Version classiqueVersion mobile

La Leçon d’histoire de l’art. L’image à l’ère de sa projection lumineuse

 | 
Roland Recht

Rétrovision : 1967-2012 et au-delà

Texte intégral

  • 1  Je laisse délibérément de côté les aspects biographiques de ce parcours. On pourra se reporter à u (...)

1En complément de la leçon de clôture, j’ai souhaité donner un bilan de mes travaux1. Il s’agit aussi d’une tentative d’y mettre un peu d’ordre. Ce bilan n’a de sens, me semble-t-il, que s’il est thématique, ce qui, à défaut de souligner la continuité de l’ensemble de mes recherches, en accentue une certaine disparité que je ne tiens pas à nier.

2Mon entrée en histoire de l’art avait bien commencé : j’entends par là qu’elle amorçait une ligne bien droite et continue. Louis Grodecki, dont j’ai été l’élève puis l’assistant, était entre autres un admirable analyste de l’architecture. C’est donc tout naturellement dans cette spécialité que j’ai voulu m’engager. L’étude de l’architecture médiévale m’a en effet très rapidement passionné et le champ d’activité se révélait tellement vaste pour le débutant que j’étais, que je n’envisageais pas de le quitter pour un autre.

3C’était mal me connaître. À dire vrai, il s’est avéré assez vite que je parvenais difficilement à résister aux sollicitations dès qu’elles m’entrouvraient de nouvelles perspectives. Néanmoins, je crois qu’il y a, dans notre raison la plus profonde, un fil qui relie toutes nos préoccupations intellectuelles, et je dirai que l’on n’est attiré que par ce qui, sous une certaine forme, est déjà présent en nous. C’est parfois rétrospectivement que l’on entrevoit ce qui unissait des intérêts en apparence bien distincts, voire éloignés l’un de l’autre. Ainsi, le style, qui fut pour moi dès le départ un instrument nécessaire à l’analyse des œuvres médiévales, est revenu bien plus tard sous une forme conceptuelle, en tant que notion permettant d’ouvrir une large partie du champ de l’historiographie.

  • 2  On pourra consulter une bibliographie complète, ainsi que la liste de mes articles de presse sur m (...)

4Je précise cependant que ce retour sur soi ne prétend guère à l’exhaustivité. Subsistent de nombreux « angles morts » : soit des omissions délibérées ou, au contraire, involontaires, soit des liens encore indéfinis entre certains de ces travaux2.

  • 3  Paris, Christian Bourgois, 1989 ; nouvelle éd. augm., coll. « Titres », 2006. Une proposition des (...)

5Ce fil invisible se devine toutefois dans un essai, La Lettre de Humboldt. Du jardin paysager au daguerréotype3, où se retrouvent plusieurs thèmes qui ont accompagné toutes ces années de travail. Le livre est l’exemple même d’un phénomène de cristallisation autour d’un point de détail – ce que Humboldt décrit d’ailleurs, dans les daguerréotypes des bords de la Seine, comme ce qui n’est pas visible au premier regard et qui crée son émerveillement. Cet ouvrage aborde ainsi une suite de courts développements : sur le romantisme allemand, d’abord, puisque la lettre éponyme est adressée à Carl Gustav Carus, un ami de Caspar David Friedrich, peintre lui-même. Aux repères qui conduisent des jardins paysagers au daguerréotype, en passant par la peinture de paysage et les panoramas, s’ajoutent l’élaboration d’une théorie du musée et l’invention de l’histoire de l’art : dans les années 1800-1830, se mettent en place les nouvelles composantes de l’imaginaire bourgeois.

6En réalité, avec le recul dont je bénéficie, je peux dire que mes publications m’apparaissent aujourd’hui comme autant de fragments, dont certains peuvent s’agréger entre eux en petits ensembles, mais que caractérise avant tout un refus de totalité.

L’architecture gothique

  • 4  Louis Grodecki et Roland Recht, « Le quatrième colloque international de la Société française d’ar (...)

7Revenons au point de départ, c’est-à-dire à l’architecture qui s’est imposée à moi à partir de 1963. Dès le diplôme d’études supérieures, Louis Grodecki orienta mon sujet de recherche vers l’architecture gothique du Rhin supérieur et, plus précisément, l’étude de l’église-halle Saint-Thomas de Strasbourg. La soutenance eut lieu au printemps 1967 et suivirent d’autres études « sur le terrain », dont un article cosigné avec lui, en 1971, sur le premier gothique à la cathédrale de Strasbourg, qui avait fait l’objet d’un colloque de la Société française d’archéologie à l’automne 19684.

  • 5  Roland Recht, « La chapelle Saint-Venceslas et la sacristie de la cathédrale de Prague et leur ori (...)

8De nouvelles recherches aboutirent à ma thèse de troisième cycle consacrée aux chantiers de la cathédrale de Strasbourg et à d’autres édifices haut-rhénans de la première moitié du xive siècle. La création la plus remarquable du chantier de la cathédrale métropolitaine est alors, à côté de la poursuite des travaux de la façade, la chapelle Sainte-Catherine dont j’ai pu reconstituer les voûtes primitives en étoile avec clés pendantes, et montrer les affinités avec la cathédrale de Prague. Jaroslav Pesina m’invita à présenter cette découverte devant le XXIIe Congrès international d’histoire de l’art, à Budapest en 19695. J’ai également étudié les grandes fondations comme celles des ordres mendiants et de plusieurs collégiales et paroissiales. J’ai ainsi pu définir les traits spécifiques de l’architecture dominicaine et franciscaine qui, bien que très ambitieuse dans ses affirmations symboliques, se démarque néanmoins de l’orientation esthétique de la cathédrale métropolitaine, celle-ci exerçant davantage son ascendant sur les autres édifices – églises paroissiales ou collégiales.

  • 6  Colmar, Alsatia, 1974.
  • 7  Roland Recht, Das Strassburger Münster, Stuttgart, Müller und Schindler, 1971. Une édition françai (...)
  • 8  Louis Grodecki (avec la collaboration d’Anne Prache et de Roland Recht), Architettura gotica, Mila (...)
  • 9  Roland Recht, « L’arte gotica », in Nicola Tranfaglia et Massimo Firpo (dir.), La storia. I grandi (...)

9En 1974, je réunis les résultats du diplôme d’études supérieures et de la thèse, soutenue en 1972, dans un ouvrage intitulé L’Alsace gothique de 1300 à 1365. Étude d’architecture religieuse6. Quelques années auparavant, Ernst Adam, alors assistant à l’université de Fribourg-en-Brisgau, m’avait commandé un petit ouvrage de synthèse sur la cathédrale de Strasbourg, dans la collection qu’il dirigeait chez un éditeur de Stuttgart7. À cette même époque, l’éditeur italien Electa chargea Louis Grodecki d’écrire un livre sur l’architecture gothique, dans une collection dirigée par l’architecte Pier Luigi Nervi ; Grodecki me réserva une partie du livre traitant de l’architecture dans l’Empire8. Une autre synthèse, dédiée à l’art gothique cette fois, me fut par la suite commandée par l’éditeur UTET à Turin9. S’inscrivant au sein d’un ouvrage dont la visée était plus généraliste que celle du précédent, cette synthèse était sensée couvrir l’ensemble de l’art gothique. Elle s’est révélée être un exercice plus délicat, mais un défi d’autant plus stimulant.

  • 10  Automne et Renouveau, coécrit avec Albert Châtelet, chargé de la peinture, est le dernier volet d’ (...)

10En 1988, Le Monde gothique. Automne et Renouveau (1380-1500)10 parut chez Gallimard, dans la collection « L’Univers des Formes ». J’y traitais de l’architecture et de la sculpture du gothique tardif. Cet exercice fut difficile car la place centrale réservée à l’illustration, selon les souhaits d’André Malraux, créateur de la collection, instaurait une alternance texte/image/texte menant souvent à un déséquilibre. Les mots-clés du texte ne correspondaient pas nécessairement au poids des illustrations contiguës qui, elles, bénéficiaient de deux paramètres : la taille et le choix de la couleur ou du noir et blanc. En outre, si de nombreux travaux sur l’architecture dans l’Empire étaient disponibles, il en allait tout autrement de celle de la France ; la sculpture était néanmoins assez bien documentée.

  • 11  Roland Recht, L’Image médiévale. Le livre enluminé, Paris, RMN, 2010.

11Un autre livre privilégiant également une illustration abondante et de grande qualité m’a été commandé par la Réunion des musées nationaux11. Consacré à l’enluminure médiévale, il devait s’adresser à un large public. Mon intention était alors de souligner que la signification des images peintes – du point de vue de leur contenu – est fortement tributaire de leur traitement et de leur valeur plastique. Ce faisant, je souhaitais réagir à une tendance qui se généralise toujours davantage et qui consiste à s’emparer des images afin d’étudier avant tout, et souvent exclusivement, les sociétés qui les ont vu naître. Cette perspective purement historique est parfaitement légitime, mais elle ne doit pas obérer l’investissement esthétique. Me limitant volontairement à trois types de livres – la Bible, le psautier et le livre d’heures –, j’ai mis l’accent sur les valeurs formelle et expressive des images, ainsi que sur le traitement de l’espace spécifique à tel livre que son auteur destine au commanditaire.

  • 12  Cet ouvrage a été traduit en anglo-américain par Mary Whittall (2008), en russe par Oleg Voskoboyn (...)

12Le seul ouvrage qui ne fut pas une commande parut en 1999, à nouveau chez Gallimard. Pierre Nora l’accueillit dans sa « Bibliothèque des Histoires » et lui donna pour titre Le Croire et le Voir. L’art des cathédrales (xiie-xve siècle)12. Je partais alors du constat général de l’accentuation des effets visuels dans l’architecture de la seconde moitié du xiie siècle et au cours du xiiie siècle. Par l’enrichissement de la modénature, par exemple, les architectes ne répondent pas seulement à l’exigence d’une cohérence – propre au gothique – entre les éléments porteurs et les éléments portés : ils accentuent la plasticité des nervures et des ébrasements, ou encore multiplient les dessins de réseaux dans les fenêtres et les gables. Tout cela correspond à une nouvelle économie du chantier dans un contexte général qui donne une place considérable à la visualité : développement du sacrement de l’eucharistie, mystique de la Passion actualisée par saint François d’Assise, ou encore statut nouveau qui échoit aux arts visuels dans une société où le texte écrit perd sa place dominante. Plus de vingt ans après sa publication, je considère que ce livre marque un tournant dans mon exploration de l’architecture gothique. Après 1999, celle-ci me mènera le plus souvent vers l’étude des xviiie et xixe siècles dans leurs différentes formes de réévaluation du gothique.

*

  • 13  Roland Recht, « Le goût de l’ornement vers 1300 », in Danielle Gaborit-Chopin et François Avril (d (...)
  • 14  Roland Recht, « L’élimination du chapiteau à l’époque gothique : vers un “6e ordre” d’architecture (...)
  • 15  Roland Recht, « Revoir le Moyen Âge » (introduction) et « L’homme se déploie dans le monde. L’œil (...)

