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La Critique de la raison pure de Kant

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Martial Gueroult

Présentation

Arnaud Pelletier

Texte intégral

  • 1 Par ordre de publication : La Philosophie transcendantale de Salomon Maïmon, Paris, Alcan, 1929 ; L (...)

1Martial Gueroult (1891-1976) fut l’un des grands historiens de la philosophie au xxe siècle. Professeur à l’université de Strasbourg puis à la Sorbonne, il est élu au Collège de France en 1951. Il est l’auteur de monographies d’envergure sur des figures marquantes de la philosophie moderne : d’abord sur les « postkantiens » Salomon Maïmon et Johann Gottlieb Fichte, puis sur Leibniz, Descartes, Malebranche, Berkeley et Spinoza1. C’est avec les deux volumes de son Descartes selon l’ordre des raisons, parus en 1953, qu’il s’engage pleinement dans une querelle restée fameuse sur l’interprétation du philosophe français et, plus généralement, sur la méthode à suivre en histoire de la philosophie. En considérant ainsi la liste de ces portraits philosophiques, entre grandes figures « prékantiennes » et auteurs « postkantiens », on peut s’étonner de l’absence d’un livre sur Kant même.

  • 2 Voir respectivement : Martial Gueroult, « L’antidogmatisme de Kant et de Fichte », Revue de métaphy (...)

2Certes, Gueroult a publié quelques études sur Kant. L’un de ses tout premiers articles lui est consacré, et sa thèse principale sur Fichte s’ouvre sur une magistrale exposition des « Antécédents doctrinaux de la doctrine de la science » où la part belle est faite à Kant2. Mais il n’a pas publié de livre sur le philosophe de Königsberg. Pourtant, loin d’éviter Kant, il a bien envisagé un livre sur lui et y a travaillé de longues années.

  • 3 Martial Gueroult, « Histoire et technologie des systèmes philosophiques », Annuaire du Collège de F (...)
  • 4 Voir Fernand Brunner, « Hommage à Martial Gueroult », Revue de théologie et de philosophie, vol. 27 (...)
  • 5 Voir Louis Guillermit, « Martial Gueroult † 13.08.1976. III. Kant », Archiv für Geschichte der Phil (...)

3En effet, dans le résumé de son cours au Collège de France de l’année 1957-1958 – qui, cette année-là, fut précisément consacré à la Critique de la raison pure de Kant – Gueroult annonce la publication à venir d’un livre reprenant l’exposé des problèmes et des difficultés abordés dans les deuxième et troisième parties du cours3. À la même époque, il confie projeter en réalité deux monographies, ainsi que s’en souvient un de ses anciens étudiants : des « Recherches sur les structures de la Critique de la Raison pure » et des « Recherches sur l’évolution de la philosophie pratique kantienne de la Critique de la Raison pure au Fondement de la Métaphysique des Mœurs4 ». À son décès, plusieurs notices d’hommage mentionnent ces titres et laissent entendre qu’il s’agit là d’ouvrages restés inédits, comprenant 664 pages, et plusieurs d’entre elles suggèrent que Gueroult, trop perfectionniste, les considérait comme trop inachevés pour être publiés5. Les archives de Martial Gueroult, désormais conservées au Collège de France, ne comportent pas d’ouvrage inédit portant l’un de ces titres, et qui aurait repris la matière des cours. Elles comportent toutefois, sur les deux sujets mentionnés, deux cours entièrement rédigés sur 660 pages et scrupuleusement retravaillés au fil des ans. Nul doute que tel est là le legs kantien inédit de Gueroult auquel il était fait allusion. Nous présentons et éditons dans ce qui suit le premier cours sur la Critique de la raison pure.

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  • 6 Voir la note sur l’édition.

4Le cours se présente comme un tapuscrit de machine à écrire qui a été fortement corrigé, raturé et complété à la main6. Outre de nombreuses notes, Gueroult a indiqué en marge la date à laquelle l’une ou l’autre séance s’arrêtait. On trouve ainsi la mention des années 1945 et 1946 (lorsque ce cours fut donné lors de son arrivée à la Sorbonne), 1958 (lorsqu’il fut donné au Collège de France) et de fréquentes mentions de 1963, 1964, 1965, 1973 et 1974, précédées de « St Cloud » ou de « Fontenay », lorsqu’il donna ce cours à l’École normale supérieure après sa retraite du Collège de France en 1962. On peut légitimement dire que ce cours fut mûri, travaillé et professé sur une longue période et jusqu’aux derniers mois de son activité, avant qu’un infarctus n’interrompe ses travaux en 1974, à l’âge de 82 ans.

