Dans l’atelier des cours de Georges Lafenestre
Texte intégral
1Dans la leçon inaugurant son enseignement, largement diffusée en juillet 1920 par la Revue politique et littéraire, André Michel esquisse une généalogie de « L’histoire de l’art au Collège de France1 ». Il y brosse un long portrait de son prédécesseur, Georges Lafenestre, qui occupa la chaire d’Esthétique et histoire de l’art de 1905 à 1919 en tant que professeur, après avoir suppléé Guillaume à partir de 1889. De cinquante-deux à quatre-vingt-un ans, âge de sa mort, ce dernier enseigna pendant près de trente ans au Collège de France, y assurant le plus long enseignement artistique. Les écrivains ne furent pas toujours tendres avec celui qui, poète parnassien et critique d’art, fit carrière dans l’administration des Beaux-Arts avant de devenir en 1886 conservateur adjoint du département des peintures et des dessins au musée du Louvre et professeur à l’École du Louvre2. En 1896, neuf années avant son élection au Collège de France, Mirbeau exerçait ainsi sa plume de polémiste contre « l’éminent conservateur et l’exquis écrivain3 » qui avait acheté un faux Millet pour le musée : « Un tableau par la fenêtre ! » titrait-il dans un jeu de mots grinçant, avant de déployer son ironie dans le discours de défense prêté à Lafenestre :
Et il professa :
Un musée est un musée... J’entends par là qu’un musée doit rechercher de préférence des œuvres ratées et qui ne signifient rien. Sa vraie mission consiste à ne montrer au public que des croûtes… d’indéfectibles croûtes. C’est par là que le public s’initie à la connaissance du chef-d’œuvre et au mystère de l’art. Ces croûtes sont pour lui une merveilleuse éducation… C’est, si j’ose dire, comme un voile levé, lentement, sur ce mystère... Il ne regarde jamais que de belles choses, quelle idée spéciale voulez-vous qu’il se fasse de la beauté ?... La beauté est une chose relative et qui n’existe pas, en soi… Je la définis ainsi : le contraire est la laideur. Et rien n’est plus juste… Ainsi, tenez, je suppose, voici une belle femme. Pourquoi la dites-vous, pourquoi la sentez-vous belle ?... Parce qu’elle est belle ? Erreur... Parce que, tout à l’heure, vous avez remarqué à côté d’elle une femme laide… Vous n’êtes arrivé à la notion de cette beauté que par le chemin de cette laideur… Ce que je vous dis est rigoureusement scientifique… Eh bien ! il en est des tableaux comme des femmes... Ils ont besoin de ce que, familièrement, vous appelez des repoussoirs... Ce sont les vilains tableaux qui font valoir les bons... Et plus les vilains sont vilains, et plus les bons sont bons... Aussi, ne suis-je pas exclusif, comme on le croit généralement... J’admets que, dans un musée, il y ait, par ci, par là, quelques bonnes toiles. L’important est qu’il y en ait beaucoup de mauvaises4.
2Le propos n’est pas sans faire écho aux pages où Quatremère de Quincy défend la nécessité d’offrir dans un musée des « degrés de mérite inférieur », « une échelle de comparaison qui fait évaluer les distances5 » : « Il faut poser en fait qu’un chef-d’œuvre en tout genre s’achète au prix de quelques centaines d’ouvrages médiocres6. » Mirbeau s’attaque peut-être à cette conception relativiste du musée, la ridiculisant par l’exagération, mais sa pique touche également Lafenestre. Loin de l’image que le polémiste donne du conservateur professant avec dilettantisme, André Michel insiste sur le travail acharné de l’enseignant. Au « rions donc7 » il substitue la mélancolie du successeur découvrant l’atelier des cours :
Mais j’en viens à l’enseignement de Lafenestre dans cette chaire. Grâce à l’obligeance de son fils et de mon collègue et ami Léonce Bénédite, j’ai eu le privilège de pouvoir feuilleter les volumineux dossiers de notes, documents, fragments de cours plus ou moins rédigés, plans, références, bibliographies que, trente ans durant, il réunit en vue de ses leçons. Les liasses épaisses, serrées dans leurs chemises et leurs sangles, s’entassent, s’empilent sur les tables et sur les rayons, en attendant d’être déposées, selon son vœu, à la bibliothèque de l’Institut. À contempler cet amas de documents, résultat d’une vaste enquête et d’un immense labeur, on éprouve une grande mélancolie, comme dans un chantier où les matériaux s’entassent à pied d’œuvre, attendant l’architecte qui ne reviendra plus8.
