Version classiqueVersion mobile

Recentrer l’Asie centrale

 | 
Frantz Grenet

Introduction

Serge Haroche

Texte intégral

1Les steppes et les montagnes d’Asie centrale forment un espace immense qui fait rêver toute personne passionnée par l’histoire des civilisations ou simplement par l’aventure et le voyage. Au carrefour des influences persane, indienne, slave et chinoise, ce vaste territoire, qui englobe aujourd’hui l’Afghanistan et les républiques musulmanes de l’ex-Union soviétique, a été depuis des temps immémoriaux un lieu de peuplement et de passage. C’est là qu’est né le zoroastrisme, la religion préislamique de la Perse. C’est à travers ces contrées que les commerçants empruntaient la fameuse « Route de la soie » qui reliait le monde romain et Byzance à la Chine lointaine. C’est dans ces confins du monde antique connu que les Grecs établirent leur colonie la plus lointaine. Plus tard, c’est dans cet espace mystérieux que se forma l’empire des Huns hephtalites qui terrorisa, pendant le haut Moyen Âge, la Perse des Sassanides. C’est encore par là que déferlèrent les envahisseurs mongols. Les noms de Samarkand et de Boukhara évoquent auprès du public un passé de splendeur sans qu’il sache toujours exactement à quel moment le situer ni à quelle civilisation l’attribuer. Prononcez le nom de « Sogdiane » et vous n’évoquerez, même auprès des plus lettrés, qu’une contrée mystérieuse, perdue dans la nuit des temps.

2Étudier l’histoire de cette région, séparer les faits de la légende, des mythes et des exagérations, est une tâche difficile à laquelle se sont attelés depuis deux siècles des historiens et des archéologues, essentiellement russes et français. Pour les historiens, la difficulté est longtemps venue du fait que la plupart des informations provenaient de documents persans, indiens ou chinois, nous faisant voir ce monde à travers les yeux d’autres cultures qui percevaient souvent l’Asie centrale préislamique comme un territoire étranger, voire hostile. Cette situation est en train d’évoluer avec la redécouverte des langues autochtones, le sogdien et le bactrien, dont les textes nous parviennent de plus en plus nombreux, par des inscriptions monumentales ou par des écrits sur parchemin qui nous font découvrir l’histoire de cette région pour ainsi dire « de l’intérieur ».

3Pour les archéologues, l’accès au terrain a été longtemps – et pour certaines régions, est toujours – rendu difficile pour des raisons politiques bien connues. Dans l’Asie musulmane soviétique, les fouilles sont longtemps restées l’apanage des seuls archéologues russes, alors qu’en Afghanistan, la guerre et l’instabilité politique rendent encore aujourd’hui le travail sur le terrain périlleux, l’archéologue devant souvent arriver avant le pillard ou le fanatique taliban destructeur des vestiges préislamiques.

4Malgré tout, des chercheurs courageux, passionnés et enthousiastes s’emploient à sauver ces vestiges et à nous éclairer sur cette histoire riche et complexe. Frantz Grenet, vous êtes un membre éminent de l’école française d’archéologie de l’Asie centrale, à laquelle nous devons de nombreuses découvertes qui nous permettent de mieux comprendre le passé d’une région qui a joué un rôle important dans l’histoire du monde, tant celle de l’Occident que celle de l’Orient. Vous avez confié que votre vocation vous était en partie venue de la lecture, alors que vous étiez enfant, des ouvrages de René Grousset sur l’histoire des croisades et des conquêtes de Gengis Khan et des Mongols. Beaucoup d’entre nous ont lu de tels récits et rêvé des contrées qu’ils évoquaient. Pour vous, le rêve est devenu réalité et vous lui avez consacré votre vie. Vous avez connu au cours de cette quête de vestiges historiques des surprises et des joies qui sont la récompense ultime du chercheur. Je pense en particulier à la découverte fortuite de ce haut-relief sculpté à flanc de falaise dans la montagne afghane, qui représente le roi sassanide Shāpūr Ier chassant le rhinocéros aux confins de l’Inde, relief que vous avez pu décrire et étudier alors même que le zèle iconoclaste des talibans menaçait de le détruire.

5Le Collège de France est heureux de vous accueillir aujourd’hui comme titulaire de la chaire « Histoire et cultures de l’Asie centrale préislamique ». En créant cette chaire et en vous l’attribuant, nous contribuons à la mission du Collège dans le domaine des humanités, qui consiste à éclairer le passé des grandes aires où s’est nourrie notre culture, pour mieux nous faire comprendre le présent. Cette démarche passe non seulement par l’étude sur le terrain et la description factuelle précise des vestiges et des documents, mais aussi par leur mise en perspective et leur interprétation, dans leur contexte historique et culturel.

6Par votre formation d’historien et d’archéologue, vous avez appliqué cette double démarche avec grand succès comme professeur à l’École pratique des hautes études et comme directeur de la Mission archéologique franco-ouzbèke de Sogdiane. Vous la poursuivrez dorénavant au Collège de France, et je ne doute pas que vos auditeurs partageront votre passion pour l’étude de l’histoire fascinante de l’Asie centrale préislamique. Je vous donne maintenant la parole pour votre leçon inaugurale, intitulée Recentrer l’Asie centrale.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search