5À quelle date la première version du cours, ou du moins une partie de celui-ci, fut-elle écrite ? On lit sur les feuillets quelques mentions, disséminées, des années 1940 et 1941. Ces dates sont confirmées par deux passages au début du cours : l’un évoque un ouvrage « que Victor Delbos publia, il y a trente-cinq ans » (il s’agit de La Philosophie pratique de Kant, qui fut publiée en 1905) ; l’autre fait allusion à un cours sur la période précritique de Kant qu’il avait professé « il y a huit ou neuf ans » (renvoyant ainsi à un cours qui fut effectivement donné par Gueroult à l’université de Strasbourg en 1932). Cette date de 1940 pour initier – ou reprendre – un grand cours sur la Critique de la raison pure doit retenir notre attention.

Figure 1. Note manuscrite reprenant visiblement le nom d’étudiants en philosophie de Clermont-Ferrand.

Figure 1. Note manuscrite reprenant visiblement le nom d’étudiants en philosophie de Clermont-Ferrand.

En 1940, Martial Gueroult se replie à Clermont-Ferrand, où l’université de Strasbourg avait été transférée.

Source : Archives du Collège de France, cote 70 CDF 11-2 f. 162B. © Collège de France.

6En effet, si Gueroult a traversé le xxe siècle, il a en particulier traversé les deux guerres mondiales comme soldat français engagé contre l’Allemagne. Il reçut la Légion d’honneur militaire et deux croix de guerre avec citation, en reconnaissance des situations dramatiques qu’il eut à affronter. Il est en effet mobilisé une première fois le 2 août 1914 : une balle le frappe à la tête dès le 20 août, et il est ensuite l’un des trois rescapés de son poste de secours où l’ennemi était venu achever les blessés. Fait prisonnier à Ingolstadt puis à Plassenburg jusqu’en 1919, il commence à y lire Fichte et les idéalistes allemands, initiant une profonde réflexion qui mènera aux deux thèses de 1929 sur Maïmon et de 1930 sur Fichte. Mobilisé de nouveau le 2 septembre 1939, il participe à la bataille de mai 1940 avant d’être démobilisé le 31 juillet 1940. Il rejoint alors l’université de Strasbourg, qui s’était entre-temps repliée en zone libre à Clermont-Ferrand, mais qui continuait à subir les menaces de la Gestapo. La première version du cours sur Kant est ainsi écrite immédiatement au sortir de sa deuxième guerre, à Clermont-Ferrand, à l’automne et à l’hiver 1940-1941. On trouve encore, intercalées dans les pages du cours, des annotations concernant les étudiants en philosophie de Clermont-Ferrand.

Figure 2. Fragment d’une lettre du ministère de la Guerre, 16 mars 1946.

Figure 2. Fragment d’une lettre du ministère de la Guerre, 16 mars 1946.

Martial Gueroult prit des notes au dos de cette lettre portant visiblement sur un état de ses services militaires (particulièrement remarquables).

Source : Archives du Collège de France, cote 70 CDF 11-2 f. 301c. © Collège de France.

7Il est possible que Gueroult ait tenu les circonstances de la première rédaction de son cours pour anecdotiques. Elles n’en demeurent pas moins significatives. D’abord, le parallèle est frappant : la première guerre fit naître « son » Fichte, la seconde guerre fit naître « son » Kant. L’exacerbation des nationalismes de part et d’autre de la frontière n’aura pas atténué, détourné ou distordu l’intérêt de Gueroult pour la philosophie allemande. Bien au contraire. Pour lui, les événements doivent donner à voir que les grandes œuvres de l’esprit subsistent par elles-mêmes, en dépit des circonstances. Aussi, et sans entrer dans les nombreux développements de la méthode qu’il a cherché à expliciter, il est utile de rappeler quelques traits fondamentaux de sa manière de lire les textes philosophiques.

  • 7 Voir l’introduction du Descartes selon l’ordre des raisons, Paris, Aubier, 1999 [1953], p. 9 : « On (...)

