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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral 1. Introduction : la tension 2. Raisons-d’abord 3. L’approche par le raisonnement 4. Une nouvelle théorie des raisons 5. Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    La notion de degré en épistémologie

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Qu’est-ce que le « poids » des raisons si la justification n’admet pas de degrés ?

    Artūrs Logins

    Texte intégral 1. Introduction : la tension 2. Raisons-d’abord 3. L’approche par le raisonnement 3.1. L’approche et ses avantages 3.2. Un problème : les raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner 4. Une nouvelle théorie des raisons 4.1. L’approche érotétique des raisons 4.2. Le poids de raisons dans la nouvelle approche 5. Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1. Introduction : la tension

    1À partir de quand une croyance est-elle justifiée ? Selon une idée répandue, la croyance d’une personne est justifiée lorsqu’elle possède des raisons suffisantes en faveur de la proposition crue et lorsqu’elle base sa croyance de manière appropriée sur celles-ci. Ainsi, ma croyance que Jacques est chez lui est justifiée lorsque j’ai de raisons suffisantes de le croire (et je le crois pour ces raisons). Par exemple : il m’a dit qu’il sera chez lui, je sais qu’il est d’habitude chez lui les mardis soir, je vois sa voiture devant sa maison, et je crois sur la base de ces considérations qu’il est à la maison.

    2Cependant, toutes les raisons n’ont pas la même valeur. Certaines sont plus importantes ou déterminantes que d’autres, en un sens qui reste à préciser. Le fait que Jacques m’a confirmé qu’il sera chez lui semble plus important que le fait que sa voiture est stationnée devant sa maison. La première considération semble avoir plus de « poids » que la seconde pour croire que Jacques est chez lui.

    3En revanche, la justification semble exclure les degrés. Il est commun de penser que la justification est une propriété normative. Certains associent la justification à la permission, et d’autres la comprennent en termes de conformité à des normes. Selon la première conception, dire que ma croyance que Jacques est chez lui est justifiée revient à dire que ma croyance que Jacques est chez lui est permise (dans un sens à spécifier). Selon la seconde idée, ma croyance est justifiée lorsqu’elle est conforme à une norme ou obligation (encore à spécifier). Indépendamment des différentes manières dont on peut détailler ces conceptions normatives très répandues, on peut observer que ni la permission, ni la conformité aux normes ou obligations n’admet de degrés. Soit je satisfais la norme ou le critère pour avoir une croyance justifiée soit je ne le satisfais pas. En outre, ce standard ne semble pas être intrinsèquement variable, ou dépendant du contexte. Autrement dit, je ne peux pas avoir plus ou moins une permission ou me conformer plus ou moins à une norme.

    4Mais alors, comment pouvons-nous combiner ces deux considérations, qui paraissent initialement plausibles ? A savoir, comment concilier l’idée qu’avoir une croyance justifiée se réduit à avoir des raisons d’un poids suffisant en faveur de la proposition crue et l’idée que la justification des croyances n’admet pas de degrés ? Si par définition la justification consiste tout simplement à avoir des raisons d’un poids suffisant, alors il semble qu’avoir une justification est quelque chose de graduable, puisqu’avoir des raisons d’un poids suffisant c’est avoir des raisons d’un certain poids et avoir un poids est une propriété qui peut être mesurée, comparée, et qui est donc graduable. Mais cela semble entrer en conflit avec l’idée que la justification n’admet pas de degrés.

    5Notre problème pourrait être illustré par une analogie qui a certes ses limites, mais qui semble capturer le cœur de notre problème. Imaginez que nous nous mettons d’accord sur le fait qu’avoir un portail ouvert se réduise à avoir une ouverture assez large pour qu’un véhicule puisse y passer (disons, entre 2,5 m et 4 m). Avoir une ouverture assez large pour qu’un véhicule puisse passer est une propriété mesurable et graduable. Être ouvert (pour un portail) est donc avoir une propriété mesurable et donc graduable. Mais d’un autre côté, être un portail ouvert ne semble pas admettre de degrés. Après tout, une voiture ne peut pas passer à moitié par un portail. Si nous revenons à notre discussion concernant les raisons, nous pouvons alors nous demander si parler de « poids » des raisons revient à nier le caractère non-graduel de la justification. Ou bien y a-t-il un autre moyen de théoriser le « poids » des raisons sans mettre en question la non-gradualité de la justification ? Autrement dit, comment comprendre le poids des raisons (de croire) si la justification n’admet pas de degrés ?

    6La solution que nous allons proposer à notre problème repose sur une nouvelle théorie des raisons normatives. Les raisons, selon notre théorie, sont liées aux bons schémas de raisonnements et aux explications de nos devoirs. En effet, une réponse à une question normative de type « Pourquoi faire ceci ou cela ? » présuppose deux types de réponses possibles. D’une part on peut répondre en donnant des prémisses dans un bon schéma de raisonnement en faveur de la conclusion que nous devons faire ou ne pas faire la chose en question ; d’autre part nous pouvons donner des éléments d’explication de pourquoi nous devons ou ne devons pas la faire. Les bons raisonnements peuvent être défaits, et les explications peuvent être plus ou moins bonnes. Cette approche est élaborée en détails dans (Logins, 2022).

    7Dans ce qui suit, je voudrais défendre la proposition selon laquelle les raisons n’ont pas de poids à strictement parler. La métaphore du poids n’est pas à prendre au sens strict. On peut expliquer l’aspect apparemment comparatif des raisons sans dire que les raisons ont un poids. La clé de notre solution sera de montrer que certains schémas de raisonnement peuvent être défaits plus facilement que d’autres et que certaines explications sont meilleures que d’autres. Si une raison (normative) est une réponse appropriée à une question (normative), comme l’admet la théorie des raisons que nous adoptons, et si être une réponse appropriée consiste soit à être une prémisse dans un schéma de raisonnement soit à être un élément d’explication, alors l’aspect comparatif des raisons peut être expliqué en faisant appel à des schémas défaisables de raisonnement ou à des schémas défaisables d’explication.

    8Dans ce qui suit, nous allons tout d’abord donner des explications supplémentaires concernant les raisons, l’idée apparente qu’elles ont un poids et l’approche qui considère la notion de raison comme une notion première et non définissable. Nous allons ensuite considérer les approches qui proposent de réduire les raisons seulement aux raisonnements. Dans la dernière partie, nous allons nous attarder sur la nouvelle théorie des raisons et nous allons montrer comment cette théorie permet de résoudre notre tension initiale concernant le poids des raisons et l’idée que la justification n’admet pas de degrés.

    2. Raisons-d’abord

    9Selon l’approche dite des « raisons-d’abord » (reasons-first), les raisons normatives sont des éléments indéfinissables et fondamentaux. Les raisons sont les premiers éléments dans l’ordre de l’explication/réduction (dans le domaine normatif) (cf. Scanlon, 1998 ; Schroeder, 2007 ; Parfit, 2011 ; Skorupski, 2010). Selon cette approche, les raisons normatives (les raisons de F-er) sont des briques, les atomes du domaine normatif (valeurs, devoirs, vertus). Ces sont des considérations qui comptent/parlent en faveur d’une réponse. Les raisons normatives sont distinctes des raisons motivantes (ou opérantes), c’est-à-dire des bases effectives de nos actions ou attitudes. Dans l’approche raisons-d’abord, le poids des raisons reste inexpliqué et intuitif.

    10On peut trouver dans la littérature deux types d’arguments en faveur de l’approche raisons-d’abord. Selon le premier, on ne peut tout simplement rien dire de plus substantiel à propos des raisons de F-er (où « F-er » est une action ou attitude quelconque) que le fait que ces sont les considérations qui comptent en faveur de F-er et que c’est cela que d’être une raison de F-er (cf. Scanlon, 1998).

    11Selon le deuxième argument, on peut expliquer toutes les autres propriétés et notions normatives en termes de raisons. La prémisse cruciale ici postule que l’approche raisons-d’abord a une certaine fécondité théorique et que toutes choses étant égales par ailleurs, nous devrions favoriser les approches les plus fécondes. Les théoriciens de l’approche raisons-d’abord suggèrent que nous pouvons expliquer les devoirs, les valeurs, et même la rationalité, en termes de raisons. Selon une proposition très populaire (cf. buck passsing account) S est admirable s’il y a des raisons suffisantes pour admirer S ; d’autres valeurs sont également réduites, de manière similaire, à des raisons suffisantes d’avoir l’attitude pertinente. Un agent a un devoir d’agir d’une certaine manière, selon cette approche, si cette action est celle qui est soutenue par la plupart des raisons pour l’agent en question. Et une attitude est rationnelle si les raisons que l’agent possède parlent globalement en faveur de celle-ci.

