1. La psychologie à la lumière du marxisme : penser sa discipline dans les coordonnées générales du matérialisme dialectique

11Les riches travaux d’Isabelle Gouarné11 montrent bien comment, au tournant des années 1930, plusieurs intellectuels formés politiquement lors de l’affaire Dreyfus et dans le socialisme ont activement participé à la diffusion des événements politiques et scientifiques russes, sans pour autant, à ce moment-là, être effectivement membres du Parti communiste français. La commission scientifique du Cercle de la Russie neuve, fondé sous l’égide de la Société panrusse pour les relations culturelles avec l’étranger (VOKS), s’en distingue en ce qu’elle prévoit de recruter en son sein des intellectuels non encartés en même temps que bien intégrés dans les sphères académiques classiques. L’idée est de trouver, en France, un relais important aux idées communistes sans que cela apparaisse comme une simple opération de propagande. Le choix des intellectuels et leur activité au sein du CRN obéissent donc à une logique qui se veut d’abord scientifique : il s’agit de voir ce que chacun, dans son propre domaine d’expertise, peut apporter à la compréhension des principes du matérialisme dialectique et comment, en retour, il en fait une application féconde pour penser ses propres objets et résoudre les antagonismes rencontrés dans sa pratique. Wallon, aux côtés de Paul Langevin, de René Maublanc, de Marcel et Lucy Prenant ou encore d’Armand Cuvillier pour ne citer qu’eux, a ainsi animé les travaux de la commission scientifique au cœur des années 1930. Ces chercheurs s’appuient sur les relations avec les scientifiques russes rendues possibles par l’intermédiaire de la VOKS et par les contacts qu’ils nouent lors de journées internationales d’échanges scientifiques – Wallon avait notamment participé à la VII^e Conférence de psychotechnique à Moscou en 1931.

12D’abord en 1935, puis en 1937, les travaux de la commission scientifique du CRN (devenu, à partir de 1936 l’Association pour l’étude de la culture soviétique) donnent lieu à la publication de deux volumes, intitulés À la lumière du marxisme et publiés aux Éditions sociales internationales. Sur le deuxième volume, Wallon est présenté comme « professeur au Collège de France » : il vient tout juste d’être élu. Dans les introductions que Wallon donne aux deux volumes, on retrouve certains des marqueurs de sa compréhension du marxisme et de la doctrine du matérialisme dialectique.

13D’abord, il insiste sur l’importance de la méthode dialectique pour dépasser les oppositions factices entre les disciplines et les grands partages hérités des différentes traditions philosophiques, voire métaphysiques. Il reprend la partition classique entre le matérialisme dialectique et le matérialisme historique, que l’on trouve alors surtout dans les textes d’Engels et de Lénine : d’un côté, on a affaire à une méthode d’investigation et de connaissance conforme au devenir et aux contradictions dynamiques de tout ordre de réalité ; de l’autre à une application spécifique du matérialisme dialectique à l’évolution historique des sociétés et à celle des structures économiques de production qui les sous-tendent. Sur le fondement de cette distinction, il s’agit, pour les différentes sciences, de penser la nécessité d’un fonctionnement interdisciplinaire. En effet, comprenant la division du travail en science comme un effet temporaire du processus de connaissance, Wallon en appelle à l’interdisciplinarité, seul moyen de produire une connaissance complète des réalités humaines. Vouloir s’enfermer dans la spécificité de sa discipline équivaut à renoncer à comprendre la nature profonde de son objet, et, surtout, à rester aveugle à l’insertion de toute pratique scientifique dans une réalité sociale et historique qui la conditionne et la dépasse. Citons Wallon :

Puisqu’il n’y a pas, au contraire, d’activité intellectuelle qui se puisse concevoir en dehors du matériel technique et mental, des problèmes, du régime qui sont propres à une époque et puisque, dans la série des époques successives, chacune a sa signification propre, n’y aurait-il pas intérêt pour le savant à prendre une conscience nette et complète des multiples rapports qui constituent la sienne12 ?

