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    Plan détaillé Texte intégral Le sens de l’expérience démocratique Les sens du peuple Droits de l’homme et libéralisme politique Notes de bas de page

    Les valeurs de l’Europe, un enjeu démocratique

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Une démocratie sans libertés ? Réflexions sur la notion de démocratie illibérale

    Première conférence

    p. 15-34

    Texte intégral Le sens de l’expérience démocratique Les sens du peuple Droits de l’homme et libéralisme politique Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Une démocratie sans respect des libertés est-elle possible ? Il y a moins de deux décennies, la question aurait semblé excentrique. Proclamée à Nice en 2000, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne mentionne dans son préambule la « liberté » parmi les valeurs indivisibles et universelles qui fondent l’Union européenne et précise que celle-ci repose sur le principe de la démocratie et de l’État de droit. Désormais, l’association de ces notions ne semble plus aller de soi. Au cours de la dernière décennie, la montée de régimes politiques électifs et autoritaires a donné du crédit à l’idée selon laquelle les libertés fondamentales seraient autant de limites, héritées de la tradition libérale, posées à l’expression de la souveraineté populaire. C’est ainsi que la formule de « démocratie illibérale », popularisée à la fin des années 1990 par le journaliste américain Fareed Zakaria1, a été revendiquée par Viktor Orbán dès 2014, quand il a déclaré qu’une « démocratie n’est pas forcément libérale. Ce n’est pas parce qu’une démocratie n’est pas libérale qu’elle n’est pas une démocratie2 ». Cette nouvelle forme de « démocratie », fondée sur la légitimation des urnes, marquerait ainsi le triomphe d’une volonté populaire supposée homogène contre les contraintes imposées par le droit.

    2Qu’Orbán cherche ainsi à légitimer sa dérive autoritaire, c’est de bonne guerre. Mais il est plus surprenant que ce qualificatif de « démocratie illibérale » ait été repris par nombre de personnalités politiques de l’Union européenne et se soit largement diffusé au sein de nos espaces publics et universitaires. En 2018, l’ouvrage à succès du politiste Yascha Mounk, Le Peuple contre la démocratie3, avançait l’idée que notre époque verrait le découplage de deux notions que nous aurions trop rapidement jugées indissociables – à savoir le « libéralisme », défini par le respect des droits individuels, et la « démocratie », définie par l’expression de la volonté populaire. À suivre Yascha Mounk, nous assisterions à l’émergence de « démocraties sans droits », notamment en Pologne ou en Hongrie, régimes politiques qu’il oppose aux « droits sans la démocratie » qui caractériseraient l’Union européenne et la gouvernance mondiale. Plus récemment, l’ancien juge à la Cour européenne des droits de l’homme András Sajó estimait que ceux qui refusent la dénomination de « démocratie illibérale » seraient aveuglés par leur attachement aux libertés qui les empêcherait de reconnaître que la démocratie peut prendre une forme totalitaire, potentialité qui serait, selon lui, inscrite dans le concept rousseauiste de « volonté générale ». Autrement dit, une démocratie illibérale ne serait pas un oxymore, mais simplement une forme de démocratie qui refuse les acquis du constitutionnalisme libéral4.

    3Pourtant, il y a là un contresens qui va bien au-delà de celui portant sur le concept de « volonté générale », laquelle, dans l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, n’avait rien d’une acclamation puisqu’elle procède d’un citoyen qui considère quel est le bien ou l’intérêt du corps politique auquel il appartient et qui sera en conséquence amené à s’acquitter des charges liées à cette appartenance5. En réalité, il existe des liens inextricables entre l’idéal de la démocratie et les libertés de ce que nous appelons aujourd’hui « l’individu ». Parler ici d’« idéal de la démocratie » n’est pas sans risques. Comme le soulignait Claude Lefort, le concept de « démocratie » est à la fois si ancien et si communément utilisé pour désigner des réalités diverses, voire antagonistes, qu’il pourrait décourager « une pensée quelque peu soucieuse de rigueur ». Claude Lefort poursuivait toutefois ainsi :

    Mais renoncer serait tomber dans une erreur d’une autre nature ; ce serait, au nom de la connaissance exacte, exclure du réel la représentation que les hommes s’en font et oublier alors que cette représentation est elle-même constitutive du réel. Qu’il y ait, par exemple, une image confuse de la démocratie antique, une tradition qui s’entretient dans une complaisante ignorance de ses origines, une agitation vaine autour de la démocratie présente et future, cela ne dispense pas de rechercher pourquoi la notion résiste à l’usure du temps, de quelle mémoire, de quelle pratique, de quels désirs elle se nourrit6.

    4Précisément : l’idée qu’il pourrait exister une forme de démocratie sans respect de la pluralité des libertés revient à oublier les mémoires, les pratiques et les désirs partagés dont se nourrit notre imaginaire démocratique quelles que soient par ailleurs ses inflexions libérales, républicaines, socialistes ou conservatrices. Dans ce qui suit, j’aimerais montrer que la formule de « démocratie illibérale » relève d’une confusion (ou d’un subterfuge) qui manque le sens de l’expérience démocratique, assigne le peuple à l’affirmation d’une identité homogène et rabat les droits humains tout entiers du côté du libéralisme politique7.

    Le sens de l’expérience démocratique

    5À ses collègues juristes qui refusent d’admettre la possibilité d’une démocratie sans que soient garanties les libertés publiques et privées, l’historien Lucien Jaume répond qu’il « serait plus réaliste de reconnaître avec Tocqueville que la démocratie n’est pas en elle-même synonyme de liberté, mais avant tout de la “puissance du peuple”, dans un sens ou dans un autre, avec des limites acceptées ou sans limites tolérées8 ». Pourtant, c’est bien un fragment d’Alexis de Tocqueville destiné à la préparation de la dernière partie de L’Ancien Régime et la Révolution que mobilisait Claude Lefort pour dénoncer la notion de démocratie totalitaire. Soucieux de marquer la distance qui sépare la démocratie d’un gouvernement absolutiste régnant « par des lois au milieu d’institutions favorables à la condition du peuple », Tocqueville écrivait : « Son sens [celui de la démocratie] est intimement lié à l’idée de liberté politique. Donner l’épithète de gouvernement démocratique à un gouvernement où la liberté politique ne se trouve pas, c’est une absurdité palpable9. »

    6Il n’est sans doute pas nécessaire de rappeler que la liberté politique chez Tocqueville ne se réduisait pas aux « formes extérieures10 » de la liberté ou au simple fait de jeter un bulletin dans l’urne. De même qu’il n’est pas de démocratie sans droit de vote, il n’était pas, pour Tocqueville, de souveraineté populaire qui vaille sans liberté de critiquer et de délibérer. En témoigne son analyse de la liberté de la presse qu’il était pourtant loin de célébrer sans réserve : « je ne porte point à la liberté de la presse », écrivait-il, « cet amour complet et instantané qu’on accorde aux choses souverainement bonnes de leur nature. Je l’aime par la considération des maux qu’elle empêche bien plus que pour les biens qu’elle fait11 ». Sur cette question, Tocqueville estimait qu’il n’y a « pas de milieu entre la servitude et la licence12 » et que ceux qui tenteraient de se prémunir des « abus de la liberté » se retrouveraient bientôt « sous les pieds d’un despote13 ». Surtout, la censure n’était pas seulement pour lui un danger, mais bel et bien une « grande absurdité » dans un pays où « règne […] la souveraineté du peuple » :

    Lorsqu’on accorde à chacun un droit à gouverner la société, il faut bien lui reconnaître la capacité de choisir entre les différentes opinions qui agitent ses contemporains, et d’apprécier les différents faits dont la connaissance peut le guider.
    La souveraineté du peuple et la liberté de la presse sont donc deux choses entièrement corrélatives : la censure et le vote universel sont au contraire deux choses qui se contredisent et ne peuvent se rencontrer longtemps dans les institutions politiques d’un même peuple14.