8Gueroult a en effet défendu toute sa vie, et parfois de façon vivement polémique, une certaine manière – que l’on pourrait dire « internaliste » – de lire les œuvres philosophiques par elles-mêmes. Il considérait que la restitution de l’intelligibilité interne des textes était non seulement un préalable nécessaire, mais le meilleur moyen de les immuniser contre toutes sortes d’effractions dans l’interprétation. Certes, le lecteur n’échappe sans doute pas, du moins pour commencer, à une certaine projection de sens sur le texte, nourrie de ses lectures antérieures et de toute son expérience. Mais il s’agit de s’en défaire pour en recueillir le noyau pour ainsi dire proprement rationnel, à savoir l’ensemble des raisons qui font que le texte tient par lui-même, qu’il a une structure ou une charpente que chacun peut retrouver, parcourir, mettre à l’épreuve. Gueroult n’a ainsi pas hésité à rejeter abruptement – et même à taxer d’« irrationalistes » – tous ceux qui cherchent au contraire à expliquer un texte par des raisons prises en dehors de lui-même – dans quelque expérience fondatrice, intuition originaire ou idéologie diffuse7. Cette dernière lecture ne permet pas, selon lui, de déployer un texte, mais au contraire le recouvre et le soumet à des enjeux étrangers, à des lectures rapportées, à des lubies de commentateurs, à des récupérations conflictuelles, qui toutes oublient la communauté fondamentalement rationnelle des œuvres philosophiques et finissent par produire une histoire fictive et fantaisiste.

  • 8 Les quatre volumes de la Dianoématique, publiés de manière posthume entre 1979 et 1988 chez Aubier, (...)
  • 9 Martial Gueroult, « Deux histoires de la philosophie », Revue philosophique de la France et de l’ét (...)

9C’est précisément une telle communauté rationnelle, avec toutes ses facettes, que Gueroult n’a cessé d’explorer tant chez Descartes et dans le cartésianisme que dans l’idéalisme allemand. C’est elle qui lui a suggéré son grand projet de « dianoématique8 ». On se doute que c’est elle aussi qu’il cherche à restituer dans son cours sur la Critique de la raison pure. Gueroult avait déjà prévenu dans une recension : s’il faut lire la Critique, ce n’est certainement pas comme ces commentateurs contemporains qui, préjugeant qu’elle serait le sommet de la philosophie allemande – elle-même couronnant l’histoire de la philosophie –, succombent à un nationalisme plus ou moins larvé, c’est-à-dire, de nouveau, à l’irrationalité9. Comment lire alors la Critique ?

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10Dans le résumé du cours de 1957-1958, Gueroult donne la présentation suivante :

  • 10 Voir le résumé publié en annexe.

La richesse du sujet choisi : Kant, Critique de la raison pure, nous a conduits à le limiter à l’Esthétique transcendantale et à l’Analytique transcendantale et à lui consacrer nos deux conférences hebdomadaires. Notre propos a été double : donner du texte un exposé aussi clair et précis que possible, élucider non tous les problèmes – ils sont innombrables – mais les plus importants d’entre eux, relatifs à la signification et à l’économie structurale du système10.

En plus de restreindre le cours à la partie proprement constructive de la Critique – et de laisser ainsi de côté à la fois la très longue déconstruction de la métaphysique dogmatique dans la Dialectique transcendantale, ainsi que la Doctrine de la méthode qui lui succède –, Gueroult annonce clairement deux moments dans la lecture de chaque partie de l’œuvre : d’abord un moment d’exposition au plus près du texte de Kant ; ensuite l’examen de quelques problèmes majeurs.

  • 11 Contrairement à ce qu’il disait à propos de Spinoza : « La bibliographie, il n’y en a pas ! Ce sont (...)
  • 12 Voir la recension d’un livre sur Kant pour la Revue philosophique de la France et de l’étranger, vo (...)