14Dans le prolongement de cette idée, sont intervenus des partitions historiques assez classiques que l’on retrouve dans les articles des années 1950 : les distinctions entre idéalisme, matérialisme mécaniste (parfois dit « naïf ») et matérialisme dialectique, ou la distinction héritée d’Auguste Comte entre les sciences physiques et les sciences sociales (qui sera décisive pour l’histoire de la psychologie et l’évolution des rapports entre psychologie et philosophie). La reprise de ces grandes scansions de l’histoire de la pensée, comprises du point de vue de leur aboutissement (et de leur dépassement) dans le marxisme, s’accompagne aussi de la reconnaissance de certaines lignées de philosophes qui ont pris en charge la question du rapport de la connaissance au réel, d’Aristote à Cuvier en passant par Kant, de Montaigne à Bergson et aux existentialistes en passant par Maine de Biran. Les scientifiques marxistes entendent en fait mettre sur pied un rationalisme renouvelé qui trouverait dans le matérialisme dialectique la réponse aux différentes crises traversées par les sciences et qui répondrait dans le même temps à des enjeux scientifiques de progrès des connaissances, mais aussi à des enjeux politiques de lutte contre le conservatisme de l’idéologie bourgeoise et contre l’irrationalisme du fascisme montant. C’est ainsi que l’on peut comprendre la déclaration de Wallon dans un article de 1950 : « Il faut choisir entre l’éclectisme et la dialectique ». Séparer et juxtaposer les disciplines, c’est choisir de subir passivement les contradictions, de les nier ou de ne pas les comprendre. Le vrai rationalisme, au contraire, accepte que – je cite Wallon – « [ce soit] un fait que la réalité existe et [ce soit] un fait qu’elle est le résultat de forces qui s’affrontent et dont elle traduit l’équilibre du moment13 ». Dans cet édifice, la psychologie occupe une place de choix, car, non seulement c’est une science jeune et qui se cherche encore une méthode adéquate, mais aussi, et surtout, elle est « postée au confluent des actions réciproques qui s’exercent entre l’organique et le social, entre le physique et le mental, par l’intermédiaire de l’individu14 ». Le point de vue génétique en psychologie sera alors le point de vue adéquat pour saisir la formation et le devenir de ces actions réciproques et l’émergence du psychisme individuel qui y est enchâssée.

15Pour terminer ce trop bref aperçu de la compréhension du marxisme par le psychologue Wallon, il faut mentionner qu’il a l’occasion, à plusieurs reprises, de s’expliquer sur les rapports entre psychologie et matérialisme dialectique et sur la conception de l’individu sous-jacente aux écrits de Marx. Dans les cours qu’il donne à l’Université ouvrière par exemple, consacré à l’individu (1936) ou aux rapports entre individu et société (1937), on voit se dégager l’idée que la question de l’individu, contrairement à ce que l’on considère souvent à tort, n’est pas absente des écrits de Marx et Engels et n’est pas niée au profit d’une conception totalisante des classes sociales et des forces productives. Au contraire, dans la lecture que Wallon fait du marxisme, la question de l’individu est de première importance puisque c’est in fine sa libération et son émancipation qui en sont le cœur. Et l’on est loin alors de l’« humanisme bourgeois ». Celui-ci ayant posé une égalité abstraite entre des individus porteurs de droits universels sanctifie dans le même temps le droit pour les personnes d’être exploitées par celles et ceux qui ont la propriété privée des moyens de production. L’analyse de Marx offre au contraire les clés de compréhensions de la marche réelle et concrète de l’exploitation et les voies de libérations qui doivent permettre aux individus « d’imposer leur personnalité » selon la formule fameuse de l’Idéologie allemande15. « L’homme social, c’est l’individu dans sa plus grande plénitude », affirme Wallon en conclusion du cours16, dans une formule qui rappelle celles du psychologue russe Lev Vygotski17. Le cours de 1946, donné à l’université Nouvelle et intitulé « Matérialisme dialectique et psychologie », commence par l’affirmation que si la psychologie n’est pas « explicitement citée dans l’œuvre de Marx et Engels », elle y est pourtant « constamment présente18 ». Après un nouveau panorama historique dans lequel Wallon montre les impasses successives de la psychologie idéaliste, du matérialisme mécaniste et du positivisme, il en vient à l’idée que le développement psychologique lui-même présente une parenté avec ce qui s’observe dans les autres ordres de réalité, notamment dans l’histoire économique et politique des sociétés : il y a rupture, discontinuité et dépassement des contradictions. On le voit en particulier dans l’alternance entre les deux instances opposées de la vie psychique que sont le versant affectif et le versant intellectuel. Une psychologie renouvelée doit donc renoncer aux anciennes classifications et aux découpages abstraits des fonctions et des états mentaux pour