    7Certes, on dira, à juste titre, que le propos de Tocqueville ne concerne que la démocratie moderne. Une autre grande figure libérale est alors régulièrement mobilisée à l’appui de l’idée selon laquelle une démocratie sans la reconnaissance d’une forme de pluralité ou de dissensus interne serait possible : celle de Benjamin Constant. Sa célèbre conférence « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes » a pu contribuer à asseoir l’image d’Épinal d’une démocratie ancienne où « [toutes] les actions privées sont soumises à une surveillance sévère » et où « [rien] n’est accordé à l’indépendance individuelle15 ». Il suffit néanmoins de relire le texte prononcé par Constant en 1819 pour comprendre que les exemples utilisés dans sa démonstration ne concernent pas la démocratie grecque mais, d’une part, le gouvernement de Lacédémone, soit une cité militaire et aristocratique, et, d’autre part, la République romaine dont Moses Finley notait qu’elle « ne fut jamais une démocratie, en aucune acceptation valable du terme, bien que des institutions populaires aient été intégrées dans le système gouvernemental oligarchique16 ». Quant à la démocratie athénienne, Constant soulignait qu’elle est celle qui « ressemble le plus aux modernes » : « observez », écrivait-il, « combien leurs mœurs ressemblent aux nôtres » même « si nous y trouvons des vestiges de la liberté propre aux anciens17 ». À cet égard, davantage que dans une opposition tranchée entre deux modèles de démocratie, le discours de Benjamin Constant participe de la construction, dans l’imaginaire libéral, du paradigme de l’Athènes bourgeoise tel que Nicole Loraux et Pierre Vidal-Naquet l’ont analysé sur la période 1750-185018.

    8Le discours de Constant n’a d’ailleurs ni le statut d’une étude historique ni même celui d’un essai théorique sur la nature de la démocratie. C’est un manifeste politique inscrit dans un contexte précis, celui de la seconde Restauration où il s’agit de lutter contre deux fronts. D’une part, contre les Ultras partisans d’un retour à l’Ancien Régime, la mise en exergue d’une « liberté des modernes » vise à défendre le caractère irréversible de la liberté religieuse et du modèle représentatif en tant que seuls adaptés à l’évolution historique des sociétés. D’autre part, contre les « excès » de la néanmoins « heureuse révolution19 », il s’agit aussi d’affirmer le « droit de disposer de sa propriété, d’en abuser même20 », contre l’influence exercée durant la Révolution par les idées égalitaires de l’abbé de Mably. C’est ainsi que Constant raille à plusieurs endroits la fascination de ce dernier pour Sparte, ce « vaste couvent », tout en soulignant que Mably n’aurait eu qu’un « profond mépris » pour Athènes dont il aurait volontiers dit : « Quel épouvantable despotisme ! Tout le monde y fait ce qu’il veut21. »

    9Reste qu’une lecture rapide, sans doute parfois réduite au seul titre, du texte de Constant a pu contribuer à alimenter ce que Jacques Rancière appelle ces « fausses évidences » sur la nature de la démocratie où une « étrange idée » de la démocratie antique comme « belle totalité citoyenne » vient valider curieusement « l’assurance libérale d’avoir tout juste inventé l’individu22 ». Nombre d’auteurs contemporains semblent ainsi mettre au crédit du seul libéralisme politique l’invention d’un mode de vie marqué par un « esprit de liberté » qui « se retrouve dans nos rapports quotidiens, d’où la méfiance est absente », où « nous sommes tolérants dans les relations particulières » et où la « cité est accueillante à tous » – autant d’expressions employées par Périclès dans l’oraison funèbre rapportée par Thucydide23. Certes, Nicole Loraux a rappelé, contre les tentations des libéraux de retrouver dans cette oraison funèbre une Athènes soucieuse des droits de l’individu, qu’il s’agit d’abord d’un discours militaire qui se poursuit en montrant que le bien de la cité est la source de toute valeur, celle qui justifie « le sacrifice de [leur] personne », et en soulignant le « lien d’étroite interdépendance unissant chaque Athénien à Athènes, chaque citoyen à la cité, chaque unité au tout24 ». Il n’en reste pas moins que ce texte, s’il ne peut prétendre être une définition de la démocratie ni une description exacte des institutions athéniennes, exprime bel et bien une représentation de la démocratie en tant qu’elle est aussi un mode de vie dont la force de séduction tient à « l’esprit de liberté caractérisant la manière dont on y vit25 ». On sait d’ailleurs comment Platon ironisera sur les charmes pernicieux de ce régime politique pareil « à un manteau multicolore brodé d’une juxtaposition de fils de toutes teintes » où la « cité devient pleine de liberté, de licence de tout dire et où il y a là possibilité de faire tout ce qu’on veut26 ».

    10L’idée n’est pas de soutenir, ce qui serait absurde, que la démocratie athénienne était « libérale » ou reconnaissait l’existence de droits individuels ou d’un domaine privé dans lequel l’Assemblée ne pouvait pas intervenir. Il ne s’agit pas non plus de minorer le fossé qui sépare la démocratie ancienne et nos régimes politiques contemporains dans lesquels « une grande partie des Athéniens du ve siècle auraient reconnu un régime oligarchique27 ». Il s’agit simplement de rappeler que, depuis l’Antiquité, la notion de démocratie est comprise non seulement comme un régime politique associé à l’iségorie (l’égalité de parole des citoyens) et à l’isonomie (le partage égal de la loi ou la capacité égale à participer à son élaboration), mais aussi comme un mode d’existence qui pouvait admettre l’irrévérence et le dissensus. Moses Finley cite ainsi l’exemple d’Aristophane, choisi pour concourir dans les fêtes officielles pour Dionysos en pleine guerre du Péloponnèse, alors qu’il ne cessait de se moquer du peuple et de ses intérêts les plus vitaux28. Même le procès de Socrate – « unique cas dans l’histoire athénienne d’une action intentée contre un intellectuel pour un délit d’opinion29 » – ne peut se comprendre, comme l’a montré Paulin Ismard, à la lumière d’un affrontement entre une démocratie liberticide et des croyances personnelles hétérodoxes. Autrement dit, quelle que soit la plasticité du vocable de démocratie, le sens de l’idéal démocratique n’a pas non plus changé du tout au tout ou alors il faudrait se résoudre à ce que la réflexion sur la démocratie ancienne ne nous concerne plus30.