11Le premier moment ne suppose pas de recourir aux commentateurs, et Gueroult écrit d’entrée qu’il ne fournit pas de bibliographie. Ce n’est pas que les commentateurs sérieux manquent11. C’est au contraire qu’ils sont trop nombreux et qu’il faut éviter de recouvrir le texte sous ce qu’il a appelé le « fatras de la Kant-philologie12 ». Bref, il s’agit de donner à lire le texte même, le plus directement possible, sans intermédiaire. On trouvera ainsi dans ce premier moment non seulement le déploiement suivi de l’argumentation à partir de l’introduction de la Critique, mais aussi l’élucidation des concepts fondamentaux (auxquels sont parfois consacrées des petites notes de synthèse à part) : l’« apparence », le « phénomène », la « chose en soi », l’« objet transcendantal », l’« imagination », l’« intuition formelle », etc.

12Le second moment, quant à lui, est consacré à des difficultés internes au texte kantien et à leurs interprétations, à commencer par cette croix pour les commentateurs que constituent les deux versions de la déduction transcendantale des catégories. Gueroult mobilise alors une large bibliographie – dont le détail est donné à la fin de ce volume – presque exclusivement allemande, et qui est de nos jours largement ignorée, les études kantiennes étant devenues majoritairement anglophones. Ces deux moments ménagent, jusque dans la table des matières, une double lecture possible ou une double entrée dans ce cours : un exposé introductif – mais remarquablement complet et solide – des éléments de la doctrine kantienne et une discussion serrée de quelques points techniques et controversés.

  • 13 Voir notre présentation : Arnaud Pelletier, « Contre Saint-Bergson, ou l’héritage philosophique sel (...)

13C’est précisément cette indication de problèmes et de difficultés internes au texte kantien qui va retenir notre attention ici. En effet, nous avons déjà évoqué que Gueroult défend une lecture internaliste des œuvres qui s’efforce avant tout de dégager les « structures » argumentatives et la forme « systématique » d’une philosophie. Il s’agit bien pour lui de s’installer à l’intérieur des textes et de refuser de rapporter une doctrine à quelque élément extérieur, fût-ce une intuition fondatrice ou une expérience de son auteur. C’est ce dont il a accusé explicitement Henri Bergson et Étienne Gilson, son prédécesseur au Collège de France13. Et c’est aussi ce qui l’a opposé à Ferdinand Alquié dans un célèbre échange sur la manière de lire Descartes. Dans ces vifs débats, les mots structure ou système – et plus encore l’expression « économie structurale du système » étudiée dans le cadre d’une chaire Histoire et technologie des systèmes philosophiques ! – ont pu jouer contre son intention : à tant vouloir refuser qu’un texte soit forcé de l’extérieur, on lui a reproché que lui-même forçait les textes de l’intérieur, cherchant à leur imposer une forme systématique qu’ils n’avaient pas, comme s’il négligeait le moment de leur genèse progressive, de leur formation parfois hésitante, de leur instauration décisive où nulle forme systématique ne se manifeste encore.

14Il ne fait pas de doute que chacun des protagonistes a grossi les traits de la position adverse et que le ton polémique employé – que Gueroult a regretté par la suite – a contribué à figer les antagonismes, et sans doute aussi l’image de Gueroult jusqu’à aujourd’hui. Ce n’est pas le lieu de redéployer ces débats, mais d’insister sur un point qui n’est pas souvent crédité à Gueroult, et que le cours sur Kant donne parfaitement à voir, ou plutôt qu’il cherche explicitement à faire voir.

15En effet, il ne s’agit pas pour Gueroult de reconstruire une machinerie conceptuelle toute faite, mais d’abord d’insister sur les « difficultés », les « ambiguïtés », les « insuffisances » voire les « flottements » ou les « lacunes » de la présentation kantienne, lesquels n’ont pas manqué de susciter des « objections », des « critiques », des « controverses », des « discussions », des « difficultés d’interprétation », des « problèmes », dont l’examen constitue le second moment du cours. Certaines incohérences apparentes se dissipent, et avec elles les objections des commentateurs ; d’autres se maintiennent comme de réelles difficultés intrinsèques au système. Gueroult ne considère pas la Critique de la raison pure comme une cathédrale philosophique ou comme une œuvre d’art qu’il faudrait contempler, mais plutôt comme une œuvre scientifique dont il faut restituer le pouvoir explicatif, ainsi que les manquements et la manière dont ceux-ci ont pu conduire la philosophie kantienne à évoluer de l’intérieur. Loin d’ignorer les strates rédactionnelles antérieures et les réactions à la Critique, Gueroult en fait des moments de l’autogenèse de la philosophie kantienne, selon un schéma qui rappelle fortement son premier livre sur Fichte et qui s’accorde aussi avec la déclaration de Kant sur les défauts d’exposition de la doctrine dans la première édition (voir la préface de la seconde édition, B xxxvii). Toutefois, toute difficulté repérée n’est pas nécessairement surmontée ou résolue dans un développement ultérieur, et toutes les structures n’apparaissent peut-être pas si clairement, même à un lecteur attentif : il reste bien pour Gueroult des ouvertures, des difficultés, des « lacunes » irréductibles à un système clos, et qui résistent à l’exégèse.