3Tel qu’il est conservé aujourd’hui à la bibliothèque de l’Institut et à l’Institut national d’histoire de l’art, l’atelier donne une idée de la méthode de travail de l’enseignant : une collection de photographies d’art italien de près de 2780 pièces9, des milliers de notes manuscrites de cours – 550 fos du Collège de France, 314 fos de l’École du Louvre –, de la correspondance, notamment 265 lettres adressées à Jean Guiffrey, son élève et adjoint à la conservation, en plus de manuscrits d’œuvres littéraires10. Les cours les plus représentés dans le fonds concernent la période de 1886 à 1905, soit celle où Lafenestre occupe simultanément trois postes : conservateur du Louvre, professeur à l’École du Louvre, suppléant au Collège de France. Cette vingtaine d’années mène de la première candidature malheureuse de Lafenestre au Collège de France en 1882 à celle de son élection en 1905, élection qui l’oblige à quitter ses emplois au Louvre. La période de cumul des fonctions se prête le mieux à étudier la manière dont la discipline de l’histoire de l’art s’est constituée au Collège de France en nouant un lien privilégié avec le musée. Le profil du conservateur-professeur s’impose en art au Collège de France à partir de Lafenestre, qui contribue à la circulation du savoir entre trois établissements : un musée et deux lieux d’enseignement de statut différent.
L’entre-deux tours : la montée du conservateur professeur (1882-1905)
Le rôle de l’École du Louvre
4Le double profil de conservateur et de professeur a une tradition plus ancienne dans les chaires d’archéologie que dans celles d’esthétique ou d’histoire de l’art, que ce soit à la Bibliothèque nationale, au Collège de France ou à l’École du Louvre : Champollion est l’un des cas les plus fameux de savant, à l’origine de la création d’un nouveau musée au Louvre, dont il est le conservateur de 1826 à 1832, avant d’être nommé professeur au Collège en 1831. Emmanuel de Rougé constitue un autre exemple de conservateur au Louvre (1849-1872), titulaire de la chaire de Philologie et archéologie égyptienne du Collège de 1860 à 1872. Dans le cas des chaires d’histoire de l’art, la fondation de l’École du Louvre joue un rôle important, si ce n’est décisif, dans la reprise de ce modèle savant, où le musée est pensé comme un lieu d’étude, une branche de savoir, support à l’enseignement. De ce point de vue là, le cas de Lafenestre est particulièrement intéressant : ce dernier est le premier titulaire de la chaire d’Histoire de la peinture à l’École du Louvre, première chaire ne portant pas sur l’antiquité, créée en 1885 pour répondre au besoin d’étudier un autre pan des collections du musée. Il est nommé par décret à cette fonction le 30 janvier 1886, le jour même de sa nomination au poste d’adjoint à la conservation au département des peintures et des dessins11. Le poste de professeur découle de celui au musée, selon le principe à l’œuvre dans le recrutement à l’École du Louvre. Deux ans plus tard, en 1888, Lafenestre succède à Pierre-Paul Both de Tauzia et devient conservateur en chef du département, poste qu’il occupe jusqu’à sa nomination au Collège de France en 1905.
5Le scénario de carrière qui amène Lafenestre à devenir conservateur et professeur a été rendu possible par la création de l’École du Louvre en 1882, mais ne correspond pas à celui que l’homme avait en tête quelques années auparavant. Ce dernier rêvait bien à un profil double, où le poste au musée constituait un pôle de son idéal, mais articulé à celui d’écrivain plutôt que d’enseignant. En septembre 1878, alors qu’il est en vacances, il se confie à ce sujet au marquis de Chennevières, directeur des Beaux-Arts :
Je crois en quinze jours avoir repris mon équilibre. Je fais des vers, je lis des poètes anglais, je me remets à l’allemand. Je me sens renaître ; ah ! si j’en pouvais sortir tout à fait de cette rue de Valois, me trouver dans quelque tour de Musée ou de Bibliothèque, je crois que je ne m’endormirais pas et que je ferais peut-être de meilleure besogne12.
