L’économie administrée dans le monde romain : archéologie des réseaux de ravitaillement dans les Gaules et les Germanies au ier siècle après J.-C.
p. 57-84
Texte intégral
1Tout faire ou laisser faire ? Aucun système économique évolué n’échappe à ce dilemme qui, lorsqu’il s’impose aux structures étatiques, recouvre des enjeux aussi bien économiques que politiques ou idéologiques. Contrôles de la production, des prix, du commerce et de ses acteurs constituent les principaux paramètres d’une équation dont la résolution passe bien souvent par la recherche d’un compromis. Dans cette voie médiane réside toute la nuance qui sépare économie administrée et administration de l’économie – et, au-delà du dogme, situation « souhaitée » et situation « réelle ».
2Dans un débat dominé par le matérialisme historique et ses adversaires, assujettis à une grille de lecture marxisante ou néolibérale, les modèles qui en résultent se résument souvent, pour forcer le trait, à une opposition binaire entre collectivisme et libre-échange. L’archéologie des échanges, bien que plus récente, n’échappe évidemment pas aux mêmes préjugés, mais elle a l’avantage de s’appuyer sur un corpus de données de terrain abondant et constamment renouvelé, dont la diversité et la complexité se laissent difficilement réduire à cette simple alternative. Pour dissiper d’emblée tout malentendu, il ne s’agit pas ici d’opposer science historique et archéologique mais, au contraire, de souligner à quel point ces deux disciplines sont complémentaires pour l’approche du problème, dès lors qu’il s’applique à des sociétés antiques qui ignoraient jusqu’à la notion même de science économique.
3La mesure du degré d’intervention de l’État romain dans l’organisation et la gestion des réseaux d’échange à longue distance de l’Empire est l’objet de discussions qui remontent pratiquement aux origines des sciences de l’Antiquité1. S’il n’est plus question aujourd’hui d’une gestion planifiée et centralisée de l’économie par l’empereur et les gouverneurs provinciaux, il ne fait aucun doute, en revanche, que ses aspects financiers et militaires relevaient de leur prérogative exclusive. Les pratiques associées à l’entretien des soldats en campagne (frumentum), au ravitaillement des camps militaires (copiae) et à l’ensemble de l’annona militaris2 sont connues pour l’époque sévérienne, au début du iiie siècle, jusqu’à l’Antiquité tardive3. Durant les deux siècles de pax romana qui séparent les règnes d’Auguste et de Commode, à l’inverse, il est souvent allégué que cette intervention de l’État ne se justifiait pas, ce rôle étant tout entier délégué à l’initiative individuelle des negotiatores privés et à la « loi immanente du marché ».
4Il est pourtant établi, depuis les travaux de Karl Polanyi4, que l’économie n’est pas dissociable des autres formes de relations sociales (familiales, politiques, religieuses, corporatistes ou encore militaires) qui favorisent son développement. La production et l’acheminement de denrées alimentaires courantes, comme les céréales ou le vin, ou de certains biens manufacturés à haute valeur stratégique, comme la monnaie et l’armement, mettaient en jeu une multitude d’acteurs, de vecteurs et d’infrastructures qui ne pouvaient complètement échapper au contrôle des autorités civiles ou militaires (fig. 1). Le cadre de la réflexion étant posé, nous ne nous attarderons pas davantage sur l’historiographie du concept de « l’annone », pour mieux nous concentrer sur ses potentielles manifestations archéologiques.
Fig. 1 — Réseaux, infrastructures et acteurs de la production, du transport et de la diffusion des denrées et des produits manufacturés au ier siècle après J.-C. (schéma simplifié).

Crédit : DAO M. Poux.
5Depuis les années 1980, la discussion porte surtout sur l’existence d’un réseau public d’approvisionnement des camps militaires du limes germanique en huile d’olive, instauré au début du Principat sous la forme d’un tribut en nature, acquitté par la province de Bétique et véhiculé par des naviculaires privés rétribués par l’État5. Cette thèse très contestée6, faisant de ce dernier le seul maître d’œuvre du commerce massif de denrées à longue distance, se heurte à la complexité des situations révélée par l’épigraphie des amphores7. Elle concerne, par ailleurs, un produit d’importance relativement secondaire qui, au ier siècle, n’entrait pas dans la liste des fournitures officielles de l’armée ou de l’annone urbaine à la différence des céréales8.
6Il s’agit ici d’établir dans quelle mesure l’archéologie est à même de contribuer au débat, en mobilisant un spectre plus large de sources documentaires : inscriptions, constructions, céramiques, monnaies, instrumentum, équipement militaire, carporestes et, surtout, données de terrain indispensables à leur contextualisation. Afin de nous affranchir de la comparaison directe établie dans les études précédentes entre régions productrices et régions consommatrices, nous nous focaliserons sur deux sites inscrits, de par leur localisation et leur histoire, au cœur des circuits logistiques et commerciaux instaurés dans le sillage des conquêtes gauloises et germaniques : à savoir les colonies de Lyon et de Vienne en moyenne vallée du Rhône, deux têtes de pont fondées à l’interface de la Narbonnaise et de la Lyonnaise, qui entretenaient notoirement un lien privilégié avec le pouvoir impérial et ont joué un rôle central dans l’administration de ces nouveaux territoires.
Le rôle de Vienne et de Lyon
7Dans son chapitre consacré à la « part de l’État », André Tchernia9 s’attarde longuement sur l’exemple de Lyon, centre névralgique du réseau fluvial et routier constitué à l’échelle des Gaules, base arrière logistique des troupes du limes et plaque tournante du commerce entre Méditerranée et Europe intérieure, dont l’essor apparaît étroitement lié aux projets de l’Empire en direction de la Germanie. Auguste, qui y a résidé entre 20 et 16 avant J.-C., choisit d’y développer les productions, les infrastructures et les réseaux destinés à alimenter et soutenir les cinq à six légions du Rhin placées sous le commandement de Drusus.
8À Lyon même, ce statut s’est manifesté dans les années 1990 par la découverte d’un vaste édifice palatial édifié en amont du théâtre, désormais désigné sous le nom de « prétoire d’Agrippa10 ». Contemporain de la phase de fondation de la colonie, entre les années 40 avant J.-C. et 20 après J.-C., il est marqué dès cette époque par une présence de l’armée qui se traduit par la découverte de nombreuses pièces d’équipement et d’ouvrages militaires dans son environnement proche11. Sans omettre la présence d’une cohorte urbaine affectée, selon Flavius Josèphe (Jud., II, 16), à la surveillance de l’ensemble des Gaules qui disposait d’un camp permanent dont il sera question plus loin.
9Cette phase d’occupation initiale coïncide également avec l’essor des officines de poterie dans les quartiers de la ville basse qui bordent le cours de la Saône : productions d’imitations d’amphores à vin ou à sauces de poisson, de vaisselle fine (gobelets d’Aco, sigillées, parois fines) et probablement aussi de tonneaux s’y multiplient dans le cadre d’un processus de filialisation d’officines italiques en quête de nouveaux marchés12. Or ce sont précisément ces mêmes produits qui se retrouvent en masse tout au long de l’axe Saône-Rhin, plus particulièrement dans les camps du limes germanique, dont les occupants représentent une clientèle de choix compte tenu de leurs habitudes alimentaires méditerranéennes. Même si la part des sites civils a été réévaluée dans les dernières décennies, la question se pose toujours de savoir si ces productions ne leur étaient pas prioritairement destinées13.
10Un dernier atout réside dans le fait que Lyon a bénéficié de nombreuses fouilles et travaux de synthèse récents, réalisés dans le cadre de l’Atlas topographique ou de thèses de doctorat, consacrées aussi bien à l’architecture qu’aux mobiliers. La connaissance du centre urbain de la colonie est complétée, depuis le milieu des années 2000, par des recherches menées dans les campagnes environnantes14 qui éclairent d’un nouveau jour les choix adoptés par les producteurs coloniaux, les relations qu’ils entretenaient avec l’armée et les infrastructures utilisées pour leur négoce.
