Version classiqueVersion mobile

Reconstruire l’ordre institutionnel international

 | 
Samantha Besson

Préface

Thomas Römer

Texte intégral

1Monsieur l’Ambassadeur du Mexique,
Chères et chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Chère Samantha Besson,

2La question de la loi et du droit se fait jour dès l’origine des civilisations humaines. Comment vivre ensemble sans règles acceptées par toutes et par tous ? Dans l’Antiquité, on évoque souvent les dieux pour garantir un système juridique. Mais ces lois s’appliquent au peuple lui-même, voire aux peuples que l’on a soumis et que l’on contrôle. Comment alors imaginer des lois ou un droit qui s’appliquent à différents peuples et qui soient respectés par eux ? On constate ainsi l’émergence de traités de non-agression, comme par exemple le traité de Qadesh entre le pharaon Ramsès II et les Hittites au xiiie siècle avant l’ère chrétienne. Bien que les Romains aient inventé le concept de ius gentium, il faut attendre des théoriciens comme Alberico Gentili et Hugo Grotius pour qu’émerge la théorie d’un droit international dont on trouve une première mise en œuvre dans la paix de Westphalie. Le modèle dit « westphalien » conçoit l’ordre juridique mondial comme un système contractuel, dont les unités de base sont les États-nations. Or le paradigme westphalien qui a dominé le droit international depuis le xviie siècle ne répond plus à l’état présent du monde. Il n’a cependant pas été remplacé par un autre, et l’on ne peut qu’être frappé, au contraire, par le grand désordre des idées qui règnent en ce domaine. À rebours de courants post-étatiques, l’actualité récente a vu ressurgir sur la scène internationale différentes variantes d’une réaffirmation véhémente des souverainetés étatiques et de la nation « great again », qui s’accompagne de la dénonciation de traités antérieurement signés et de la mise en cause de la légitimité des organisations internationales multilatérales. La crise sanitaire que nous vivons actuellement a également fait surgir des réactions nationalistes, la dénonciation d’organisations transnationales et révélé l’incapacité de se mettre d’accord sur une gestion internationale de la crise.

3L’inauguration de la chaire Droit international des institutions, que nous célébrons ce soir par la leçon inaugurale de Samantha Besson, montre la nécessité de reprendre ce travail sur le droit international, qui s’inscrit dans une longue tradition d’enseignement au Collège de France depuis le xviiie siècle jusqu’aux chaires occupées par René-Jean Dupuy (de 1979 à 1989), puis Mireille Delmas-Marty (de 2003 à 2011).

  • 1 Samantha Besson et John Tasioulas (dir.), The Philosophy of International Law, Oxford, Oxford Unive (...)

4Nous avons trouvé la collègue idéale pour reprendre cet enseignement et ces recherches en la personne de Samantha Besson, une des meilleures spécialistes mondiales du droit international. Depuis 2005, elle est professeure à l’université de Fribourg, et très active sur le plan international. Elle travaille régulièrement pour l’Académie de droit international et elle est régulièrement invitée auprès d’universités du monde entier. Auteure d’une très vaste bibliographie, elle est également l’éditrice de plusieurs ouvrages qui ont fait date en philosophie du droit international et ont permis de renouveler la discipline, comme The Philosophy of International Law ou encore The Oxford Handbook on the Sources of International Law1.

5Sa chaire a pour projet l’analyse critique et la réforme de l’ordre institutionnel international dans son ensemble. Le moment ne pourrait pas être mieux choisi pour ce projet tant une reconstruction institutionnelle est devenue nécessaire à l’échelle internationale.

6Nous vivons actuellement une époque charnière quant à l’ordre international, qui semble se désagréger. Les liens entre les États et les institutions internationales, publiques et privées, sont souvent flous et peu définis. Il est donc devenu urgent de poser la question institutionnelle en droit international. C’est à elle que se consacreront les enseignements et recherches de la chaire de Samantha Besson.

7Aujourd’hui, l’humanité tout entière se trouve face à de grands défis (climatiques, sanitaires ou technologiques). Relever ces défis requiert, entre autres, la création ou, du moins, la réforme d’institutions internationales à même d’adopter des mesures communes et un droit commun.

8Samantha Besson possède la qualité rare pour une juriste internationaliste de ne pas seulement s’intéresser au droit public, mais aussi au droit privé (notamment des contrats et de la responsabilité civile). C’est en fait son intérêt pour l’égalité qui l’a menée très tôt à travailler sur la distinction public/privé en droit national, européen et comparé, et à suivre sa progressive érosion dans la tradition occidentale depuis quelques décennies. Samantha Besson mettra ses différentes expertises au service d’un travail plus transversal et complet sur la continuité de la représentation juridique et politique par les institutions multiples, et tant publiques que privées, du droit international.

9Sur un plan méthodologique, enfin, si Samantha Besson a depuis longtemps recours au droit national, européen et international comparé, elle propose d’en élargir l’horizon au-delà des droits européens et occidentaux de manière à assurer un travail comparatif aussi universel que prétend l’être l’autorité du droit international. Elle contribuera ainsi à (re)placer le droit comparé au cœur des sources concertées d’un droit international qui puisse véritablement prétendre à être commun.

10Samantha Besson commencera ses recherches par le droit de la responsabilité internationale, notamment l’étude du devoir de vigilance. Outre la question très intrigante de la justification d’un tel devoir transnational dans l’ordre institutionnel international, ce thème soulève de nombreuses questions très actuelles, et pourtant non résolues, en droit international de la responsabilité (notamment en droit international de l’environnement, des droits de l’Homme ou encore de la règlementation de la cybersécurité).

11L’élection de Samantha Besson constitue un enrichissement important non seulement pour l’Institut du monde contemporain, mais aussi pour bien d’autres instituts et chaires. Ses recherches et son enseignement ouvriront aussi la voie à un nouveau champ de recherches en études juridiques européennes, ce qui arrive à point nommé en cette période difficile non seulement pour l’Union européenne, mais aussi pour la France, en Europe et dans le monde.

Notes

1 Samantha Besson et John Tasioulas (dir.), The Philosophy of International Law, Oxford, Oxford University Press, 2010 ; Jean d’Aspremont et Samantha Besson (dir.), The Oxford Handbook of the Sources of International Law, Oxford, Oxford University Press, 2017.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search