13Une question qui me préoccupa dès ma thèse de troisième cycle sur les monuments gothiques d’Alsace entre 1300 et 1350, revint sous la forme d’un objet de recherche premier entre 1998 et 2001, soit environ trente ans plus tard. Cette question est la suivante : quelle est la définition structurelle et esthétique d’une singularité propre à un certain nombre de monuments médiévaux, à savoir l’abandon du chapiteau13 ? Composante canonique des ordres de l’architecture antique, le chapiteau s’est vu attribuer une importance ornementale et iconographique sans précédent dans ce que l’on qualifie d’« art roman ». Néanmoins, déjà au xiie siècle – plus fréquemment vers la fin du xiiie siècle –, certains monuments adoptent des supports en faisant l’économie du chapiteau, produisant ainsi une « fusion » entre le support et la partie portée, arcade ou voûte. Cette option impose une analogie entre la colonne et l’arbre, analogie dont on connaît la fortune auprès de théoriciens français en quête d’un nouvel ordre d’architecture14. Les écrits résultant de ces travaux furent publiés en 2016 dans Revoir le Moyen Âge. La pensée gothique et son héritage, augmenté d’essais inédits15.

14Ce ne sont pas les qualités esthétiques qui favorisent la réception de l’architecture gothique à l’époque moderne – en tout cas auprès des architectes du xviiie siècle –, mais sa conception technique : stabilité des structures et économie du matériau. Telle est du moins la situation en France. Vers et autour de 1800, on assiste, un peu partout en Europe, à l’invention du Moyen Âge : en Italie et en Allemagne, cette époque lointaine est considérée comme le moment où ont été élevés des monuments propres à une nation. La réévaluation du Moyen Âge accompagne la conscience d’une identité nationale, lui fournit une part de ses représentations. En France, la Révolution a accéléré ce mouvement et, dans les années 1830, l’État y contribue avec la création de l’inspection des monuments historiques qui, en même temps que la parution, à partir de 1820, des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France par Isidore Taylor, Alphonse de Cailleux et Charles Nodier, va révéler son art médiéval, et en particulier l’architecture.

  • 16  Roland Recht, « Le musée d’Alexandre Lenoir : une “collection magnifiquement confuse, poétiquement (...)
  • 17  Roland Recht, « L’invention du Moyen Âge et l’idée de nation », in Daniela Mondini (dir.), Séroux (...)
  • 18  Roland Recht, « Hommage à Prosper Mérimée. L’invention du monument historique », Comptes rendus de (...)

15Ce n’est guère le goût personnel d’hommes tels qu’Alexandre Lenoir, Séroux d’Agincourt ou Prosper Mérimée qui explique ce retour au Moyen Âge – ils plaçaient au-dessus de tout l’art antique –, mais bel et bien leur conscience nationale. Au premier, j’ai consacré l’introduction du catalogue que le Louvre lui a dédié16 ; au deuxième, a été consacré un colloque, publié en 2019, auquel Daniela Mondini me proposa de contribuer par une communication sur la redécouverte du Moyen Âge17 ; enfin, lors de la rentrée solennelle de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en 2003, j’ai prononcé un hommage à Prosper Mérimée18. L’énergie que déploie Mérimée au cours de ses inspections et les diagnostics qu’il formule devant les monuments médiévaux, dont a priori il ignorait tout, sont encore pour nous un modèle d’exigence intellectuelle.

*

  • 19  Roland Recht, « Dessins d’architecture pour la cathédrale de Strasbourg », L’Œil, no 174-175, 1969 (...)
  • 20  Roland Recht, « “Théorie” et “traités pratiques” d’architecture au Moyen Âge », in : Les Traités d (...)
  • 21  Roland Recht, « Le traité de géométrie de Mathieu Roriczer », Histoire et archéologie, no 47 (no s (...)
  • 22  Roland Recht, « Sur le dessin d’architecture gothique », in : Études d’art médiéval offertes à Lou (...)
  • 23  Un peu plus tôt, André Chastel m’avait demandé de préparer un petit ouvrage sur l’album de Villard (...)

16L’architecture gothique ne saurait être étudiée et comprise sans la connaissance des dessins d’architecture. Dès le début de mes recherches, je fus familiarisé avec la magnifique collection de dessins des xiiie, xive et xve siècles conservée par le musée de l’Œuvre Notre-Dame à Strasbourg – un ensemble unique que j’ai présenté, en 1969, dans un article de la revue L’Œil19. En 1981, André Chastel m’invita à intervenir au colloque de Tours intitulé « Les traités d’architecture de la Renaissance », arguant que le spécialiste de la Renaissance connaît généralement peu de choses sur le savoir théorique des architectes des derniers chantiers gothiques. Le médiéviste aussi, en vérité. En l’absence d’une véritable théorie architecturale comparable à celle de Vitruve, on dispose néanmoins de quelques courts écrits remontant aux xve et xvie siècles. Les sources connues se divisent en deux catégories : les traités de Mathieu Roriczer et de Hans Schmuttermayer (qui était orfèvre) nous informent sur l’usage que l’artisan médiéval pouvait faire de la géométrie ; celui de Lorenz Lechler, ainsi que les traités conservés à Vienne et à Francfort, et ceux de Wolf Jacob Stromer et de Hans Hammer fournissent aux ouvriers du chantier un savoir pratique – par exemple, des dessins de voûtes, de remplages, d’engins de levage, etc.20. En 1980, j’ai d’ailleurs fait une traduction du traité de géométrie de l’architecte de la cathédrale de Ratisbonne, Mathieu Roriczer21, document précieux pour appréhender les connaissances d’un maître d’œuvre de la fin du Moyen Âge. L’ouvrage qui retient l’attention des médiévistes depuis Jean-Baptiste-Antoine Lassus, reste néanmoins l’album de Villard de Honnecourt. J’ai examiné quelques aspects – notamment le dessin géométral et pseudo-géométral – de ses tracés et des fameux dessins A et A’ du milieu du xiiie siècle strasbourgeois22, époque au cours de laquelle les codes de figuration des dessins d’architecture se sont sans doute précisés et stabilisés23.

  • 24  Le titre du catalogue (Les Bâtisseurs des cathédrales gothiques, op. cit.) différait légèrement de (...)

17En 1989, alors à la direction des musées de la Ville de Strasbourg, j’organisai l’exposition Les bâtisseurs de cathédrales, qui se voulait une sorte de « manifeste » destiné à montrer, d’une part, l’importance du dessin dans la conception des bâtiments et dans la diffusion des formes, et d’autre part, le rôle du dessin comme véritable véhicule du répertoire formel, expliquant ainsi la primauté de l’architecture gothique sur toutes les autres manifestations de l’art – sculpture, enluminure, vitrail, orfèvrerie. Des dessins d’architecture provenant des collections de Cologne, Berne, Fribourg-en-Brisgau, Vienne, Londres, Ulm et Bologne offraient, à côté de ceux de Strasbourg, un panorama exceptionnel de ce medium. Un catalogue réunissant vingt-cinq collaborateurs illustrait le propos24.

  • 25  Roland Recht, Le Dessin d’architecture, op. cit. ; trad. it. Maria Grazia Balzarini et Roberto Cas (...)

18Dans le cadre du colloque de Tours évoqué plus haut, je fis une brève communication sur les illustrations des premières éditions imprimées de Vitruve, dont on sait que les différents manuscrits remontant à l’Antiquité n’étaient pas illustrés. Ces images constituent une interprétation du texte, sur laquelle repose en réalité la tradition architecturale moderne du vitruvianisme. Plusieurs de mes articles relatifs aux dessins d’architecture ont reparu en 1995 à la demande d’Adam Biro25.

  • 26  Roland Recht (dir.), Le Monde des cathédrales, Paris, La Documentation française, 2003. Ma contrib (...)

19En 2000, enfin, la direction du Louvre me chargea d’organiser un cycle de conférences dont l’objectif était de donner la parole à six spécialistes originaires de pays différents, contribuant à porter un regard nouveau sur l’architecture gothique26.

La sculpture

  • 27  Alain Berthoz et Roland Recht (dir.), Les Espaces de l’homme, Paris, Collège de France/Odile Jacob (...)

20Déjà au cours de mes recherches sur l’architecture gothique, mon attention s’était déplacée maintes fois vers un objet qui se tenait tout près d’elle – au Moyen Âge surtout –, à savoir la sculpture. À l’instar de l’architecture, la sculpture est une pensée de l’espace, tandis que la peinture est une illusion d’espace : illusion fascinante, captivante souvent, mais illusion. Avec la peinture, on entre dans un monde imaginé, alors que l’architecture et la sculpture nous font pénétrer dans un monde construit. Le sujet qui étudie l’architecture comme la sculpture fait ainsi l’expérience d’un objet qui fut ordonné à partir d’une mesure prenant en compte l’homme. À la différence de la peinture, architecture et sculpture détiennent une dimension anthropologique. De nombreuses questions liées à l’espace furent abordées lors du troisième symposium de rentrée du Collège de France, organisé en 2003 avec Alain Berthoz, qui occupait alors la chaire Physiologie de la perception et de l’action27.

  • 28  Roland Recht, « Torsion et hanchement dans la sculpture gothique », Gesta. International Center of (...)
  • 29  Roland Recht, « Le moulage et la naissance de l’histoire de l’art », in : Le Musée de sculpture co (...)

21J’ai commencé mes recherches plus poussées sur la sculpture du Moyen Âge tardif après l’achèvement de mon doctorat de troisième cycle, en 1972, m’attachant avant tout au travail dans l’atelier, aux aspects techniques et à la pratique de la sculpture – questions qui s’étaient imposées en même temps que mon intérêt pour les chantiers d’architecture. Dans un bref essai intitulé « Torsion et hanchement dans la sculpture gothique », paru dans un volume d’hommages que la revue américaine Gesta destina à Sumner McKnight Crosby en 197628, je m’intéressais au mouvement du corps qui pouvait devenir, dans l’étude de la sculpture gothique, un fil rouge permettant de caractériser dans la longue durée la relation que le maître d’œuvre établit entre architecture et sculpture. Il s’agissait de privilégier cette relation qui a été négligée par les premiers historiens de la sculpture au cours du xixe siècle, lesquels ont procédé à une sorte de déconstruction, considérant les sculptures liées aux grands monuments médiévaux comme autant de « pièces détachées ». Le musée des Monuments français est l’aboutissement exemplaire d’une telle vision de la sculpture29.

  • 30  Roland Recht, « Elsass », in Anton Legner (dir.), Die Parler und der Schöne Stil 1350-1400. Europä (...)
  • 31  Roland Recht, « Strasbourg et Prague », in : ibid., 1979, vol. 4, p. 106-117.
  • 32  Robert Didier et Roland Recht, « Paris, Prague, Cologne et la sculpture de la seconde moitié du xi (...)
  • 33  Roland Recht, « Les Parler et l’art en Europe de 1350 à 1400 », Revue de l’Art, no 46, 1979, p. 68 (...)