    11Dans la période moderne et contemporaine, Bernard Manin a montré comment s’est imposé le choix d’un gouvernement organisé selon les principes représentatifs qui étaient pourtant pensés, à la fin du xviiie siècle, comme radicalement différents des procédures démocratiques, lesquelles étaient associées au tirage au sort31. Pour autant, cela ne signifie pas que le modèle représentatif doive être conçu comme un procédé exclusivement aristocratique réductible à la seule méfiance des élites révolutionnaires du xviiie siècle à l’égard du peuple. Pour Bernard Manin, le modèle représentatif est un gouvernement mixte où la composante élitiste de l’élection est contrebalancée par l’exigence du consentement marquée par la faculté de choisir ses représentants, par le caractère récurrent des campagnes électorales qui oblige à anticiper le choix des électeurs et à rendre des comptes, et par la nécessité que les décisions publiques soient soumises à l’épreuve de l’opinion et de la libre discussion. C’est pourquoi le respect des composantes démocratiques du régime représentatif suppose que soient garantis, outre le droit de vote, celui à la liberté d’expression ou d’association – ce dernier droit étant qualifié par Tocqueville de « presque aussi inaliénable de sa nature que la liberté individuelle32 » – et toutes les libertés individuelles (libre circulation, habeas corpus, etc.) sans lesquelles les droits politiques perdent leur assise.

    12Au-delà de ces exigences induites par le principe représentatif, la mutation introduite par la démocratie moderne ne réside pas tant dans la possibilité d’une opposition au pouvoir fondée sur le droit établi – possibilité qui existait dans l’Ancien Régime –, mais dans l’extériorité nouvelle acquise par le droit par rapport à tout pouvoir, fût-il d’origine populaire. Comme l’a montré Claude Lefort, l’émergence d’une division entre la société civile et l’État et celle des droits individuels sont les deux faces d’un même processus. La révolution symbolique opérée par la démocratie moderne est indissociable des déclarations des droits de l’homme. Les revendications de droits éclosent à partir de « foyers que le pouvoir ne peut entièrement maîtriser33 » et qui permettent de faire valoir et imposent dans l’espace public des problèmes – qu’ils soient liés au travail, à l’appartenance raciale, à l’espace domestique ou à l’orientation sexuelle – refoulés par les institutions républicaines34. C’est en ce sens que les libertés proclamées à la fin du xviiie siècle sont des « principes générateurs de la démocratie35 », car seules la confrontation publique des idées et la possibilité de contester le pouvoir permettent d’éviter que ceux qui ont été élus ne se substituent entièrement aux représentés en oubliant qu’ils ne sont pas le peuple – ou, dit autrement, que ceux qui exercent l’autorité publique ne puissent prétendre s’approprier la souveraineté du peuple. La logique du principe de représentation – qui implique que le dirigeant n’est qu’un représentant mandaté pour exercer une fonction encadrée par la loi et délimitée dans le temps – est précisément d’interdire toute forme d’identification entre un peuple toujours insaisissable et des dirigeants élus. Dans la démocratie moderne, la souveraineté populaire n’est pas une substance, mais une puissance que nul ne peut affirmer posséder ou incarner36.

    Les sens du peuple

    13Opposer la volonté d’un peuple aux droits de celles et ceux qui le composent revient à oublier qu’en démocratie, un peuple est une société ; il ne forme pas un bloc. Quand Aristote disait que l’amitié doit unir les citoyens, il n’entendait pas sous ce mot l’homogénéité d’un caractère ou d’une identité, mais le sentiment qui lie ceux qui s’accordent pour régler leurs différends dans le respect réciproque de leur liberté. Hannah Arendt saisissait cette signification politique de l’amitié présente dans l’Éthique à Nicomaque en tant qu’elle était la capacité de chacun de comprendre la vérité qu’il y a dans l’opinion de l’autre. Voir le monde du point de vue de l’autre est une notion politique par excellence et c’est pourquoi, précisait-elle, « la plus grande vertu de l’homme d’État est la capacité de comprendre le plus grand nombre et la plus grande variété de réalités possibles […] et en même temps d’être en mesure de communiquer entre les citoyens et leurs opinions de telle sorte que le caractère commun du monde devienne apparent37 ».

    14Bien sûr, une certaine identité – qu’elle soit sociale ou nationale – des citoyens est la condition de l’accord des libertés. Comme le soulignait Jürgen Habermas, dans le monde moderne, c’est la conscience nationale, « cristallisée autour d’une provenance, d’une langue et d’une histoire communes », qui a transformé « les sujets en citoyens d’une unique communauté politique, en d’autres termes, en membres capables de se sentir responsables les uns des autres38 ». Mais, poursuivait-il, cette conquête républicaine est mise en péril si la force d’intégration de la nation est ramenée aux « données prépolitiques du peuple naturel, et donc à quelque chose qui est indépendant de la formation de l’opinion et de la volonté politique des citoyens eux-mêmes39 ». Car ce qui définit la démocratie n’est pas l’homogénéité, mais une égalité de droits qui inclut celui à la liberté.

    15Ou alors il faut faire sien le modèle élaboré par Carl Schmitt, dans lequel l’égalité démocratique est identifiée à l’homogénéité nationale et le politique à la capacité de distinguer ses ennemis. Schmitt mobilisait ainsi les figures de Cromwell, Robespierre, Napoléon, Lénine ou Mussolini qui montrent que la démocratie peut se réaliser en dictature lorsqu’elle désigne, non une procédure élective, mais un régime qui garantit le peuple dans sa volonté d’être peuple et réalise l’identité des gouvernants et des gouvernés. Autrement dit, « des méthodes dictatoriales et césaristes » pouvaient, selon lui, être « des expressions immédiates de la substance et de l’énergie démocratique40 ». Cependant, que les textes de Schmitt aient, dans les années 1920, investi l’idée démocratique comme une sorte de totem susceptible de raviver le sens, sinon du sacré, du moins de l’authenticité politique, ne devrait pas faire illusion41. Schmitt et ses épigones contemporains ne font que prendre le masque de la démocratie. Ils travestissent la notion d’opinion publique qui est ramenée à l’unité d’une volonté, alors qu’elle renvoie au partage d’un espace public dans lequel tous les citoyens ont un droit égal à participer au débat sur l’intérêt général. L’argument de l’homogénéité ou de l’identité entre gouvernants et gouvernés est un sophisme délétère où l’unité du peuple sert d’argument pour écraser le peuple démocratique, toujours pluriel et conflictuel.

    16Il est d’ailleurs significatif que les auteurs attachés à défendre la pertinence du concept de « démocratie illibérale » ou de « démocratie autoritaire » avancent des exemples historiques de régimes fondés sur la volonté d’établir une sorte d’identification entre gouvernants et gouvernés par le plébiscite, une philosophie de l’incarnation dans la figure du chef et du rejet de toute forme de pluralisme politique, qu’il s’agisse du bonapartisme, du césarisme de Louis Napoléon, voire des débuts du fascisme avant le basculement vers le totalitarisme. Cependant, il faudrait alors préciser, comme le fait Pierre Rosanvallon dans son analyse du césarisme, que la démocratie illibérale n’est pas une simple juxtaposition de la démocratie et du despotisme ou une « démocratie sans la liberté42 » – ce qui reviendrait à admettre que libéralisme et démocratie sont dès le départ antagonistes, comme l’ont pensé la plupart des libéraux du temps de Napoléon III et comme semblent encore le penser nombre d’auteurs43. La démocratie illibérale est plutôt une « pathologie interne à l’idée démocratique » ou une forme de « perversion44 » qui en renverse le sens.

