa, qui dénonce le manque de solidarité et d’altruisme dont témoignent les sociétés actuelles et qui exhorte chacun de nous à agir pour le bien de l’Humanité. Le deuxième est celui de la Banque mondiale, qui approche toute question en termes de transactions, de marchés et d’accès. Le troisième modèle est celui de Karl Marx et de ses disciples, visant à transformer les relations de pouvoir qui œuvrent en faveur des riches au détriment des pauvres. Nous aurons besoin de mobiliser ces trois approches pour un essor qui bénéficie aux pauvres, aux plus démunis de la famille humaine.

61Néanmoins, bien que la croissance soit nécessaire, elle ne suffira pas à elle seule à réduire la pauvreté. Nous devons admettre que c’est à la fois la qualité de cette croissance et la nature des politiques à mettre en place qui comptent énormément. Nous devons également être tout à fait convaincus que le développement durable n’est pas synonyme de mal-être. Nous savons tous que les riches vivent plus longtemps ; ce n’est pas surprenant, mais, si nous nous référons à la série de courbes de l’espérance de vie humaine par rapport au PNB par habitant, nous saurons qu’avec 1 000 dollars au lieu de 20 000 par habitant, nous pouvons jouir d’à peu près 80 % du bien-être. En d’autres termes, 5 % de revenus se traduisent en 80 % du bien-être. Cependant, en comparant la situation actuelle à celle des années 1950, nous ne pouvons pas nier l’évolution qui s’est produite au fil des années au profit des 1 000 dollars par habitant. Pourquoi ? Parce que nous avons changé de politique ; nous nous sommes focalisés sur le problème de la mortalité infantile ; nous avons eu recours à la vaccination des enfants et à l’éradication de la faim parmi les enfants pauvres. C’est avec le même niveau de ressources, une meilleure compréhension et la conjugaison de nos savoirs que nous avons pu aboutir à une telle évolution. Si nous avions mis tous nos efforts uniquement dans la croissance économique et si nous avions conservé les politiques de 1950, il nous aurait fallu huit fois plus de revenus pour aboutir à la même amélioration !

  • 22 Les injustices dans le système mondial sont pléthoriques. Par exemple, les subventions agricoles au (...)

62Nous ne devons donc pas attendre que les résultats de la croissance irriguent toute la société avant qu’ils ne bénéficient aux plus pauvres. Nous devons nous attaquer tout de suite aux problèmes de la pauvreté et de l’injustice qui envahissent le monde22.

Conclusion : Oser rêver

63Pour conclure, Mesdames et Messieurs, il faut avouer que tous ces éléments sont essentiels et qu’ils se renforcent mutuellement. Une fois que nous serons parvenus à conjuguer nos efforts et nos savoirs, nous aboutirons à une solution pour abolir la faim. Et en concluant cette conférence, je vous demande d’oser rêver et d’oser faire preuve d’audace. Nous devons abolir la faim ; et le monde doit dépasser le capitalisme sauvage. Prenons à titre d’exemple le défi de l’Antarctique relevé par le commandant Jacques-Yves Cousteau et quelques autres rêveurs. Après la découverte de l’Antarctique, nombreux sont ceux qui y ont envoyé des bulldozers, cherchant l’exploitation industrielle… le pétrole… l’argent… les bases militaires… Et c’est contre eux que Cousteau s’est dressé, malgré les intérêts économiques, dans le but de préserver l’Antarctique pour les pingouins, pour les scientifiques, pour les générations futures et pour la nature.

  • 23 Barack Obama, The Audacity of Hope, Crown, New York, 2006.