Le nerf de la guerre
11À Rome comme ailleurs, la frappe de monnaie et le contrôle des flux monétaires constituent le premier champ d’intervention de l’État dans l’économie. Le début de l’époque impériale est marqué par la délocalisation partielle des ateliers de la moneta en Gaule, où ils sont placés sous la tutelle directe de l’empereur. C’est dans cette perspective qu’est instauré en 10 avant J.-C. l’atelier monétaire de Lyon, qui a émis de grandes quantités d’espèces en or, en argent et, de façon plus intermittente, en bronze jusqu’à sa fermeture en 64 après J.-C.
12La destination d’une grande partie de ce monnayage est bien identifiée. Dès le début des années 30 avant J.-C., les premiers « as coloniaux » émis à Lyon et à Vienne sous le gouvernorat d’Agrippa, puis à Orange et à Nîmes au début de la décennie suivante, ont servi à alimenter la solde des troupes stationnées dans les Gaules et les Germanies. La remarquable analyse consacrée par Stéphane Martin15 à la diffusion de ces premiers monnayages a confirmé leur présence très marquée sur les sites militaires du Rhin supérieur et inférieur (fig. 2, gauche). Par contraste, elle l’est nettement moins sur les sites civils, où le petit numéraire de tradition gauloise reste en usage jusqu’au début de notre ère.
13Une génération après l’ouverture de l’atelier de Lugdunum, le monnayage au motif « à l’autel de Lyon » (série dite « Lyon I », RIC 229-230) s’impose partout aux côtés des grands bronzes de Nîmes. En 9 après J.-C., il forme la majorité des espèces portées sur eux par les soldats de Varus défaits dans la forêt du Teutobourg16. Une estimation, même basse, du volume de pièces que représentait la solde annuelle des huit légions stationnées sur le Rhin au début du ier siècle de notre ère aboutit à des chiffres vertigineux – de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de tonnes, selon les proportions de métaux frappés. Cet afflux de numéraire irrigue aussi l’économie courante. Les cartes de répartition dressées par Stéphane Martin pour les premières pièces à l’effigie de Tibère (série dite « Lyon II », RIC 231-245) mettent en évidence un approvisionnement distinct des sites militaires et civils, la part de petites divisions (semis) étant beaucoup plus marquée sur ces derniers (fig. 2, droite)17.
Fig. 2 — Carte de répartition des monnayages lyonnais d’époque tardo-républicaine (dupondius « Copia ») et augustéenne (série « Lyon II »).

Crédit : DAO M. Poux, d’après S. Martin, Du statère au sesterce. Monnaie et romanisation dans la Gaule du Nord et de l’Est (iiie s. a.C./ier s. p.C.), Bordeaux, Ausonius, 2015, p. 149, fig. 43 et p. 291, fig. 105.
14À Lyon même, une thèse consacrée à la production et à la circulation du monnayage dans les contextes de fouille du Haut-Empire a permis de localiser plus précisément le lieu de production des flans monétaires18. Ces activités se concentrent dans la plaine de Vaise, disséminées dans plusieurs ateliers où elles se mêlent à d’autres productions métallurgiques plus ordinaires (parures ou quincaillerie en alliage cuivreux). Contre toute attente, elles s’y présentent comme un artisanat courant, probablement délégué aux bronziers et orfèvres établis dans ce quartier périphérique de la colonie. La localisation plus précise du lieu de frappe et, surtout, d’entreposage des métaux et des espèces avant diffusion n’est pas résolue et constitue donc un important enjeu pour les recherches futures.
15Cette nécessité nous a amenés à nous pencher19 sur l’interprétation d’un vaste ensemble architectural bien connu des Lyonnais, à savoir le réseau dit des « arêtes de poisson », localisé sur le versant oriental des pentes de la Croix-Rousse, à proximité du sanctuaire à l’autel représenté sur les monnaies du même nom. Il est connu depuis le xvie siècle, sous la forme d’un réseau tentaculaire de galeries maçonnées, au nombre d’une quarantaine au total, réparties sur plusieurs niveaux et paliers établissant la jonction entre les rives du Rhône et le sommet du plateau. Après avoir suscité bien des controverses, sa datation julio-claudienne est désormais bien établie et les interprétations les plus fantaisistes – du réseau hydraulique au lieu de procession – définitivement écartées20.
16La configuration des lieux et la puissance des maçonneries militent pour un site de stockage de marchandises dont il est difficile de préciser la nature. La présence de sols renforcés et indépendants de la structure des galeries, pour limiter la charge et les risques de déformation, mais aussi celle de puits susceptibles d’avoir accueilli des monte-charges invitent plutôt à y voir un site d’entreposage souterrain de métaux destinés à la frappe de monnaies, sinon des pièces elles-mêmes21. Ce lieu de thésaurisation – identifiable à l’aerarium de la colonie, ou à l’arca galliarum mentionnée par certaines inscriptions ? – a pu être alimenté par le tribut annuel versé par la quarantaine de cités gauloises stipendiaires qui se réunissait chaque année sur le sanctuaire et dont le nombre équivaut à peu de choses près à celui des galeries. Sa situation au confluent garantissait un accès aux cours du Rhône et de la Saône de nature à faciliter la réception des métaux comme l’embarquement des pièces encoffrées en direction du limes.
Cohorte urbaine et fabricae militaires
17Quelle que soit sa fonction exacte, la construction d’une telle infrastructure a difficilement pu se faire sans l’intervention de troupes de sapeurs et d’architectes du génie. Eu égard aux enjeux stratégiques, politiques et économiques, elle était logiquement placée sous l’étroite surveillance de l’armée. En témoignent une stèle funéraire de Vichy, dédiée à un soldat de la XVIIe cohorte Luguduniensis qui était préposé à la garde de l’atelier monétaire (ad monetam), et de façon plus indirecte, la tombe d’officier découverte à Chassenard dans l’Allier22 : datée du règne de Caligula, elle comportait deux paires de coins monétaires, constituées pour chacune d’un coin dormant et d’un coin mobile, utilisés pour la frappe d’aurei de Tibère émis à Lugdunum (type « Lyon II »). Les deux défunts appartenaient peut-être à une même unité spécifiquement affectée au contrôle et à la gestion de l’atelier monétaire lyonnais, parmi d’autres tâches civiles dévolues à la cohorte urbaine qui avait son camp permanent à Lyon.
18L’emplacement de ce dernier, dont l’existence même a longtemps été mise en doute, vient précisément d’être localisé à Fourvière. Les fouilles programmées conduites par Benjamin Clément et Lucas Guillaud sur le site du Clos de la Visitation y ont mis au jour plusieurs édifices de stockage à vocation probablement publique, identifié pour l’un d’entre eux à l’armamentarium du camp en raison des dizaines de pièces d’armement, d’équipement et de projectiles qui en jonchaient les sols et la cour intérieure23. Constitués à partir du règne de Tibère, ces épandages de militaria témoignent aussi de la bataille qui a opposé en 197 les armées d’Albinus et de Septime Sévère à Lyon, dont l’issue s’est soldée par la dissolution de la cohorte urbaine et son remplacement par des détachements auxiliaires venus des Germanies. La localisation des découvertes, au cœur même de la colonie, invite à reconsidérer la fonction du grand édifice résidentiel situé en arrière du théâtre (« prétoire d’Agrippa »), qui pourrait correspondre aux principia du camp24.
