Préface
Texte intégral
1Pour inaugurer cette nouvelle chaire intitulée « Génomique humaine et évolution », Lluis Quintana-Murci va nous parler de l’histoire de l’humanité. De nombreuses disciplines scientifiques contribuent à la recherche sur ce thème ; elles ont été ou sont enseignées au Collège de France. Il se trouve que depuis vingt-cinq ans, le développement de la génomique a donné une nouvelle impulsion à cette quête fascinante de nos origines : d’où venons-nous ? Quels environnements ont façonné nos caractéristiques ? En quoi cette histoire nous informe sur la population humaine actuelle ?
2Bien loin des errements d’une science pseudoraciste qui, pendant la deuxième moitié du xixe siècle et au cours du xxe siècle, a dévoyé la génétique pour contribuer aux pires crimes contre l’humanité et tenter de les justifier, ces travaux montrent à quel point nos origines sont diverses et complexes, fruits de croisements et de migrations incessantes. Ainsi ce sens de la science s’attache à décrire et à interpréter la diversité génétique et épigénétique de l’homme. Il devient désormais possible de reconstituer l’histoire génétique des populations, les événements d’expansion, de contractions – c'est-à-dire de crise –, les migrations, les croisements. Il est possible de décrypter les mécanismes de cette diversité, liés à la sélection de mutation, qui se sont avérés favorables dans un contexte donné, mais également d’évaluer l’influence des croisements et l’introgression avec les espèces dites « archaïques », Néandertal et Desinova. Il devient aussi possible d’identifier les facteurs de sélection responsables de l’adaptation aux changements environnementaux, tels que les modifications climatiques, de nutrition, de modes de vie (transition de l’état de chasseur-cueilleur à celui d’agriculteur-éleveur, puis maintenant le contexte urbain). On peut retracer le rôle de l’environnement microbien et notamment des pathogènes qui coévoluent avec l’homme depuis des milliers ou des dizaines de milliers d’années, par exemple les bacilles de la tuberculose ou de la peste.
3Ces recherches comportent ainsi un double intérêt : historique et médical. Historique, car elles contribuent à décrire et à comprendre les péripéties des populations humaines. Médical, car elles contribuent à comprendre comment notre patrimoine génétique, façonné par l’évolution, conditionne en partie notre état de santé. Elles s’appuient sur de nombreux champs scientifiques, comme la biologie évidemment, mais aussi l’épidémiologie, la médecine, l’informatique, les statistiques, l’anthropologie, l’histoire, l’étude des climats, la paléontologie ou encore la linguistique. C’est dire à quel point il importe qu’elles soient enseignées et étudiées au Collège de France.
4La carrière scientifique de Lluis Quintana-Murci épouse littéralement le développement de cette discipline, je dirais même son efflorescence au cours des vingt-cinq/trente dernières années. Après des études à Barcelone – en fait il vient des îles Baléares, voisines –, il s’est engagé dans cette voie de recherche à Pavie, où il a passé sa thèse à l’institut où travailla un des pionniers de sa discipline, récemment disparus, Luigi Luca Cavalli-Sforza. L’essentiel de la carrière de Lluis Quintana-Murci a trouvé à l’Institut Pasteur. Il y est professeur et directeur de recherche au CNRS, et il dirige depuis de nombreuses années, malgré son jeune âge, le laboratoire Génomique humaine et évolutive. Ses travaux ont été publiés dans de prestigieuses revues et récompensés par de nombreux prix, notamment le prix Canetti, qui fait allusion à Elias Canetti et à l’ensemble de sa famille. Il en a eu encore de plus importants en théorie, mais j’aime bien citer celui-ci. Il a reçu la médaille d’argent du CNRS, a été élu à l’European Molecular Biology Organisation (EMBO) et récemment à l’Académie des sciences. Lluis Quintana-Murci a également été lauréat de l’European Resarch Council qui, vous le savez, distribue de façon très sélective des fonds pour la recherche. Lluis Quintana-Murci a largement contribué à la description de la diversité des populations, notamment africaines, et de leurs migrations. Il a plus particulièrement montré comment la confrontation avec l’environnement microbien pathologique a conduit, par sélection naturelle, à l’évolution de notre système immunitaire, c'est-à-dire de nos moyens de défense contre les pathogènes microbiens. Ses travaux révèlent les gènes clés de ces étapes successives de sélection, pointant ainsi du doigt l’importance physiologique du produit de ces gènes dans les mécanismes mis en jeu lors du contrôle des infections. Il a aussi montré comment la sélection d’allèles de résistance constitue dans l’environnement actuel un facteur de risques de maladies dites « immunopathologiques » comme les allergies, l’inflammation chronique, l’auto-immunité, vaste ensemble de pathologies chroniques.
5Ainsi, les événements du passé éclairent le présent et révèlent d’une certaine façon ce que l’on peut appeler une « pathologie de l’adaptation ». Lluis Quintana-Murci dirige également un consortium de recherche, ou LABEX dans le jargon de la recherche, nommé « Milieu intérieur », qui consiste à rechercher dans un échantillon de la population française et à analyser de façon systémique les facteurs innés et acquis qui déterminent les réponses immunitaires normales et pathologiques. À l’évidence, et vous allez l’apprécier, Lluis Quintana-Murci est un chercheur dynamique, particulièrement entreprenant, qui sait réfléchir hors des sentiers battus, out of the box comme disent nos collègues anglo-saxons. Je pense que vous allez, ce soir, en profiter, car Lluis sait nous charmer par l’élégance de ses démonstrations et transmettre sa passion.
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