leur substituer des procès en perpétuelles réactions réciproques, des antagonismes rendant obligatoire un autre équilibre, des adaptations nouvelles, parfois manquées et parfois entraînant des régressions vers le passé, une intégration souvent instable de fonctions à d’autres plus évoluées, c’est-à-dire qui sont propres à étendre ou diversifier les moyens d’action vers le milieu19.

16Et Wallon de conclure : « n’est-ce pas dans les cadres du matérialisme dialectique que cette psychologie vient tout naturellement s’inscrire20 ? ». Cette question, justement, m’amène directement à ma seconde perspective.

2. Le marxisme à la lumière de la psychologie : genèse et dialectique dans la psychologie de l’enfant

17Replacés dans le contexte historique et politique de l’époque, ces différents éléments peuvent sembler en conformité parfaite avec la théorie officielle du matérialisme dialectique qui a structuré durablement le marxisme français et conduit à ses plus fameuses controverses pendant la période de « déstalinisation » et bien au-delà. Insister sur ces éléments pour donner à voir le sens et la portée du marxisme de Wallon peut être historiquement intéressant, mais c’est philosophiquement insuffisant. Pour comprendre ce qui passe de Marx à Wallon, il est nécessaire de se pencher sur sa théorie psychologique elle-même et sur ce qu’elle comporte de singulier par rapport aux « normes marxistes » de l’époque, si l’on peut dire.

18Pour reprendre la partition opérée par Liliane Maury, on peut dire que Wallon a trouvé dans la philosophie marxiste des outils et des modèles qui lui permettaient d’exprimer d’une façon adéquate ses conceptions psychologiques, en particulier dans leur dimension génétique. En effet, les stades de la psychologie de l’enfant ne sont pas, pour Wallon, de simples étapes qu’il s’agirait de « franchir » et qui verraient correspondre à chaque tranche d’âge le développement de certaines facultés. Dès 192521, Wallon identifie, chez l’enfant, une alternance fonctionnelle entre des attitudes à dominance affective qui se caractérisent par un modèle « centripète » de repli sur soi (autoaffection et proprioception), et des attitudes à dominance intellectuelle, caractérisées par un modèle « centrifuge » de projection vers le monde extérieur, monde physique des objets et monde social des hommes. Du fait de sa méthode comparatiste – en particulier avec l’étude de cas pathologiques d’enfants dont le développement a été stoppé par différentes causes – Wallon comprend très tôt que l’antagonisme et même la contradiction habitent le développement psychologique et, d’une certaine manière, lui donnent corps. De ce point de vue, le « passage » d’un stade à l’autre se constate essentiellement par une inversion dans les ordres de dominance. Cette inversion résout temporairement les antagonismes qui émergent progressivement du stade précédent, mais elle n’abolit pas pour autant les fonctions précédentes, celles-ci ne faisant que se réagencer. L’exemple qui illustre le plus clairement cette dialectique interne de la psychogenèse et qui a souvent été repris par les commentateurs, c’est celui du stade émotif que Wallon expose d’abord dans L’Enfant turbulent et qu’il reprend et exploite pleinement dans Les origines du caractère chez l’enfant. Le stade émotionnel (qui démarre vers 2-3 mois et est pleinement en place vers 6 mois) se caractérise par une dominance affective forte de repli sur soi, de « syncrétisme » radical. Les manifestations affectives ont pour origine les fonctions végétatives de nutrition ou les fonctions proprioceptives liées à la gêne ou au contentement provoqués par les positions dans lesquelles on place le corps de l’enfant. Il s’agit donc d’abord avec l’émotion du « modelage de l’organisme par ses dispositions propres22 ». Pourtant, il faut bien que l’émotion sorte de ce circuit fermé pour permettre le déploiement de la psychogenèse, et c’est la présence d’êtres humains autour de l’enfant qui rend possible ce progrès. Wallon explique que ce sont d’abord les effets provoqués par les manifestations émotionnelles sur l’entourage humain qui transformeront progressivement ces manifestations en moyens d’action sur autrui. Le syncrétisme premier « se mue en sociabilité par l’intermédiaire de l’expression émotive 23». Cette « sociabilité » première (prélangagière) prend le pas sur la symbiose première de la vie intra-utérine et sur le stade impulsif premier marqué par une dépendance absolue avec le milieu familial. Paradoxalement (et pour Wallon ce n’est évidemment pas du tout un paradoxe), cette première sociabilité permettra l’ébauche d’un rapport à l’extériorité qui devra progressivement mettre à distance le motif strictement affectif pour se hisser jusqu’aux premières formes de la connaissance « objective » du monde :