22La grande exposition sur les Parler qu’Anton Legner organisa en 1978 au musée Schnütgen de Cologne, et à laquelle il me demanda de contribuer, me permit de revenir à l’art du Rhin supérieur en sélectionnant un certain nombre d’œuvres datées entre 1350 et le début du xve siècle, et destinées soit à l’exposition soit au catalogue30. L’exposition déploya une quantité impressionnante d’œuvres majeures d’Europe occidentale et centrale, et donna lieu à la publication d’un catalogue en cinq tomes. Au sein même de l’exposition et dans la cathédrale de Cologne, un colloque réunit les contributeurs de la manifestation durant trois journées31. Les enseignements que l’on pouvait en tirer stimulèrent plus d’un chercheur dans les années suivantes. C’est ainsi que j’ai cosigné, avec Robert Didier, un long article dans le Bulletin monumental32. À partir de confrontations entre des œuvres issues d’ateliers et de chantiers localisés dans des centres artistiques de la seconde moitié du xive et du début du xve siècle, nous tentions d’établir des typologies formelles principalement à l’aide du mouvement des corps et du drapé. Partant d’un abondant corpus, nous marquions la part prépondérante de Paris et de Prague, sièges de cours fastueuses, dans ce courant appelé improprement « gothique international ». J’ai en outre rédigé un compte rendu de cette exposition dans la Revue de l’Art33.

*

  • 34  Cette thèse fut publiée neuf ans plus tard, sans modification : Nicolas de Leyde et la sculpture à (...)

23Entre 1970 et 1987, j’ai donc consacré une partie de mes recherches à l’établissement de typologies formelles sans pour autant perdre de vue la pratique des sculpteurs, notamment la façon dont le matériau et l’outil agissent l’un sur l’autre. En 1978, eut lieu la soutenance de ma thèse d’État sur Nicolas de Leyde et la sculpture à Strasbourg entre 1460 et 1525. Jusqu’à la cour impériale à Vienne, durant les décennies 1460 et 1470, Nicolas de Leyde est la figure centrale de la production sculptée dans le sud de l’Empire. Depuis le début du xxe siècle, l’historiographie de l’art voit en lui un artiste d’une dimension égale à celle de Claus Sluter. Son séjour de quelque sept années dans ce centre artistique majeur qu’était Strasbourg lui donna l’occasion de créer ses œuvres les plus importantes, renouvelant des thèmes iconographiques traditionnels comme le Christ en croix, l’épitaphe ou encore le buste accoudé. Dans ma thèse, les deux cent trente-deux numéros du catalogue sont ordonnés selon des groupes de sculpteurs pour la plupart identifiés et documentés, ainsi que des groupes d’œuvres apparentées plus ou moins proches : à la suite de Nicolas de Leyde, Hans Hammer, Jean d’Aix-la-Chapelle, Nicolas de Haguenau, Veit Wagner, Hans Wydyz, etc. Le chantier de la cathédrale au sein duquel travaillaient certains de ces sculpteurs, et le cadre corporatif dans lequel la plupart d’entre eux exerçaient leur activité, constituent alors deux structures de production bien distinctes dont il fallait examiner l’organisation à partir des nombreuses sources d’archives34.

  • 35  Roland Recht, « Motive, Typen, Zeichnung. Das Vorbild in der Plastik des Spätmittelalters », in Fr (...)

24Un article rédigé en 1984 pour un ouvrage collectif publié à Weimar présentait un certain nombre d’observations tirées de mes recherches antérieures. Il portait sur l’idée que le Moyen Âge tardif se fait du « modèle ». J’y interrogeais les procédures selon lesquelles ce modèle pouvait transmettre des motifs et des types, mais aussi la place accordée au dessin au cours de ces transferts35. Conception et transmission des formes s’effectuent volontiers à partir des différents plans de la sculpture – faces avant, arrière, latérale –, ce qui explique l’importance que revêt le dessin comme medium bidimensionnel. On peut alors vérifier qu’une combinatoire rendue possible par la conception additive de la forme se trouve à l’origine des variantes d’un même modèle.

  • 36  Roland Recht, « La circulation des artistes, des œuvres, des modèles dans l’Europe médiévale », Re (...)

25L’œil de l’historien de l’art a indéniablement gagné en acuité dans l’examen des œuvres médiévales et on peut dire que l’archéologie du bâti a transféré sur la sculpture, et même sur la peinture, ses exigences d’ordre méthodologique qui aboutissent à une prise en compte plus fine des données matérielles. Celles-ci sont ensuite intégrées dans un processus général où entrent les questions de la commande, du modèle et, surtout, de sa transmission. Circulation des artistes et mobilité des modèles constituent un champ de recherche encore largement inexploré. Cette problématique, élargie à d’autres périodes, devait faire l’objet d’un livre dans la collection « Faire l’Europe », commande de Jacques Le Goff en 2003, mais il n’a pas abouti pour des raisons extérieures au projet lui-même. Quelques années plus tôt, j’avais réuni un ensemble de contributions sur ce thème dans la Revue de l’Art36.

  • 37  Roland Recht, « La métaphore du pli », in Éric Pagliano et Sylvie Ramond (dir.), Drapé. Degas, Chr (...)
  • 38  Roland Recht, « Dire la souffrance des images », Revue des sciences sociales, no 53, 2015, p. 152- (...)

26L’étude de la sculpture m’a amené à opérer une distinction entre deux perceptions de l’objet plastique : celle de l’unité organique et celle de l’unité visuelle. La première interprète les formes comme transcription de la structure du motif : lorsque l’on voit la statue d’un homme debout, on admet que les plis de son manteau retombent d’une certaine façon. L’unité visuelle, elle, est perçue lorsque les formes sont soucieuses avant tout d’elles-mêmes, quitte à trahir la structure interne de ce qu’elles représentent : les plis du manteau se livrent alors à un jeu formel qui concentre le regard sur lui. La fin du Moyen Âge m’a si vivement intéressé parce qu’elle privilégie l’unité visuelle, très éloignée de ce que l’on a pu qualifier de « naturalisme ». Cette distinction entre unité organique et unité visuelle se manifeste nettement dans le traitement du drapé, thème qui mériterait de faire l’objet d’une étude approfondie. Avec un bref essai intitulé « La métaphore du pli37 », je suis revenu récemment au cœur de l’étude de la forme, en insistant sur le drapé à la fois comme support de l’expression et manifestation de l’espace. Au Moyen Âge, l’expressivité la plus intense est celle de la figure douloureuse qui se manifeste autant dans la physionomie que dans les gestes, le drapé soulignant, voire amplifiant cette expression38.

*

  • 39  Roland Recht, « Le portrait et le principe de réalité dans la sculpture : Philippe le Bel et l’ima (...)

27Le portrait constitue une sorte de prolongement de ce fil rouge qu’est la sculpture dans mes travaux. Au Moyen Âge, l’identification d’un personnage historique ne repose pas nécessairement sur le seul portrait, donc sur la ressemblance : une simple inscription ou la représentation d’armoiries peuvent suffire. En 1983, lors du Congrès international d’histoire de l’art de Vienne, Gerhard Schmidt m’avait invité à présenter, durant la section consacrée à « L’art européen autour de 1300 », une communication intitulée « Le portrait et le principe de réalité dans la sculpture : Philippe le Bel et l’image royale39 ». Le principe de réalité ne désigne ni un principe esthétique ni une doctrine artistique, mais un rapport changeant au monde extérieur qui cesse d’être considéré comme étranger à l’art. Il s’agit d’un principe d’individuation qui peut s’appliquer aussi bien à des objets inanimés qu’à des êtres vivants, et qui signifie un changement profond de la fonction sociale de l’art. Dans le contexte théologico-politique du règne de Philippe le Bel – c’est-à-dire, selon les historiens, aux origines de l’État moderne –, on assiste aussi au développement de la conscience individuelle. S’élabore alors une nouvelle conception de l’image royale : une image de l’homme d’État montrant des traits physiques qui permettront de l’identifier.

  • 40  Roland Recht, « La rhétorique formelle de Claus Sluter, sculpteur du Duc de Bourgogne », in Martin (...)

28À l’invitation de Martin Büchsel, je me suis de nouveau intéressé à cette question en 1999, lors d’un colloque sur le thème du portrait avant l’invention du portrait, à l’université Goethe de Francfort. Ma contribution, qui avait pour titre « La rhétorique formelle de Claus Sluter, sculpteur du Duc de Bourgogne40 », se situait à la limite chronologique de l’avant et de l’après, et traitait plus précisément de l’accent mis par le sculpteur sur le costume et les traits patho-physiognomoniques. En observant attentivement les prophètes du Puits de Moïse et les figures flanquant le portail de la chapelle ducale à la chartreuse de Champmol, je pouvais préciser la distinction formulée plus haut entre unité organique et unité visuelle.

  • 41  Roland Recht, « L’habitant de la sculpture. Remarques sur le locus et la perception du corps plast (...)
  • 42  Paul Gsell, « Propos de Rodin sur l’art et les artistes », La Revue, 21 nov. 1907, p. 95-107.
  • 43  Roland Recht, « “… le redéploiement douloureux de l’être sur lui-même.” Le combat de Rodin », in :(...)

29Quatre ans plus tard, j’illustrais cette distinction au cours d’un colloque qui se tint au musée du quai Branly et auquel me convia Thierry Dufrêne. Ma présentation41 examinait l’interaction entre la sculpture et l’espace qu’elle génère, en même temps que leur réception perceptive. Une partie de cette communication était consacrée aux œuvres d’Auguste Rodin, et en particulier à son Balzac dont il disait lui-même qu’« il ne se sépare pas de ce qui l’entoure42 ». Lorsque j’évoque les idées de combinatoire et de forme additive, le nom de Rodin s’impose de fait. En 2011, j’ai prolongé les observations faites au musée du quai Branly dans le catalogue de l’exposition du musée Rodin intitulé L’Invention de l’œuvre. Rodin et les ambassadeurs. Dominique Viéville et Aline Magnien m’avaient demandé d’y rédiger un essai43 dans lequel j’étudiais ce qui anime la pensée plastique du grand sculpteur : une tension permanente entre l’envol et la chute, la contraction et la détente, la force et la fragilité, la partie et le tout.

  • 44  Roland Recht, « La sculpture au Grand Louvre : sur la destination de l’espace muséal », Le Débat, (...)
  • 45  Roland Recht, « La Réforme, la querelle des images et l’œuvre d’art », in : De la puissance de l’i (...)

30L’article paru dans la revue Le Débat à l’occasion de l’ouverture du Grand Louvre, en 1994, se rattache directement à la question du locus. Pierre Nora et Marcel Gauchet m’avaient proposé de m’interroger sur la scénographie de la sculpture, l’un des points forts du nouveau Louvre44. J’ai donc analysé cette muséographie qui opte, à mon avis, pour une sorte de sensationnalisme en lieu et place d’une présentation qui rendrait simplement justice à cette magnifique collection d’œuvres. À la lumière des précédentes publications, le lecteur aura compris qu’il s’agissait pour moi de parler de la réception des œuvres et de mettre au jour les modalités selon lesquelles les architectes et les conservateurs d’aujourd’hui ont traité le nouveau locus muséographique de la sculpture des xviie et xviiie siècles dans les vastes espaces visibles depuis le passage Richelieu, favorisant, à mes yeux, le spectacle au détriment de l’intelligibilité des œuvres singulières. L’article eut un certain retentissement. À l’instar de Svetlana Alpers qui s’intéressait à la nouvelle présentation des galeries hollandaises dans le même numéro du Débat, j’avais ainsi refusé de me joindre au chœur des thuriféraires du Grand Louvre. En 1997, Matthias Wascheck me confia l’organisation d’une série de conférences sur l’art durant la Réforme, à l’auditorium du Louvre : leur publication fut l’occasion de proposer quelques réflexions sur le statut de l’œuvre d’art à cette époque45.