    17Après l’expérience du totalitarisme, Claude Lefort estimera également que cette dernière forme de domination a été rendue possible par une certaine évolution des sociétés démocratiques liée à la volonté d’annuler la division sociale au profit de la représentation d’une société qui serait homogène et transparente à elle-même, celle d’un Peuple-Un. Pour autant, il invitait à se souvenir que « la formation de ce système implique la ruine de la démocratie ; elle ne donne pas une conclusion à l’aventure historique que celle-ci a ouverte, elle en renverse le sens45 ». L’inversion d’une figure n’est pas la figure elle-même.

    18Ou, pour le dire plus simplement, tout appel au peuple n’est pas forcément démocratique en raison d’une « vacillation interne de l’idée de peuple46 ». L’expression est d’Étienne Balibar qui saisit ainsi le cœur du dilemme qui est à nouveau le nôtre aujourd’hui et qui peut « entraîner la mort de la démocratie ou sa renaissance » :

    Ou bien le peuple est un mythe, auquel les citoyens peuvent croire et s’attacher passionnément, mais qui repose sur la représentation d’une unité ou d’une indivisibilité absolue, ce qui entraîne potentiellement l’exclusion violente de la différence, l’élimination de la contestation et l’effacement de l’altérité interne, ou bien c’est la construction d’un pouvoir collectif capable d’affronter les défis et les dangers de l’histoire en se fondant sur l’intelligence de ses propres conflits d’intérêts et des identités multiples qui le constituent, donc sur un pluralisme intrinsèque47.

    19C’est peut-être cette « vacillation interne de l’idée de peuple » que manque le recours au vocable de populisme qui sature désormais nos espaces publics, plus encore que l’expression de « démocratie illibérale », et qui permet de désigner des phénomènes aussi différents que la victoire du Brexit en 2016 en Grande-Bretagne, les attaques contre l’État de droit en Hongrie ou en Pologne avant la victoire de la coalition civique d’octobre 2023, la montée du Rassemblement national en France, mais aussi des mouvements de résistance aux politiques économiques ultralibérales, tels que Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce48. Comme le note Antoine Chollet, seul le recours à des définitions du populisme où règne le « flou le plus total49 » permettent d’embrasser la variété des cas considérés. Il en va ainsi de celle avancée par Cas Mudde, selon laquelle le populisme considère que la société est divisée en deux groupes antagonistes, un peuple supposé pur et des élites corrompues, et que la politique doit être l’expression de la volonté générale50. À ce compte, nombre de luttes ou d’écrits politiques des deux derniers millénaires pourraient être qualifiés de « populistes » : qu’il s’agisse des attaques des démocrates athéniens contre les oligarques, de la distinction entre les « grands » et le « peuple » tracée par Machiavel ou encore des coups portés contre les aristocrates par Thomas Paine51. Quant au deuxième critère censé singulariser les aspirations populistes (la politique doit être l’expression de la volonté générale), il figure presque tel quel à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et a permis d’exprimer nombre d’ambitions démocratiques depuis les révolutions de la fin du xviiie siècle.

    20En réalité, le fait d’en appeler au peuple, à la volonté générale, et de dénoncer les privilèges ou la corruption des élites ne nous dit rien en soi sur les intentions réelles des protagonistes qui peuvent aussi bien être animés d’un souci d’extension des droits à la liberté et à l’égalité ou, à l’inverse, être soucieux de rabattre la citoyenneté à une communauté définie par son homogénéité culturelle. La question n’est pas de savoir si ces mouvements se réclament ou non du « peuple », mais de déterminer s’il s’agit, dans une perspective démocratique, de la défense de la liberté de celles et ceux soumis à la domination, le peuple étant compris ici comme toujours pluriel et divisé, ou s’il s’agit, dans une perspective nationaliste, d’affirmer l’identité d’un peuple homogène.

    21En l’absence de cette distinction, nous risquons de réunir sous un même vocable des États conservateurs et autoritaires, des mouvements d’extrême droite nationalistes, voire parfois fascistes, des mouvements de gauche tentés de substituer à la pluralité de la société démocratique un antagonisme binaire entre un bloc populaire et un bloc oligarchique, mais aussi des mouvements de démocratisation radicale qui contestent le caractère oligarchique des institutions politiques en se fondant sur un pluralisme intrinsèque et qui correspondent aux conflits et aux désordres qui rendent possible la liberté52.

    Droits de l’homme et libéralisme politique

    22Enfin, la formule de « démocratie illibérale » a pour effet de rabattre les déclarations des droits de l’homme – qu’il s’agisse de celles de la fin du xviiie siècle, de la Déclaration universelle de 1948, de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 ou, plus récemment, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 – du seul côté du libéralisme politique. Or, si l’expression de « droits libéraux » s’est imposée, il n’est pas sûr qu’elle fasse sens. En réalité, la proclamation des droits de l’homme en 1789 se situe en deçà de la divergence entre libéralisme et socialisme53. Le débat multiforme entre libéraux et socialistes est ouvert par la seconde phrase de l’article 1er de la Déclaration de 1789 : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Une telle formule peut conduire aussi bien à un libéralisme politique, qui fait primer la liberté sur l’égalité, qu’à un socialisme démocratique, qui fait de la liberté et de l’égalité deux composantes indissociables du même dispositif – comme l’exprime le vocable égaliberté forgé par Étienne Balibar54. La Déclaration de 1793, dont s’est longtemps réclamée la gauche en l’opposant à celle de 1789, faisait de l’égalité le premier des droits de l’homme et prévoyait un droit à l’assistance pour ceux qui ne sont pas en mesure de travailler. La première apparition politique du socialisme fut le communisme de Babeuf, dont le journal s’intitulait Le Tribun du peuple, ou le Défenseur des droits de l’homme (1794-1796). Le « socialisme originel » voulait être la réalisation intégrale des droits de l’homme bien compris. Ce sera de nouveau le cas plus tard chez Jean Jaurès, pour qui « c’est le socialisme seul qui donnera à la Déclaration des Droits de l’Homme tout son sens55 ».

    23Dans le même temps, une distance, pour ne pas dire une méfiance, vis-à-vis de la rhétorique des droits de l’homme traverse l’œuvre de certains penseurs libéraux de la fin du xviiie siècle et de la première moitié du xixe siècle qui refusent la fiction des droits naturels ou qui associent la revendication intransigeante des droits de l’homme à la Terreur de 1793. La charge impitoyable de Jeremy Bentham en 1795 contre les droits de l’homme, « une absurdité rhétorique, une absurdité montée sur des échasses56 », n’a d’égal que la virulence de celle lancée par Edmund Burke dès 179057. Il est vrai que l’appartenance tant de l’utilitariste Bentham que du conservateur Burke au libéralisme politique peut être contestée, ne serait-ce qu’en raison de l’anachronisme qu’il y a à user d’un terme qui n’existait pas au moment où sont rédigées leurs attaques contre les déclarations françaises. Mais même le vibrant plaidoyer en faveur de la liberté individuelle publié en 1859 par John Stuart Mill annonce d’emblée sa volonté d’écarter « toute idée d’un droit abstrait, indépendant de l’utilité » ; sa défense du libre développement de l’individualité repose sur une forme d’utilitarisme élargi, à savoir, écrivait-il, « les intérêts permanents de l’homme en tant qu’être susceptible de progrès58 ». Plus près de nous, un auteur tel que Friedrich Hayek n’avait que des réticences pour les déclarations des droits de l’homme et le plus grand mépris pour celle de 1948, en particulier, qui, en confondant des droits et des aspirations, en venait à assurer « au paysan, à l’Esquimau, et qui sait à l’Abominable Homme des Neiges, des “congés payés périodiques”59 ». Au-delà de son hostilité bien connue aux droits économiques et sociaux, il convient de rappeler que, même dans le champ limité des droits civils et politiques, Hayek estimait qu’il n’était « aucun besoin d’un catalogue de droits protégés ». Énumérer précisément les libertés individuelles à protéger pouvait, soulignait-il, avoir cet effet pervers de donner à penser que, dans les autres matières, la législature est libre d’empêcher ou de contraindre les gens sans s’engager à limiter son intervention aux seuls comportements qui empièteraient sur le domaine d’autrui60.