6Lafenestre songe à quitter son poste administratif aux Beaux-Arts pour une « tour » d’ivoire où écrire. La bibliothèque, tout comme le musée, constitue, selon un discours et un imaginaire répandu à l’époque, une « sinécure » pour écrivains13. Lafenestre, qui est aussi un poète lié au groupe parnassien, a plusieurs amis pour modèles : Leconte de Lisle et Anatole France occupent des postes à la Bibliothèque du Sénat. Il existe aussi une tradition d’hommes de lettres au musée, à commencer par Dominique-Vivant Denon (1747-1825), auteur d’une comédie, Julie, ou le Bon Père (1769) et d’un conte libertin, Point de lendemain (1777), devenu directeur général des musées, après avoir participé à la campagne d’Égypte en tant que dessinateur (1798-1799), expérience qu’il relate dans Voyage dans la Basse et Haute-Égypte pendant les campagnes du général Bonaparte (1801-1802)14. Ce profil d’hommes de lettres conservateur perdure à la Belle Époque, quoique sujet à des attaques répétées concernant le manque de légitimité de l’écrivain par rapport au savant, à l’exemple des campagnes que Lafenestre essuie au Louvre, lors de l’affaire du faux Millet ou de l’attribution du portrait de la princesse Lamballe à Georges François Marie Gabriel :
Vous avez, monsieur, un heureux destin. Vos œuvres de poète charmant ou d’avisé critique, vous les élaborez là-haut dans ce palais royal du Louvre où la République – que vous détestez mais qui vous prodigue ses faveurs, vous a fait parmi les splendeurs de l’art un séjour enchanté15.
7Parmi les écrivains rêvant d’un poste au musée, mentionnons le poète et critique, Jules Laforgue, qui, en 1886, espère en vain un poste vacant d’« attaché-conservateur au musée de Versailles16 », ou le romancier, dramaturge et critique, Joséphin Péladan, qui, des années après avoir suivi les premiers cours de Ledrain à l’École du Louvre, présente sa candidature au musée du Louvre en janvier 190317.
8Lafenestre est ainsi une figure à la croisée de plusieurs modèles : il continue la tradition du conservateur lettré, après une carrière importante dans l’administration au bureau de l’Instruction publique et des Beaux-Arts18, et met en place un nouveau profil, inédit en histoire de l’art, calqué sur le modèle pratiqué en archéologie et rendu possible par la création de l’École du Louvre, le conservateur-professeur. Parallèlement au poste de conservateur, Lafenestre assure non pas une, mais deux charges d’enseignement : il est professeur à l’École du Louvre de 1886 à 1905 et suppléant de Guillaume au Collège de France de 1889 jusqu’en 1905. La fonction de suppléant s’avère plus lourde et plus régulière que prévue, du fait de la nomination de Guillaume au poste de directeur de l’Académie de France à Rome en 189119. Au fil de sa correspondance avec Jean Guiffrey, son élève à l’École du Louvre, devenu son adjoint à la conservation en 1892, Lafenestre se confie sur le poids de son « double professorat », qui nuit à ses autres travaux et dégrade l’état de sa santé :
[J]e suis débordé et mes yeux vont de mal en pis. J’espérais, du moins, cette année, être libre du côté du Collège de France ; j’avais même pris un renseignement*, mesure nécessaire, et commencé quelques travaux. Au dernier moment, M. Guillaume (vous le savez sans doute, si vous l’avez vu) m’a prié, par télégraphe, de le suppléer encore. Il me faut donc mettre en quatre et même en six pour arriver à temps20.
9Cinq ans plus tard, il parle du désir de « retrouver, dans le calme de[s] occupations silencieuses, [s]a santé dont le mauvais état s’aggrave, chaque hiver, par suite des fatigues excessives du Collège de France et de l’École du Louvre21 ». La dégradation de sa santé s’accentue à tel point, que de 1903 à 1905 Lafenestre se fait suppléer à l’École du Louvre par Henry de Chennevières et interrompt en cours de semestre son enseignement au Collège de France, situation assez rare où le suppléant épuisé ne peut plus suppléer le professeur22. Le rêve d’une sinécure ou d’une tour d’ivoire caressé par l’écrivain semble bien loin.