64En 1963, quand j’étais étudiant, Martin Luther King disait dans son célèbre discours prononcé à Washington : « J’ai un rêve… J’ai le rêve qu’un jour mes enfants vivront dans une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau, mais pour leur caractère. » Bien que nous ayons pu ne pas croire que cela puisse arriver un jour aux États-Unis, il avait raison. Le président Obama a été élu en 2008. Le nouveau Président américain ne nous a-t-il pas parlé lui aussi de « l’audace de l’espoir 23» ? Margaret Mead ne nous a-t-elle pas déclaré : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis puisse changer le monde. D’ailleurs, rien d’autre n’y est jamais parvenu. »

65Donc, travaillons tous ensemble. Militons côte à côte en tant qu’amis engagés dans cette campagne à dimension universelle pour le bien des petits agriculteurs, des enfants, de la génération à venir et du monde entier. Par la mobilisation des connaissances, nous pouvons réussir à abolir la faim, malgré le manque général de responsabilité. Et même si notre équipe de nouveaux abolitionnistes, modeste et aux ressources limitées, semble plus faible que celle de l’adversaire – les cyniques qui défendent les intérêts établis, l’inertie et la gigantesque injustice actuelle alors que les ressources sont illimitées – eh bien, nous surprendrons le monde !

66Je vous remercie.

Annexes

Leçon inaugurale d’Ismail Serageldin, 18 novembre 2010 : https://archive.org/​details/​CdfLiSerageldin

Notes

1 2010 Global Hunger Index: The Challenge of Hunger: Focus on the Crisis of Child Undernutrition, octobre 2010, IFPRI, Welthungerhilfe, and Concern Worldwide.

2 Cf. Amartya Sen, Poverty and Famines: An essay on entitlement and deprivation, Oxford University Press, 1982. Jean Drèze et Amartya Sen, Hunger and Public Action, Oxford, Clarendon Press, 1989.

3 Voir Leon F. Hesser, The Man Who Fed the World: Nobel Peace Prize Laureate Norman Borlaug and His Battle to End World Hunger, Durban House, 2006. Kenneth J. Arrow, Norman E. Borlaug, Paul R. Ehrlich, et Joshua Lederberg, Meeting the Challenges of Population, Environment, and Resources : The Costs of Inaction, édité par Henry Kendall, (Environmentally Sustainable Development Proceedings Series) World Bank, Washington, 1996.

4 Bread For the World, 2010 Hunger Report: A just and Sustainable Recovery, Washington DC 2010.

5 Estimation consensuelle du GCRAI (Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale) et les chercheurs de l’IFPRI.

6 Pour répondre aux besoins de l’humanité de 2010 à 2060 (soit pendant 50 ans), il faudra produire 733 exacal de nourriture, contre 630 exacal entre 1500 et 2010 ! (1 exacal = 1018 calories)

7 Au delà du chiffre retenu, il y a une question méthodologique troublante : le seuil de pauvreté n’est pas le même dans les différentes régions d’un pays ou doit varier d’un pays a l’autre. De surcroit, le seuil de pauvreté ne demeure pas le même face a une flambée des prix alimentaires et des autres besoins essentiels de la vie ; il doit donc être variable sur le temps et l’espace. C’est pourquoi nous préférons définir le seuil de pauvreté à partir des besoins alimentaires de la personne auxquels s’ajoutent les autres besoins essentiels. Toutefois, en l’absence de telles statistiques, les analyses basées sur des indices construits à partir de seuils de pauvreté moins fiables demeurent quand même très utiles.

8 Voir la discussion de ces questions et bien d’autres dans Amartya Sen, On Economic Inequality, New York, Norton, 1973 ; édition augmentée comportant une annexe substantielle de James E. Foster et A. Sen, 1997. Voir également : J. Foster, J. Greer et E. Thorbecke, « A Class of Decomposable Poverty Measures », Econometrica, 1984.

9 IFAD, 2010, voir : http://www.ifad.org/mpat/

10 Littéralement : « ruissellement ». C’est la conception selon laquelle en investissant d’une manière avantageuse pour les plus riches, on obtient des effets induits positifs pour les plus pauvres (NDE).