    12L’approche raisons-d’abord a été très répandue en philosophie normative et bénéficie encore aujourd’hui d’une grande popularité. Toutefois, un certain nombre d’objections et de problèmes pour cette approche commencent à émerger de plus en plus clairement.

    13Nous allons mentionner brièvement trois problèmes pour l’approche des raisons-d’abord. Tout d’abord nous pouvons observer que postuler une nouvelle entité indéfinissable doit toujours se faire en dernier recours dans la théorisation philosophique. Cette contrainte se base sur des considérations de parcimonie, selon lesquelles nous ne devons pas postuler de nouvelles entités outre ce qui est strictement nécessaire. Or, si nous arrivons à expliquer les propriétés et notions normatives sans postuler la nouvelle entité de raison normative, nous ne devrions pas postuler qu’il s’agit d’une entité non réductible aux autres propriétés et notions. De plus en plus de philosophes aujourd’hui suggèrent des explications de tout ce que nous avons besoin d’expliquer sans postuler la notion irréductible de raison. En effet, de plus en plus de suggestions émergeantes proposent de réduire les raisons à de propriétés et notions plus fondamentales. Dans ce qui suit, nous allons voir trois approches réductives spécifiques proposant une telle explication.

    14Le deuxième problème fondamental pour l’approche raisons-d’abord est connu dans la littérature comme « le problème des raisons de la mauvaise sorte » (Crisp, 2000 ; Rabinowicz & Rønnow-Rasmussen, 2004 ; Hieronymi, 2005 ; Engel, 2015a ; 2020). Ce problème est illustré par l’exemple exotique d’un démon imaginaire qui nous obligerait à l’admirer. Il est naturel de supposer dans ce cas que nous avons bel et bien une considération suffisante qui parle en faveur de l’admiration du démon. Après tout, il nous menace de nous torturer et de nous tuer à moins que nous ne l’admirions (pour la raison qu’il est admirable). Mais si c’est une considération qui parle en faveur d’admirer le démon, on devrait dire, selon l’approche raisons-d’abord, que c’est une raison d’admirer le démon. Or l’approche raisons-d’abord nous dit aussi que toutes les autres notions normatives, déontologique ou axiologiques, normes et valeurs, se réduisent aux raisons (le devoir étant ce que nous avons le plus de raison de faire, le bien étant ce que nous avons raison d’apprécier, l’admirable étant ce que nous avons des raisons suffisantes d’admirer, et ainsi de suite). Donc, selon cette approche, les individus admirables sont ceux qui sont tels que nous avons des raisons suffisantes de les admirer. Par conséquent, si nous avons des raisons suffisantes d’admirer le démon, nous pouvons arriver à l’idée que le démon est bel et bien admirable. Or, c’est l’opposé qui est clairement le cas – le démon est détestable et pas admirable. Dès lors, l’approche des raisons-d'abord semble mener à un dilemme. Soit on doit nier le fait que le caractère admirable de quelque chose se réduise au fait d’avoir des raisons suffisantes de l’admirer, ce qui mène à rejeter l’idée que les raisons sont l’élément premier et fondamental permettant d’expliquer les normes et les valeurs. Soit nous devons conclure que toutes les considérations qui semblent parler en faveur d’une action ou d’une attitude ne sont pas des raisons. C’est cette deuxième option qui semble être la plus populaire chez les défenseurs des raisons d’abord qui, pour faire face à ce problème, font parfois appel à des distinctions supplémentaires entre différentes sortes de considérations. Ainsi une distinction populaire sépare les bonnes et les mauvaises sortes de raisons. Plus précisément, certains distinguent entre les raisons données par le contenu et les raisons données par l’attitude en question (voir Piller, 2001 ; Parfit, 2011 ; Engel, 2020 ; cette distinction est parfois aussi introduite comme une distinction entre les raisons données par l’objet et les raisons données par l’état, object vs state given reasons). Ainsi, une raison d’admirer peut être donnée par le contenu (la personne est bonne et inspirante), ou bien par l’attitude (il est avantageux d’admirer la personne). Seules les raisons de contenu sont, selon cette approche, de véritables raisons (voir Parfit, 2011 ; Engel, 2020). Cette distinction semble permettre d’éviter de conclure soit que l’admirable ne se réduit pas aux raisons soit qu’aucune considération ne parle en faveur d’admirer le démon. Toutefois, cette distinction semble amener d’autres problèmes plus importants encore pour le théoricien raisons-d’abord. À savoir, cette distinction semble trahir l’essence même de cette approche, selon laquelle les raisons ne sont pas définissables. En effet, si nous appliquons de nouvelles distinctions pour expliquer quelles considérations sont des raisons et lesquelles ne le sont pas vraiment, nous supposons que d’autres propriétés sous-jacentes, plus fondamentales que les raisons, peuvent déterminer si une considération est une raison véritable. Mais cela nous mène à la négation de l’idée que les raisons ne peuvent pas être définies ou expliqués en d’autres termes plus fondamentaux. Ainsi, le problème des mauvaises sortes de raisons a mené beaucoup de théoriciens à explorer des alternatives à l’approche raisons-d’abord et à essayer de proposer de nouvelles théories des raisons.

    15Avant de procéder à l’exploration de quelques-unes de ces approches réductionnistes (qui réduisent les raisons à des notions plus fondamentales), mentionnons un dernier problème pour l’approche raisons-d’abord. De fait, certains philosophes trouvent que la notion ordinaire de raisons est mystérieuse, obscure ou contradictoire (voir par exemple Wedgwood (2015) qui s’oppose à l’idée même qu’il y aurait une seule notion commune de raisons normatives). Ces doutes persistants chez des théoriciens de la normativité devrait rendre ne serait-ce qu’un peu suspecte la possibilité que la notion de raison soit une véritable candidate pour le statut de notion primitive (comparez les raisons, par exemple, aux notions d’atomes ou d’ensemble qui sont faciles à saisir et qui jouent un rôle théorique clair). Ainsi, ces trois problèmes pour l’approche raisons-d’abord que nous venons de voir semblent être suffisants pour nous inciter à explorer d’autres pistes concernant les raisons. En particulier, ces objections nous mènent naturellement vers les approches réductionnistes, qui définissent les raisons en d’autres termes.

    3. L’approche par le raisonnement

    3.1. L’approche et ses avantages

    16Selon l’approche par le raisonnement, une raison de F-er est une considération qui peut jouer le rôle d’une prémisse dans un bon schéma de raisonnement qui se conclue par (l’intention de) F-er (ou par la conclusion que S doit F-er). Ainsi, selon cette approche, une raison de F-er est une considération qui peut jouer le rôle d’une prémisse dans un bon schéma de raisonnement qui se conclue par (l’intention de) F-er. Les raisons sont ce de quoi le raisonnement est fait, comme le suggère Paul Grice : « Reasons (justificatory) are the stuff of which reasoning is made » (Grice, 2001, p. 67).

    17Les variantes plus ou moins développées de cette idée sont défendues dans (Williams, 1979 ; Hieronymi, 2005 ; Setiya, 2007 ; 2014 ; Way, 2017 ; McHugh & Way, 2018 ; Asarnow, 2017 ; Silverstein, 2016) et aussi dans une certaine mesure dans (Raz, 1999 ; Harman, 1986 ; Grice, 2001). Dans ce qui suit nous allons nous focaliser sur une version récente de l’approche par le raisonnement proposée par Conor McHugh et Jonathan Way. Voici une interprétation de leur définition :

    (R) r est une raison normative pour une réponse F ssi définition r est une prémisse dans un bon schéma de raisonnement à partir de réponses (initiales) appropriées vers la réponse F. (Voir la version originale : « For that p to be a reason for a response is for that p to be a premise of a good pattern of reasoning from fitting responses to that response ») (McHugh & Way, 2016, p. 586).

    18Sans entrer dans tous les détails de la position, notons quelques points de cette définition qui nécessitent une élaboration. Selon McHugh et Way, les schémas de raisonnement sont des entités abstraites. Et (R) ne requiert pas que l’on croie toutes les prémisses. Je peux avoir une raison de sauver une personne accidentée pas loin de chez moi, même si je ne la vois pas encore et donc n’ai aucune croyance à son propos.