    24C’est bien plus autour de la nécessité de limiter le pouvoir qu’autour d’une adhésion unanime et sans réserve aux déclarations des droits de l’homme que se rejoignent la très grande variété de doctrines qualifiées de « libérales » qui commencent à s’élaborer, notamment en France sous la seconde Restauration61. Et pour ceux des libéraux qui défendent la nécessité d’un catalogue de droits protégés, ces derniers sont avant tout conçus comme des prérogatives que possèdent les individus et qui fixent des limites tant au pouvoir de l’État qu’à l’expression de la souveraineté populaire. Cette conception n’épuise cependant pas la dynamique des droits de l’homme qui peuvent être aussi entendus, dans une perspective plus sociale ou plus radicale, non pas comme des attributs naturels d’un individu préservé de toute forme d’intrusion politique, mais comme des principes constitutifs de l’espace social démocratique. Selon cette ligne d’interprétation, ouverte par Claude Lefort et que poursuivent, avec leurs inflexions propres, des auteurs tels que Jacques Rancière62 ou Étienne Balibar63, la portée démocratique des droits de l’homme excède celle de l’État de droit qui devient :

    […] le théâtre d’une contestation, dont l’objet ne se réduit pas à la conservation d’un pacte tacitement établi, mais qui se forme depuis des foyers que le pouvoir ne peut entièrement maîtriser. De la légitimation de la grève ou des syndicats, au droit relatif au travail ou à la Sécurité sociale, s’est ainsi développée sur la base des droits de l’homme toute une histoire qui transgressait les frontières dans lesquelles l’État prétendait se définir, une histoire qui reste ouverte64.

    25Ainsi compris, les droits de l’homme ouvrent le champ des possibles : parce qu’ils sont les conditions de la liberté de la discussion démocratique, ils portent en eux une dynamique, non de limitation, mais bien d’universalisation de la démocratie. Autrement dit, les droits de l’homme ne sont pas plus « libéraux » que « socialistes » ou « conservateurs ». Ils ne sont pas une sorte d’absolu d’où se tirerait mécaniquement un droit à faire tout ce qui ne nuit pas à la liberté d’autrui. Ils n’imposent pas une forme de « neutralité axiologique » entre différents modes de vie et ne permettent en rien de faire l’économie d’un débat collectif qui considère les implications politiques, économiques ou morales de telle ou telle revendication.

    26Les arguments avancés ici ne visent donc pas à soutenir que démocratie et libéralisme sont des termes synonymes. Il a existé et il existe des formes de libéralisme hostiles à la démocratie, soit qu’elles lui préfèrent un gouvernement des élites contrôlé par la séparation des pouvoirs, soit qu’elles estiment que les règles de la société de marché doivent être radicalement soustraites au pouvoir politique. C’est ainsi que le mouvement démocratique du xixe siècle s’est défini par le projet d’aller au-delà du libéralisme par l’élargissement des droits, l’extension de la participation politique, la mise en place de droits sociaux. Mais ce dépassement n’a jamais voulu être une destruction. Le mouvement démocratique du xixe siècle, fût-il si critique du libéralisme, ne s’est pas défini comme « illibéral » et n’a pas remis en cause l’acquis libéral que constituaient les institutions de l’État de droit et les garanties des libertés individuelles. Il en va de même aujourd’hui des auteurs et des acteurs qui considèrent que la réalisation des libertés individuelles suppose de penser une liberté proprement sociale ou collective : cet écart par rapport au libéralisme ne prend pas la forme d’un antilibéralisme ou d’un illibéralisme65 qui viserait à remettre en question la division du pouvoir, le contrôle des représentants et la garantie du pluralisme politique et idéologique qui sont, écrit Étienne Balibar, « une nécessité vitale. Il faut les défendre à tout prix, ou lutter pour leur restauration66 ».

    27Ces dernières précisions ne signifient pas que la seule forme possible de démocratie moderne soit un régime représentatif complété par un contrôle de la constitutionnalité des lois par une cour suprême. Un libéral revendiqué tel que Jeremy Waldron peut ainsi plaider que, si certaines conditions civiques et institutionnelles sont remplies, le contrôle judiciaire des lois votées par un parlement ne permet pas de mieux protéger les droits et qu’il est illégitime d’un point de vue démocratique67. L’exemple récent des États-Unis permet d’ailleurs de douter que les tribunaux soient toujours et partout les plus sûrs garants des libertés individuelles. D’autres types de formation démocratique de la volonté populaire que la représentation – qu’il s’agisse du tirage au sort ou des conventions citoyennes – et d’autres modalités de contrôle du respect des droits peuvent être envisagés et/ou se combiner les uns aux autres. En revanche, il n’y a pas de démocratie moderne sans des individus libres et égaux, donc sans respect de l’égalité des droits. Ou alors, à nouveau, il faut faire sien le modèle élaboré par Schmitt, dans lequel l’égalité démocratique est identifiée à l’homogénéité nationale et le politique à la capacité de distinguer ses ennemis.

    *

    28Claude Lefort, reprenant à son compte le mot d’Alexis de Tocqueville, qualifiait autrefois l’expression de « démocratie totalitaire » d’« absurdité palpable68 ». Celle de « démocratie illibérale », quant à elle, ne peut valoir que comme énoncé polémique provisoire, destiné à pointer les contradictions de certaines formes de régimes électoraux qui détruisent peu à peu les libertés pour entrer dans le champ de l’autoritarisme. Le fait indéniable, souligné par Joseph Weiler, que les autocraties électorales que compte désormais l’Union européenne ne soient pas des tyrannies où les populations vivraient dans la crainte que la police ne défonce leurs portes au milieu de la nuit, et encore moins des régimes totalitaires ployant sous le règne de la terreur, ne suffit pas à estimer que « la volonté libre du peuple » n’y est pas réprimée69 – sauf à identifier le peuple à la seule expression d’une majorité électorale. Qu’Orbán ne soit ni Franco ni Ceaușescu n’en fait pas pour autant un démocrate. Le fait qu’il reste possible d’inverser le mouvement, comme semble l’indiquer la victoire d’octobre 2023 de la coalition civique en Pologne, ne signifie pas que la démocratie illibérale constitue un nouveau modèle politique, comme s’il pouvait exister une démocratie sans respect de la pluralité des libertés, mais qu’un processus de dé-démocratisation n’est (heureusement) pas irréversible.