La mutation du profil des candidats au Collège de France
10Le 21 mai 1905, jour où l’assemblée générale procède au vote du nouveau professeur, Le Figaro annonce les résultats pressentis : « D’ores et déjà, la succession de M. Eugène Guillaume semble devoir être dévolue à M. Georges Lafenestre, membre de l’Institut, conservateur au musée du Louvre, qui suppléait M. Eugène Guillaume depuis de longues années23. » Malgré la continuité apparente créée par l’élection du suppléant, la campagne de 1905 est un moment de mutation des profils des candidats à la chaire d’Esthétique et histoire de l’art. La comparaison entre les campagnes de 1882 et de 1905 montre la montée du nombre de conservateurs de musée au poste de professeur. En 1882, nul conservateur ne se présente à la succession de Charles Blanc, tandis qu’en 1905 sur quatre candidats trois le sont : deux au musée du Louvre, Lafenestre et Edmond Pottier, conservateur adjoint du département des antiquités orientales et de la céramique antique depuis 1893 ; un au musée de Versailles, Pierre de Nolhac. Seul Émile Mâle ne l’est pas et occupe un poste de professeur de rhétorique au Lycée Louis-le-Grand depuis 1898. Dans les trois cas, la fonction de conservateur est mise en avant dans les rapports de présentation, puis dans le décret :
M. Lafenestre [présenté par René Cagnat, titulaire de la chaire d’Épigraphie et antiquités romaines (1887-1931)]
Membre de l’Institut, conservateur des peintures au Musée du Louvre, professeur de l’Histoire de la peinture à l’École du Louvre24.
M. Boissier [titulaire de la chaire de l’Histoire de la poésie latine (1869-1885)] présente les titres de M. Pottier. M. Pottier est ancien élève de l’École normale supérieure et de l’École d’Athènes, conservateur au Musée du Louvre, professeur à l’École du Louvre, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres depuis plusieurs années. Il a organisé toute une galerie du Louvre25 […].
M. Pierre de Nolhac [présenté par Maurice Croiset, titulaire de la chaire de Langue et littérature grecques (1893-1931)], conservateur du musée de Versailles, est à la fois un érudit, un historien et un critique d’art des plus distingués. Esprit souple, doué des aptitudes les plus variés, après s’être fait remarquer comme membre de l’École française de Rome (1882-1884), puis comme directeur d’étude à l’École des hautes études, par des travaux sur les philologues latines à la Renaissance et sur Pétrarque, il est devenu en 1894 conservateur du musée de Versailles26.
11Lafenestre est élu dès le premier tour avec 25 voix sur 27 votants, Mâle et Pottier en obtenant une chacun. Pottier arrive en seconde ligne, au bout de trois tours d’un match serré avec de Nolhac, avant un net écart en sa faveur.
1er tour | M. Mâle obtient | 8 voix |
M. de Nolhac | 10 voix | |
M. Pottier | 9 voix | |
2e tour | M. Mâle obtient | 5 voix |
M. de Nolhac | 11 voix | |
M. Pottier | 11 voix | |
3e tour | M. Mâle obtient | 1 voix |
M. de Nolhac | 12 voix | |
M. Pottier | 14 voix27 |
12S’il n’est pas élu au Collège de France, dès l’année suivante, Mâle, le plus jeune des candidats, présenté à l’assemblée des professeurs par Joseph Bédier, titulaire de la chaire de Langue et littérature françaises du Moyen Âge28 (1903-1936), est chargé du cours de l’art chrétien du Moyen Âge à la Sorbonne, dont il devient titulaire de la chaire en 1912.