19On aurait pu supposer que les fabricae d’équipement militaire se trouvaient à l’intérieur du camp ou, à tout le moins, étaient regroupées dans son environnement immédiat. Or cela ne semble pas être le cas. À l’instar des monnaies, c’est dans les ateliers civils de la colonie, disséminés dans les quartiers résidentiels de Fourvière et de la Presqu’île, que des indices de production d’équipement ont été mis en évidence25. Dans le quartier du Clos du Verbe Incarné, les fouilles ont exhumé trois ateliers qui ont produit, sous Auguste, des pointes de flèche destinées à l’armée romaine. Des boucles de ceinturon (cingula) en cours de fabrication ont été recueillies non loin de là, sur le site du « prétoire d’Agrippa ». Elles correspondent au modèle porté par l’officier de la tombe de Chassenard, bien documenté par ailleurs dans les camps du limes rhénan. Sur le site de l’Hôtel-Dieu, ce sont des garnitures de harnachement qui semblent avoir été fabriquées, au niveau de la ville basse (fig. 3, gauche). Dans tous les ateliers, ces pièces d’armement et d’équipement ont été produites parmi d’autres artefacts d’usage courant (parures, appliques de meubles…), qu’elles côtoient dans les fosses de rejet.
20La multiplication de ces officines de productions militaires, qui est loin d’aller de soi dans une région aussi éloignée des bases défensives du limes, ainsi que leur intégration au tissu urbain amènent à s’interroger sur les relations économiques nouées entre artisans civils et administration militaire26. Qu’elles aient pris la forme de commandes régulières ou d’une délégation permanente, elles ne pouvaient s’affranchir de contrats en bonne et due forme et d’un contrôle, par l’armée, de la chaîne de production et de transport.
21Si certains de ces équipements se retrouvent parmi les militaria du camp du Clos de la Visitation, la majorité d’entre eux a fait l’objet d’une expédition vers les secteurs militarisés du limes germanique, comme en témoignent les cartes de répartition de certaines pièces d’équipement (fig. 3, droite) ou encore l’épigraphie de fourreaux de glaive retrouvés à Vindonissa et à Strasbourg. Attesté dès le milieu du règne d’Auguste, ce circuit de production et de ravitaillement semble connaître un net essor sous Tibère, dans le cadre des dernières vagues offensives consécutives à la défaite de Varus. Succédant à des constructions d’habitat d’époque augustéenne, le camp de la cohorte est précisément implanté dans cette seconde phase, qui correspond aussi à l’apogée de l’atelier monétaire de Lyon pour les frappes d’or et d’argent et à la mise en place, au début du règne de Tibère, des premiers dispositifs défensifs sur la frontière rhénane.
Fig. 3 — Production de militaria à Lugdunum au ier siècle après J.-C. : sélection d’objets, répartition des ateliers et carte de diffusion en direction du limes rhénan.

Source : L. Guillaud, « Militaria » de « Lugdunum ». Étude de l’armement romain et de l’équipement militaire à Lyon (ier s. av.-ive s. apr. J.-C.), Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2019, p. 554, fig. 306 et pl. 14-15.
Crédit : L. Guillaud.
22Pour ces deux activités hautement sensibles, au plan stratégique, que constituent la frappe de la monnaie et la production d’équipement militaire, c’est d’emblée à une situation très imbriquée que nous confrontent les découvertes lyonnaises. Disséminées dans différents secteurs de la ville, leur localisation se confond avec celle des ateliers civils de métallurgie, mais aussi de poterie, dont les productions empruntaient les mêmes voies (fig. 4). Ce circuit de ravitaillement a perduré au moins jusqu’à l’époque flavienne et la fin du ier siècle, période marquée par le développement d’un artisanat privé aux abords des camps et une délocalisation progressive des fabriques d’armement, au plus près des lieux de cantonnement27. Cette même période voit la fermeture de l’atelier monétaire de Lugdunum, rendant caduque toute la logistique de transport de monnaies instaurée sous Auguste.
Fig. 4 — Carte de répartition des principales catégories d’amphores et de céramiques produites à Lugdunum entre la fin du ier siècle avant J.-C. et le troisième quart du ier siècle après J.-C.

Crédit : DAO M. Poux, d’après A. Desbat et B. Dangréaux, « La production d’amphores à Lyon », Gallia, vol. 54, 1997, p. 73-104, et A. Desbat, M. Genin et J. Lasfargues (dir.), « Les productions des ateliers de potiers antiques de Lyon », Gallia, vol. 53 (dossier thématique), 1996.
Panem et vinum
23Il est plus difficile d’entrevoir dans quelle mesure les structures portuaires et le territoire productif de la colonie ont été mis à contribution pour le ravitaillement des légions en denrées alimentaires solides ou liquides : céréales, vin, huile, salaisons, saumures et sauces de poisson correspondent en effet à des produits alimentaires courants, en grande partie destinés au marché civil. Leur consommation par les militaires n’en est pas moins attestée à travers le dossier des amphores lyonnaises, conditionnées au bord de la Saône et retrouvées en grand nombre dans les camps du limes28.
24Contrairement à l’usage de l’huile ou des sauces à base de poisson, la culture du vin est déjà bien ancrée dans la société gauloise de la fin du ier siècle avant J.-C., après plus d’un siècle d’importations massives en provenance d’Italie. La conquête romaine marquant une extension de sa consommation aux classes modestes, il n’est pas facile de distinguer clientèle militaire et clientèle civile. Depuis le iiie siècle avant J.-C. à Rome, le vin et ses dérivés (posca) sont intégrés au régime alimentaire du citoyen comme du soldat, en tant que compléments naturels du pain. Même sur les sites du limes, les amphores vinaires sont aussi présentes sur les camps que dans les agglomérations (canabae, vici) qui se développent à leur périphérie.
25Cette période coïncide précisément avec les débuts de la viticulture en Gaule tempérée29, une donnée qui n’est pas suffisamment prise en compte dans l’étude des circuits de ravitaillement. La forme des amphores à vin lyonnaises imite celle des conteneurs vinaires italiques ou orientaux de types « Dressel 1 » et « Dressel 2-4 », ce qui a orienté les hypothèses vers un reconditionnement de crus importés en vrac de Méditerranée, transvasés à Lyon pour être réexpédiés en direction du limes. Ce schéma, qui fait la part belle à l’initiative privée de négociants peu scrupuleux sur l’origine et l’appellation des produits, occulte complètement la possibilité d’un approvisionnement par la production locale.
26Or de récentes recherches menées sur le territoire colonial de Lyon ont révélé que cette production était bien présente et beaucoup plus extensive qu’on aurait pu le supposer. Les microreliefs du plateau lyonnais étant particulièrement propices à la polyculture, ils ont été très tôt mis à profit pour pourvoir à l’approvisionnement de la colonie. Il fait également peu de doutes que ce territoire, profitant des débouchés offerts par les cours du Rhône et de la Saône, a produit des surplus destinés au commerce à longue distance.
27La présence de la viticulture y a été révélée par la fouille, entre 2008 et 2011, d’une vaste villa de rendement localisée sur la commune de Saint-Laurent-d’Agny, à une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau au sud-ouest de Lyon. Elle a été implantée à une date proche de la fondation de Lugdunum par un vétéran des guerres civiles originaire de la région de Bénévent, qui semble avoir conservé des liens durables avec l’armée30. Dédié à la céréaliculture et à la viticulture, ce domaine est déjà doté, sous le règne d’Auguste, d’un pressoir et de chais qui se développent au iie siècle jusqu’à atteindre une capacité de production annuelle de l’ordre de 1 400 à 2 000 hectolitres. Ses installations se distinguent dès l’origine par l’importation directe de modèles de viticulture et de pressurage typiquement italiques, peu documentés en Narbonnaise et liés à l’origine campanienne des propriétaires31.