  • 46  Roland Recht, « Le lieu privé du peintre. Autoportraits et ateliers comme configurations du champ (...)

31Enfin, ma fascination conjointe pour le portrait et pour l’espace de l’atelier fit l’objet d’un texte46 paru dans un numéro de Studiolo, revue de la Villa Médicis, consacré au sujet suivant : « Les lieux de l’art : une histoire du privé ». L’autoportrait et l’atelier ne sont pas seulement de nouveaux thèmes iconographiques ; ils rendent compte de nouvelles relations que le peintre souhaite établir entre lui, son client et son public.

Patrimoine et musées

32En janvier 1986, je quittai l’université de Dijon pour rejoindre les musées de la Ville de Strasbourg, dont Hubert Landais, à la tête de la Direction des musées de France, et Marcel Rudloff, maire de Strasbourg, m’avaient confié la charge. Je me suis alors trouvé confronté à de tout nouveaux défis relevant à la fois de la gestion scientifique et administrative d’un complexe de huit musées, de la valorisation des collections, de la politique d’acquisitions et de la programmation d’expositions et de publications. Ce patrimoine muséal proposait un éventail d’une grande richesse : le Musée archéologique gallo-romain et les musées des Beaux-Arts et des Arts décoratifs, abrités tous trois au palais Rohan ; l’Œuvre Notre-Dame consacrée au Moyen Âge ; le Musée historique de la Ville ; le Musée alsacien dédié à l’ethnographie ; le Cabinet des arts graphiques ; et un noyau non négligeable de ce futur musée d’Art moderne et contemporain que je devais concevoir. La cathédrale métropolitaine, dont l’architecture et la sculpture figurent parmi les plus remarquables de l’art gothique, le palais Rohan et l’Œuvre Notre-Dame forment, autour de la place du Château, une sorte de couronne monumentale à laquelle peu de centres historiques en Europe peuvent se comparer. Les problématiques liées au patrimoine prenaient donc nécessairement le pas sur d’autres préoccupations scientifiques.

  • 47  Roland Recht (dir.), Victor Hugo et le débat patrimonial, actes du colloque de l’Institut national (...)

33Plus tard, en 2002, Geneviève Gallot, alors directrice de l’Institut national du patrimoine, me demanda de diriger un colloque sur Victor Hugo et la question du patrimoine47. Organisée à l’occasion du deux centième anniversaire de la naissance du poète, cette manifestation avait un double objectif : se pencher sur un aspect peu étudié de son action publique – le combat pour la sauvegarde du patrimoine – et chercher à en connaître les effets dans quelques pays européens. Cette publication se situait dans la lignée d’un thème évoqué plus haut, à savoir la redécouverte du gothique et la formation de l’idée de nation.

*

34Dès le commencement de ses recherches, tout médiéviste consulte un outil indispensable : le Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle (1854-1868) d’Eugène Viollet-le-Duc. En effet, si Viollet-le-Duc a été considéré, jusque dans les années 1960, avant tout sous l’angle des théories de la restauration, de son rationalisme et de son fonctionnalisme, il a depuis acquis un autre statut : celui de monument historiographique. On a pris la mesure de ses insuffisances, de ses erreurs et de ses partis pris, et on le voit à présent comme un jalon essentiel, au xixe siècle, de la revalorisation du Moyen Âge et de l’histoire des idées. Sauf à l’intérieur de rares cercles encore soucieux de porter des jugements de valeur sur son œuvre d’architecte – surtout de restaurateur de monuments médiévaux –, on l’envisage bien davantage, aujourd’hui, comme un « objet » historiographique incontournable.

  • 48  Roland Recht, « Viollet-le-Duc et Gottfried Semper. Leurs conceptions du patrimoine monumental », (...)
  • 49  Cité dans Gottfried Semper (1803-1879). Baumeister zwischen Revolution und Historismus, Munich, Ca (...)
  • 50  Roland Recht, « “La beauté du mort”. Ruskin, Viollet-le-Duc et le sentiment de la perte », in Jean (...)
  • 51  Il en existe une traduction espagnole par Juan Calatrava : Pensar el patrimonio. Escenificación y (...)

35Cependant, il conviendrait de confronter sa pensée avec celle d’autres savants de son temps : parmi eux, Gottfried Semper, auteur d’un autre ouvrage majeur du xixe siècle – Der Styl (1860) –, également théoricien de la restauration et fort négligé en France48. Semper, chargé de restaurer le château de Schwerin en Prusse, apparaît comme un penseur du patrimoine bien plus attentif à l’héritage historique et bien plus fidèle à « la singularité et à la poésie49 » de l’ancien que le restaurateur de Vézelay. Suite à une commande de Jean Clair, je me suis également intéressé à John Ruskin à l’occasion de la publication du catalogue de l’exposition sur la mélancolie au Grand Palais50. Si Ruskin observe avec dévotion la lente désagrégation des monuments anciens et si Viollet-le-Duc la déplore, tous deux voient néanmoins dans l’action des anciens artisans auxquels on les doit, un modèle pour leur propre temps. Plusieurs articles sur les notions de musée et de patrimoine, parus entre 1970 et 1998, ont été rassemblés dans l’ouvrage édité par Hazan, en 1999, sous le titre Penser le patrimoine. Mise en scène et mise en ordre de l’art51. Une deuxième édition augmentée d’une postface a été publiée en 2008, puis une troisième enrichie de trois chapitres, en 2016, sous le titre Penser le patrimoine 2.

  • 52  Roland Recht, « Le patrimoine et son double. Une esthétique de l’indéterminé », in Robert Favreau (...)
  • 53  Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht, « Nos musées ne sont pas à vendre », Le Monde, 25 no (...)
  • 54  Roland Recht, « Du mythe de l’universalité au musée éclaté. Entretien avec Jean-Louis Jeannelle »,(...)

36D’une façon plus polémique, j’ai par ailleurs cherché à replacer les écrits d’Aloïs Riegl et de Camillo Sitte au centre des débats sur le patrimoine52. Je mettais ainsi en garde contre, d’une part, la gestion technocratique des institutions patrimoniales destinées à recevoir le public et, d’autre part, la dérive qui entraîne un mauvais usage des œuvres (notamment dans les grands musées), vouées à une mort lente. Je suis revenu sur ces questions à d’autres reprises : avec Françoise Cachin et Jean Clair, dans un article du journal Le Monde qui a fait grand bruit53, et plus récemment dans un entretien paru dans la revue Critique54.

  • 55  Roland Recht, Der Rhein. Kunstlandschaft Europas, Munich, Hirmer, 2001 ; trad. fr., Le Rhin. Vingt (...)

37En 1996, les éditions Hirmer, à Munich, me sollicitèrent pour écrire un ouvrage sur le Rhin en tant que paysage artistique55. On sait que l’originalité de cette maison est due en partie à la grande qualité de ses prises de vue qui, depuis deux générations, sont réalisées par l’éditeur lui-même spécialement pour chaque ouvrage. La rédaction du texte progressa doucement et le livre ne parut qu’en 2001, sous trois versions : allemande, française et anglaise. Un vaste panorama historique, géographique et artistique fait l’objet d’une introduction, et chaque site retenu, richement illustré, est accompagné d’un commentaire.

Les expositions

  • 56  Les Bâtisseurs des cathédrales gothiques, op. cit.

38Lorsque je pris la direction des musées de la Ville de Strasbourg, en 1986, je considérais que l’une de mes principales missions devait consister à mettre en valeur les œuvres majeures du patrimoine de la ville et à en souligner, le cas échéant, le rayonnement européen. En 1989, l’exposition Les bâtisseurs de cathédrales me permit d’« illustrer » l’idée selon laquelle l’invention ou du moins le développement du dessin d’architecture, contemporain des grandes cathédrales gothiques, a donné le ton à l’ensemble des créations artistiques comme le vitrail, la sculpture, les arts improprement dits « mineurs » et l’enluminure. L’exceptionnelle collection des dessins d’architecture de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg formait le noyau de l’exposition, augmentée de nombreux prêts d’objets d’orfèvrerie, de sculptures, de vitraux et de livres enluminés (dont le fameux album de Villard de Honnecourt). Cette mise en valeur des dessins conservés à Strasbourg fut l’occasion de procéder au décollement des parchemins qui avaient été jadis marouflés sur un support de toile, une opération qui avait provoqué le gondolage de nombreuses feuilles ; on découvrit alors des dessins qui figuraient sur le verso de certaines d’entre elles. L’exposition fut déployée dans les salles de l’Ancienne Douane, en une spectaculaire muséographie de l’architecte Jérôme Habersetzer, et accompagnée d’un catalogue volumineux56.

  • 57  Roland Recht (dir.) (avec la collaboration de Catheline Périer-D’Ieteren et Pascal Griener), Le Gr (...)
  • 58  1. L’Europe en mouvement ; 2. L’empire carolingien et son héritage ; 3. L’Europe et la Méditerrané (...)

39En 2006, les responsables d’Europalia me proposèrent de concevoir une exposition destinée à célébrer le cinquantième anniversaire du traité de Rome au Palais des beaux-arts de Bruxelles57. Ce traité donnant naissance à un marché commun qui organisait la circulation des hommes, des marchandises et des capitaux à l’intérieur de l’espace européen, je retins le thème de la circulation des artistes, depuis l’Antiquité jusqu’à la veille de la Révolution française. Avec l’ouverture du Louvre, en 1793, l’existence de grandes collections publiques modifie en effet singulièrement le rapport que les artistes peuvent entretenir avec le passé. Sous le titre Le grand atelier. Chemins de l’art en Europe (ve-xviiie siècle), nous avons imaginé quatorze sections ou dossiers58 qui illustraient la circulation des artistes et surtout des œuvres, l’Europe étant considérée ainsi comme un immense « atelier ». Près de trois cent cinquante œuvres ont pu être présentées, valorisées par la scénographie d’Adeline Rispal.

  • 59  Joëlle Pijaudier-Cabot et Roland Recht (dir.), Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930, cat. ex (...)
  • 60  Roland Recht et Jean-Claude Richez (dir.) (avec la collaboration d’Isabelle Laboulais), Dictionnai (...)

40Dix ans après celle de Bruxelles, l’exposition Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930 ouvrit ses portes. La Ville de Strasbourg, son complexe de musées, placé sous la direction de Joëlle Pijaudier-Cabot, ainsi que l’université et ses exceptionnelles collections patrimoniales constituées dès la fin du xixe siècle, furent associés dans cette entreprise. Présentée dans une remarquable scénographie d’Adeline Rispal, l’exposition fut accompagnée de la publication d’un catalogue59. L’objectif était de mettre en lumière l’extraordinaire bouleversement que connut la ville au lendemain de la guerre franco-prussienne, lorsque l’Alsace et la Lorraine furent annexées au Reich. En quatre décennies, sur le plan urbanistique et architectural, Strasbourg se métamorphosa en métropole européenne consécutivement à la transformation des élites – due à l’absorption de fonctionnaires, de militaires et d’intellectuels venus d’outre-Rhin – et à un développement culturel inédit. L’université, véritable ville dans la ville, fut pour beaucoup dans cette ascension : elle bénéficia d’un élan sans précédent en faveur de la recherche scientifique et de la création de laboratoires et de bibliothèques, suscitant le recrutement d’enseignants de renom. Le deuxième volet de l’exposition montrait les changements intervenus après la guerre, mais aussi les continuités. Elle s’achevait d’une façon éloquente en évoquant deux événements dont la signification symbolique est particulièrement forte : l’ouverture de l’Aubette, en 1927, avec un aménagement intérieur signé Théo van Doesburg, Sophie Taeuber et Hans Arp, sorte de manifeste de l’art constructiviste ; et deux ans plus tard, la création par Marc Bloch et Lucien Febvre, au sein de l’université, de la revue des Annales dont on connaît le rôle dans le renouvellement de l’histoire. En complément du catalogue, j’ai dirigé, aux côtés de Jean-Claude Richez, un Dictionnaire culturel de Strasbourg (1880-1930) dont les sept cents entrées offrent une large documentation relative à la période traitée dans l’exposition60.