    19Les bons schémas de raisonnement correspondent aux arguments valides (ou à de bons (sound) arguments, pour les arguments non-déductifs). Mais que sont les bons schémas de raisonnement ? Selon l’approche de McHugh et Way les bons schémas peuvent être caractérisés ainsi : quand on suit un bon schéma de raisonnement on arrive, ceteris paribus, à des réponses-conclusions appropriées (fitting) à partir de réponses-prémisses appropriées. Nous présupposons ici une conception généreuse du raisonnement. Le raisonnement est tout simplement une transition d’un état (mental) à l’autre sur la base de l’état initial. Par ailleurs, il est présupposé ici qu’une croyance est appropriée (fitting) ou correcte lorsqu’elle est vrai. De manière générale on peut caractériser une attitude appropriée (fitting) comme une attitude qui satisfait ces conditions de correction (ou satisfait son objet formel ou sa norme constitutive). Par exemple un épisode de peur est approprié lorsqu’un danger est véritablement présent. Pour McHugh et Way, une croyance est appropriée lorsqu’elle est vraie.

    20Ainsi, selon cette théorie, le fait que la lumière est allumée chez Jacques est une raison pour moi de croire que quelqu’un a allumé la lumière chez Jacques. Le schéma argumentatif correspondant ici est le suivant : A ; A–>B. B. B suit étant donné que les prémisses A et si A alors B sont établies. Le schéma correspond dans ce cas au schéma d’un argument déductif valide, le Modus Ponens. Mais nous pouvons aussi observer que le fait que la lumière est allumée chez Jacques est une raison pour moi de croire qu’il est chez lui. Dans ce cas, le schéma correspondant est : A. H est la meilleure explication de A. Ceteris paribus, H. H. Il s’agit ici d’un argument de l’inférence à la meilleure explication. Les raisonnements qui se conforment à ces structures argumentatives (et préservent l’aspect approprié des états mentaux correspondants) sont de bons schémas de raisonnement. La considération « la lumière est allumée chez Jacques » est le contenu de l’état prémisse de ces raisonnements. C’est pour cela que cette considération est une raison.

    21Plusieurs considérations parlent en faveur de la définition (R). Notons en brièvement quelques-unes (pour plus de détails et discussions des avantages et problèmes de l’approche par le raisonnement voir Logins, 2022, p. 38-82 ; voir aussi Logins, 2020). L’approche par le raisonnement présente un bon niveau de généralité et de parcimonie. (R) s’applique bien au domaine pratique ainsi qu’au domaine théorique. On arrive à capturer ce que sont les raisons pour des actions et les raisons pour des attitudes. Et nous n’avons pas besoin d’introduire de nouvelles notions primitives1. Nous arrivons à expliquer le lien intuitif entre les raisons et le raisonnement. Et nous expliquons le lien entre les raisons normatives et les raisons motivantes (opérantes), qui peuvent être caractérisées comme des bases effectives de nos raisonnements (entendu en un sens large). Par ailleurs, nous pouvons expliquer comment les raisons peuvent (parfois) nous guider dans nos actions et attitudes. Et, last but not least, l’approche par le raisonnement nous donne une solution indépendamment motivée au problème de la mauvaise sorte de raison : nous n’avons pas de raison d’admirer le démon qui nous menace, car il n’y a pas de bon schéma de raisonnement correspondant qui nous mènerait à l’admiration à partir de l’observation de menaces. Il est important de noter que comme beaucoup d’autres théoriciens McHugh et Way nient donc l’idée même qu’on peut avoir des bonnes raisons (normatives) d’admirer le démon, car après tout, l’admiration dans ce cas ne peut pas être appropriée (voir McHugh & Way, 2016, p. 583), mais l’approche par le raisonnement a l’avantage sur les autres approches de fournir une explication indépendamment motivée et donc une explication non-ad hoc de pourquoi on ne peut pas avoir des raisons normatives d’admirer le démon – il n’y a tout simplement pas d’un bon schéma de raisonnement à partir des réponses initiales pertinentes (e.g., la menace du démon) vers l’attitude de l’admiration du démon (voir McHugh & Way, 2016, p. 594).

    22Mais alors, si l’approche par le raisonnement est une candidate sérieuse pour expliquer ce que sont les raisons, comment cette approche peut-elle capter le poids apparent des raisons ? Le « poids » des raisons, selon (R), correspond au niveau de résilience des bons schémas de raisonnement face à des « défaiteurs ». Un bon schéma de raisonnement peut être défait, tout comme une bonne inférence peut être bonne ceteris paribus ou par défaut. Un schéma reste bon, même si dans certains cas, le raisonnement concret peut être défait. C’est en tout cas ce que les logiques défaisables de Pollock (1986) et Horty (2012), par exemple, nous enseignent.

    23Un exemple classique dans ce contexte est celui de l’inférence où l’on arrive de la prémisse « Tweety est un oiseau » vers la conclusion « Tweety vole ». Il s’agit d’un bon schéma d’inférence, même si cette inférence est en fait une bonne inférence ceteris paribus. C’est-à-dire, l’inférence générale « Tweety est un oiseau alors Tweety vole » est une bonne inférence ceteris paribus même si l’inférence « Tweety est un oiseau alors Tweety vole » n’est pas une bonne inférence tout court, car le fait que Tweety est un pingouin défait cette inférence. Autrement dit, le fait que Tweety est un pingouin et que les pingouins ne volent pas déclenche la clause ceteris paribus et fait que toutes choses ne sont pas égales par ailleurs. Mais ce caractère défait de l’inférence ne change pas le fait qu’elle soit une bonne inférence ceteris paribus.

    24Ainsi, si nous appliquons l’idée de la possibilité de bons schémas de raisonnements défaisables (qui correspondrait aux bonnes inférences ceteris paribus), nous avons une explication du poids apparent des raisons qui commence à émerger. Les inférences et les raisonnements correspondants n’ont pas tous le même niveau de résilience vis-à-vis des défaiteurs potentiels. Ces différences de résilience correspondraient à ce que nous percevons comme des poids variables des raisons. Prenons l’exemple des raisons pour l’action afin d’illustrer ce point. Supposons que (le contenu de) ma promesse de voir un ami est la prémisse une (P1), (le contenu de) mon désir/intention de le voir constitue la prémisse deux (P2), et (le contenu de la) croyance que le seul moyen de respecter ma promesse est d’aller au café est la prémisse trois (P3). La conclusion de mon raisonnement pratique dans ce cas est l’action/intention d’y aller (C1) (si nous ne voulons pas accepter l’idée qu’un raisonnement puisse se conclure par une action, nous pouvons modifier la position en remplaçant l’action par l’intention ou la croyance de type « Je dois faire ceci »). Le raisonnement de (P1) à (C1) correspond à un bon schéma de raisonnement ceteris paribus. Mais comparons-le au raisonnement suivant : (le contenu de ma croyance que) il y a un accident de la route devant moi (P1’). (Le contenu de mon) intention d’aider les blessés (P2’). (Le contenu de ma croyance que) le seul moyen d’aider les blessés est de rester (P’3). L’action/intention de rester (C2). Le point crucial dans la comparaison de P1-C1 et P1’-C2 est que le raisonnement (P’1)-(C2) défait le raisonnement (P1)-(C1). Ajouter (P1)-(P3) à (P1’)-(P3’) ne change pas le fait qu’arriver à (C2) consiste toujours à faire un bon raisonnement. Mais l’inverse n’est pas vrai (cf. Way, 2017, p. 264). Nous ne pouvons pas arriver à C1 (par un bon raisonnement) si nous ajoutons P1’-P3’ à P1-P3. L’intuition que, comme raison, l’accident a plus de poids que la promesse s’explique par le fait qu’un des raisonnements correspondants est défait par l’autre, comme expliqué plus haut. En effet, la théorie par le raisonnement nous dit que les raisons sont ce qui joue le rôle de contenu des états prémisses dans un bon schéma de raisonnement. Si nous assumons l’idée qu’un bon raisonnement peut être bon ceteris paribus et peut donc être défait, nous pouvons dire que ma promesse de voir mon ami (P1) et aussi le fait qu’il y a un accident devant moi (P1’) sont bel et bien des raisons normatives. L’intuition que P1’ est une raison avec un poids plus important que P1 est expliquée par le fait que les schémas de raisonnement correspondant à ces raisons ont un niveau de résilience différent vis-à-vis des défaiteurs. En effet, le raisonnement correspondant à P1’ défait celui correspondant à P1.