13Les élections de 1905 sont le point d’orgue du nombre de conservateurs candidats à la chaire d’Esthétique et histoire de l’art au Collège de France. Le profil du candidat favori a peut-être influencé celui de ses rivaux, car le vivier des enseignants possibles était plus large. Plusieurs personnalités se retirent au cours de la campagne : Paul Souriau, professeur à la faculté des Lettres de Nancy29, et Émile Bertaux, professeur d’histoire de l’art à l’université de Lyon, formé par Eugène Müntz et auteur d’une thèse sur L’Art dans l’Italie méridionale. De la fin de l’Empire romain à la conquête de Charles d’Anjou (1903), futur successeur de Mâle à la chaire de l’art chrétien du Moyen Âge à la Sorbonne en 191330. Les candidats, qui restent en lice, plus jeunes de 17, 24 ou 21 ans, ont un profil très proche de Lafenestre par leur activité de conservateur, mais des spécialités très différentes, et ne lui font pas de réel ombrage. Outre les deux désistements, Edmond Pottier et Émile Mâle se présentent en seconde ligne31 ; seul Pierre de Nolhac est en première ligne face à Lafenestre32. L’enjeu pour les jeunes candidats en seconde ligne est de se faire connaître ; Boissier incite ainsi l’assemblée des professeurs à créer une chaire supplémentaire pour Pottier : « M. Pottier ne se présente qu’en seconde ligne. Si l’on pouvait élargir les chaires du Collège de France, il y aurait évidemment lieu de faire dès maintenant quelque chose pour lui33. » Les élections de 1905 entérinent une situation mise en place par la suppléance de Lafenestre en 1889, tout en constituant un moment de bascule où le profil des professeurs s’oriente en faveur des conservateurs, en particulier du Louvre, plutôt que des artistes, peut-être dans un jeu de différenciation avec l’École des Beaux-Arts et de rapprochement avec l’École du Louvre. L’apparition de l’École du Louvre dans la géographie des lieux d’enseignement crée un jeu d’émulation entre les établissements proches spatialement, qui cherchent à toucher un public vaste composé d’auditeurs libres, qui s’ajoutent, sauf au Collège de France, aux élèves. L’élection de Lafenestre a lieu dans le contexte du succès considérable des cours d’Histoire générale de l’art en vingt-cinq leçons que Reinach a donnés à l’École du Louvre en 1902-1903. Le critère du public constitue un argument de poids dans la présentation de Lafenestre par Cagnat : « Si le cours de M. Lafenestre est très goûté du public, même de ce que l’on est convenu d’appeler le grand public, il ne sera que juste de lui donner enfin en propre une chaire dont il a contribué à assurer le succès pendant plus de quinze ans34. » Avant Reinach, Lafenestre est le professeur de l’École du Louvre qui rassemble le plus d’auditeurs35.
14Parmi les dix-sept élections qui ont lieu en 1905 au Collège de France, la nomination de Lafenestre se fait sans encombre, en comparaison à celle d’Oppert à la chaire de Philologie et archéologie assyrienne36, ou même de Julian à la nouvelle chaire d’Histoire des antiquités nationales, issue de la transformation de la chaire de Philosophie grecque et latine. Elle pourrait sembler guère remarquable. Pourtant, le cas de Lafenestre permet de saisir une double mutation qui se produit au tournant des xixe et xixe siècles dans la constitution de l’enseignement de l’histoire de l’art : la montée des conservateurs dans le corps professoral ; l’influence de l’École du Louvre sur le Collège de France. La mise en regard de la chronologie des titulaires de chaires des deux établissements montre en effet une circulation privilégiée de l’École du Louvre au Collège de France à partir de Lafenestre. Après la chaire d’Histoire de la peinture fondée en 1885 à l’École du Louvre, est créée en 1889 la chaire d’Histoire de la sculpture, du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps Modernes, confiée à Louis Courajod, conservateur adjoint (1879-1893) puis en chef (1893 à 1896) du musée du même nom au Louvre. Ses successeurs, André Michel et Paul Vitry, prennent la suite de Lafenestre en tant que professeurs ou suppléants à la chaire du Collège renommée Histoire de l’art français.