16Si l’on revient au résumé du cours de 1957-1958, c’est bien ce second moment d’examen de difficultés particulières que Gueroult entendait reprendre sous forme de livre, sans la partie pédagogique préliminaire :

  • 14 Voir le résumé publié en annexe.

La deuxième et la troisième partie du cours, consacrées à l’analyse technique des divers points de doctrine et aux problèmes qu’ils posent, se prêtent mal à un résumé. Nous réservons leur exposé pour le livre que nous avons le dessein de composer à ce propos, en nous contentant de donner ici la liste des questions traitées14.

Cette liste constitue pour nous aujourd’hui la table des matières du livre qu’il n’a pas mis en forme. Nous ne connaissons pas de témoignage expliquant pourquoi ce projet n’a pas abouti. On peut cependant en cerner la spécificité par rapport à ses autres livres : il ne s’agissait ni d’envisager l’ensemble de la philosophie de Kant – à la manière de son Descartes – ni de produire un commentaire continu d’un ouvrage – à la manière de son étude monumentale des deux premières parties de l’Éthique de Spinoza –, mais bien de se concentrer sur des points particuliers interrogeant les structures même de l’ouvrage, comme l’indiquait le titre alors annoncé. On peut certes constater, avec le professeur, que les difficultés ne s’arrêtaient pas à celles qu’il déplie dans son cours. Il reste que le lecteur trouvera sans doute que bien des difficultés sont en réalité clarifiées dès le premier moment du cours, et qu’il eut été regrettable de s’en passer.

17Que Martial Gueroult ait retravaillé toute sa vie son cours sur Kant – comme d’autres manuscrits – ne doit pas être pris pour le signe d’un échec de sa propre méthode, qui aurait été incapable de mettre toute doctrine en système. C’est au contraire le signe d’une lecture au plus près du texte et de ses aspérités, c’est-à-dire d’une lecture qui nous invite à garder constamment ouvert, juste à côté, la Critique de la raison pure.

18L’œuvre de Kant, à l’arrière-plan de ses tout premiers travaux, aura ainsi suscité sa passion jusqu’au bout. C’est cette passion pour la lecture d’une grande œuvre que l’édition de ce cours entend prolonger.

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19La leçon sur les deux versions de la déduction transcendantale a d’abord paru dans la Revue internationale de philosophie. Que soient remerciés les ayants droit de Martial Gueroult, ainsi que feue madame Thérèse Anne Ross, sa fille, pour avoir autorisé la publication de ce cours.

Notes

1 Par ordre de publication : La Philosophie transcendantale de Salomon Maïmon, Paris, Alcan, 1929 ; L’Évolution et la Structure de la Doctrine de la science chez Fichte, Paris, Les Belles Lettres, 1930 ; Dynamique et métaphysique leibniziennes, Paris, Les Belles Lettres, 1934 ; Étendue et psychologie chez Malebranche, Paris, Les Belles Lettres, 1939 ; Descartes selon l’ordre des raisons, Paris, Aubier, 1953, 2 vol. ; Malebranche, Paris, Aubier, 1955-1959, 3 vol. ; Berkeley : quatre études sur la perception et sur Dieu, Paris, Aubier, 1956 ; Spinoza, Paris, Aubier, 1968-1974, 3 vol.

2 Voir respectivement : Martial Gueroult, « L’antidogmatisme de Kant et de Fichte », Revue de métaphysique et de morale, vol. 27, no 2, 1920, p. 181-224 ; id., L’Évolution et la Structure de la Doctrine de la science chez Fichte, op. cit., 1930, p. 1-153.