    25Cette approche nous permet aussi d’expliquer comment il peut y avoir des raisons de « poids » différents pour le même F. Considérons les raisons de croire et revenons à notre exemple initial. Le fait que la lumière soit allumée chez Jacques (P1) semble être le contenu d’un état-prémisse d’un bon schéma de raisonnement vers l’état-conclusion (la croyance, en l’occurrence) que Jacques est chez lui (C1). Et c’est aussi le cas pour le raisonnement à partir de « Jacques me dit qu’il est chez lui » (P1’), vers la croyance que Jacques est chez lui (C1).

    26Dans ce cas, il semblerait que le raisonnement (P1’)-(C1) aurait besoin de plus de prémisses ajoutées pour être défait que le raisonnement (P1)-(C). Il semble plausible de supposer que (P2) – le fait qu’il n’y aucune voiture devant la maison de Jacques – défasse (P1)-(C) mais pas (P1’)-(C). L’impression que (P1’) pèse plus « lourd » que (P1) s’expliquerait par la différence de niveau de résilience face aux défaiteurs possibles. Le même mécanisme explique l’impression que les raisons ont un poids dans les deux cas : quand les raisons parlent en faveur d’actions ou attitudes différentes et quand les raisons parlent en faveur des mêmes actions ou attitudes.

    27Dans cette sous-section nous avons vu que l’approche par le raisonnement, et en particulier les versions de cette approche qui s’appuient sur l’idée qu’un bon raisonnement peut être défait (cf. Way & McHugh, 2016 ; Way, 2017 ; Asarnow, 2017), peuvent expliquer l’impression que les raisons ont un poids tout en évitant la conclusion que les raisons ont un poids en un sens strict. Ainsi, l’approche peut maintenir notre desideratum initial selon lequel la justification n’admet pas de degrés. La non-gradualité de la justification peut aussi être réconciliée avec l’idée que la justification est entièrement déterminée par les raisons qu’un agent possède. La clé de la solution est, selon cette approche, de maintenir que les raisons correspondent aux schémas de bons raisonnements qui peuvent avoir une plus au moins grande résilience face à des défaiteurs (des raisonnements) possibles.

    3.2. Un problème : les raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner

    28L’approche par le raisonnement semble être bien placée pour nous permettre de résoudre la tension initiale et respecter les critères théoriques que nous avons imposés dans ce qui précède sur les théories de la justification et des raisons. Toutefois, cette position rencontre aussi un problème substantiel. En définissant les raisons comme ce qui joue le rôle de prémisses dans un schéma de bon raisonnement, cette approche écarte la possibilité même de raisons qui ne peuvent pas jouer le rôle de prémisses dans de tels raisonnements. Pourtant, il semblerait qu’il puisse y avoir de telles raisons. Certaines considérations semblent parler en faveur de F sans qu’on puisse avoir un bon raisonnement qui se conclue par F. (R) semble prédire un résultat contre-intuitif.

    29Des exemples récemment discutés de raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner proviennent de considérations mooréennes (cf. Logins, 2020 ; 2022, pp. 70-72). Ces exemples sont inspirés des affirmations paradoxales de Moore de type « p, mais je ne crois pas que p ». La suggestion est que certaines affirmations de type mooréen sont des raisons normatives. Prenons l’exemple suivant : (r) la maison est en feu mais S ne croit pas que la maison est en feu. Le fait (r) parle, pour S, en faveur de vérifier, de contrôler la maison, mais il est impossible de satisfaire la définition des raisons (R). En effet, S ne peut pas avoir une réponse-prémisse appropriée avec (r) comme contenu, puisque croire ce contenu serait la rendre fausse pour S (cf. Logins, 2020). Il s’agit d’une considération, un fait, qui s’il est cru et donc utilisé comme une prémisse dans un raisonnement de la personne concernée, S, devient faux. Il est important de se rappeler que selon la théorie par le raisonnement de McHugh et Way, les réponses-prémisses ne peuvent pas être des attitudes qui ne sont pas appropriées, et puisqu’une croyance n’est appropriée que lorsqu’elle est vraie, une croyance fausse ne peut pas être une réponse-prémisse appropriée.

    30Un autre exemple de raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner est celui des considérations qui sont sapées par elles-mêmes. Par exemple : (p) je viens de prendre un médicament qui a effacé ma mémoire des 5 dernières minutes. Admettons que (p) est le cas. Alors effectivement (p) parle en faveur de suspendre mon jugement concernant tout ce que j’ai fait ces 5 dernières minutes. Mais je ne peux pas suspendre mon jugement sur la base de (p) comme le demande (R) (cf. Logins, 2020). Le faire impliquerait que je crois quelque chose, en fait, sur ce que j’ai fait ces 5 dernières minutes, notamment, que je crois que j’ai pris un médicament.

    31On trouve dans la littérature d’autres cas similaires, amplement discutés, impliquant des raisons insaisissables. Nous pouvons mentionner l’exemple fête surprise (cf. Schroeder, 2007). Croire que mes amis me préparent une fête surprise chez moi ruinerait le caractère de surprise de la fête. Mais étant donné que c’est vraiment le caractère de surprise que j’apprécie dans les fêtes, le fait que c’est une fête surprise qui est préparée chez moi est une raison qui parle en faveur de rentrer chez moi. Si j’utilisais cette considération dans un raisonnement se concluant par la décision de rentrer chez moi, cette considération ne serait plus une raison de rentrer (il peut bien sûr y avoir d’autres raisons de rentrer, mais le caractère de surprise n’en est plus un dès lors que j’apprends l’existence de la fête). D’autres cas similaires impliquant des raisons élusives sont présentés dans (Markovits, 2011), voir aussi (Rossi, 2021).

    32Finalement, des cas moins exotiques peut-être mais tout aussi problématiques pour l’approche par le raisonnement sont caractérisés par le fait que p parle en faveur de croire que p. Par exemple, le fait que le ciel est bleu est une raison de croire que le ciel est bleu. Pourtant la réponse-conclusion (la croyance que le ciel est bleu) ne peut pas être basée proprement sur la réponse-prémisse (la croyance que le ciel est bleu), car, dans ce cas, il n’y a pas de transition d’un état à un autre. Par ailleurs on peut même suspecter que le schéma de raisonnement « p alors p », n’est pas un bon schéma de raisonnement, car il s’agit d’un raisonnement circulaire. Il est communément admis que les raisonnements circulaires sont (typiquement) problématiques2.

    33Nous avons vu dans cette sous-section que malgré qu’elle soit une approche apparemment très plausible et qu’elle propose une explication qui satisfait nos desiderata théoriques concernant le poids apparent des raisons, l’approche par le raisonnement rencontre un problème fondamental. Au fond, cette approche ne permet pas la possibilité qu’il y ait des raisons avec lesquelles il nous est impossible de raisonner. Pourtant il semblerait que certaines considérations peuvent être des raisons pour une personne de Fer, même s’il est impossible pour cette personne d’arriver à la conclusion de Fer via un bon raisonnement, sur la base de ces considérations en question. Une pléiade de cas différents semble illustrer des telles considérations. Nous en avons mentionné quelques-unes plus haut, parmi celles-ci, les considérations Mooréennes, les considérations qui s’auto-sapent, les raisons insaisissables, et tout simplement les raisons qui semblent impliquer un raisonnement circulaire. Étant donné le problème envahissant des raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner, nous devons explorer d’autres options pour définir les raisons et pour expliquer le fait que les raisons semblent avoir un poids variable.