28Cette production locale éclaire d’un nouveau jour le contenu des amphores à vin lyonnaises. Plus accessible que des produits importés en vrac, elle a probablement alimenté un commerce dont la puissante corporation des negotiatores vinarii, qui avait son siège à Lyon, porte témoignage au iie siècle. Il est probable, par ailleurs, que ces amphores ne représentent que la part visible d’un commerce qui s’effectuait principalement dans des tonneaux de bois, dont de nombreux exemplaires conservés ont été mis au jour sur les camps du limes rhénan32. La carte de répartition des fers à marquer et les analyses dendrologiques ont montré que leur fabrication faisait appel à des essences résineuses, prélevées en milieu alpin ou jurassien dans l’environnement proche de Lyon. À Saint-Laurent-d’Agny, l’absence d’atelier d’amphores et la discrétion des amphores lyonnaises sur le site obligent à envisager un élevage et un transport en tonneaux.
29Or il est établi que le transport et la manutention des tonneaux nécessitaient une logistique importante (engins de levage, circuit de recyclage de barriques) qui a pu être fournie par l’armée sans que cette aide soit assimilable pour autant à un circuit public de ravitaillement. L’existence d’accords individuels passés avec certains soldats ou vétérans chargés de l’intendance – probablement rémunérés à la commission, comme le suggèrent les tablettes de Vindolanda – garantissait aux negotiatores un accès à la clientèle et aux infrastructures militaires de la Saône et du Rhin. Cette communauté d’intérêts trouve un écho, sous Marc-Aurèle, dans l’hommage rendu à un vétéran de la première cohorte prétorienne par la corporation des vinarii importatorum negotiantium sur leur forum d’Ostie33, ou encore dans les cervesarii militaires mentionnés par les inscriptions du iiie siècle, à une époque où la consommation de la bière tend à supplanter celle du vin dans les provinces du Nord.
30Qu’en est-il des importations ? Elles ont également fait l’objet d’un commerce à destination du limes via le réseau fluvial des Gaules, dont Lugdunum constituait la plaque tournante. À la fin du ier siècle, les crus italiens et lyonnais s’effacent au profit des vins de Narbonnaise, dont les amphores à fond plat sont très abondantes à Lyon comme dans les camps du limes aux iie et iiie siècles34. Le régime d’alimentation méditerranéen d’une partie de la troupe, quand bien même largement couvert par la production locale, nécessitait d’autres apports en denrées à base d’olive, de produits marins ou de fruits exotiques qui ont pu emprunter les mêmes voies de ravitaillement.
31Bien qu’inscrite aux origines de la discussion sur l’annone, l’huile d’olive importée de Bétique ne constitue pas, paradoxalement, la catégorie la plus pertinente pour appréhender le phénomène. Si les cartes de répartition soulignent bien l’importance de l’axe Rhône-Rhin dans sa diffusion35, elles confirment aussi le rôle de l’axe atlantique, privilégié pour l’acheminement des produits en provenance de la péninsule Ibérique. Ce constat vaut probablement aussi pour les amphores à sauces et salaisons de poisson, importées des mêmes régions ou imitées à Lyon (amphores « Dressel 9 similis », dont le contenu exclut en l’occurrence une origine locale). Quoi qu’il en soit, huile et sauces, pas plus que le vin, n’ont jamais figuré parmi les obligations du service de l’annone36, à la différence du blé. Si le commerce de ces produits importés a pu profiter des réseaux de ravitaillement instaurés sous Auguste, ils n’en constituaient probablement qu’une marchandise secondaire.
32Il en va autrement des céréales, dont la fourniture s’inscrit au cœur de l’annone urbaine et militaire de la fin de la République et du Principat. À l’instar du vin, une partie du blé, du millet ou de l’orge fournis aux armées a théoriquement pu être produite, collectée et centralisée dans la région lyonnaise et viennoise. Mais leur transport jusqu’aux camps du limes, effectué dans des contenants périssables, est plus difficilement traçable que celui d’autres denrées de moindre importance comme l’huile ou les sauces. Dans les Germanies, l’existence de territoires dédiés au ravitaillement (territorium ou prata legionis), directement exploités par l’armée à proximité des camps, était censée pourvoir à leur autosuffisance37. Il ne fait cependant aucun doute que ces ressources locales étaient complétées, à titre ponctuel ou plus régulier, par des arrivages en provenance de Gaule intérieure.
33Dès la conquête, les peuples gaulois alliés à César étaient chargés d’assurer les copiae, comme en témoigne, pour la région viennoise, l’injonction faite aux Allobroges de fournir en blé les Helvètes défaits à Bibracte (Bell. Gall., I, 28, « frumenti copiam facerent »). On en déduira que la céréaliculture locale, distinguée un siècle plus tard par Pline (Hist. nat., XVIII, 85), était déjà à même de générer des surplus susceptibles d’alimenter les réseaux de ravitaillement civils et militaires. Le « revenu » du territoire lyonnais (reditus Lugdunensium) évoqué par Tacite (Hist., I, 64-66), à l’occasion de sa confiscation par Galba en représailles au soutien apporté par la colonie à Néron, devait être de même nature, ce terme générique étant généralement lié aux domaines agricoles ou miniers38.
34L’hypothèse d’une contribution de certains domaines fonciers gallo-romains à l’annone militaire ou civile n’est pas nouvelle. Proposée il y a une quinzaine d’années suite à la fouille de la villa de Richebourg dans les Yvelines, elle a surtout été abordée sous l’angle des sources textuelles39. C’est pourtant dans les structures d’entreposage des céréales que réside la manifestation la plus tangible de ces réseaux.
Viae militares et entrepôts-relais
35Par qui ces ressources étaient-elles collectées et par quelles voies étaient-elles acheminées par-delà les frontières du territoire colonial ? D’un point de vue administratif, la réponse ne peut s’appuyer que sur l’épigraphie et les sources textuelles extérieures. Celles-ci indiquent que le prélèvement et la redistribution des impôts en nature versés par les cités, comme par les particuliers, mobilisaient une multitude de services et d’acteurs publics, dont le nombre et les attributions variaient en fonction des situations locales. François Bérard40 a souligné le fait qu’à Lyon, l’officium du gouverneur se distingue de celui des autres provinces par les nombreuses analogies qu’il présente avec les provinces militarisées du limes. Il incluait notamment une importante fonction fiscale de contrôle des recettes et des dépenses, confiée à un officium comprenant des bénéficiaires et des exacti chargés, entre autres tâches, d’émettre des bons de vivres destinés à l’armée. Un corps de « services annonaires des berges » (riparii annonarii) est explicitement mentionné par l’épigraphie41 qui semble corroborer l’existence, à Lyon, d’un organisme de ravitaillement à vocation civile et/ou militaire.
36Cette structure de collecte et de redistribution des denrées était logiquement établie sur les rives de la Saône et du Rhône, où plusieurs édifices de stockage de grandes dimensions ont été recoupés par les fouilles. Au niveau du quai Saint-Vincent, de l’Hôtel-Dieu ou du quai Arloing, ils se présentent sous la forme de vastes entrepôts, mitoyens ou quasiment contigus, dont la surface utile, subdivisée en trois à six nefs par des rangées de piliers massifs de stockage, s’élevait à plusieurs centaines de mètres carrés. Leur morphologie n’est pas sans rappeler celle des grands horrea documentés sur les camps militaires, certains d’entre eux étant désignés comme tels sur une inscription découverte en partie sud de la Presqu’île42. Le signalement ancien de « docks à dolia » localisés quai des Étroits suggère également l’existence d’entrepôts à vin de grande capacité qui ont pu servir aussi bien à la réception de crus importés en vrac qu’à l’entreposage de la production vinicole locale43.