L’historiographie de l’art

41L’historiographie a pour objet l’étude de l’histoire en tant que récit. La mise en intrigue d’une histoire de l’art n’est pas la même chez Pline, chez Giorgio Vasari, chez Johann Joachim Winckelmann ou chez Hippolyte Taine. Chacune « invente » une histoire différente, parfois à partir de corpus identiques ou voisins, tout en usant de figures rhétoriques qui ne changent guère depuis l’Antiquité. Il faut donc aller plus loin.

42L’historiographie de l’art ne se réduit pas à une simple élucidation du langage. Si le récit forme le point de départ, il conduit ensuite à l’étude des conditions dans lesquelles son auteur a été amené à l’écrire. L’historiographie s’intéresse à tout ce qu’il faut connaître de la genèse de ce récit autant que de sa réception. Elle examine également comment l’objet du récit, c’est-à-dire un développement historique de l’art, a été soumis à un énoncé nécessairement orienté. Étudier l’auteur implique une approche prosopographique qui recourt aussi bien à la psychologie individuelle qu’à l’analyse de l’outillage mental dont disposait cet auteur : il s’agit de contextualiser son œuvre et sa personne. La réception s’étire sur un temps plus long.

*

  • 61  Hormis Pierre Francastel qui lisait l’allemand.

43Mon intérêt pour l’historiographie est né dès les années 1965, en même temps que celui pour l’histoire de l’art, alors que je faisais des recherches sur l’architecture gothique du Rhin supérieur. À cette époque, il était quasiment impossible de trouver des ressources en langue française dans la bibliographie des monuments d’architecture alsaciens. L’étude de l’art monumental en Alsace avait été amorcée durant l’annexion au Reich par des historiens de l’art comme Georg Dehio, Ernst Polaczek ou Franz-Xaver Kraus. Or, après la Première Guerre mondiale, celle-ci resta aux mains des savants allemands simplement parce que les professeurs qui avaient pris leur suite à l’université française de Strasbourg n’étaient pas des spécialistes de l’architecture et, plus généralement, n’étaient pas germanophones61.

  • 62  C’est cinquante ans plus tard que fut publiée la correspondance de Kurt Bauch avec Martin Heidegge (...)

44Avant 1965, tous les grands monuments – cathédrale de Strasbourg comprise – avaient donc donné lieu à des recherches, le plus souvent dans le cadre d’une thèse ou d’une habilitation, menées par de jeunes historiens de l’art allemands ayant suivi leur cursus à l’université de Fribourg-en-Brisgau. La plupart d’entre eux avaient été les élèves du professeur Kurt Bauch, qui dirigeait une collection dans laquelle parurent ces travaux62. Les revendications nationales dont jadis l’Alsace avait été l’objet y laissaient des traces plus ou moins clairement identifiables.

45En me conseillant sur le choix d’un thème de recherche, Louis Grodecki avait insisté sur la nécessité de porter un regard plus « neutre » sur des monuments que, depuis des générations, les chercheurs allemands avaient « annexés ». J’avançais donc, dans ces vastes terres bibliographiques en langue allemande, avec prudence. Pour le jeune chercheur que j’étais, semblable expérience s’est révélée très féconde : elle m’a incité à une grande vigilance, à une mise à distance de ces lectures et des résultats qu’elles proposaient.

46Mes enseignements à l’université de Dijon-Bourgogne (1980-1985), à celle de Strasbourg (1993-2000) et, surtout, au Collège de France (2001-2012) furent l’occasion de traiter de problèmes historiographiques sous la forme de séminaires, puis de cours. Ils m’apparaissaient à la fois comme un remède contre la tentation du positivisme, en même temps qu’une nécessité au plan épistémologique. L’intérêt que suscitait cet enseignement auprès des étudiants m’encouragea à poursuivre dans cette voie.

*

  • 63  Aby Warburg, Miroirs de faille. À Rome avec Giordano Bruno et Édouard Manet (1928-29), textes étab (...)
  • 64  Aby Warburg, L’Atlas Mnémosyne, trad. Sacha Zilberfarb avec un essai de Roland Recht, Paris, L’Éca (...)
  • 65  Roland Recht, « L’iconologie avant Warburg. L’orientaliste Charles Clermont-Ganneau et la mytholog (...)
  • 66  Notre édition des écrits de Warburg a vu paraître, en 2015, les Fragments sur l’expression (textes (...)

47Parfois mentionné dans les cours que je suivis à l’université de Strasbourg au début des années 1960, et présent en arrière-plan des ouvrages d’Erwin Panofsky, Aby Warburg fut « incarné » à mes yeux – en 1970, je crois – lors d’une visite au Warburg and Courtauld Institutes (Londres) avec quelques étudiants. Devant la vaste collection de photographies et parcourant la bibliothèque, je pris pleinement conscience de l’originalité de cette personnalité. Alors que je m’étais déjà intéressé à de nombreuses reprises à la méthode de Warburg durant mes cours, c’est en 2009 que nous avons décidé de lancer, avec Maurizio Ghelardi et le jeune éditeur Samuel Delerue, une collection d’écrits. Nous commençâmes par Miroirs de faille. À Rome avec Giordano Bruno et Édouard Manet (1928-29)63. Le deuxième volume fut consacré à l’édition de L’Atlas Mnémosyne64 pour laquelle j’ai rédigé un long essai, expliquant la lente genèse et la conception de ce projet resté inachevé à la mort de Warburg en 1929. Cet atlas est inséparable de la bibliothèque qu’il a créée et des thématiques qu’il a privilégiées : formules de pathos, astrologie, thèmes du triomphe et de la soumission, etc. En 2013, la revue en ligne Images Re-vues publia ma tentative de retrouver les origines de la notion d’iconologie65, c’est-à-dire avant Warburg. En effet, Charles Clermont-Ganneau, l’archéologue et épigraphiste du Proche-Orient ancien, étudie déjà la transmission de thèmes iconographiques, en insistant sur l’interaction entre l’image et ses interprétations figurées successives qui peuvent, totalement ou partiellement, altérer l’une ou l’autre au cours du temps, selon leur réemploi symbolique66.

*

  • 67  Roland Recht (dir.), Le Texte de l’œuvre d’art. La description, Strasbourg/Colmar, Presses univers (...)
  • 68  Roland Recht, « Les enjeux théoriques de la description au début de la Kunstgeschichte. Karl Phili (...)
  • 69  Roland Recht, « Buren sur Ryman, Moritz sur Winckelmann : la critique constitutive de l’histoire d (...)
  • 70  Roland Recht, « Falconet, Diderot, Goethe. Le débat sur la nature et sur le discours autorisé », i (...)

48Revenons cependant à l’examen du récit. J’ai accordé beaucoup d’attention à la description. En 1998, parut un recueil collectif67 qui faisait suite à un colloque organisé l’année précédente en collaboration avec le musée Unterlinden de Colmar. Il résultait des travaux menés au sein du programme de recherche « Le texte de l’œuvre d’art », à l’université Marc-Bloch de Strasbourg. En 2004, j’ai publié un article sur les enjeux de la description, et plus précisément sur la critique que le philosophe Karl Philipp Moritz adressa à l’Histoire de l’art chez les Anciens de Johann Joachim Winckelmann68 : à ses yeux, aucune description ne saurait rendre compte de la beauté d’une sculpture grecque comme seul un équivalent poétique pourrait le faire. Ce même thème, envisagé sous un angle différent, avait déjà fait l’objet d’un colloque à la Villa Médicis en 2001. J’y avais mis en parallèle la position de Karl Philipp Moritz, qui revendiquait la supériorité du poète sur l’historien de l’art, et celle de Daniel Buren qui, en tant qu’artiste, pense détenir la seule légitimité pour parler de l’œuvre d’un autre peintre, en l’occurrence Robert Ryman69. En 2008, j’ai de nouveau abordé cette question70, cette fois à partir du débat qui opposa, au xviiie siècle, Denis Diderot et le sculpteur Étienne Maurice Falconet. Ce dernier prétendait que seul l’artiste a le droit de juger une œuvre d’art comme la statue de Marc Aurèle sur le Capitole à Rome, car non seulement il détient un savoir sur le faire artistique, mais il possède aussi une expérience suffisante pour connaître ce que l’artiste peut tirer de l’observation de la nature, qui doit être son seul guide. Du côté des « littérateurs », donc à l’opposé de Falconet, Diderot défendait une autre légitimité : celle de juger, mieux que l’artiste, de tout ce qui relève de l’« idéal ». Pour Johann Wolfgang von Goethe, qui participa à ce même débat, le jugement du spectateur ou du critique doit s’élaborer et se renouveler à chaque expérience du regard : le poète prônait le relativisme du jugement critique.

  • 71  Roland Recht, « Le combat pour l’art de Willi Baumeister », in : Willi Baumeister et la France, ca (...)

49Je me suis par ailleurs intéressé à un affrontement autrement violent à propos de la définition de l’art abstrait, qui à l’époque faisait figure d’art moderne par excellence, et qui occupe la place que tenait la nature dans l’exemple précédent. En 1950, lors d’un débat public à Darmstadt, le peintre allemand Willi Baumeister se dressa contre l’historien de l’art Hans Sedlmayr71. Après son adhésion à l’idéologie nazie, Sedlmayr avait milité pour une restauration catholique en Europe, bataillant contre l’art moderne dont il dénonçait le soi-disant nihilisme. Son jugement artistique s’appuyait sur une idéologie d’extrême droite radicale à laquelle le peintre opposait un attachement sensible à l’œuvre singulière, à travers un lent processus d’intériorisation.

  • 72  Roland Recht, « L’écriture de l’histoire de l’art devant les modernes. Remarques à partir de Riegl (...)
  • 73  Roland Recht, « Provocation et principe d’équivalence. La modernité jugée par Wickhoff et Riegl », (...)
  • 74  Pour une liste exhaustive de ces publications, voir mon site www.rolandrecht.org.

50Le rapport que l’historien de l’art du passé entretient avec l’art moderne a précisément été étudié dans un article paru en 1994 dans Les Cahiers du musée national d’Art moderne72, ainsi que dans les mélanges offerts à Pierre Vaisse en 200573. Tout récit analysant l’art du passé recèle des jugements implicites – de rejet ou d’adhésion – sur l’art de son propre temps. Dans un registre plus nettement prosopographique, j’ai publié des essais, parfois comparatifs, sur Erwin Panofsky, Heinrich Wölfflin, Émile Mâle et Henri Focillon, Wilhelm Vöge et Louis Grodecki, Louis Courajod et Salomon Reinach, ou encore André Chastel74.