    29Davantage qu’à une dissociation entre les composantes libérales et les composantes démocratiques de nos régimes politiques, c’est plutôt à un recul simultané du libéralisme et de la démocratie que nous assistons aujourd’hui en plusieurs points de l’Union européenne, où les atteintes apportées à l’État de droit ne se séparent pas des coups donnés aux conditions de formation de la volonté démocratique, que ce soit en termes de capacité de critiquer ou de délibérer. Ce double recul prend des formes très diverses – qu’il s’agisse de l’autocratie électorale hongroise ou des coups portés au droit d’asile, au droit à la sûreté ou aux pouvoirs des parlements dans des démocraties où la liberté d’expression et de contestation des citoyens est par ailleurs préservée.

    30Cette situation nous expose à deux dangers inverses. Le premier danger, présent chez celles et ceux qui se réclament d’un populisme dit « de gauche », serait de sous-estimer l’importance des institutions politiques liées à la défense de l’État de droit, en pariant sur le caractère nécessairement démocratique des « demandes sociales insatisfaites » et des aspirations populaires70 et en substituant à la division démocratique un antagonisme binaire entre alliés et adversaires71. Le second danger serait de réduire la démocratie à ses seules formes constitutionnelles liées au respect des procédures électorales, à l’indépendance de la justice et à la séparation des pouvoirs institués, en oubliant que l’aspiration démocratique est toujours en excès sur sa réalisation effective et qu’elle se nourrit de la contradiction publique des actions du pouvoir rendue possible par les mobilisations des citoyens ordinaires. Même ceux qui ne souscrivent pas à une conception « sauvage » de la démocratie, qui considère que les conflits sont inséparables de l’institution globale du social dans une société démocratique, concéderont, avec Benjamin Constant, que « pour que le sentiment de liberté pénètre jusque dans l’âme du peuple, il faut peut-être que la liberté revête parfois des formes populaires, orageuses et bruyantes72 » – formes qui seront toujours moins dangereuses que les restrictions de liberté prises pour les contenir.

    Notes de bas de page

    1F. Zakaria, « The rise of illiberal democracy », Foreign Affairs, vol. 76, no 6, 1997, p. 22-43, et id., The Future of Freedom. Illiberal Democracy at Home and Abroad, New York, W.W. Norton & Co., 2003.

    2https://budapestbeacon.com/full-text-of-viktor-orbans-speech-at-baile-tusnad-tusnadfurdo-of-26-july-2014/ (consulté le 20/03/2024). Ma traduction.

    3Y. Mounk, The People vs. Democracy. Why Our Freedom Is in Danger and How to Save It, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2018.

    4A. Sajó, Ruling by Cheating. Governance in Illiberal Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2021, p. 5.

    5Cf. C. Spector, Rousseau. Les paradoxes de l’autonomie démocratique, Paris, Michalon, 2015, p. 74-76. Norberto Bobbio notait ainsi qu’attribuer à Jean-Jacques Rousseau la paternité de la « démocratie totalitaire » revenait à « entretenir une polémique aussi prospère que déplacée » (N. Bobbio, Libéralisme et démocratie, trad. de N. Giovannini, Paris, Le Cerf, 1996, p. 13).

    6C. Lefort, « Pour une sociologie de la démocratie », in : Éléments d’une critique de la bureaucratie, Genève, Droz, 1971, p. 332.

    7Cf. une position similaire à celle exprimée ici : M. Fœssel, « La “démocratie illibérale” n’existe pas », AOC, 5 mars 2018, https://aoc.media/analyse/2018/03/05/ne-parlez-plus-de-democratie-illiberale/ (consulté le 20/03/2024).

    8L. Jaume, « “Démocratie illibérale” : une nouvelle notion ? », Constitutions : revue de droit constitutionnel appliqué, vol. 6, 2019, p. 177-187.

    9Cité par C. Lefort, « Les droits de l’homme et l’État-providence », in : Essais sur le politique (xixe-xxe siècles), Paris, Seuil, 1986, p. 43.

    10Ibid.

    11A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Folio, 1986, t. I, partie II, chap. iii, p. 275.

    12Ibid., p. 279.

    13Ibid., p. 277.

    14Ibid.

    15B. Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, Paris, Mille et Une Nuits, 2010, p. 11.

    16M. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, trad. de M. Alexandre, Paris, Payot, 2019, p. 60.

    17B. Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, op. cit., p. 19-20.

    18N. Loraux et P. Vidal-Naquet, « La formation de l’Athènes bourgeoise. Essai d’historiographie 1750-1850 », in N. Loraux, La Grèce hors d’elle et autres textes. Écrits 1973-2003, Paris, Klincksieck, 2023, p. 156-199.

    19B. Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, op. cit., p. 7.

    20Ibid., p. 10.

    21Ibid., p. 26.

    22J. Rancière, Aux bords du politique, Paris, Folio, 2012, p. 76.

    23Thucydide, La Guerre du Péloponnèse II, 37 et 39, trad. de D. Roussel, Paris, Folio, 2022, p. 153-155.

    24N. Loraux, « Du libéralisme en histoire ou l’individu-écran », in : La Grèce hors d’elle et autres textes, op. cit., p. 259-258 et p. 261. Cf. aussi id., L’Invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la « cité classique », Paris, Éditions de l’EHESS, 2022, p. 257-276.

    25F. Guénard, La Démocratie universelle. Philosophie d’un modèle politique, Paris, Seuil, 2016, p. 82.

    26Platon, La République VIII, 557b-c, trad. de P. Pachet, Paris, Folio, 1993, p. 428.

    27P. Ismard, L’Événement Socrate, Paris, Flammarion, 2017, p. 287.

    28M. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, op. cit., p. 135-138.

    29P. Ismard, L’Événement Socrate, op. cit., p. 53.

    30J’emprunte cette expression à Nicole Loraux qui invitait les historiens à garder le « désinvestissement » vis-à-vis des enjeux du présent à « une bonne mesure » : « […] aspirée par des préoccupations très actuelles, l’ancienne Athènes s’était trop rapprochée ; l’éloigner drastiquement signifierait à coup sûr que la réflexion sur la démocratie ne nous concerne plus, et le gain de l’opération serait médiocre » (N. Loraux, « Du libéralisme en histoire ou l’individu-écran », op. cit., p. 262).

    31B. Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 2019, p. 15.

    32A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, op. cit., t. I, partie II, chap. iii, p. 293.

    33C. Lefort, « Droits de l’homme et politique », in : L’Invention démocratique. Les limites de la domination totalitaire, Paris, Fayard, 1994, p. 67.

    34Cf. J. Rancière, La Haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005, p. 70.

    35C. Lefort, « La logique totalitaire », in : L’Invention démocratique, op. cit., p. 92.

    36Cf. P. Rosanvallon, La Démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Folio, 2003, p. 433.

    37H. Arendt, « Philosophy and politics », Social Research, vol. 57, no 1, 1990, p. 73-103, ici p. 84. Ma traduction.

    38J. Habermas, L’Intégration républicaine. Essais de théorie politique, trad. de R. Rochlitz, Paris, Fayard, 1998, p. 103.

    39Ibid., p. 106.

    40C. Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. de L. Deroche, Paris, PUF, 1993, p. 385.

    41Je me permets de renvoyer à J. Lacroix et J.-Y. Pranchère, Le Procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique, Paris, Seuil, 2016, chap. vi.

    42Selon l’expression de Jules Simon, cité par P. Rosanvallon, La Démocratie inachevée, op. cit., p. 235.

    43Ibid., p. 236.

    44Ibid., p. 237 et p. 236.

    45C. Lefort, « Les droits de l’homme et l’État-providence », op. cit., p. 43.