3 Martial Gueroult, « Histoire et technologie des systèmes philosophiques », Annuaire du Collège de France, 58e année, Paris, Imprimerie nationale, 1958, p. 221-231. L’Annuaire rassemble les résumés des enseignements des professeurs de l’institution. Il s’agit ici de l’année académique 1957-1958. Le résumé en question est publié en annexe.

4 Voir Fernand Brunner, « Hommage à Martial Gueroult », Revue de théologie et de philosophie, vol. 27, no 3, 1977, p. 177-195.

5 Voir Louis Guillermit, « Martial Gueroult † 13.08.1976. III. Kant », Archiv für Geschichte der Philosophie, vol. 59, no 3, 1977, p. 301 ; Jacques Étienne et Jean-Pierre Deschepper, « Chronique générale », Revue philosophique de Louvain. Quatrième série, vol. 75, no 26, 1977, p. 365 ; Jean Stoetzel, Notice sur la vie et les travaux de Martial Gueroult (1891-1976), Paris, Institut de France, 1979, p. 4. Les détails qui suivent sur la vie de Gueroult sont empruntés à cette dernière notice.

6 Voir la note sur l’édition.

7 Voir l’introduction du Descartes selon l’ordre des raisons, Paris, Aubier, 1999 [1953], p. 9 : « On satisfait alors (en suivant la voie de la “profondeur” plutôt que celle de l’exactitude) à une imagination vive et impatiente qui, plutôt que de s’empiéger dans les mailles étroites d’un texte, trouve en celui-ci l’occasion de prendre librement son vol, quitte à revenir de temps en temps se percher sur des références piquées au bas des pages. Ces généreuses effusions, qui procèdent par illuminations plutôt que par stricte analyse, peuvent sans doute rencontrer çà et là quelque vérité, mais comme par une heureuse fortune, tel un papillon de nuit qui vient heurter par hasard le globe lumineux autour duquel il tourne. Si elles peuvent procurer le sentiment de “comprendre”, c’est au profit d’une doctrine romancée où le roman impose à la doctrine des perspectives et un climat étrangers. »

8 Les quatre volumes de la Dianoématique, publiés de manière posthume entre 1979 et 1988 chez Aubier, thématisent le projet de ressaisir l’ensemble des doctrines philosophiques du point de vue de leur structure, architectonique, ou systématicité. Contrairement à ce qu’on a pu lui reprocher, il ne s’agit pas d’embrasser un point de vue englobant qui serait la doctrine de toutes les doctrines, mais il s’agit bien d’une tentative, parfois incomplète et parfois impossible, de ressaisir toute doctrine philosophique sous l’aspect du système.

9 Martial Gueroult, « Deux histoires de la philosophie », Revue philosophique de la France et de l’étranger, vol. 144, 1954, p. 423.

10 Voir le résumé publié en annexe.

11 Contrairement à ce qu’il disait à propos de Spinoza : « La bibliographie, il n’y en a pas ! Ce sont tous des ânes, sauf Delbos et Levi-Robinson ! » (in Pierre-François Moreau et Laurent Bove, « À propos de Spinoza. Entretien avec Alexandre Matheron », Multitudes, vol. 3, 2000, p. 170).

12 Voir la recension d’un livre sur Kant pour la Revue philosophique de la France et de l’étranger, vol. 148, 1958, p. 402.

13 Voir notre présentation : Arnaud Pelletier, « Contre Saint-Bergson, ou l’héritage philosophique selon Martial Gueroult », Revue internationale de philosophie, vol. 291, no 1, 2020, p. 7-12.

14 Voir le résumé publié en annexe.

Table des illustrations

Titre Figure 1. Note manuscrite reprenant visiblement le nom d’étudiants en philosophie de Clermont-Ferrand.
Légende En 1940, Martial Gueroult se replie à Clermont-Ferrand, où l’université de Strasbourg avait été transférée.
Crédits Source : Archives du Collège de France, cote 70 CDF 11-2 f. 162B. © Collège de France.
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/13999/img-1.png
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Titre Figure 2. Fragment d’une lettre du ministère de la Guerre, 16 mars 1946.
Légende Martial Gueroult prit des notes au dos de cette lettre portant visiblement sur un état de ses services militaires (particulièrement remarquables).
Crédits Source : Archives du Collège de France, cote 70 CDF 11-2 f. 301c. © Collège de France.
URL http://books.openedition.org/cdf/docannexe/image/13999/img-2.png
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