  • 75  Il s’agit du numéro 146.
  • 76  Roland Recht, Philippe Sénéchal, Claire Barbillon et François-René Martin (dir.), Histoire de l’hi (...)
  • 77  Roland Recht, L’Objet de l’histoire de l’art, leçon inaugurale du Collège de France (14 mars 2002) (...)
  • 78  Roland Recht, « Du style en général et du Moyen Âge en particulier », Wiener Jahrbuch für Kunstges (...)

51Au cours de mon mandat de directeur de la Revue de l’Art, j’ai pu consacrer, en 2004, un numéro spécial à L’Histoire de l’histoire de l’art75. La même année, j’ai co-organisé, au Collège de France et à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), un colloque intitulé « Histoire de l’histoire de l’art en France au xixe siècle76 ». En 2002, j’avais dédié ma leçon inaugurale du Collège de France à l’objet de l’histoire de l’art77. J’entretenais ainsi intentionnellement une certaine ambiguïté. Si l’historien de l’art s’intéresse en premier lieu aux realia, son travail consiste en effet à les faire passer au plan du langage. En même temps qu’elle déroule le fil de l’histoire, cette discipline est un récit, une narration qui utilise des figures rhétoriques. Et elle s’élabore également à partir de concepts tels que le « style » ou la « périodisation » qui, plus que pour d’autres périodes de l’histoire de l’art, jouent un rôle déterminant aux yeux du médiéviste qui étudie généralement des œuvres dont il ignore l’auteur et la date d’exécution78. Une identité singulière, rarement un nom propre, ne prend naissance qu’à partir d’un examen formel des objets ou de corpus d’objets.

  • 79  Roland Recht, « Gotische Architektur zwischen “Abbild” und Bauforschung. Gibt es eine französische (...)

52Pour finir, je souhaiterais faire mention du centenaire du Deutscher Verein für Kunstwissenschaft. À cette occasion, Rainer Kahsnitz me demanda de collaborer à un numéro spécial de la revue de cette société savante79. J’y faisais le constat d’une faible réception, par mes compatriotes, des recherches germanophones portant sur l’art médiéval français. À la barrière de la langue, il convient d’ajouter que les historiens français de l’architecture se préoccupent peu, en général, des écrits à caractère théorique, qui forment au contraire un important contingent outre-Rhin avant la Seconde Guerre mondiale. De plus, l’archéologie du bâti, dont nous devons les fondements aux spécialistes de l’Antiquité et qui a été pratiquée d’une façon remarquable depuis les années 1970 en Allemagne, a mis un certain temps à s’établir en France.

L’art contemporain

53Parmi les centres d’intérêt que je n’ai pour ainsi dire jamais délaissés, il y a l’art contemporain. L’architecture et la sculpture du Moyen Âge l’ont certes éclipsé pendant de nombreuses années, sans pour autant interrompre mes visites régulières d’expositions et de musées. Mon mandat à la tête des musées de la Ville de Strasbourg, et ma mission de procéder à la création d’un musée d’Art moderne et contemporain, imposaient d’ailleurs le double mouvement suivant : d’une part, la sensibilisation du public à l’art de notre temps par la médiation d’expositions ; d’autre part, la mise en place d’une politique d’acquisitions active pour laquelle la ville et l’État m’octroyaient des moyens financiers non négligeables. L’année de mon entrée en fonction, en 1986, nous avons présenté une très belle exposition intitulée Arp 1886-1986, organisée conjointement avec le Württembergischer Kunstverein de Stuttgart et le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Conçu et prévu bien avant mon arrivée, j’interprétais cet événement comme un joli signal : presque vingt ans plus tôt, j’avais été associé au catalogue de la première exposition Arp organisée par les musées de Strasbourg…

54J’ai voulu que les projets d’acquisitions soient accompagnés d’une politique d’expositions qui esquisserait une ligne générale. Autour de Jean Arp, qui peut être considéré comme une figure exemplaire de l’Europe des avant-gardes entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, s’est tout naturellement édifié un ensemble d’œuvres conséquent destiné au musée strasbourgeois. Dans les années 1960, plusieurs attitudes esthétiques se sont formées à partir du dadaïsme et du surréalisme : elles trouvaient de ce fait leur place dans cet ensemble (Marcel Broodthaers, Robert Filliou, Panamarenko, George Brecht, Nam June Paik, Joseph Cornell). Des artistes français travaillant notamment sur la mémoire (Christian Boltanski, Sarkis, Jochen Gerz, Paul-Armand Gette) formaient un autre groupe. Enfin, deux noyaux furent constitués à partir de l’art allemand (A. R. Penck, Georg Baselitz, Eugen Schönebeck, Imi Knoebel, Rosemarie Trockel, Anselm Kiefer) et de l’art italien (Jannis Kounellis, Giuseppe Penone, Claudio Parmiggiani), avec comme repère les années 1960 et 1970, époque à laquelle l’un comme l’autre ont affirmé leur singularité.

55En 1988, l’exposition Saturne en Europe. Regard sur la modernité fut conçue autour du thème de la mélancolie, en prenant pour appui les lectures de Walter Benjamin, Erwin Panofsky, Fritz Saxl et Raymond Klibansky. À propos du drame baroque, Benjamin disait en substance que chaque objet, chaque combinaison pouvait signifier n’importe quelle autre combinaison. Or, dans les configurations que mettent en place beaucoup d’artistes des années 1970 et 1980, l’interchangeabilité des signes joue un rôle déterminant. Les figures allégoriques, fragments, restes, ruines et objets trouvés mis en œuvre témoignent du rapport que ces artistes entretiennent avec le passé. J’ajoute, et cela avait une importance cruciale à mes yeux, que chacun d’eux reconnut l’une de ses préoccupations centrales dans le thème de la mélancolie et adhéra par conséquent pleinement au parcours que j’avais élaboré avec le concours de Françoise Ducros.

  • 80  Onze en réalité puisque Josef Beuys était décédé en 1986 : Christian Boltanski, Marcel Broodthaers (...)

56En 1988 donc, les œuvres de douze artistes80 furent exposées dans les espaces du musée des Beaux-Arts (qui se trouve dans le palais Rohan, bâtiment du xviiie siècle) et de l’Œuvre Notre-Dame (datant des xve et xvie siècles), ainsi que dans les vastes salles de l’Ancienne Douane. La confrontation entre art contemporain et patrimoine ancien avait pour objectif de décloisonner la lecture que le public pouvait être amené à faire. Il s’agissait également de mettre en scène des dispositifs « ouverts » : des installations, notamment, que je souhaitais acquérir en vue de constituer les collections du musée d’Art moderne et contemporain alors en gestation.

*

57Mes quelques essais consacrés à des artistes contemporains ne se limitent pas aux expositions strasbourgeoises. Beaucoup ont été suscités par des commandes émanant des artistes eux-mêmes ou de commissaires d’exposition : Robert Combas, Jacques Vieille, Hubert Duprat, Robert Filliou, Anselm Kiefer, Lee Ufan, Claudio Parmiggiani, Gerhard Merz, Giuseppe Penone, Jean-Luc Godard, Claire Roudenko-Bertin, Sarkis…

  • 81  Roland Recht, Point de fuite, op. cit.

58Une grande partie de mes écrits sur l’art contemporain – postérieurs à 1960 – ont été regroupés dans un livre publié aux éditions de l’École des beaux-arts, rue Bonaparte81. Ces derniers ne relèvent pas de la critique d’art au sens d’un journalisme engagé qui prendrait position pour ou contre tel artiste ou tel mouvement. Il s’agit non pas de jugements sur l’œuvre, mais d’analyses et d’interprétations. Si la part de subjectivité demeure identique, dans le second cas, elle doit néanmoins se soumettre à des clauses implicites communes à l’artiste et à l’interprète qui, après tout, partagent la même temporalité. Il existe cependant un « seuil » critique, et c’est seulement en deçà de ce seuil que l’interprétation peut se déployer avec une relative pertinence.

  • 82  Faut-il préciser que ce n’est pas parce qu’il « fait du nouveau » qu’un artiste est nécessairement (...)
  • 83  Nathalie Heinich, Le Triple Jeu de l’art contemporain. Sociologie des arts plastiques, Paris, Les  (...)

59Partant du postulat que c’est toute la production artistique d’aujourd’hui qui constitue l’art contemporain – ce qui est parfaitement légitime –, il nous faudra cependant procéder à une différenciation entre les artistes dont l’Œuvre peut être rattaché à une tradition – un classicisme figuratif qu’ils perpétuent avec d’indéniables qualités esthétiques, par exemple – et ceux qui se singularisent en opérant une rupture suffisamment nette avec quelque tradition que ce soit, imposant dans leur travail une force de nouveauté82. Leurs œuvres retiennent mon attention parce qu’elles « procèdent à la déconstruction des principes canoniques définissant traditionnellement l’œuvre d’art83 ». J’ajoute que toute prise de risque repose sur une condition préalable : celle d’une nécessaire sympathie à l’égard d’une œuvre en devenir. Je me place alors dans la position d’un ethnologue qui cherche à la fois à se familiariser avec une langue étrangère, avec des pratiques inédites, avec des représentations qu’il découvre peu à peu et qu’il cherche à comprendre en vivant à leurs côtés. Avec les moyens du bord, l’exercice d’interprétation qui en résulte est celui d’une subjectivité parfaitement assumée.

*

60Après ma démission de la direction des musées de la Ville de Strasbourg, une autre activité s’est imposée à un rythme régulier, à la marge de mes travaux de recherches. À partir de novembre 1993 et jusqu’en février 1999, sur une proposition d’Antoine de Gaudemar et Hervé Gauville, j’ai collaboré au journal Libération avec des comptes rendus d’expositions et de livres relatifs à l’histoire de l’art. En novembre 2003, j’ai par ailleurs inauguré une chronique mensuelle dans Le Journal des Arts, à l’invitation de Philippe Régnier : jusqu’en mars 2012, quatre-vingt-onze chroniques se sont succédé au cours desquelles je prenais position, avec une totale liberté, aussi bien sur des problèmes patrimoniaux que sur la vie artistique en général.

61Occasionnellement, j’ai également été sollicité pour écrire à propos de l’actualité immédiate dans Le Monde, La Croix, Le Figaro, La Quinzaine littéraire, Beaux Arts Magazine, Art Press, L’Indice et Saisons d’Alsace.

Octobre 2020

Notes

1  Je laisse délibérément de côté les aspects biographiques de ce parcours. On pourra se reporter à un certain nombre d’entretiens : Marc Kirsch, « Entretien avec Roland Recht », La Lettre du Collège de France, déc. 2012, p. 30-33 ; Daniel Russo, « Interview avec Roland Recht. Ils peuvent se passer de moi, je ne peux me passer d’eux », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, no 18-2, 2014, en ligne : https://journals.openedition.org/cem/13556 (DOI : 10.4000/cem.13556) ; Laurent Baridon, Agnès Callu et François-René Martin, « Entretien avec Roland Recht », Perspective, no 1, 2017, p. 47-64 (DOI : 10.4000/perspective.7103) ; Agnès Callu et Roland Recht, L’Historien de l’art : conversation dans l’atelier, Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2018. En 2015, Marianne Alphand et Pascale Bouhénic m’ont consacré un film intitulé La Cathédrale et le Papillon : il s’inscrit dans la série « Un œil, une histoire », qui présente neuf historiens de l’art (prod. : Zadig Films). On peut ajouter trois « portraits » brossés respectivement par : Adalgisa Lugli, « Roland Recht », Il Giornale dell’Arte, no 75, 1990 ; Michel Frizot, « La capacité des œuvres à nous transformer », Le Journal des Arts, no 140, 2002 ; et Étienne Anheim, « L’art à la bonne distance par Roland Recht », Le Monde, 16 févr. 2019.