    46É. Balibar, Libre parole, Paris, Galilée, 2018, p. 38.

    47Ibid., p. 38-39.

    48Sur la question du populisme, ses origines historiques et ses mésusages contemporains : F. Tarragoni, L’Esprit démocratique du populisme, Paris, La Découverte, 2019 ; A. Chollet, L’Antipopulisme ou la Nouvelle Haine de la démocratie, Paris, Textuel, 2023.

    49A. Chollet, L’Antipopulisme ou la Nouvelle Haine de la démocratie, op. cit., p. 12.

    50C. Mudde, « The populist Zeitgeist », Government and Opposition, vol. 39, no 4, 2004, p. 541-563.

    51Cf. A. Chollet, L’Antipopulisme ou la Nouvelle Haine de la démocratie, op. cit., p. 15.

    52Sur ce thème, cf. notamment les contributions d’A. Chollet et d’A. Guichoux sur le concept de « démocratie sauvage » dans J. Lacroix et M. Fœssel (dir.), « L’inquiétude démocratique. Claude Lefort au présent », Esprit, no 451, 2019, p. 41-146.

    53Je renvoie aux remarques de J.-Y. Pranchère dans « Pour une politique de l’égaliberté », entretien avec R. Baille, A.-L. Bujon, L. Clet et A. Garapon, Esprit, no 435, 2017, p. 122.

    54É. Balibar, La Proposition de l’égaliberté. Essais politiques (1989-2009), Paris, PUF, 2010.

    55J. Jaurès, « Le socialisme et la vie », in : Études socialistes, Cahiers de la Quinzaine, série III, cahier 4, 1901, p. 135-148, ici p. 137.

    56J. Bentham, L’Absurdité montée sur des échasses, trad. de B. Binoche et J.-P. Cléro, in : Bentham contre les droits de l’homme, Paris, PUF, 2007, p. 17-124, ici p. 34.

    57E. Burke, Réflexions sur la Révolution de France, trad. de P. Andler, Paris, Hachette, 1989.

    58J.S. Mill, De la liberté, trad. de L. Lenglet, Paris, Folio, 1990, p. 76.

    59F. Hayek, Droit, législation et liberté, trad. de R. Audoin, Paris, PUF, 2007, partie II (1976), p. 524.

    60Ibid., partie III (1979), p. 802-803.

    61Cf. A. Ghins, « What is French liberalism? », Political Studies, 28 octobre 2022, https://doi.org/10.1177/00323217221126727.

    62Cf., notamment, J. Rancière, La Haine de la démocratie, op. cit., et id., « Who is the subject of the rights of man? », South Atlantic Quarterly, vol. 103, no 2-3, 2004.

    63Cf., notamment, É. Balibar, Les Frontières de la démocratie, Paris, La Découverte, 1992, et id., La Proposition de l’égaliberté, op. cit.

    64C. Lefort, « Droits de l’homme et politique », op. cit., p. 67.

    65Cf. J.-Y. Pranchère, « Pour une liberté sociale et collective. Défendre le libéralisme sans s’y identifier », Esprit, no 474, 2021, p. 109-120.

    66É. Balibar, Libre parole, op. cit., p. 32.

    67J. Waldron, « The core of the case against judicial review », The Yale Law Journal, vol. 115, no 6, 2016, p. 1346-1406.

    68C. Lefort, « Les droits de l’homme et l’État-providence », op. cit., p. 43.

    69J. Weiler, « Orbán and the self-asphyxiation of democracy », EJIL: Talk!, 4 août 2020, https://www.ejiltalk.org/orban-and-the-self-asphyxiation-of-democracy/ (consulté le 20/03/2024).

    70Cf. la critique du populisme d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe par F. Tarragoni, « Populisme et démocratie : les impasses d’une polarisation scientifique », Raisons politiques, no 86, 2022, p. 113-129, ici p. 124-125.

    71Cf. A. Chollet, « L’énigme de la démocratie sauvage », Esprit, no 451, 2019, p. 136-146.

    72B. Constant, Fragments d’un ouvrage abandonné sur la possibilité d’une constitution républicaine dans un grand pays, Paris, Aubier, 1991 ; cité par F. Freller, « Sieyès et Rœderer, des autoritaires libéraux ? », Éthique, politique, religions, no 21, 2022, p. 133-159, ici p. 159.

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    1F. Zakaria, « The rise of illiberal democracy », Foreign Affairs, vol. 76, no 6, 1997, p. 22-43, et id., The Future of Freedom. Illiberal Democracy at Home and Abroad, New York, W.W. Norton & Co., 2003.

    2https://budapestbeacon.com/full-text-of-viktor-orbans-speech-at-baile-tusnad-tusnadfurdo-of-26-july-2014/ (consulté le 20/03/2024). Ma traduction.

    3Y. Mounk, The People vs. Democracy. Why Our Freedom Is in Danger and How to Save It, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2018.

    4A. Sajó, Ruling by Cheating. Governance in Illiberal Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2021, p. 5.

    5Cf. C. Spector, Rousseau. Les paradoxes de l’autonomie démocratique, Paris, Michalon, 2015, p. 74-76. Norberto Bobbio notait ainsi qu’attribuer à Jean-Jacques Rousseau la paternité de la « démocratie totalitaire » revenait à « entretenir une polémique aussi prospère que déplacée » (N. Bobbio, Libéralisme et démocratie, trad. de N. Giovannini, Paris, Le Cerf, 1996, p. 13).

    6C. Lefort, « Pour une sociologie de la démocratie », in : Éléments d’une critique de la bureaucratie, Genève, Droz, 1971, p. 332.

    7Cf. une position similaire à celle exprimée ici : M. Fœssel, « La “démocratie illibérale” n’existe pas », AOC, 5 mars 2018, https://aoc.media/analyse/2018/03/05/ne-parlez-plus-de-democratie-illiberale/ (consulté le 20/03/2024).

    8L. Jaume, « “Démocratie illibérale” : une nouvelle notion ? », Constitutions : revue de droit constitutionnel appliqué, vol. 6, 2019, p. 177-187.

    9Cité par C. Lefort, « Les droits de l’homme et l’État-providence », in : Essais sur le politique (xixe-xxe siècles), Paris, Seuil, 1986, p. 43.

    10Ibid.

    11A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Folio, 1986, t. I, partie II, chap. iii, p. 275.

    12Ibid., p. 279.

    13Ibid., p. 277.

    14Ibid.

    15B. Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, Paris, Mille et Une Nuits, 2010, p. 11.

    16M. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, trad. de M. Alexandre, Paris, Payot, 2019, p. 60.

    17B. Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, op. cit., p. 19-20.

    18N. Loraux et P. Vidal-Naquet, « La formation de l’Athènes bourgeoise. Essai d’historiographie 1750-1850 », in N. Loraux, La Grèce hors d’elle et autres textes. Écrits 1973-2003, Paris, Klincksieck, 2023, p. 156-199.

    19B. Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, op. cit., p. 7.

    20Ibid., p. 10.

    21Ibid., p. 26.

    22J. Rancière, Aux bords du politique, Paris, Folio, 2012, p. 76.

    23Thucydide, La Guerre du Péloponnèse II, 37 et 39, trad. de D. Roussel, Paris, Folio, 2022, p. 153-155.

    24N. Loraux, « Du libéralisme en histoire ou l’individu-écran », in : La Grèce hors d’elle et autres textes, op. cit., p. 259-258 et p. 261. Cf. aussi id., L’Invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la « cité classique », Paris, Éditions de l’EHESS, 2022, p. 257-276.

