Avant-propos
p. 9-10
Texte intégral
1Invité par l’Assemblée du Collège de France, sur proposition des professeurs Samantha Besson, Edith Heard, Vinciane Pirenne-Delforge et Thomas Römer, j’ai donné au printemps 2021 quatre conférences qui ont inauguré le cycle Europe au Collège de France. Ce sont ces exposés (des 24 et 31 mars et des 7 et 14 avril), légèrement remaniés, que le lecteur trouvera dans le présent opuscule.
2Il s’agissait d’aborder les aspirations de l’Union européenne, en tant qu’ensemble, à s’avancer comme un acteur respecté sur la scène mondiale et à peser davantage sur le cours des événements. Ce vœu d’une Europe plus « géopolitique », plus « stratégique », voire « souveraine », exprimé depuis quelques années par de nombreux dirigeants (dont le président français et la présidente de la Commission européenne), ne se traduit que difficilement dans les actes. Quatre thèmes principaux illustrent un réveil à contrecœur : la découverte de la finitude territoriale dans la reconnaissance d’une frontière extérieure commune, notamment à l’occasion des crises ukrainienne (2014-2015) et migratoire (2015-2016), et lors de l’intimidation turque en Méditerranée orientale (2020) ; la découverte de la finitude économique, vivement ressentie sous le choc de la rareté médicale lors de la pandémie de Covid-19, et plus largement dans une nouvelle dépendance à l’égard de la Chine de Xi Jinping ; la découverte de la finitude temporelle et de la solitude, enfin, qui se joue dans le lent abandon par les États-Unis de leur rôle de protecteur du continent européen. Ces découvertes, tâtonnements et pertes d’innocence successifs ne pourront déboucher sur une Europe actrice et maîtresse de son destin que s’ils sont accompagnés d’un récit. N’est-ce pas précisément la plus ancienne façon de s’inscrire dans le temps, le meilleur moyen de transformer la douleur de la finitude en une force ? Sans souveraineté narrative, pas d’autonomie stratégique.
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3Au printemps 2021, la première pandémie à avoir touché le continent européen depuis un siècle faisait rage. Sur le plan pratique, un tel événement nous impose le respect d’une distanciation ; sur le plan intellectuel, en tant que fait politique et historique majeur, il impose la réflexion. La crise de la Covid-19 nous oblige à nous positionner, à nous re-positionner, en tant qu’Européens. Où sommes-nous exactement ? Ou plutôt, où sommes-nous « historiquement » ?
4Ces pages consacrées à l’Europe géopolitique visent à exposer qu’il s’agit là d’une double question : où sommes-nous dans l’espace et où sommes-nous dans le temps ? Le thème de l’espace sera tout d’abord au centre de notre propos sous son aspect le plus marquant : la frontière. Ensuite viendra s’ajouter la dimension temps, qui est celle de la vulnérabilité et de la finitude, mais aussi celle du mouvement, de la capacité de changement, celle donc du récit : l’histoire qui nous entraîne du passé vers l’avenir.
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5Outre les professeurs du Collège de France qui m’ont invité et outre les nombreux observateurs et praticiens avec qui j’ai pu échanger sur le sujet, je tiens à remercier plus particulièrement mes amis Hans Kribbe, Monika Sie Dhian Ho et Frans-Paul van der Putten pour leurs éclairages géopolitiques, ainsi que mon traducteur Daniel Cunin pour avoir aidé à transformer – au stade des conférences – un brouillon bilingue en un français de haut vol. Cette traduction a bénéficié du soutien financier de l’Europa Instituut de l’université de Leyde et de la Fondation néerlandaise des Lettres.
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