    4. Une nouvelle théorie des raisons

    4.1. L’approche érotétique des raisons

    34Nous avons vu que l’approche par le raisonnement rencontre un problème fondamental concernant les raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner. Toutefois, il ne faut pas jeter le bébé avec de l’eau du bain. Le fait que l’approche par le raisonnement semble si plausible doit être dû au fait que cette approche arrive en effet à capter quelque chose de juste à propos des raisons et de leur poids apparent. Dans le reste de cette section, nous allons présenter une nouvelle approche des raisons qui explore ce qu’il y a de juste dans l’approche par le raisonnement, mais qui semble éviter ses problèmes fondamentaux. La clé de notre solution est qu’être une prémisse dans un bon schéma de raisonnement est une des fonctions fondamentales des raisons. Plus fondamentalement, selon l’approche que nous adoptons, les raisons sont des réponses appropriées à des questions normatives (voir Logins, 2022 pour plus de détails). Et être une prémisse dans un bon schéma de raisonnement n’est qu’une façon possible pour une considération d’être une réponse appropriée à une question. C’est dans les contextes d’argumentation ou de raisonnement que les raisons sont des prémisses dans des bons schémas de raisonnement. Mais il y a d’autres contextes. Ce qui est crucial, c’est que selon notre approche érotétique des raisons (centrée sur les questions), les raisons sont fondamentalement des réponses à des questions. Dans ce qui suit, nous allons présenter l’approche érotétique plus en détail et montrer comment cette approche permet d’expliquer le poids apparent des raisons.

    35Comme nous l’avons observé plus haut, l’idée principale de notre nouvelle approche est qu’il semble exister un lien entre les raisons et certaines questions. Fondamentalement, nous avons besoin de raisons pour répondre à des questions. Les raisons sont des réponses à des questions. Les raisons normatives sont des réponses à des questions normatives. Par des questions normatives, nous entendons des questions de type « Pourquoi dois-je faire ceci ? » ou « Pourquoi devrais-je croire cela ? » ou encore « Pourquoi est-il bon qu’il fasse ceci ? » De manière plus générique, nous pouvons dire que ces sont des questions de type « Pourquoi-Fer ? »

    36Un point crucial pour l’approche érotétique repose sur l’observation, indépendante de la discussion sur les raisons, selon laquelle les questions « Pourquoi ? » sont, en général, ambiguës. Lorsque nous demandons « Pourquoi P ? » nous demandons parfois un argument ou une prémisse qu’on pourrait intégrer dans un raisonnement. Ce sont typiquement des contextes où nous voulons connaître la réponse à la question sous-jacente « Est-ce que P ? ». Par exemple, supposons que j’ai vécu des années sans soupçonner que ma voisine, Melita Norwood, est une espionne. Un jour un ami me dit que Melita est une espionne. Dans ce contexte, extrêmement surpris d’entendre cela, je peux demander à mon ami « Pourquoi Melita est-elle une espionne ? Qu’est-ce que tu racontes, je la connais depuis des années ! ». Dans ce contexte où je suis extrêmement surpris d’entendre cela, je demande, incrédule, à mon ami ses sources d’information, ou d’où il tient cette information. Autrement dit, ma question « Pourquoi Melita est-elle espionne ? » peut être comprise comme la question « Pourquoi dis-tu que Melita est une espionne ? Est-ce vraiment le cas ? ». Je demande des preuves ou des arguments pour cette accusation grave que mon ami vient de faire. Dans ce contexte, une réponse appropriée sera, pour mon ami, de m’indiquer tout simplement que des documents authentiques l’inculpant ont été trouvés, et que c’est ce qui est affirmé par tous les journaux du jour et par les responsables gouvernementaux, ou encore que Melita elle-même vient de le reconnaitre publiquement. Dès lors que je reçois l’assurance de la fiabilité des sources, je crois effectivement (contre mes préférences) que ma voisine Melita est une espionne et j’acquiers même la connaissance de ce fait.

    37Dans d’autres contextes (peut-être quelques instants après avoir accepté l’argument qui prouve son implication dans les services secrets soviétiques), où je sais que Melita est une espionne, je ne demande plus un argument ou une prémisse dans un raisonnement lorsque je demande à mon ami « Mais pourquoi Melita est espionne ? ». Je lui demande peut-être une explication afin de mieux comprendre comment il se fait que ma voisine se soit engagée dans cette activité. Je veux comprendre et je veux qu’on m’offre une explication plus substantielle. Dans ce cas, la réponse que j’attends de mon ami est de me fournir une explication de la situation ou de la motivation de Melita. Peut-être mon ami pourrait-il me dire qu’en effet Melita était une communiste convaincue et croyait que le fait de devenir une espionne était pour elle le moyen parfait pour œuvrer à l’avènement d’un système communiste global ou qu’elle était déçue de la société Britannique, ou qu’elle était en manque d’aventures. Ces considérations me permettent alors d’arriver à une meilleure compréhension du fait que ma voisine se soit engagée dans les services secrets soviétiques. Nous voyons donc que les questions « Pourquoi ? » peuvent avoir différentes interprétations dans différents contextes. Parfois nous demandons des arguments ou des prémisses pour acquérir des connaissances, et parfois nous demandons des explications pour mieux comprendre.

    38Un autre exemple qu’on peut donner pour illustrer l’ambiguïté est celui où la question théorique « Pourquoi la connaissance n’est-elle pas une croyance vraie justifiée ? » peut avoir deux lectures. La première est celle où cette question est posée lors d’un colloque de spécialistes et a pour but de remettre en question le consensus en épistémologie contemporaine. Peut-être que la personne pose cette question en demandant des arguments supplémentaires théoriques et non simplement une référence simple à nos intuitions dans le cas Gettier. Peut-être la personne a-t-elle une interprétation alternative des cas Gettier ou est-elle en train de remettre en question l’utilité même des expériences de pensée dans la théorisation en épistémologie. Mais cette même question peut être posée dans une classe d’introduction à l’épistémologie par un étudiant qui n’est pas du tout en train de remettre en question l’affirmation du professeur que la connaissance n’est pas une croyance vraie justifiée mais est en train de demander de lui expliquer davantage pourquoi exactement la connaissance n’est pas juste une croyance vraie justifiée. Peut-être que l’étudiant n’a pas saisi tous les détails des contre-exemples que le professeur vient de proposer à la classe3. Je me permets aussi de noter ici que nous n’inventons pas l’idée d’une ambiguïté de la question « pourquoi ? ». Une ambiguïté quant à ces questions semble être déjà observée dans la discussion de la logique érotétique de Richard Whateley (1827 ; 1828). Le besoin de distinguer clairement et nettement l’argument de l’explication est une thématique qu’on retrouve dans de nombreuses discussions contemporaines. Par exemple, on la retrouve dans la discussion de, et une objection classique à, la théorie déductive-nomologique de l’explication scientifique de Hempel par Wesley Salmon (1971) ou encore dans les discussions de la logique informelle et de la théorie de l’argumentation (voir McKeon, 2013).

    39L’approche érotétique des raisons explore l’ambiguïté des questions « Pourquoi ? » et elle l’applique à des questions normatives. En effet, dans certains contextes, ce qui est recherché est un argument pour nous convaincre de croire ou agir d’une certaine façon (ou d’avoir une autre attitude). Dans d’autres contextes, nous cherchons à mieux comprendre pourquoi nous devons précisément agir ou croire (ou avoir une autre attitude) de telle ou telle manière. Ainsi les raisons normatives sont de deux sortes. D’une part nous pouvons avoir des raisons comprises comme des prémisses (ou arguments) dans des schémas de bons raisonnements, qui sont donc des réponses à des questions normatives « Pourquoi ? », interprétées comme demandant des arguments. D’autre part, nous pouvons avoir des raisons conçues comme des éléments d’explication qui sont donc des réponses à des questions « Pourquoi ? » interprétées comme demandant des explications.

    40L’approche érotétique hérite de l’approche par le raisonnement le fait que, dans un sens, les raisons sont des prémisses dans un bon schéma de raisonnement (argument) à partir de réponses-prémisses appropriées. Mais cette nouvelle approche diverge de l’approche par le raisonnement en ce qu’elle postule que, dans un autre sens, les raisons sont aussi des éléments d’explications de nos devoirs ou permissions, ou valeurs de F (pour l’approche par l’explication, cf. Broome, 2013). Ainsi cette approche peut éviter les problèmes de l’approche par le raisonnement tout en gardant ses avantages. Les cas des raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner sont expliqués en insistant sur le fait que les raisons sont des réponses appropriées à des questions. Et certains des cas problématiques sont en fait expliqués comme des cas impliquant seulement de raisons-d’explication et non des raisons normatives comme prémisses dans un raisonnement. Il semblerait que ce soit le cas des exemples basés sur ces considérations mooréennes. Nous ne pouvons pas ici développer les détails de cette solution (voir Logins, 2022, p. 160-191 pour de plus amples détails concernant cette solution), mais notons en passant que rien n’oblige en principe l’approche érotétique à postuler seulement deux sortes de raisons normatives. Peut-être existe-t-il d’autres sortes de raisons normatives au-delà des raisons normatives de raisonnement et des raisons normatives d’explication, si les questions normatives « Pourquoi F-er ? » permettent d’autres interprétations. Nous mentionnons cette possibilité au cas où certaines raisons avec lesquelles il est impossible de raisonner sembleraient aussi être des raisons qu’il ne serait pas possible d’utiliser dans une explication. Nous devons malheureusement laisser l’exploration de ces autres options pour une autre fois.