37Dans la colonie voisine de Vienne, les recherches archéologiques conduites à la fin du siècle dernier ont également révélé l’existence d’un vaste complexe d’entrepôts publics implanté au bord du Rhône. Au vu de leurs dimensions exceptionnelles, leur capacité de stockage cumulée est estimée à plus de quatre millions de modii (ou 30 000 tonnes) de blé et les désigne comme les plus importants du monde romain après ceux de Rome et d’Ostie. Bien qu’il ne trouve aucun écho dans l’épigraphie locale, un lien avec la perception de l’annone a été avancé, ces chiffres excédant largement la production en blé de la seule cité des Allobroges, mais suffisant à couvrir un sixième de l’approvisionnement annuel de l’Urbs44. Si la destination et les modalités d’exportation de ces surplus peuvent être inférées de leur localisation au bord du fleuve, des découvertes plus récentes montrent qu’ils ont pu emprunter d’autres voies, notamment terrestres.
38C’est précisément dans l’arrière-pays viennois, sur la commune de Panossas en Isère, qu’a été mis au jour le plus vaste entrepôt à céréales connu en milieu rural à l’échelle de toutes les Gaules (fig. 5). Localisé à une trentaine de kilomètres à l’est de Vienne et de Lyon, le site correspond à une importante station routière, implantée sous Agrippa à quelques milles de la « voie d’Italie » qui reliait les deux colonies à la péninsule et à la vallée rhénane, via le plateau suisse45. À la fin du ier siècle après J.-C., ses infrastructures sont complétées par la construction de thermes monumentaux et d’un vaste grenier sur plancher suspendu, correspondant au détail près aux granaria sublimata décrits par Vitruve (De Arch., VI, 6, 5). Ses puissantes fondations maçonnées (50 mètres de long par 18 mètres de large, pour un mètre d’épaisseur) délimitent une surface utile de près 1 000 mètres carrés, pour une capacité de stockage estimée entre 96 et 224 tonnes. Même dans sa fourchette basse, cette dernière est bien supérieure aux capacités mesurées pour d’autres édifices similaires46 et constitue en quelque sorte le pendant rural des horrea urbains de Vienne. Son plan et ses dimensions n’ont d’équivalent que les horrea des camps militaires du limes ou les entrepôts publics reconnus en milieu urbain pour des époques plus tardives47.
Fig. 5 — Vue aérienne (à gauche) et vue au sol (en haut à droite) du granarium de Panossas (Isère), et vue au sol de l’horreum militaire de Vindolanda (en bas à droite).

Crédits : pour Panossas : clichés M. Poux, d’après M. Poux, A. Borlenghi et al., « Le granarium des “Buissières” à Panossas : contribution à l’étude des réseaux d’entrepôts de grande capacité dans les Gaules et les Germanies (ier-iiie s. p.C.) », in F. Trément (dir.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines, Bordeaux, Aquitania, 2017, p. 407-437 ; pour Vindolanda : cliché A. Chouzenoux.
39Situé à équidistance des entrepôts fluviaux de Vienne et de Lugdunum, sur l’un des principaux itinéraires terrestres reliant les deux colonies à l’Italie et à la vallée rhénane, cet entrepôt a théoriquement pu jouer un rôle dans les réseaux d’approvisionnement annonaires de l’Urbs et/ou de l’armée. Sa construction, sous Domitien, est probablement liée aux travaux de réfection et de renforcement des voies stratégiques conduisant au limes Germanicus, préalables à la conquête des champs Décumates et à la guerre contre les Chattes48. Il est encore en activité lors de la création de l’annona militaris au début du iiie siècle, comme l’atteste une bourse d’aureliani recueillie le long de sa façade est. Les niveaux scellés par son abandon, suite à un violent incendie, ont livré de nombreux charbons et carporestes49 qui témoignent de la diversité des produits stockés : principalement des céréales (orge, millet) et des légumineuses (lentilles, fèves), utilisés dans l’alimentation courante comme dans la ration quotidienne des soldats. La présence de la vigne – ou, plus probablement, du vin conditionné en tonneaux – est également à signaler.
40Des entrepôts de même nature sont présents au nord de Lyon, le long de la « voie de l’Océan » qui reliait la colonie à la Gaule du Nord, à la vallée du Rhin et à la Bretagne (fig. 6). Récemment, la fouille d’un vaste site installé à la fin du ier siècle en surplomb de la voie, à Anse-Pommiers, se distingue comme le précédent par la présence d’un important espace thermal, surdimensionné pour un domaine rural privé, suggérant une fonction d’accueil pour les voyageurs et leurs marchandises – la station antique d’Asa Paulini étant reconnue comme la première étape au nord de Lyon sur l’Itinéraire d’Antonin. Il est lui aussi marqué par l’édification, au iiie siècle, d’un grand entrepôt pratiquement identique à celui de Panossas (50 mètres de long par 19 mètres de large)50. À Lournand, en Côte-d’Or, une fouille de sauvetage conduite dans les années 1970-1980, lors de la construction de la ligne de TGV Lyon-Paris, avait déjà mis au jour un édifice de taille et de plan similaires, partiellement structuré par des murets supportant un plancher suspendu. Toujours en activité au iiie siècle après J.-C., il a lui aussi livré de nombreux carporestes carbonisés. Leur étude montre que cet édifice servait également au stockage de céréales, mais aussi et, surtout, de produits à base de raisin (vin en foudres ?)51.
Fig. 6 — Carte de répartition des granaria à plancher suspendu sur murets de refend, en contextes civils et militaires.

Crédit : DAO M. Poux, d’après M. Poux, A. Borlenghi et al., « Le granarium des “Buissières” à Panossas : contribution à l’étude des réseaux d’entrepôts de grande capacité dans les Gaules et les Germanies (ier-iiie s. p.C.) », in F. Trément (dir.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines, Bordeaux, Aquitania, 2017, p. 407-437, p. 429, fig. 13.
41Une enquête menée à l’échelle plus vaste des Gaules et des Germanies52 a montré que ce type d’équipement se retrouve, avec des variantes de plan et de dimensions, sur l’ensemble du réseau de voies stratégiques mis en place au début du Principat. Loin de se répartir sur l’ensemble de ces territoires comme on pourrait l’attendre de simples « greniers ruraux », ces édifices en jalonnent le tracé à intervalle régulier de quelques dizaines de milles. La carte de répartition souligne en pointillés le rôle assigné aux stations routières du cursus publicus dans la conservation des biens d’État collectés et transportés dans le cadre du fiscus et de l’annone53. Dans le Code théodosien, les horrea appartiennent de fait à l’équipement de base des stations viaires et mettent en lumière le contrôle exercé par l’armée sur l’acheminement par voie terrestre des denrées et d’autres biens stratégiques. Ce contrôle se traduit aussi par la présence de militaria et d’inscriptions de soldats tout au long du réseau de voies qui relie la moyenne vallée du Rhône au Rhin et à l’Océan54.
42Les datations, échelonnées entre la fin de l’époque flavienne et l’époque sévérienne, montrent que la mise en place de ce dispositif est bien antérieure à l’instauration de l’annona militaris au début du iiie siècle. Apparu au moins un siècle plus tôt, probablement sous Domitien, il s’inscrit dans le cadre des mesures logistiques qui ont précédé la conquête des champs Décumates. Comme l’avaient bien pressenti les études antérieures, il implique une mise à contribution des provinces gauloises pour le ravitaillement du front rhéno-danubien qui s’apparente, en pratique sinon en titre, à une forme d’annone militaire adossée aux infrastructures préexistantes du cursus publicus mis en place par Auguste et Agrippa.