2  On pourra consulter une bibliographie complète, ainsi que la liste de mes articles de presse sur mon site www.rolandrecht.org.

3  Paris, Christian Bourgois, 1989 ; nouvelle éd. augm., coll. « Titres », 2006. Une proposition des directeurs de la collection « Détroits » chez Bourgois (Jean-Christophe Bailly, Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe) est à l’origine de cet essai. Voir aussi ma contribution au catalogue de l’exposition de Berlin (1999) et de Bonn (2000) : « “Daguerres Meisterwerke”. Alexander von Humboldt und die Photographie », in Frank Holl (dir.), Alexander von Humboldt. Netzwerke des Wissens, Berlin, Hatje Cantz Verlag, 1999, p. 159-160.

4  Louis Grodecki et Roland Recht, « Le quatrième colloque international de la Société française d’archéologie (Strasbourg, 18-20 octobre 1968). Le bras sud du transept de la cathédrale : architecture et sculpture », Bulletin monumental, t. 129-1, 1971, p. 7-38.

5  Roland Recht, « La chapelle Saint-Venceslas et la sacristie de la cathédrale de Prague et leur origine strasbourgeoise », in György Rósza (dir.), Évolution générale et développements régionaux en histoire de l’art. Actes du XXIIe Congrès international d’histoire de l’art (Budapest, 1969), Budapest, Akadélia Kiado, 1972, vol. 1, p. 521-526.

6  Colmar, Alsatia, 1974.

7  Roland Recht, Das Strassburger Münster, Stuttgart, Müller und Schindler, 1971. Une édition française a paru simultanément chez le même éditeur, et une nouvelle édition augmentée a été publiée en version française et en version allemande à Strasbourg, en 1993, aux éditions de la Nuée Bleue.

8  Louis Grodecki (avec la collaboration d’Anne Prache et de Roland Recht), Architettura gotica, Milan, Electa, 1976 ; trad. fr., Paris, Berger-Levrault, 1979.

9  Roland Recht, « L’arte gotica », in Nicola Tranfaglia et Massimo Firpo (dir.), La storia. I grandi problemi dal Medioevo all’età contemporanea, Turin, UTET, 1988, vol. 1, p. 653-679. La traduction française de ce texte a paru en guise d’introduction, sous une forme légèrement modifiée, dans Les Bâtisseurs des cathédrales gothiques (préface de Jacques Le Goff, Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, 1989, p. 17-39).

10  Automne et Renouveau, coécrit avec Albert Châtelet, chargé de la peinture, est le dernier volet d’un ensemble de trois volumes traitant du monde gothique.

11  Roland Recht, L’Image médiévale. Le livre enluminé, Paris, RMN, 2010.

12  Cet ouvrage a été traduit en anglo-américain par Mary Whittall (2008), en russe par Oleg Voskoboynikov et Lana Martycheva (2014), augmenté de ma leçon inaugurale au Collège de France, et en chinois par Li Jun (2016).

13  Roland Recht, « Le goût de l’ornement vers 1300 », in Danielle Gaborit-Chopin et François Avril (dir.), 1300… l’art au temps de Philippe le Bel, actes du colloque de l’École du Louvre (juin 1998), Paris, École du Louvre, 2001, p. 149-161 ; repris dans Revoir le Moyen Âge. La pensée gothique et son héritage, Paris, Picard, 2016, p. 215-225.

14  Roland Recht, « L’élimination du chapiteau à l’époque gothique : vers un “6e ordre” d’architecture ? », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. 146-3, 2002, p. 1019-1039.

15  Roland Recht, « Revoir le Moyen Âge » (introduction) et « L’homme se déploie dans le monde. L’œil de Jan van Eyck », in : Revoir le Moyen Âge, op. cit.

16  Roland Recht, « Le musée d’Alexandre Lenoir : une “collection magnifiquement confuse, poétiquement désordonnée” », in Geneviève Bresc-Bautier et Béatrice de Chancel-Bardelot (dir.), Un musée révolutionnaire. Le musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir, Paris, Hazan, 2016, p. 10-17.

17  Roland Recht, « L’invention du Moyen Âge et l’idée de nation », in Daniela Mondini (dir.), Séroux d’Agincourt e la storia dell’arte intorno all 1800, Rome, Campisano Editore, 2019, p. 31-55 ; repris dans Revoir le Moyen Âge, op. cit.

18  Roland Recht, « Hommage à Prosper Mérimée. L’invention du monument historique », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. 147-4, 2003, p. 1573-1585 ; repris dans Penser le patrimoine 2, Paris, Hazan, 2016, p. 133-147.

19  Roland Recht, « Dessins d’architecture pour la cathédrale de Strasbourg », L’Œil, no 174-175, 1969, p. 26-33.

20  Roland Recht, « “Théorie” et “traités pratiques” d’architecture au Moyen Âge », in : Les Traités d’architecture de la Renaissance, études réunies par Jean Guillaume, Paris, Picard, 1988, p. 19-30 ; repris dans Les Bâtisseurs des cathédrales gothiques, op. cit., p. 278-285, et Le Dessin d’architecture. Origine et fonctions, Paris, Adam Biro, 1995, p. 101-117.

21  Roland Recht, « Le traité de géométrie de Mathieu Roriczer », Histoire et archéologie, no 47 (no spécial), 1980, p. 24-25 ; repris dans Le Dessin d’architecture, op. cit., p. 92-95.

22  Roland Recht, « Sur le dessin d’architecture gothique », in : Études d’art médiéval offertes à Louis Grodecki, Paris, Ophrys, 1981, p. 233-250 ; repris dans Le Dessin d’architecture, op. cit., p. 21-55.

23  Un peu plus tôt, André Chastel m’avait demandé de préparer un petit ouvrage sur l’album de Villard de Honnecourt pour la collection « Miroirs de l’art » qu’il dirigeait aux éditions Hermann. Resté au stade de projet, il a été abandonné pour des raisons propres à l’éditeur, soucieux, à un moment donné, de réduire son programme éditorial.

24  Le titre du catalogue (Les Bâtisseurs des cathédrales gothiques, op. cit.) différait légèrement de celui de l’exposition (Les bâtisseurs de cathédrales).

25  Roland Recht, Le Dessin d’architecture, op. cit. ; trad. it. Maria Grazia Balzarini et Roberto Cassanelli, Il disegno d’architettura. Origine e funzioni, Milan, Jaca Book, 2001.

26  Roland Recht (dir.), Le Monde des cathédrales, Paris, La Documentation française, 2003. Ma contribution est intitulée « Le monde des cathédrales et ses explorateurs. Une orientation bibliographique (1973-2003) » (p. 191-230). Ont collaboré à cet ouvrage Wilhelm Schlink, Peter Kurmann, Dieter Kimpel, Paul Binski, Enrico Castelnuovo et Caroline Bruzelius.

27  Alain Berthoz et Roland Recht (dir.), Les Espaces de l’homme, Paris, Collège de France/Odile Jacob, 2005.

28  Roland Recht, « Torsion et hanchement dans la sculpture gothique », Gesta. International Center of Medieval Art, vol. 15, no 1/2 (Essays in Honor of Sumner McKnight Crosby, éd. Pamela Blum), 1976, p. 179-184.

29  Roland Recht, « Le moulage et la naissance de l’histoire de l’art », in : Le Musée de sculpture comparée : naissance de l’histoire de l’art moderne, actes du colloque du musée des Monuments français (déc. 1999), Paris, Éditions du patrimoine, 2001, p. 44-53.

30  Roland Recht, « Elsass », in Anton Legner (dir.), Die Parler und der Schöne Stil 1350-1400. Europäische Kunst unter den Luxemburgern, cat. expo. du musée Schnütgen de Cologne, Cologne, Musée Schnütgen, 1978, vol. 1, p. 277-291.

31  Roland Recht, « Strasbourg et Prague », in : ibid., 1979, vol. 4, p. 106-117.

32  Robert Didier et Roland Recht, « Paris, Prague, Cologne et la sculpture de la seconde moitié du xive siècle. À propos de l’exposition des Parler à Cologne », Bulletin monumental, t. 138-2, 1980, p. 173-219.

33  Roland Recht, « Les Parler et l’art en Europe de 1350 à 1400 », Revue de l’Art, no 46, 1979, p. 68-74.

34  Cette thèse fut publiée neuf ans plus tard, sans modification : Nicolas de Leyde et la sculpture à Strasbourg (1460-1525), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1987. J’étais alors partisan, comme bon nombre de collègues, de l’hypothèse selon laquelle deux sculpteurs avaient été actifs simultanément à Strasbourg : le maître de la Vierge de Dangolsheim et Nicolas de Leyde. À la suite de publications ultérieures dues à des savants allemands, dont Alfred Schädler, je me suis finalement rangé à la thèse aujourd’hui dominante selon laquelle ces deux maîtres ne feraient qu’un, à savoir Nicolas (cf. Roland Recht, Cécile Dupeux et Stefan Roller, Nicolas de Leyde, sculpteur du xve siècle. Un regard moderne, cat. expo. du musée de l’Œuvre Notre-Dame de Strasbourg et du Liebighaus de Francfort-sur-le-Main [juill. 2012], Strasbourg, Éditions des musées de Strasbourg, 2012).

35  Roland Recht, « Motive, Typen, Zeichnung. Das Vorbild in der Plastik des Spätmittelalters », in Friedrich Möbius et Ernst Schubert (dir.), Skulptur des Mittelalters. Funktion und Gestalt, Weimar, Böhlau, 1987, p. 354-384 ; repris, légèrement remanié, dans Le Croire et le Voir. L’art des cathédrales (xiie-xve siècle), Paris, Gallimard, 1999, p. 350-375.

36  Roland Recht, « La circulation des artistes, des œuvres, des modèles dans l’Europe médiévale », Revue de l’Art, no 120, 1998, p. 5-10 ; introduction reprise, sous une forme modifiée, dans Revoir le Moyen Âge, op. cit., p. 45-62.

37  Roland Recht, « La métaphore du pli », in Éric Pagliano et Sylvie Ramond (dir.), Drapé. Degas, Christo, Michel-Ange, Rodin, Man Ray, Dürer…, cat. expo. du musée des Beaux-Arts de Lyon (nov. 2019-mars 2020), Paris, Lienart, 2019, p. 28-39.

38  Roland Recht, « Dire la souffrance des images », Revue des sciences sociales, no 53, 2015, p. 152-159.

39  Roland Recht, « Le portrait et le principe de réalité dans la sculpture : Philippe le Bel et l’image royale », in Gerhard Schmidt et Elisabeth Liskar (dir.), Europäische Kunst um 1300, actes du XXVe Congrès international d’histoire de l’art (sept. 1983), Vienne, Böhlau, 1986, p. 189-201.

