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Tu aimeras tes microbes comme toi-même

 | 
Philippe Sansonetti

Conclusion

Tu aimeras tes microbes comme toi-même

Texte intégral

1Peut-on rationaliser la notion d’appauvrissement de notre microbiote et cet appauvrissement entre-t-il dans un processus plus global de réduction de la biodiversité microbienne planétaire ? À l’échelle d’Homo sapiens, on a évoqué les facteurs associés à la modernité qui rendent fort probablement compte de l’érosion de la diversité de notre microbiote : hygiène individuelle, de l’eau et des aliments, antibiothérapie, césarienne… Avant la mise en place de son traitement en amont des systèmes de distribution, l’eau, par exemple, était sans doute une grande pourvoyeuse de diversité microbienne. Quant à l’usage inconsidéré des antibiotiques, il est peut-être en passe de devenir un déterminant essentiel de l’appauvrissement de la diversité microbienne. L’utilisation non maîtrisée des antibiotiques en prophylaxie et traitement des infections, en médecine humaine comme d’ailleurs en médecine vétérinaire, est bien entendue en cause.

  • 1  Voir « Antimicrobial resistance and the role of vaccines. Special feature », PNAS, vol. 115, no 51 (...)
  • 2  Voir https://oceans.taraexpeditions.org/.
  • 3  Voir Tanya Yatsunenko et al., « Human gut microbiome viewed across age and geography », Nature, vo (...)

2De plus, aujourd’hui, plus de 50 % des antibiotiques utilisés sur la planète ne le sont pas pour des raisons médicales ou vétérinaires, mais dans le cadre de pratiques soutenant élevage, pisciculture et agriculture intensifs. Si celles-ci sont interdites par les règlements de l’Union européenne, c’est loin d’être le cas ailleurs : chaque année, des dizaines de milliers de tonnes d’antibiotiques encore non dégradés sont libérées dans la nature, faisant de ces molécules miracles de vulgaires polluants environnementaux. L’impact de ces pratiques a été largement présenté comme un acteur étiologique de la crise actuelle de l’antibiorésistance1, mais cet arbre de l’antibiorésistance a précisément masqué une immense forêt, celle des risques liés à la perte de biodiversité microbienne globale, non seulement chez l’homme et l’animal, mais aussi dans les écosystèmes terrestres et océaniques. Un bilan de l’évolution de cette biodiversité est en cours, par exemple dans le cadre des missions Tara Océan2. L’être humain ne représente sans doute que l’un des marqueurs d’une crise globale d’évolution, pernicieuse, et il pourrait devenir le vecteur d’une autre catastrophe environnementale, liée aux activités et à l’empreinte croissante de l’homme sur la planète. Une étude publiée en 2012 alertait déjà sur la diminution de la diversité du microbiote intestinal humain. Comparant des habitants d’Amérique du Nord, des populations amérindiennes d’Amazonie et des habitants du Malawi, les auteurs montraient notamment que la diversité des espèces du microbiote intestinal – particulièrement chez les jeunes enfants – était deux fois plus faible en Amérique du Nord qu’en Amazonie3.

3Les dysbioses ont de beaux jours devant elles. Il est temps de réagir et de protéger nos microbes. Ce sera le défi, le paradoxe des décennies à venir : sauver en même temps antibiotiques et microbes !

Notes

1  Voir « Antimicrobial resistance and the role of vaccines. Special feature », PNAS, vol. 115, no 51, 2018 (DOI : 10.1073/pnas.1810840115).

2  Voir https://oceans.taraexpeditions.org/.

3  Voir Tanya Yatsunenko et al., « Human gut microbiome viewed across age and geography », Nature, vol. 486, 2012, p. 222-227 (DOI : 10.1038/nature11053).

© Collège de France, 2020

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