Le support affectif, d’abord indispensable pour imposer à la conscience des intérêts extra-individuels, a dû s’effacer ensuite, ses manifestations propres contrariant l’exercice de la réflexion objective ou abstraite24.

19Le développement psychique, même dans sa forme adulte, garde une trace de ce passage par le stade émotionnel dans les moments de débordement émotifs qui perturbent le fonctionnement normal de la rationalité et activent les mécanismes du mimétisme empathique. Ces « renversements » dont est constituée la psychogenèse de l’enfant ont souvent été « méconnus », car ils reposent, selon Wallon, sur une conception dialectique du devenir.

20Cette dialectique interne de la psychogenèse n’est explicable qu’à la condition d’être réintégrée dans la dialectique plus large des interactions entre le niveau individuel de la maturation organique et le niveau social constitué par l’ambiance première du nourrisson et par les milieux successifs dans lesquels évolue l’enfant. C’est ce qui ressort de l’étude de l’émotion : si l’être humain peut être considéré comme un être « génétiquement social25 », c’est parce qu’il est primitivement plongé dans le social, sous la forme première de la cellule familiale et des soins qu’elle lui prodigue afin qu’il reste en vie. Cette situation que Wallon qualifie d’impéritie doit marquer durablement le développement psychique et non moins durablement sa compréhension et son étude par la psychologie : les conceptions psychologiques classiques projettent toujours, sur l’enfant, une vision achevée de la conscience et de la subjectivité alors même que celles-ci n’émergent que très progressivement dans et par les interactions sociales les plus primitives. Ces premiers rapports de sociabilité « devancent de loin les rapports avec le monde physique, contrairement à ce qui s’observe dans la série animale presque tout entière26 ». C’est d’ailleurs cette perspective « primitivement sociale » qui conduira Wallon à s’opposer à Piaget, en particulier dans son ouvrage de 1942, De l’acte à la pensée. Prenant le contre-pied de la conception égocentrée de l’enfant piagétien, Wallon affirme que le passage progressif au stade du personnalisme (qui aboutira progressivement à la formation de la subjectivité) doit se faire non pas par une ouverture progressive à autrui et par un retrait de la subjectivité, mais, au contraire, par « un retrait de sociabilité27 », condition sine qua non à la formation d’une conscience propre. Wallon a d'ailleurs montré à de nombreuses reprises dans son œuvre qu’il y a non seulement présence constitutive de l’autre lors des différents stades de la psychogenèse, mais aussi que le psychisme adulte garde des traces de cette présence initiale de l’alter et du socius. L’un des commentateurs les plus pénétrants de l’œuvre de Wallon, Tran-Thong, a proposé de penser la distinction entre les psychologies de Wallon et de Piaget en les différenciant notamment par leur conception des ordres de causalité qui entrent en jeu dans la psychogenèse de l’enfant : Wallon explique la genèse du psychisme selon une « causalité multiple » (semblable en cela à l’américain Arnold Gesell) alors que Piaget choisit une « causalité unique » (ce qui le rapproche de Freud). Non pas, nous dit Tran-Thong, que Piaget ignore que le développement de l’enfant est aussi lié au milieu social et aux interactions familiales primaires, mais il subordonne tout, in fine, à une loi générale d’équilibre qui trouve son origine dans la conception de l’intelligence dont il entend produire la genèse. C’est certainement ce que Wallon a toujours refusé, malgré les tentatives de Piaget pour concilier leurs théories et aplanir leur différend. Dans son « Post-scriptum en réponse à M. Piaget » de 1951, Wallon termine même son propos en remettant en cause la filiation que Piaget s’est attribuée avec Marx à certains moments de son œuvre : minorant à la fois la dimension primordiale de l’affectivité et le rôle du social dans la psychogenèse, Piaget se place du même coup « dans la ligne de ce que Marx et Engels ont répudié sous le nom d’idéalisme28 ». Même lorsque Wallon élabore, notamment au Collège de France, Les origines de la pensée chez l’enfant, ouvrage dédié spécifiquement à la formation de l’intelligence verbale et discursive entre six et neuf ans, son approche reste caractérisée par la perspective d’une dialectique entre la maturation des centres cognitifs et les structures affectives et sociales dans lesquelles l’enfant évolue. L’accent y est notamment mis sur les difficultés, les contradictions et les va-et-vient que doit traverser le psychisme de l’enfant pour atteindre à cette stabilisation représentée par le stade précatégoriel, stade qui préfigure l’entrée dans la rationalité adulte.