    4.2. Le poids de raisons dans la nouvelle approche

    41Ainsi, nous arrivons à notre solution de la tension théorique qui émerge de l’intuition que la justification n’admet pas de degrés, que la justification épistémique se réduit complètement au fait d’avoir des raisons normatives suffisantes de croire, et que les raisons normatives semblent avoir un poids, et donc semblent impliquer le fait d’admettre des degrés. Notre solution repose sur la théorie érotétique des raisons et explore les avantages qu’il y a à traiter les raisons comme des prémisses dans des schémas de bons raisonnements (potentiellement défaisables) et à traiter les raisons comme des éléments d’explication. Considérons cette proposition plus en détails.

    42La clé de notre approche à la question du poids apparent des raisons consiste à maintenir que, à strictement parler, les raisons n’ont pas de poids. L’apparence de poids peut être expliquée en faisant appel à deux notions supplémentaires : la résilience des arguments face au défaiteurs potentiels et la résilience des explications. Nous avons vu plus haut lors de notre discussion de l’approche par le raisonnement comment celle-ci pouvait rendre compte du poids des raisons en termes de comparaison des raisons. Comparer des raisons revient à comparer des schémas sous-jacents de bons raisonnements. Certains raisonnements peuvent être défaits plus facilement (par exemple, avec moins d’éléments) que d’autres. C’est ce niveau de résilience des raisonnements correspondants qui explique pourquoi certaines raisons de raisonnement (à savoir, les raisons qui sont des réponses à des questions normatives qui demandent un argument ou une prémisse dans un raisonnement) semblent avoir plus de poids que d’autres.

    43On pourrait se demander si cette approche ne prédit pas des conséquences contre-intuitives dans les cas où nos raisons de raisonnement en faveur d’une croyance sont faibles. Considérez l’exemple où je semble percevoir mon collègue dans le bureau au loin. Je n’ai pas bien vu, car je me dépêche pour aller à la réunion, mais par une inférence à la meilleure explication je conclue que mon collègue est au bureau. De deux choses l’une : soit ma croyance que mon collègue est au bureau est justifiée soit elle ne l’est pas. Si nous disons que la croyance est justifiée, comment alors concilier cela avec le fait que le raisonnement (l’inférence très rapide à partir du peu de données que j’avais) présente un risque plutôt élevé d’être défaite ? Comment un tel risque peut-il être compatible avec la justification ? Mais, si nous disons que la croyance n’est pas justifiée alors qu’est-ce que produit cet effet ? Cela ne peut pas être le schéma du raisonnement, car il s’agit d’une inférence à la meilleure explication. Mais alors, si ce n’est pas en vertu de cela, d’autres choses que les schémas d’un raisonnement détermineraient la justification4.

    44À cela, je voudrais simplement répondre que notre théorie dans sa forme actuelle est tout simplement silencieuse sur le niveau exact du risque potentiel de défaisabilité d’un schéma de raisonnement incompatible avec la justification. Rien dans l’exemple que nous avons considéré ne nous oblige à conclure que la croyance ne peut pas être justifiée. Quel élément exactement pourrait défaire dans cette situation l’inférence que j’opère ? Si je sais par exemple, que j’ai tendance à me précipiter vers les conclusions à partir d’indices faibles, alors cela pourrait être un élément qui défait le raisonnement. Mais cela n’est pas présupposé dans cet exemple. Ce qui me laisse penser que ce cas peut bel et bien être un cas où ma croyance est justifiée et que le schéma de raisonnement qui m’amènerait à cette croyance est bon et non défait.

    45Mais ce n’est pas tout ce que nous pouvons dire sur le poids apparent des raisons. En effet, les explications aussi peuvent être classées selon certains critères. Il semblerait qu’une explication plus économique sera mieux classée, ceteris paribus, qu’une explication moins parcimonieuse ou économique. Et de manière peut-être encore plus surprenante, les explications aussi semblent avoir des degrés variables de résilience. Par la résilience, nous entendons ici la résilience à la surprise de la conclusion. Pour certaines propositions, il faudrait ajouter plus d’éléments pour qu’elles perdent leur caractère apparemment explicatif.

    46Il semblerait que certaines explications (ou explications apparentes) perdent leur caractère explicatif si on ajoute certaines informations supplémentaires. La considération apparemment expliquée (re)devient surprenante et anormale lorsque nous apprenons de nouveaux éléments. Par exemple, je pensais que le bruit dans le sous-sol était expliqué par le fait que mon cousin y était descendu. Mais lorsque je le vois dans la chambre et apprends que cela fait longtemps qu’il est remonté, cette explication apparente semble être défaite. Le bruit dans le sous-sol n’est plus expliqué, pour moi, par le fait que mon cousin y est descendu.

    47On pourrait objecter que dans notre scénario hypothétique le fait que le cousin était descendu au sous-sol n’a jamais été une véritable explication, car il n’était pas alors la source du bruit5. Mais cela n’est pas le point que nous voulons soulever avec l’exemple en question. L’exemple est une illustration de l’idée simple de la distance entre les mondes possibles. La distance entre le monde où le fait que mon cousin est descendu au sous-sol (et je l’ai vu descendre) et le monde où le bruit continue est moindre que la distance entre le monde où le chat est coincé dans le sous-sol et le monde où le chat n’est pas (une) source de bruit. Certaines sont plus robustes que d’autres (je vois le chat qui fait du bruit vs. je sais que mon cousin est descendu au sous-sol).

    48Certaines explications ont plus de la résilience à des défaiteurs potentiels que d’autres. Pour reprendre le même exemple, la considération que mon cousin est la cause du bruit au sous-sol est plus facilement défaite que le fait que je vois qu’un chat y est coincé et essaye de se libérer. En effet, les circonstances dans lesquelles il y a ce fait que mon cousin y est descendu mais une autre considération défait le pouvoir explicatif de ce fait sont moins anormales, moins surprenantes, que les circonstances dans lesquelles il y a ce fait que je vois un chat coincé dans le sous-sol mais ce fait perd son pouvoir explicatif étant donnée quelque chose d’autre qu’on apprend. Le simple fait que mon cousin me dise que cela fait longtemps qu’il est déjà remonté suffit à défaire le pouvoir explicatif de la première considération. Tandis que, pour défaire le pouvoir explicatif de la deuxième considération (je vois un chat coincé), il faudra des circonstances plus extraordinaires. En effet, ce sont vraiment des scénarios sceptiques exotiques que l’on a besoin d’imaginer pour trouver des circonstances dans lesquelles le fait qu’un chat est coincé et que je le vois essayer de se libérer ne constitue pas l’explication du bruit dans le sous-sol. On a besoin d’imaginer un scénario du type : un scientifique fou teste sa nouvelle machine d’illusions sonores et ce n’est pas le chat coincé qui fait le bruit, car le bruit que le chat produit est absorbé par les installations invisibles et le bruit que j’entends est une illusion sonore installée par le scientifique à mon insu. Ces types de scénarios sont très éloignés du cours normal de notre monde actuel. Des circonstances très anormales sont nécessaires pour que ce type de considérations puisse défaire le pouvoir explicatif du fait que je vois un chat coincé dans le sous-sol. Ainsi, certaines explications semblent être plus difficilement défaisables que d’autres.

    49En effet, le poids des raisons de l’explication s’explique par la distance entre le monde pertinent et le monde où l’explication pertinente ne tient pas. Une fois qu’on réalise qu’il peut y avoir des distances variables sur ce paramètre, on peut parler alors de différence entre les raisons normatives d’explication. Il convient de noter que le fait qu’on ne peut pas avoir deux explications contradictoires d’un même fait (on ne peut pas avoir un monde où le fait que mon cousin est descendu au sous-sol est la seule explication du bruit, et en même temps le fait que le chat est coincé au sous-sol est la seule explication du bruit) n’enlève rien au fait qu’on peut parler de différents poids apparents de raisons normatives explicatives. Cela semble constituer une différence avec les raisons de raisonnement, où les prémisses en faveur de conclusions incompatibles peuvent co-exister et donc les raisons de raisonnement ne perdent pas leur statut en tant que raisons par le seul fait d’être défaites6. Dans le cas d’une « explication effectivement défaite » on a une situation où l’explication apparente n’était pas une explication véritable. Cela constitue donc simplement une différence entre les raisons de raisonnement et les raisons d’explication. Cette différence n’enlève rien au fait qu’on peut néanmoins parler de poids apparents même dans le cas de raisons normatives d’explication. C’est seulement que l’explication de ce poids apparent emploie des éléments différents.