    25F. Guénard, La Démocratie universelle. Philosophie d’un modèle politique, Paris, Seuil, 2016, p. 82.

    26Platon, La République VIII, 557b-c, trad. de P. Pachet, Paris, Folio, 1993, p. 428.

    27P. Ismard, L’Événement Socrate, Paris, Flammarion, 2017, p. 287.

    28M. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, op. cit., p. 135-138.

    29P. Ismard, L’Événement Socrate, op. cit., p. 53.

    30J’emprunte cette expression à Nicole Loraux qui invitait les historiens à garder le « désinvestissement » vis-à-vis des enjeux du présent à « une bonne mesure » : « […] aspirée par des préoccupations très actuelles, l’ancienne Athènes s’était trop rapprochée ; l’éloigner drastiquement signifierait à coup sûr que la réflexion sur la démocratie ne nous concerne plus, et le gain de l’opération serait médiocre » (N. Loraux, « Du libéralisme en histoire ou l’individu-écran », op. cit., p. 262).

    31B. Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 2019, p. 15.

    32A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, op. cit., t. I, partie II, chap. iii, p. 293.

    33C. Lefort, « Droits de l’homme et politique », in : L’Invention démocratique. Les limites de la domination totalitaire, Paris, Fayard, 1994, p. 67.

    34Cf. J. Rancière, La Haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005, p. 70.

    35C. Lefort, « La logique totalitaire », in : L’Invention démocratique, op. cit., p. 92.

    36Cf. P. Rosanvallon, La Démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Paris, Folio, 2003, p. 433.

    37H. Arendt, « Philosophy and politics », Social Research, vol. 57, no 1, 1990, p. 73-103, ici p. 84. Ma traduction.

    38J. Habermas, L’Intégration républicaine. Essais de théorie politique, trad. de R. Rochlitz, Paris, Fayard, 1998, p. 103.

    39Ibid., p. 106.

    40C. Schmitt, Théorie de la Constitution, trad. de L. Deroche, Paris, PUF, 1993, p. 385.

    41Je me permets de renvoyer à J. Lacroix et J.-Y. Pranchère, Le Procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique, Paris, Seuil, 2016, chap. vi.

    42Selon l’expression de Jules Simon, cité par P. Rosanvallon, La Démocratie inachevée, op. cit., p. 235.

    43Ibid., p. 236.

    44Ibid., p. 237 et p. 236.

    45C. Lefort, « Les droits de l’homme et l’État-providence », op. cit., p. 43.

    46É. Balibar, Libre parole, Paris, Galilée, 2018, p. 38.

    47Ibid., p. 38-39.

    48Sur la question du populisme, ses origines historiques et ses mésusages contemporains : F. Tarragoni, L’Esprit démocratique du populisme, Paris, La Découverte, 2019 ; A. Chollet, L’Antipopulisme ou la Nouvelle Haine de la démocratie, Paris, Textuel, 2023.

    49A. Chollet, L’Antipopulisme ou la Nouvelle Haine de la démocratie, op. cit., p. 12.

    50C. Mudde, « The populist Zeitgeist », Government and Opposition, vol. 39, no 4, 2004, p. 541-563.

    51Cf. A. Chollet, L’Antipopulisme ou la Nouvelle Haine de la démocratie, op. cit., p. 15.

    52Sur ce thème, cf. notamment les contributions d’A. Chollet et d’A. Guichoux sur le concept de « démocratie sauvage » dans J. Lacroix et M. Fœssel (dir.), « L’inquiétude démocratique. Claude Lefort au présent », Esprit, no 451, 2019, p. 41-146.

    53Je renvoie aux remarques de J.-Y. Pranchère dans « Pour une politique de l’égaliberté », entretien avec R. Baille, A.-L. Bujon, L. Clet et A. Garapon, Esprit, no 435, 2017, p. 122.

    54É. Balibar, La Proposition de l’égaliberté. Essais politiques (1989-2009), Paris, PUF, 2010.

    55J. Jaurès, « Le socialisme et la vie », in : Études socialistes, Cahiers de la Quinzaine, série III, cahier 4, 1901, p. 135-148, ici p. 137.

    56J. Bentham, L’Absurdité montée sur des échasses, trad. de B. Binoche et J.-P. Cléro, in : Bentham contre les droits de l’homme, Paris, PUF, 2007, p. 17-124, ici p. 34.

    57E. Burke, Réflexions sur la Révolution de France, trad. de P. Andler, Paris, Hachette, 1989.

    58J.S. Mill, De la liberté, trad. de L. Lenglet, Paris, Folio, 1990, p. 76.

    59F. Hayek, Droit, législation et liberté, trad. de R. Audoin, Paris, PUF, 2007, partie II (1976), p. 524.

    60Ibid., partie III (1979), p. 802-803.

    61Cf. A. Ghins, « What is French liberalism? », Political Studies, 28 octobre 2022, https://doi.org/10.1177/00323217221126727.

    62Cf., notamment, J. Rancière, La Haine de la démocratie, op. cit., et id., « Who is the subject of the rights of man? », South Atlantic Quarterly, vol. 103, no 2-3, 2004.

    63Cf., notamment, É. Balibar, Les Frontières de la démocratie, Paris, La Découverte, 1992, et id., La Proposition de l’égaliberté, op. cit.

    64C. Lefort, « Droits de l’homme et politique », op. cit., p. 67.

    65Cf. J.-Y. Pranchère, « Pour une liberté sociale et collective. Défendre le libéralisme sans s’y identifier », Esprit, no 474, 2021, p. 109-120.

    66É. Balibar, Libre parole, op. cit., p. 32.

    67J. Waldron, « The core of the case against judicial review », The Yale Law Journal, vol. 115, no 6, 2016, p. 1346-1406.

    68C. Lefort, « Les droits de l’homme et l’État-providence », op. cit., p. 43.

    69J. Weiler, « Orbán and the self-asphyxiation of democracy », EJIL: Talk!, 4 août 2020, https://www.ejiltalk.org/orban-and-the-self-asphyxiation-of-democracy/ (consulté le 20/03/2024).

    70Cf. la critique du populisme d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe par F. Tarragoni, « Populisme et démocratie : les impasses d’une polarisation scientifique », Raisons politiques, no 86, 2022, p. 113-129, ici p. 124-125.

    71Cf. A. Chollet, « L’énigme de la démocratie sauvage », Esprit, no 451, 2019, p. 136-146.

    72B. Constant, Fragments d’un ouvrage abandonné sur la possibilité d’une constitution républicaine dans un grand pays, Paris, Aubier, 1991 ; cité par F. Freller, « Sieyès et Rœderer, des autoritaires libéraux ? », Éthique, politique, religions, no 21, 2022, p. 133-159, ici p. 159.

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    Lacroix, Justine. « Une démocratie sans libertés ? Réflexions sur la notion de démocratie illibérale ». In Les valeurs de l’Europe, un enjeu démocratique. Paris: Collège de France, 2024. https://doi.org/10.4000/11p26.
    Lacroix, Justine. « Une démocratie sans libertés ? Réflexions sur la notion de démocratie illibérale ». Les valeurs de l’Europe, un enjeu démocratique, Collège de France, 2024, https://doi.org/10.4000/11p26.

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