43Malgré l’importance de la voie terrestre qui relie les bassins fluviaux du Rhône et du Rhin via le plateau suisse, il ne fait aucun doute que les chargements les plus volumineux étaient préférentiellement acheminés par voie fluviale. La chaîne logistique se laisse moins facilement appréhender au plan archéologique, les entrepôts constituant l’équipement minimal d’infrastructures portuaires utilisées, à l’instar des stations viaires, par les civils autant que par les militaires. Lyon comme Vienne disposaient de plusieurs ports construits au bord du Rhône et de la Saône dont la gestion était assurée par les autorités locales, secondées par de puissantes corporations de nautes et de naviculaires dont les activités sont bien attestées par l’épigraphie. S’il en ressort qu’elles s’exerçaient sur l’ensemble du cours du Rhône et de la Saône, ces corporations n’ont pu jouer qu’un rôle supplétif dans le ravitaillement militaire, qui faisait partie intégrante des missions de la Classis Germanica. L’expression « contubernium nautarum », documentée par une inscription d’Ettlingen, comme la mention de vétérans propriétaires de navires55 suggèrent ici encore un lien avec la sphère militaire, pour une époque il est vrai plus tardive (iie-iiie siècles). Tout porte cependant à croire qu’au ier siècle déjà, les marchandises véhiculées par les négociants et l’armée ont emprunté les mêmes voies fluviales et bénéficié des mêmes infrastructures logistiques établies sous Auguste, dans le cadre de ses plans d’offensive en Germanie.
Le réseau et ses acteurs : collusion ou collaboration ?
44Il s’avère, pour conclure, que l’intervention de l’État romain dans l’instauration des réseaux d’échanges tissés au Haut-Empire à l’échelle des Gaules et des Germanies est bien perceptible, mais n’est pas réductible à une vision monolithique et encore moins dogmatique. L’état des données archéologiques en moyenne vallée du Rhône, des structures de production (monnaie, équipement militaire, céréales, vin) aux infrastructures logistiques de transport et de stockage (stations viaires, ports, entrepôts-relais), tend à confirmer l’existence de circuits et d’infrastructures publics de ravitaillement à grande échelle. Ébauché sous le gouvernorat d’Agrippa dès le début des années 30 avant J.-C., avec la création des infrastructures viaires et fluviales ou l’implantation de vétérans italiques rompus à la culture de rendement, ce système s’est véritablement mis en place sous Auguste et s’est renforcé sous Domitien. Il répondait à différentes nécessités et portait sur des biens de nature très diverse, qu’il convient de hiérarchiser et de replacer dans leur contexte historique.
45Entre le règne d’Auguste et l’époque antonine, plusieurs domaines ou degrés d’intervention de l’administration impériale peuvent être distingués. Le premier s’inscrit au cœur de ses missions régaliennes (monnaie, armée, police) et assure l’approvisionnement des troupes en numéraire et en équipement militaire. Il se caractérise, dès l’origine, par un large recours au secteur privé pour la réalisation des pièces. Le deuxième porte sur les céréales et, dans une moindre mesure, le vin, produits par les colonies de la vallée du Rhône ou d’autres cités gauloises. Leur contribution à l’annone militaire ou civile se manifeste, dès le changement d’ère, à travers les grands horrea de Vienne et le réseau des « arêtes de poisson » à Lyon, un siècle plus tard pour ce qui est des entrepôts-relais jalonnant le réseau routier reliant les Gaules aux Germanies.
46Un dernier domaine d’intervention, bien plus informel, concerne la redistribution de denrées importées de Narbonnaise ou de Méditerranée, au premier rang desquelles les huiles et les sauces, et dans une moindre mesure le vin. Laissée tout entière à la libre initiative des negotiatores, dont les cargaisons venaient se greffer de façon opportuniste aux réseaux précédents, elle semble régie par de simples contrats de droit privé. Dans les zones de garnison du limes rhénan, les nécessités de l’intendance militaire le disputent à l’attractivité d’un marché civil en pleine expansion. L’armée, qui disposait des infrastructures requises pour le transport et l’entreposage des sacs, des amphores ou des vaisseaux de bois, a pu jouer un simple rôle de facilitateur pour assurer la stabilité des flux et contrôler la chaîne de diffusion, du producteur au soldat.
47Si l’existence de ces réseaux de ravitaillement se fait de plus en plus tangible, de nombreuses interrogations demeurent. Ont-ils été instaurés, commandés ou seulement favorisés par l’administration, par le biais d’exemptions fiscales ou de soutiens logistiques ? Procédaient-ils déjà, sous Auguste, d’un schéma global d’organisation logistique, visant à assurer l’approvisionnement en nourriture et autres biens nécessaires au bien-être des soldats comme des populations qui vivaient dans leur voisinage ? Étaient-ils alimentés par une collecte directe, en nature, de ressources locales prélevées dans l’ager colonial ? Ou procédaient-ils d’une simple redistribution de stocks, d’origine régionale et/ou importés, centralisés dans l’environnement portuaire des deux colonies ?
48Les grands entrepôts de Vienne et de Lyon apportent un début de réponse, mais laissent en suspens d’autres questions : par qui ou par quelles entités ces stocks étaient-ils gérés ? Des fonctionnaires impériaux ou municipaux, parés d’attributions militaires ou civiles ? Si l’épigraphie locale reste pratiquement muette sur ce point, il est peu probable que l’expression « riparii annonarii » lue sur l’inscription de Lyon fasse référence aux importations de blé d’Égypte. Depuis l’étude consacrée par Henriette Pavis d’Escurac au service de l’annone urbaine56, on sait par ailleurs qu’une partie de l’impôt exigé des cités tributaires était prélevée en nature par les administrations municipales, sous la responsabilité de procurateurs ou de gouverneurs chargés d’en réaliser la collecte et de l’acheminer aussi bien à Rome qu’aux armées.
49La délégation de certaines fournitures à des acteurs privés, fabri (monnaie, militaria), possessores (céréales, vin), conductores ou navicularii (stockage et transport), n’en est pas moins avérée. Mais elle allait forcément de pair avec un usage partagé des infrastructures fluviales et viaires (ports, entrepôts, stations-relais, navires, chariots), le caractère mixte des chargements requérant un minimum de coordination entre ces différentes sphères, et ce du stade de leur production à celui de leur diffusion vers les sites consommateurs. Elle implique aussi l’existence de contrats en bonne et due forme, signés entre officiers, soldats et négociants en cheville avec les services d’intendance, dont la « petite » épigraphie fait discrètement état.
50Les fonctions plus ou moins officielles assumées par certains soldats ou officiers, à l’image du centurio negotiator inhumé à Boldog dans la seconde moitié du ier siècle, ne permettent pas d’établir si ces accords procédaient d’une collaboration ouverte ou d’une collusion plus ou moins tolérée par les autorités. Un rescrit d’Hadrien, conservé dans le Digeste (XXXIX, 4, 4, 1), stipule que les marchandises commandées pour leur propre usage par les gouverneurs, procurateurs et officiers supérieurs, transportées par la voie ordinaire du ravitaillement, sont soumises à déclaration auprès du responsable des douanes (publicanus) pour qu’elles soient soumises aux taxes57. À l’évidence, l’empereur ne voit rien à redire au fait que les négociants en affaires avec l’armée et l’administration puissent faire usage des infrastructures de l’armée, sous condition qu’ils remplissent leurs obligations fiscales.
51Ce « commerce imbriqué », pour reprendre l’expression d’André Tchernia, reposait donc moins sur une autorité administrative ou militaire centrale que sur des ententes ouvertes et une corruption rampante, couverte par les plus hautes sphères de l’administration dans leur propre intérêt. Ce système n’aurait pu voir le jour sans le développement d’équipements collectifs et la généralisation des partenariats commerciaux entre acteurs publics et privés, dont les rapports étaient régis par une politique de « gestion délégative » – expression qui ne recouvre pas totalement l’actuelle notion de délégation de service public, mais en préfigure bien l’esprit, tel que défini dans la loi Murcef du 11 décembre 2001 :
[…] contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service.