11 Partha Dasgupta, An Inquiry into Well-Being and Destitution, Oxford University Press, 1993.

12 Dans son ouvrage The Wealth of Nations, Smith dit : « …[the state is responsible] for erecting and maintaining those public institutions and those public works, which though they may be in the highest degree advantageous to a great society, are, however, of such a nature, that the profit could never repay the expense to any individual or small number of individuals, and which it, therefore, cannot be expected that any individual or small number of individuals should erect or maintain. »

13 Pour la régulation des banques, Smith avait écrit : « To restrain private people, it may be said, from receiving in payment the promissory notes of a banker, for any sum whether great or small, when they themselves are willing to receive them; or, to restrain a banker from issuing such notes, when all his neighbours are willing to accept of them, is a manifest violation of that natural liberty which it is the proper business of law, not to infringe, but to support. Such regulations may, no doubt, be considered as in some respects a violation of natural liberty. But those exertions of the natural liberty of a few individuals, which might endanger the security of the whole society, are, and ought to be, restrained by the laws of all governments; of the most free, as well as of the most despotical. The obligation of building party walls, in order to prevent the communication of fire, is a violation of natural liberty, exactly of the same kind with the regulations of the banking trade which are here proposed. »

14 Voir Emma Rothschild, Economic Sentiments : Adam Smith, Condorcet, and the Enlightenment, Harvard University Press, 2002.

15 Voir, entre autres, Ismail Serageldin, Themes for the Third Millennium: the Challenge for Rural Sociology in an Urbanizing World, (discours d’ouverture prononcé au Congrès mondial de sociologie rurale qui s’est tenu à Bucarest, en Roumanie, le 22 juillet 1996), Washington, DC, World Bank, 1999.

16 David Bornstein, The Price of a Dream: The Story of the Grameen Bank, Oxford University Press, New York, 2005.

17 Voir : http://www.sewa.org.

18 Voir les informations disponibles sur le site : http://goldenrice.org

19 Voir : http://www.publicintegrity.org/investigations/climate_change/

20 Au sein du Consultative Group on International Agricultural Research (CGIAR, Groupe Consultatif pour la Recherche Agricole Internationale). Voir : CGIAR, Milestones of Renewal: A Journey of Hope and Accomplishment, Washington DC, 1996.

21 Voir les rapports annuels de l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications),une organisation internationale qui se consacre au transfert de la biotechnologie agricole. Voir : http://www.isaaa.org

22 Les injustices dans le système mondial sont pléthoriques. Par exemple, les subventions agricoles aux États-Unis, entre 1994 et 2005, bénéficient surtout aux riches. 1 % des agriculteurs américains reçoit 23 % des versements, alors que 80 % des agriculteurs en reçoivent 13 %. Dans les pays de l’Union européenne, chaque vache reçoit en moyenne 2,4 dollars de subvention gouvernementale par jour, tandis que les enfants en Afrique vivent avec moins d’un dollar par jour. Malgré tout cela, certains continuent à crier : « Compétition ! Compétition ! ». Je leur réponds : « Non, il faut qu’il y ait d’abord de l’ÉGALITÉ… ÉGALITÉ… » !

23 Barack Obama, The Audacity of Hope, Crown, New York, 2006.

Table des illustrations

Titre Figure 1. La sous-alimentation dans les pays en voie de développement.
Crédits Source : FAOSTAT 2010 (http://fao.org/​hunger)
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/410/img-1.png
Fichier image/png, 166k
Titre Figure 2. Nombre de personnes touchées par la faim entre 1960 et 2010.
Légende Pour 2009 et 2010, les chiffres ont été estimés par le FAO à partir des données du Department of Agriculture, Economic Research Service des États-Unis.
Crédits Source : FAO 2009-2010 (http://fao.org/​publication/​sofi/​en/​)
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/410/img-2.png
Fichier image/png, 51k
Titre Figure 3. Répartition de la population mondiale, 1950-2050.
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/410/img-3.png
Fichier image/png, 56k
Titre Figure 4. La complexité du domaine agronomique.
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/410/img-4.png
Fichier image/png, 137k
Titre Figure 5. Modélisation de la fonte des glaces par le GIEC.
Crédits Source : Dr Asgeir Sorteberg, Bjeknes, Centre de recherche sur le climat et l’université de Svalbald, Norvège, 23 septembre 2007 (www.carbonequity.info/images/seaice07.jpg).
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/410/img-5.png
Fichier image/png, 152k
Titre Figure 6. Comparaison entre l’augmentation de la production de riz et la baisse de son prix entre 1961 et 2002.
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/410/img-6.png
Fichier image/png, 75k

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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