21La chaire de Wallon au Collège de France, on l’a dit pour commencer, a pour intitulé « psychologie et éducation de l’enfance ». La référence à la dimension pédagogique renvoie aussi bien à l’intérêt que Wallon a montré toute sa vie pour les problématiques éducatives, à l’activité qu’il mène dans son laboratoire de « psychobiologie de l’enfant » et, plus tard, à la part qu’il prend dans la commission Langevin-Wallon et à son plan pour l’éducation nationale, jamais appliqué, mais très lu et commenté. Or, on le mesure à présent, cette dimension pédagogique de la pensée de Wallon, découle de sa conception de la psychogenèse et du rôle actif que les différents milieux de l’enfant y jouent. Est-ce là une perspective « marxiste » ? Et si oui, en quel sens ? Il est certain que, pour Wallon, si les différents milieux interviennent directement dans la formation du psychisme et dans le développement des facultés, alors non seulement l’institution scolaire et les questions pédagogiques sont de la plus haute importance, mais le milieu familial lui-même doit être considéré comme un enjeu de développement et d’émancipation pour l’enfant. « Ce qu’il faudrait, c’est refaire un milieu à l’enfant », écrit Wallon en 1940 lorsqu’il aborde la délicate question de la délinquance juvénile29. Dans une perspective marxiste, les déterminants économiques et sociaux qui pèsent sur les milieux familiaux ainsi que les schèmes idéologiques qui organisent la théorie et la pratique pédagogique ont pour source commune le mode d’organisation capitaliste de la société. La dimension pédagogique de l’œuvre de Wallon semble donc une conséquence, non pas seulement de son engagement politique, mais aussi bien de sa théorie de la psychologie elle-même et des conclusions qu’il en tire concernant les conditions matérielles et sociales de l’épanouissement plein et entier des potentialités de l’enfant.

Conclusion

22On l’a vu, l’aspect le plus intéressant et le plus fécond du marxisme de Wallon vient de sa théorie psychologique elle-même et non pas de sa plus ou moins grande conformité avec les principes de la doctrine du matérialisme dialectique. L’indépendance de Wallon vis-à-vis du dogmatisme théorique n’a d’ailleurs pas été sans lui poser quelques problèmes avec les instances dirigeantes du Parti communiste.

23D’un autre côté, le philosophe marxiste Lucien Sève, qui suit en cela Émile Jalley, s’accorde à dire que ce qui fait l’originalité et la « fertilité » de la psychologie de Wallon c’est précisément qu’elle offre des perspectives nouvelles au marxisme et va même jusqu’à le transformer. Dans le cas de Wallon, nous dit Sève (comme dans celui de l’anthropologue Maurice Godelier ou celui du linguiste Georges Mounin) « l’œuvre marxienne est moins un tuteur qu’un terreau », car « Wallon ne déduit pas sa psychologie du marxisme, il approprie son marxisme à la psychologie ». Si la perspective marxiste est si féconde c’est d’abord parce qu’« elle s’est elle-même instruite peu à peu des leçons qui [se] dégageaient [de la diversité des sciences humaines]30 ».

24L’histoire personnelle de Wallon et le contexte dans lequel il a évolué, la manière dont il a fait lui-même le pont entre l’exigence théorique et l’engagement politique, en font donc une figure singulière et exemplaire par bien des aspects, de ce qui a pu passer de Marx au Collège de France.