52Les fortunes amassées par les possessores et les negotiatores de l’axe Rhône-Rhin au ier siècle de notre ère, dont témoignent leurs résidences fouillées en région lyonnaise58, illustrent parfaitement les profits générés par un tel système, dont la complexité ne se laisse pas réduire au « sophisme économiste » dénoncé par Karl Polanyi59. À partir du règne de Tibère, le formidable essor démographique observé dans l’environnement des camps, des canabae et des villes du limes accroît ce marché de centaines de milliers de consommateurs et, symétriquement, la part des investisseurs privés. Quelques générations plus tard, à la charnière des ier et iie siècles, l’émergence progressive d’ateliers et de commerces installés dans leur périphérie a probablement conduit à l’affaiblissement de ces réseaux au profit de circuits courts, mais pas pour autant à leur dissolution. Comme l’atteste le vaste granarium construit à Panossas sous Domitien, resté en fonction jusqu’à la fin du iiie siècle, cette période de transition voit même la mise en place de nouveaux équipements. Les similitudes architecturales qu’il partage avec l’entrepôt d’Anse, implanté au iiie siècle au nord de Lyon, établissent un lien de continuité avec l’annona militaris d’époque sévérienne, légataire en Gaule d’infrastructures administratives et matérielles éprouvées tout au long du Principat.
Notes de bas de page
1Commençant par T. Mommsen, « Das römische Militärwesen seit Diocletian », Hermes, vol. 24, 1889, p. 195-279 (Ges. Schr. VI, 206-283), et O. Hirschfeld, Die kaiserlichen Verwaltungsbeamten bis auf Diocletian, Berlin, Weidmann, 1905, p. 230-246.
2Cf. R.W. Davies, « The daily life of the Roman soldier under the Principate », in : Service in the Roman Army, Édimbourg, Edinburgh University Press, 1989, p. 33-68.
3Cf. F. Mitthof, „Annona militaris”. Die Heeresversorgung im spätantiken Ägypten. Ein Beitrag zur Verwaltungs- und Heeresgeschichte des Römischen Reiches im 3. bis 6. Jh. n. Chr., Florence, Gonnelli, 2001.
4K. Polanyi, La Subsistance de l’homme. La place de l’économie dans l’histoire et la société, Paris, Flammarion, 2011, qui inclut une analyse approfondie des systèmes économiques en vigueur dans le monde gréco-romain.
5Cf. J. Remesal Rodríguez, La « annona militaris » y la exportación de aceite bético a Germania, Madrid, Universidad Complutense, 1986 ; id., Heeresversorgung und die wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der Baetica und Germanien, Stuttgart, Konrad Theiss Verlag, 1997.
6Cf. L. Wierschowski, Heer und Wirtschaft. Das römische Heer der Prinzipatszeit als Wirtschaftsfaktor, Bonn, Habelts Dissertationsdrucke, 1984.
7Cf. S. Martin-Kilcher, Die römischen Amphoren aus Augst und Kaiseraugst. Ein Beitrag zur römischen Handels- und Kulturgeschichte, tome II : Die Amphoren für Wein, Fischsauce, Südfrüchte (Gruppen 2-24) und Gesamtauswertung, recherches à Augst 7/2, Augst, Römermuseum, 1994, p. 561-565 ; U. Ehmig, Die römischen Amphoren im Umland von Mainz, Wiesbaden, Reichert Verlag, 2007, p. 104-110.
8Cf. A. Tchernia, Les Romains et le commerce, Naples, Publications du Centre Jean Bérard, 2011, https://doi.org/10.4000/books.pcjb.6418, avec bibliographie antérieure.
9Ibid., p. 144-151.
10Voir, en dernier lieu, A. Desbat et M. Poux, « De la Lugudunum gauloise à la colonie de Plancus : l’apport des fouilles récentes », in F. Bérard et M. Poux (dir.), « Lugdunum » et ses campagnes. Actualité de la recherche, Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2018, p. 12-41.
11Cf. L. Guillaud, « Militaria » de « Lugdunum ». Étude de l’armement romain et de l’équipement militaire à Lyon (ier s. av.-ive s. apr. J.-C.), Drémil-Lafage, Éditions Mergoil, 2019.
12Cf. A. Desbat et B. Dangréaux, « La production d’amphores à Lyon », Gallia, vol. 54, 1997, p. 73-104 ; A. Desbat et M. Genin, « Les ateliers précoces et leurs productions », in A. Desbat, M. Genin et J. Lasfargues (dir.), « Les productions des ateliers de potiers antiques de Lyon », Gallia, vol. 53 (dossier thématique), 1996, p. 219-241.
13Cf. J. Remesal Rodríguez, Heeresversorgung und die wirtschaftlichen Beziehungen zwischen der Baetica und Germanien, op. cit. Au-delà du cas particulier des amphores à huile de Bétique, l’existence de figlinae legionis est attestée par l’épigraphie et, en tout état de cause, les liens privilégiés noués entre certains producteurs et leur clientèle militaire sont également établis par les études céramologiques.
14Cf. A. Desbat et M. Poux, « De la Lugudunum gauloise à la colonie de Plancus : l’apport des fouilles récentes », op. cit.
15S. Martin, Du statère au sesterce. Monnaie et romanisation dans la Gaule du Nord et de l’Est (iiie s. a.C./ier s. p.C.), Bordeaux, Ausonius, 2015.
16Cf. R. Wiegels (dir.), Die Fundmünzen von Kalkriese und die frühkaiserzeitliche Münzprägung, Möhnesee, Bibliopolis, 2000.
17S. Martin, Du statère au sesterce, op. cit., p. 286-293, fig. 105.
18J. Flück, La Circulation monétaire à « Lugdunum », de la fondation de la colonie à la mort de Septime Sévère (43 av.-211 apr. J.-C.), thèse de doctorat inédite (dir. M. Poux et G. Depeyrot), université Lumière Lyon 2, Lyon, 2013.
19Cf. M. Poux et A. Borlenghi, « Or de guerre et arêtes de poisson : le sanctuaire de la Confluence et le fiscus des Trois Gaules à l’époque julio-claudienne », communication inédite dispensée dans le cadre de la journée d’étude L’empereur Claude. Profils d’un règne, organisée le 1er février 2019 au musée des Beaux-Arts de Lyon.
20Cf. E. Bernot, P. Dessaint et al., « Les souterrains de Lyon. Dans les galeries de la Croix-Rousse », Archéologia, no 506, 2013, p. 42-51.
21Fonction déjà suggérée par D. Fellague, « Les souterrains antiques de la Croix-Rousse à Lyon. De la quête ésotérique à l’enquête archéologique », Archéologia, no 556, 2017, p. 56-63. Il faut en tous les cas exclure l’ensilage de céréales, qui requiert un lieu aéré et facile d’accès comme nous le verrons plus loin.
22Cf. F. Beck et H. Chew, Masques de fer. Un officier romain du temps de Caligula, cat. expo. du Musée archéologique national, Paris, RMN, 1991.
23B. Clément, « Lyon (5e) – Clos de la Visitation » (notice archéologique), ADLFI [en ligne], Auvergne-Rhône-Alpes, 2022, http://journals.openedition.org/adlfi/128547.
24Hypothèse proposée par Lucas Guillaud (« Militaria » de « Lugdunum », op. cit., p. 401-406, fig. 298) sur la base de comparaisons architecturales.
25Ibid., p. 409-418.
26Cf. L. Guillaud et M. Lépée, « Craftsmen and shopkeepers serving the army: The example of the colony of Lugdunum (First Century AD) », in D. Van Limbergen, A. Hoffelinck et D. Taelman (dir.), Reframing the Roman Economy. New Perspectives on Habitual Economic Practices, Cham, Palgrave Macmillan, 2022, p. 55-80.
27Cf. J. Oldenstein, « Manufacture and supply of the Roman army with bronze fittings », in M.C. Bishop (dir.), The Production and Distribution of Roman Military Equipment, Oxford, BAR, 1985, p. 82-94.
28Cf. A. Desbat et B. Dangréaux, « La production d’amphores à Lyon », art. cit.
29Cf. M. Poux, J.-P. Brun et M.-L. Hervé-Monteil (dir.), « La vigne et le vin dans les Trois Gaules », Gallia, vol. 68-1 (dossier), 2011.