    50Ce caractère défaisable des explications nous permet alors d’expliquer le poids apparent des raisons normatives qui ne sont pas associées à des bons schémas de raisonnement mais qui sont des réponses appropriées à des questions normatives qui demandent une explication. Comme dans le cas des raisons normatives du raisonnement, le poids apparent ou l’importance comparative des raisons normatives d’explication est la conséquence du niveau variable de résilience aux défaiteurs. Dans le cas des raisons normatives de raisonnement, c’était le niveau de résilience des schémas de bons raisonnements. Dans le cas des raisons normatives d’explication, c’est le niveau variable de résilience des considérations explicatives apparentes. Ainsi l’approche érotétique, munie de l’idée que les schémas de bons raisonnements et d’explications peuvent être défaits et que les raisonnements et explications peuvent avoir des niveaux variables de résilience aux défaiteurs, arrive à expliquer comment les raisons normatives peuvent avoir des poids apparents variables.

    51Avant de conclure je voudrais spécifier un point concernant une distinction plus englobante, un point qui semble apporter un autre argument en faveur de notre approche. Nous avons accepté plus haut la distinction communément faite dans la littérature entre les raisons normatives (qui parlent en faveur de F) et les raisons motivantes (opérantes – les raisons sur la base desquelles l’agent F). Nous pouvons aussi noter qu’il n’est pas rare de voir une troisième sorte de raisons dans la littérature : on distingue non seulement les raisons normatives et motivantes mais aussi les raisons explicatives. Les raisons explicatives sont des raisons qui expliquent pourquoi l’agent F, ces raisons explicatives sont la plupart du temps aussi les raisons motivantes, mais dans certains cas les deux ne coïncident pas. Par exemple, ce qui explique pourquoi je continue de manger du chocolat si tard (l’habitude, un trait), n’est pas une base effective de mon action de manger le chocolat (ma raison motivante est le fait que le chocolat est bon) (voir Alvarez, 2010 ; 2016, et Engel, 2015b pour plus de détails et exemples au sujet de cette distinction). Le point important pour nous est que le fait de distinguer les raisons normatives de raisonnement et les raisons normatives d’explication s’insère particulièrement bien dans le cadre de cette distinction tripartite englobante des raisons. En effet, les raisons normatives de raisonnement sont liées aux raisons motivantes (ce sont des bonnes raisons motivantes, si on accepte que la motivation/base est expliquée en termes de raisonnement). Et les raisons normatives d’explication sont des raisons explicatives d’une sorte particulière – qui expliquent le profil normatif (c’est-à-dire le statut déontique ou axiologique) de l’action ou de l’attitude. Ainsi, notre approche permet d’avoir une plus grande unité et simplicité théorique dans la théorisation à propos de raisons en général. Et cela constitue un autre avantage important de notre approche7.

    5. Conclusion

    52Comment comprendre le poids des raisons si la justification n’a pas de degrés ? C’était notre tension initiale. Nous avons pris comme point de départ l’idée que la justification épistémique n’avait pas de degrés, mais qu’elle se réduisait probablement au fait d’avoir des raisons suffisantes de croire, c’est-à-dire, des raisons qui ont un certain poids apparent. Si la justification c’est juste le fait d’avoir des raisons, comment concilier le fait que la justification n’admet pas de degrés et le fait que les raisons semblent avoir des degrés, puisqu’elles semblent avoir des poids variables ?

    53La réponse provisoire que nous avons proposée plus haut consistait à maintenir qu’à strictement parler les raisons normatives ne sont pas graduables et que leur poids est simplement apparent. En effet, nous avons esquissé la manière dont une théorie réductive des raisons normatives admettant que les raisons sont des réponses appropriées à des questions normatives pouvait expliquer cela. Nous avons vu deux types de réponses appropriées possibles concernant les questions normatives. D’une part, il s’agissait des prémisses dans des schémas de bons raisonnements (qui correspondent aux bons arguments) qui se concluent par l’action ou une attitude pertinente. D’autre part, il s’agissait des éléments d’explications normatives. Les bons raisonnements et les explications peuvent être défaits. Mais ils peuvent aussi avoir une résilience variable aux défaiteurs. Cette variation dans la résilience permet d’expliquer le poids apparent variable des raisons normatives par leur lien avec le raisonnement et l’explication. Un nombre de points reste à préciser et à élaborer plus en détails. Parmi ceux-ci, on trouve les questions suivantes : Est-ce que toutes les raisons normatives se réduisent seulement à ces deux types que sont les raisons de raisonnement et d’explication ? Qu’est-ce qui détermine exactement la résilience aux défaiteurs ? Est-ce que nous devrions accepter la normalité (normalcy) comme la notion première dans notre théorisation épistémique, comme certains le supposent (voir Smith, 2016) ? Malheureusement, ces questions et d’autres encore doivent attendre un traitement futur. Nous espérons avoir donné des éléments pour résoudre la tension entre les poids apparents des raisons et l’idée que la justification n’admet pas de degrés.

    Remerciements

    Je voudrais remercier les éditeurs pour leurs suggestions et un relecteur anonyme de ce volume pour les commentaires détaillés qui ont permis d’améliorer ce manuscrit.

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    Silverstein, M. (2016). Reducing Reasons. Journal of Ethics and Social Philosophy, 10(1), 1–22.

    Smith, M. (2016). Between Probability and Certainty: What Justifies Belief. Oxford University Press.

    Way, J. (2017). Reasons as Premises of Good Reasoning. Pacific Philosophical Quarterly, 98(2).

    Whately, R. (1827/1975). Elements of Logic Scholars’ Facsimiles & Reprints.

    Whately, R. (1828/1846). Elements of Rhetoric, 7th ed. Southern Illinois University Press,

    Williams, B. (1979). Internal and External Reasons. In Ross Harrison, editor, Rational Action, 101–113. Cambridge University Press.

    Williamson, T. (2000). Knowledge and Its Limits. Oxford University Press.

    Notes de bas de page

    1À strictement parler, l’approche par le raisonnement, en tout cas dans sa formulation par McHugh et Way, doit aussi introduire une notion primitive, à savoir la notion des attitudes appropriées. On pourrait peut-être donc objecter que l’approche par le raisonnement n’a pas un niveau de parcimonie supérieur à ses concurrents théoriques. Quoique je partage le constat que l’approche par le raisonnement doit s’appuyer sur une notion primitive, je ne partage pas le constat que cette approche n’a pas un avantage quant à la parcimonie vis-à-vis par exemple de ses concurrents de l’approche des raisons-d’abord. Tout d’abord il est évident que toute théorie raisonnable va présupposer des notions primitives à un niveau d’explication. L’approche de McHugh et Way présuppose que c’est la notion d’approprié (des attitudes appropriées) qui est la notion primitive. Cette notion préexiste aux débats sur les raisons normatives et est bien saisie intuitivement par les théoriciens ainsi qu’au niveau préthéorique. McHugh et Way n’ont pas introduit cette notion, ils explorent cette notion intuitive qui est déjà bien saisie. Une fois qu’on accepte que la notion des attitudes appropriées est déjà dans notre inventaire comme une notion intuitivement saisie et donc primitive, postuler la notion de raisons normatives comme une notion primitive en plus revient nécessairement à complexifier notre ontologie. Postuler que la notion de raisons normatives est primitive, étant donné qu’on accepte la saisie intuitive de la notion d’attitude appropriée est ainsi une approche moins parcimonieuse que l’approche qui ne postule pas la notion de raisons normatives comme une notion primitive. Merci à un relecteur anonyme de ce volume d’avoir attiré mon attention sur la nécessité de clarifier ce point.