40  Roland Recht, « La rhétorique formelle de Claus Sluter, sculpteur du Duc de Bourgogne », in Martin Büchsel et Peter Schmidt (dir.), Das Porträt vor der Erfindung des Porträts, Mayence, Philipp von Zabern Verlag, 2003, p. 205-217 ; repris dans Revoir le Moyen Âge, op. cit., p. 109-126.

41  Roland Recht, « L’habitant de la sculpture. Remarques sur le locus et la perception du corps plastique », in Thierry Dufrêne et Anne-Christine Taylor (dir.), Cannibalismes disciplinaires. Quand l’histoire de l’art et l’anthropologie se rencontrent, Paris, Musée du quai Branly/INHA, 2009, p. 165-177.

42  Paul Gsell, « Propos de Rodin sur l’art et les artistes », La Revue, 21 nov. 1907, p. 95-107.

43  Roland Recht, « “… le redéploiement douloureux de l’être sur lui-même.” Le combat de Rodin », in : L’Invention de l’œuvre. Rodin et les ambassadeurs, cat. expo. du musée Rodin (mai-sept. 2011), Arles, Actes Sud, 2011, p. 45-61.

44  Roland Recht, « La sculpture au Grand Louvre : sur la destination de l’espace muséal », Le Débat, no 81, 1994, p. 38-48 ; repris dans Penser le patrimoine 2, op. cit., p. 52-67.

45  Roland Recht, « La Réforme, la querelle des images et l’œuvre d’art », in : De la puissance de l’image. Les artistes du Nord face à la Réforme, Paris, La Documentation française, 2002.

46  Roland Recht, « Le lieu privé du peintre. Autoportraits et ateliers comme configurations du champ de l’art », Studiolo, no 8, 2010, p. 9-37.

47  Roland Recht (dir.), Victor Hugo et le débat patrimonial, actes du colloque de l’Institut national du patrimoine (déc. 2002), Paris, Somogy, 2003.

48  Roland Recht, « Viollet-le-Duc et Gottfried Semper. Leurs conceptions du patrimoine monumental », Revue germanique internationale, no 13 (Écrire l’histoire de l’art : France-Allemagne, 1750-1920), Paris, PUF, 2000, p. 155-168 ; repris dans Penser le patrimoine 2, op. cit., p. 165-182.

49  Cité dans Gottfried Semper (1803-1879). Baumeister zwischen Revolution und Historismus, Munich, Callwey, 1980, p. 300-301.

50  Roland Recht, « “La beauté du mort”. Ruskin, Viollet-le-Duc et le sentiment de la perte », in Jean Clair (dir.), Mélancolie. Génie et folie en Occident, cat. expo. des Galeries du Grand Palais et de la Neue Galerie (oct. 2005-janv. 2006), Paris, Gallimard/RMN, 2005, p. 342-349 ; repris dans Penser le patrimoine 2, op. cit., p. 149-164.

51  Il en existe une traduction espagnole par Juan Calatrava : Pensar el patrimonio. Escenificación y ordenación del arte, Madrid, Abada Editores, 2014.

52  Roland Recht, « Le patrimoine et son double. Une esthétique de l’indéterminé », in Robert Favreau et Marie-Hélène Debliès (dir.), Iconographica. Mélanges offerts à Piotr Skubiszewski, Poitiers, Université de Poitiers/Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, 1999, p. 203-209.

53  Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht, « Nos musées ne sont pas à vendre », Le Monde, 25 nov. 2006.

54  Roland Recht, « Du mythe de l’universalité au musée éclaté. Entretien avec Jean-Louis Jeannelle », Critique, no 805-806, 2014, p. 373-383.

55  Roland Recht, Der Rhein. Kunstlandschaft Europas, Munich, Hirmer, 2001 ; trad. fr., Le Rhin. Vingt siècles d’art au cœur de l’Europe, Paris, Gallimard, 2001 ; trad. angl., The Rhine. Culture and Landscape at the Heart of Europe, Londres, Thames & Hudson, 2001.

56  Les Bâtisseurs des cathédrales gothiques, op. cit.

57  Roland Recht (dir.) (avec la collaboration de Catheline Périer-D’Ieteren et Pascal Griener), Le Grand Atelier. Chemins de l’art en Europe (ve-xviiie siècle), cat. expo. d’Europalia, Palais des beaux-arts de Bruxelles (oct. 2007-janv. 2008), Arles, Actes Sud, 2007. Ce catalogue a été traduit en néerlandais, en anglais et en allemand.

58  1. L’Europe en mouvement ; 2. L’empire carolingien et son héritage ; 3. L’Europe et la Méditerranée ; 4. Les ateliers d’orfèvres ; 5. Un art pour l’exportation : les émaux, les albâtres et les retables sculptés ; 6. L’image de la Vierge et l’idéal courtois ; 7. Circulation du dessin dans l’espace européen ; 8. La carrière européenne des sculpteurs de la fin du Moyen Âge ; 9. La conquête d’un nouvel espace pictural ; 10. L’Europe du livre imprimé ; 11. L’estampe au service des métiers ; 12. Le regard sur l’autre monde ; 13. L’Europe des maîtres et l’Europe des collectionneurs ; 14. Le monde dans une chambre. Collectionneurs et marchands.

59  Joëlle Pijaudier-Cabot et Roland Recht (dir.), Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930, cat. expo. du musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg et du palais Rohan (sept. 2017-févr. 2018), Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, 2017.

60  Roland Recht et Jean-Claude Richez (dir.) (avec la collaboration d’Isabelle Laboulais), Dictionnaire culturel de Strasbourg (1880-1930), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2017.

61  Hormis Pierre Francastel qui lisait l’allemand.

62  C’est cinquante ans plus tard que fut publiée la correspondance de Kurt Bauch avec Martin Heidegger, dont il était un collègue et un proche. En 1933, Bauch avait adhéré au Parti national-socialiste. Jusqu’à sa retraite en 1962, son goût pour les monuments situés de ce côté-ci du Rhin relevait bel et bien d’une forme d’annexionnisme, d’abord ouvertement assumé et devenu rampant après la guerre.

63  Aby Warburg, Miroirs de faille. À Rome avec Giordano Bruno et Édouard Manet (1928-29), textes établis par Maurizio Ghelardi, trad. Sacha Zilberfarb, Paris, Les Presses du réel, 2011. Maurizio Ghelardi est l’un des tout premiers spécialistes de Warburg.

64  Aby Warburg, L’Atlas Mnémosyne, trad. Sacha Zilberfarb avec un essai de Roland Recht, Paris, L’Écarquillé/INHA, 2012.

65  Roland Recht, « L’iconologie avant Warburg. L’orientaliste Charles Clermont-Ganneau et la mythologie des images », Images Re-vues [en ligne], Hors-série no 4, 2013, en ligne : https://journals.openedition.org/imagesrevues/2898.

66  Notre édition des écrits de Warburg a vu paraître, en 2015, les Fragments sur l’expression (textes établis et présentés par Susanne Müller, trad. Sacha Zilberfarb, Paris, L’Écarquillé/INHA).

67  Roland Recht (dir.), Le Texte de l’œuvre d’art. La description, Strasbourg/Colmar, Presses universitaires de Strasbourg/Musée d’Unterlinden, 1998.

68  Roland Recht, « Les enjeux théoriques de la description au début de la Kunstgeschichte. Karl Philipp Moritz, critique de Winckelmann », in Pascal Griener et Kornelia Imesch (dir.), Klassizismen und Kosmopolitismus. Programm oder Problem? Austausch in Kunst und Kunsttheorie im 18. Jahrhundert, Zurich, Schweizerisches Institut für Kunstwissenschaft, 2004, p. 21-44.

69  Roland Recht, « Buren sur Ryman, Moritz sur Winckelmann : la critique constitutive de l’histoire de l’art », in Olivier Bonfait (dir.), La Description de l’œuvre d’art. Du modèle classique aux variations contemporaines, actes du colloque de la Villa Médicis (juin 2001), Paris, Somogy, 2004, p. 285-294.

70  Roland Recht, « Falconet, Diderot, Goethe. Le débat sur la nature et sur le discours autorisé », in Christian Michel et Carl Magnusson (dir.), Penser l’art dans la seconde moitié du xviiie siècle : théorie, critique, philosophie, histoire, actes du colloque de la Villa Médicis (févr.-mai 2008), Paris, Somogy, 2013, p. 369-381.

71  Roland Recht, « Le combat pour l’art de Willi Baumeister », in : Willi Baumeister et la France, cat. expo. du musée d’Unterlinden de Colmar (sept.-déc. 1999) et du musée d’Art moderne de Saint-Étienne (déc. 1999-mars 2000), Paris, RMN, 1999, p. 183-203.

72  Roland Recht, « L’écriture de l’histoire de l’art devant les modernes. Remarques à partir de Riegl, Wölfflin, Warburg et Panofsky », Les Cahiers du musée national d’Art moderne, no 48, 1994, p. 5-23 ; repris dans Point de fuite. Les images des images des images. Essais critiques sur l’art actuel (1987-2007), préface d’Henry-Claude Cousseau, Paris, Beaux-Arts de Paris Éditions, 2009, p. 31-55.

73  Roland Recht, « Provocation et principe d’équivalence. La modernité jugée par Wickhoff et Riegl », in Leila El-Wakil, Stéphanie Pallini et Lada Umstätter-Mamedova (dir.), Études transversales. Mélanges en l’honneur de Pierre Vaisse, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2005, p. 179-193 ; repris dans Point de fuite, op. cit., p. 57-74.

74  Pour une liste exhaustive de ces publications, voir mon site www.rolandrecht.org.

75  Il s’agit du numéro 146.

76  Roland Recht, Philippe Sénéchal, Claire Barbillon et François-René Martin (dir.), Histoire de l’histoire de l’art en France au xixe siècle, Paris, La Documentation française, 2008.

77  Roland Recht, L’Objet de l’histoire de l’art, leçon inaugurale du Collège de France (14 mars 2002), Paris, Collège de France/Fayard, 2003 ; rééd. dans Moyen Âge et Renaissance au Collège de France, textes réunis par Pierre Toubert et Michel Zink, Paris, Fayard, 2009, p. 619-633.

78  Roland Recht, « Du style en général et du Moyen Âge en particulier », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, vol. 46-47, Vienne, Böhlau, 1993-1994, p. 577-593 ; id., « La périodisation, l’histoire, le style », Perspective, no 4, 2008, p. 604-620.

79  Roland Recht, « Gotische Architektur zwischen “Abbild” und Bauforschung. Gibt es eine französische Rezeption der deutschen Kunstgeschichte? », Zeitschrift des deutschen Vereins für Kunstwissenschaft, vol. 62, Berlin, Deutscher Verlag für Kunstwissenschaft, 2008, p. 237-246.

80  Onze en réalité puisque Josef Beuys était décédé en 1986 : Christian Boltanski, Marcel Broodthaers, Gérard Collin-Thiébaut, Ian Hamilton Finlay, Thomas Huber, Anselm Kiefer, Jannis Kounellis, Gerhard Merz, Claudio Parmiggiani, Giuseppe Penone et Sarkis.

81  Roland Recht, Point de fuite, op. cit.

82  Faut-il préciser que ce n’est pas parce qu’il « fait du nouveau » qu’un artiste est nécessairement intéressant ?

83  Nathalie Heinich, Le Triple Jeu de l’art contemporain. Sociologie des arts plastiques, Paris, Les Éditions de Minuit, 1998, p. 9.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search