30Cf. M. Poux, A. Gilles et al., « Du vin marseillais pour Staius Regillus : un témoignage du commerce rhodanien et de la colonisation des campagnes entre Lyon et Vienne », Archaeologia Mosellana, vol. 9, 2014, p. 405-424.
31Cf. M. Poux, T. Debize et al., « Le “vin du Triumvir” à Lyon : témoignages archéologiques et littéraires d’une production de vin sur le territoire colonial de Lugdunum », in M. Poux, J.-P. Brun et M.-L. Hervé-Monteil, « La vigne et le vin dans les Trois Gaules », art. cit., p. 13-91.
32Cf. E. Marlière, L’Outre et le tonneau dans l’Occident romain, Montagnac, Éditions Mergoil, 2002 ; A. Desbat, « Un bouchon de bois du ier s. après J.-C. recueilli dans la Saône à Lyon et la question du tonneau à l’époque romaine », Gallia, vol. 48, 1991, p. 319-336.
33AE, 1940, 64.
34Cf. S. Martin-Kilcher, Die römischen Amphoren aus Augst und Kaiseraugst, op. cit., p. 561-565 ; U. Ehmig, Die römischen Amphoren im Umland von Mainz, op. cit., p. 104-110.
35Cf. C. Dubler, Commerce et diffusion de l’huile de Bétique dans les provinces des Gaules et des Germanies (ier-iiie s. ap. J.-C.), thèse de doctorat inédite (dir. S. Mauné et U. Ehmig), université Paul-Valéry Montpellier 3, Montpellier, 2019.
36Cf. A. Tchernia, Les Romains et le commerce, op. cit., p. 136-137.
37Cf. F. Bérard, « Territorium legionis : camps militaires et agglomérations civiles aux premiers siècles de l’Empire », Cahiers du Centre Gustave Glotz, vol. 3, 1992, p. 75-105.
38Cf. Agennius Urbicus, De controuersiis agrorum, Th., 40, 1 ; Siculus Flaccus, De agrorum conditionibus, p. 162, 22 L. ; Pline, Hist. nat., XVIII, 3 ; AE, 1948, 1 : « ex reditibus agrorum ».
39Cf. J. France, « Les personnels et la gestion des entrepôts impériaux dans le monde romain », Revue des études anciennes, vol. 110-2, 2008, p. 483-507 ; M. Reddé, « Vt eo terrore commeatus Gallia adventantes interciperentur (Tacite, Hist., V, 23). La Gaule intérieure et le ravitaillement de l’armée du Rhin », Revue des études anciennes, vol. 113-2, 2011, p. 489-509.
40F. Bérard, L’Armée romaine à Lyon, Rome, École française de Rome, 2015.
41CIL, XIII, 1979.
42AE, 1973, 331.
43Cf. A. Audin, « Les docks des Étroits à Lyon », Latomus, vol. 27-2, 1968, p. 425-428.
44Cf. A. Le Bot-Helly, « Entrepôts commerciaux en Gaule romaine », in C. Goudineau et J. Guilaine (dir.), De Lascaux au grand Louvre. Archéologie et histoire en France, Paris, Errance, 1991 [2e éd.], p. 348‑353 ; Carte archéologique de la Gaule [CAG] 38/3, notices 230.3 à 233, p. 459‑463 ; et, en dernier lieu, B. Helly, CAG Vienne, 2014, p. 143.
45Cf. M. Poux, A. Borlenghi et al., « Le granarium des “Buissières” à Panossas : contribution à l’étude des réseaux d’entrepôts de grande capacité dans les Gaules et les Germanies (ier-iiie s. p.C.) », in F. Trément (dir.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines. Problèmes d’interprétation fonctionnelle et économique des bâtiments d’exploitation et des structures de production agro-pastorale, Bordeaux, Aquitania, 2017, p. 407-437.
46En dépit du scepticisme affiché par Michel Reddé dans sa conclusion de l’ouvrage dirigé par Stéphane Martin : « Conclusion. Des greniers ruraux aux greniers militaires et urbains. Les enjeux historiques d’une enquête archéologique », in : Rural Granaries in Northern Gaul (Sixth Century BCE-Fourth Century CE). From Archaeology to Economic History, Leyde/Boston, Brill, 2019, p. 128-144. L’auteur ne retient, pour Panossas, que les estimations de capacité les plus basses, à la différence des autres sites convoqués à titre de comparaison.
47Cf. M.-B. Carre, « Les réseaux d’entrepôts dans le monde romain : étude de cas », in J. Arce et B. Goffaux (dir.), « Horrea » d’Hispanie et de la Méditerranée romain, Madrid, Casa de Velázquez, 2011, p. 23-39.
48Cf. M. Poux, A. Gilles et al., « Du vin marseillais pour Staius Regillus : un témoignage du commerce rhodanien et de la colonisation des campagnes entre Lyon et Vienne », art. cit., p. 428.
49Cf. l’étude inédite d’Alban Tremblay (université Lumière Lyon 2).
50Il n’en diffère que par la présence d’un seul mur de refend, le terrain n’ayant pas non plus conservé la trace de murets supportant un potentiel plancher suspendu. Cf. D. Tourgon, « Une auberge en bordure de la Voie de l’Océan ? Anse-Pommiers/ZAC Bel-Air, La Logère, tranche 3 (Rhône) », in M. Segard (dir.), Établissements ruraux de Gaule romaine. Quelques études de cas, Gollion, Infolio, 2019, p. 271-303.
51Cf. l’étude inédite d’Alban Tremblay (université Lumière Lyon 2).
52Cf. N. Fouillet et G. Morillon, « Les greniers maçonnés ruraux antiques à plancher surélevé dans les provinces des Gaules et des Germanies », in F. Trément (dir.), Produire, transformer et stocker dans les campagnes des Gaules romaines, op. cit., p. 389-405 ; M. Poux, A. Gilles et al., « Du vin marseillais pour Staius Regillus : un témoignage du commerce rhodanien et de la colonisation des campagnes entre Lyon et Vienne », art. cit.
53Cf. J. France, « Les personnels et la gestion des entrepôts impériaux dans le monde romain », art. cit., p. 498.
54Cf. G. Morillon, Identification et caractérisation des stations routières dans les Gaules et les Germanies (ier s. av. J.-C. au ive s. apr. J.-C.). Typologie architecturale et approche fonctionnelle, thèse de doctorat inédite (dir. M. Poux), université Lumière Lyon 2, Lyon, 2023.
55Cf. CIL, XIII, 6324 ; L. Wierschowski, Heer und Wirtschaft, op. cit., p. 43 ; S. Martin-Kilcher, Die römischen Amphoren aus Augst und Kaiseraugst, op. cit., p. 532-533.
56H. Pavis d’Escurac, La Préfecture de l’annone, service administratif impérial d’Auguste à Constantin, Paris, BEFAR, 1976, p. 130-131 et p. 160-161.
57Cf. C.R. Whittaker, Frontiers of the Roman Empire, Baltimore/Londres, Johns Hopkins University Press, 1994, p. 111-112 ; A. Tchernia, Les Romains et le commerce, op. cit., p. 141, n. 34 et p. 327-331.
58Cf. A. Desbat et M. Poux, « De la Lugudunum gauloise à la colonie de Plancus : l’apport des fouilles récentes », op. cit. : hormis l’exemple déjà mentionné de la villa de Saint-Laurent-d’Agny, nous pouvons citer les établissements de Messimy, de Saint-Romain-de-Jalionas/Le Vernai, d’Anse/La Grange du Bief ou, plus récemment, de Sérézin-du-Rhône.
59K. Polanyi, La Subsistance de l’homme, op. cit., p. 38.
Auteur
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Matthieu Poux
Professeur à l’université Lumière Lyon 2
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