    2On pourrait objecter que cette discussion sur les considérations circulaires va un peu trop vite et que les théoriciens de l’approche par le raisonnement ne sont pas obligés d’accepter notre caractérisation de schémas du raisonnement dans le cas où le fait que le ciel est bleu parle en faveur de la croyance que le ciel est bleu. En effet, rien ne nous oblige à accepter que le schéma pertinent dans ce cas est un schéma où on raisonne à partir la croyance que le ciel est bleu vers la croyance que le ciel est bleu. Une description alternative du cas est que la réponse-prémisse pertinente est l’impression visuelle (une perception) que le ciel est bleu. Et passer de l’impression visuelle que p vers la croyance que p, parait bien moins problématique. À cela je voudrais répondre en acceptant effectivement que cela semble être une réponse possible (probablement la seule qui vaut la peine d’être poursuivie sérieusement). Cela dit, je voudrais aussi attirer l’attention sur le fait qu’une telle réponse semble présupposer une prémisse controversée en philosophie d’esprit. À savoir, que les impressions visuelles (perceptions) ont un contenu propositionnel. Je ne suis pas en train de dire qu’une telle prémisse ne peut pas être défendue. Mon observation porte sur le fait qu’une telle réponse à notre objection semble obliger les théoriciens de l’approche par le raisonnement à souscrire à une théorie controversée et donc représente un coût théorique supplémentaire. Je me permets aussi de noter que mon objection n’est pas ici de dire que l’argument de type « p donc p » n’est pas acceptable. Mon objection est que le passage d’une croyance que p vers la croyance que p, semble être problématique et le problème ne vient pas du fait que l’argument correspondant « p donc p » est problématique (en effet il n’est pas problématique). Merci au relecteur anonyme de ce volume d’avoir attiré mon attention sur le besoin d’ajouter des clarifications sur ce point.

    3Merci au relecteur anonyme d’avoir suggéré un exemple similaire à celui-ci pour illustrer la distinction.

    4Je remercie un relecteur anonyme d’avoir attiré mon attention sur ce point.

    5Merci au relecteur anonyme d’avoir attiré mon attention à ce point.

    6J’insiste sur le fait que les raisons de raisonnement défaits peuvent continuer à rester des raisons normatives. Ce point est un point observé par les approches par le raisonnement déjà et tient en vertu de l’idée qu’un bon schéma de raisonnement peut être un bon schéma de raisonnement et être aussi défaisable et effectivement défait dans des instances concrètes de raisonnements. Ainsi, les raisons dépassées (outweighed) sont à distinguer, comme il est commun de le faire dans la littérature, des raisons qui sont annulées. Merci au relecteur d’avoir attiré mon attention sur le besoin d’insister sur ce point.

    7Merci au relecteur de m’avoir rappelé ce point.

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    1À strictement parler, l’approche par le raisonnement, en tout cas dans sa formulation par McHugh et Way, doit aussi introduire une notion primitive, à savoir la notion des attitudes appropriées. On pourrait peut-être donc objecter que l’approche par le raisonnement n’a pas un niveau de parcimonie supérieur à ses concurrents théoriques. Quoique je partage le constat que l’approche par le raisonnement doit s’appuyer sur une notion primitive, je ne partage pas le constat que cette approche n’a pas un avantage quant à la parcimonie vis-à-vis par exemple de ses concurrents de l’approche des raisons-d’abord. Tout d’abord il est évident que toute théorie raisonnable va présupposer des notions primitives à un niveau d’explication. L’approche de McHugh et Way présuppose que c’est la notion d’approprié (des attitudes appropriées) qui est la notion primitive. Cette notion préexiste aux débats sur les raisons normatives et est bien saisie intuitivement par les théoriciens ainsi qu’au niveau préthéorique. McHugh et Way n’ont pas introduit cette notion, ils explorent cette notion intuitive qui est déjà bien saisie. Une fois qu’on accepte que la notion des attitudes appropriées est déjà dans notre inventaire comme une notion intuitivement saisie et donc primitive, postuler la notion de raisons normatives comme une notion primitive en plus revient nécessairement à complexifier notre ontologie. Postuler que la notion de raisons normatives est primitive, étant donné qu’on accepte la saisie intuitive de la notion d’attitude appropriée est ainsi une approche moins parcimonieuse que l’approche qui ne postule pas la notion de raisons normatives comme une notion primitive. Merci à un relecteur anonyme de ce volume d’avoir attiré mon attention sur la nécessité de clarifier ce point.

    2On pourrait objecter que cette discussion sur les considérations circulaires va un peu trop vite et que les théoriciens de l’approche par le raisonnement ne sont pas obligés d’accepter notre caractérisation de schémas du raisonnement dans le cas où le fait que le ciel est bleu parle en faveur de la croyance que le ciel est bleu. En effet, rien ne nous oblige à accepter que le schéma pertinent dans ce cas est un schéma où on raisonne à partir la croyance que le ciel est bleu vers la croyance que le ciel est bleu. Une description alternative du cas est que la réponse-prémisse pertinente est l’impression visuelle (une perception) que le ciel est bleu. Et passer de l’impression visuelle que p vers la croyance que p, parait bien moins problématique. À cela je voudrais répondre en acceptant effectivement que cela semble être une réponse possible (probablement la seule qui vaut la peine d’être poursuivie sérieusement). Cela dit, je voudrais aussi attirer l’attention sur le fait qu’une telle réponse semble présupposer une prémisse controversée en philosophie d’esprit. À savoir, que les impressions visuelles (perceptions) ont un contenu propositionnel. Je ne suis pas en train de dire qu’une telle prémisse ne peut pas être défendue. Mon observation porte sur le fait qu’une telle réponse à notre objection semble obliger les théoriciens de l’approche par le raisonnement à souscrire à une théorie controversée et donc représente un coût théorique supplémentaire. Je me permets aussi de noter que mon objection n’est pas ici de dire que l’argument de type « p donc p » n’est pas acceptable. Mon objection est que le passage d’une croyance que p vers la croyance que p, semble être problématique et le problème ne vient pas du fait que l’argument correspondant « p donc p » est problématique (en effet il n’est pas problématique). Merci au relecteur anonyme de ce volume d’avoir attiré mon attention sur le besoin d’ajouter des clarifications sur ce point.

    3Merci au relecteur anonyme d’avoir suggéré un exemple similaire à celui-ci pour illustrer la distinction.

    4Je remercie un relecteur anonyme d’avoir attiré mon attention sur ce point.

    5Merci au relecteur anonyme d’avoir attiré mon attention à ce point.

    6J’insiste sur le fait que les raisons de raisonnement défaits peuvent continuer à rester des raisons normatives. Ce point est un point observé par les approches par le raisonnement déjà et tient en vertu de l’idée qu’un bon schéma de raisonnement peut être un bon schéma de raisonnement et être aussi défaisable et effectivement défait dans des instances concrètes de raisonnements. Ainsi, les raisons dépassées (outweighed) sont à distinguer, comme il est commun de le faire dans la littérature, des raisons qui sont annulées. Merci au relecteur d’avoir attiré mon attention sur le besoin d’insister sur ce point.

    7Merci au relecteur de m’avoir rappelé ce point.

    La notion de degré en épistémologie

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    Logins, A. (2025). Qu’est-ce que le « poids » des raisons si la justification n’admet pas de degrés ?. In J.-M. Chevalier & J.-H. Vollet (éds.), La notion de degré en épistémologie (1‑). Collège de France. https://doi.org/10.4000/13vzz
    Logins, Artūrs. « Qu’est-ce que le “poids” des raisons si la justification n’admet pas de degrés ? ». In La notion de degré en épistémologie, édité par Jean-Marie Chevalier et Jacques-Henri Vollet. Paris: Collège de France, 2025. https://doi.org/10.4000/13vzz.
    Logins, Artūrs. « Qu’est-ce que le “poids” des raisons si la justification n’admet pas de degrés ? ». La notion de degré en épistémologie, édité par Jean-Marie Chevalier et Jacques-Henri Vollet, Collège de France, 2025, https://doi.org/10.4000/13vzz.

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    Chevalier, J.-M., & Vollet, J.-H. (éds.). (2025). La notion de degré en épistémologie (1‑). Collège de France. https://doi.org/10.4000/13w06
    Chevalier, Jean-Marie, et Jacques-Henri Vollet, éd. La notion de degré en épistémologie. Paris: Collège de France, 2025. https://doi.org/10.4000/13w06.
    Chevalier, Jean-Marie, et Jacques-Henri Vollet, éditeurs. La notion de degré en épistémologie. Collège de France, 2025, https://doi.org/10.4000/13w06.
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