Tableau 1. La circulation des professeurs conservateurs (1878-1926) de l’École du Louvre au Collège de France
École du Louvre | Collège de France |
Création 1878 | |
Esthétique et histoire de l’art | |
Charles Blanc (1878-1882) | |
Eugène Guillaume (1882-1905) | |
Création 1885 | |
Histoire de la peinture | |
Georges Lafenestre, suppléé par Henry de Chennevières (1886-1905) | |
Eugène Guillaume, suppléé par Lafenestre (1889-1905) | |
Paul Leprieur (1905-1918) | Georges Lafenestre (1905-1919) |
Création 1889 | |
Histoire de la sculpture, du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps modernes | |
Louis Courajod (1889-1896) | |
André Michel (1896-1920) | |
Histoire de l’art français (1919-1926) | |
Paul Vitry (à partir de 1920) | André Michel (1920-1925) |
Paul Vitry, suppléé par Louis Réau et G. Rouchès (1923-1925) | André Michel, suppléé par Paul Vitry, candidat non élu en 1926 (1923-1925) |
Circulation et répartition du savoir entre le musée, l’École du Louvre et le Collège de France
15Pendant près de seize ans, à partir du mois de décembre, Lafenestre donne cours dans deux lieux proches géographiquement : le samedi à trois heures et demie dans l’une des salles de la cour Lefuel de l’École du Louvre pour « un cours d’histoire de la peinture », le lundi (puis le mardi) et jeudi à dix heures et quart au Collège de France dans la salle 5 dans le cadre de la chaire Esthétique et histoire de l’art. Le reste du temps, il travaille au département des peintures et des dessins du musée du Louvre. Cette triple vie se saisit au détour de plusieurs lettres, où les missions du conservateur se mêlent aux considérations sur les fatigues du professeur, à l’image de celle-ci qu’il envoie à Guiffrey :
Mon cher Jean,
Je suis repris par la bronchite, je n’ai pu, ce matin, vous le savez sans doute, faire mon cours au Collège, et ne pourrai sans doute le faire samedi au Louvre. […]
On devait peut-être m’apporter l’Odalisque d’Ingres. Si elle est là, faites-la mettre, dans un de mes cabinets, en endroit sûr. Je la soumettrai au Comité […] à la séance du 2937.
16Par son cumul de postes, Lafenestre constitue un objet d’étude privilégié pour interroger le rapport du professeur au musée, comparer les enseignements de l’art dans deux institutions, la manière dont un modèle d’enseignement et un savoir peuvent circuler ou se répartir entre deux établissements de statut différent. Dans sa thèse importante sur la genèse de l’histoire de l’art comme discipline universitaire, Lyne Therrien n’aborde pas la question de la circulation des hommes et des idées38. Trois documents permettent de mener le travail de comparaison : les leçons d’ouverture, les programmes et les notes de cours.
Les leçons d’ouverture ou le transfert de la « méthode scientifique »
17Des trois leçons que Lafenestre prononce en ouverture de ses enseignements, moment marquant sa prise de nouvelles fonctions, seule la première dite à l’École du Louvre est publiée : longue de treize pages, elle paraît dans L’Artiste en août 1886, ce qui lui confère une importance particulière39. Que la seconde de 1889 lue au Collège de France reste à l’état manuscrit pourrait s’expliquer par le statut de suppléant de son auteur40, tandis que celle du professeur élu en 1905 prend la forme d’un hommage à son prédécesseur, Guillaume : après seize ans de suppléance, il n’est sans doute plus utile d’exposer sa méthode et son programme41. Malgré cette première dissymétrie entre les deux lieux, le contenu des leçons de 1886 et 1889 est assez proche ; Lafenestre reformule au Collège de France de façon plus brève les grands principes exposés trois ans auparavant.
18Le transfert principal de l’École du Louvre au Collège de France concerne la méthode adoptée, la manière de définir l’approche de l’historien de l’art sur le modèle scientifique. Dans aucune des deux leçons, Lafenestre ne reprend à son compte le discours de rivalité scientifique avec l’Allemagne, très développé dans le rapport sur le maintien de la chaire de 1882, mais insiste sur la primauté accordée à l’observation des objets contre la spéculation abstraite. En 1886, il écrit ainsi se situer : « sur le terrain de l’observation et de l’analyse. Ici, nous n’avons à juger les œuvres ni d’après nos impressions personnelles ni d’après des principes philosophiques42. » S’il adopte le discours au fondement de l’École du Louvre, il présente sa démarche comme une application à l’art d’une méthode scientifique, déjà mise en œuvre dans d’autres disciplines :
Il ne semble donc plus impossible d’appliquer à l’étude historique de la peinture la méthode scientifique que tant d’illustres contemporains ont déjà appliquée, avec tant de succès, à l’ethnologie, à la philologie, à l’archéologie, à l’histoire sociale. On peut désormais établir par l’analyse et la critique combinées des faits et des documents, un classement régulier des ouvrages de peinture en établissant, avec plus de précision, la série de ses évolutions. Aucun laboratoire ne se prête mieux que le Louvre à ce genre d’entreprise ; c’est celle que nous allons tenter43.
19Lafenestre file la métaphore du modèle scientifique, empruntant ses images aux sciences naturelles : « laboratoire », « observation », « classement » dans la tradition des travaux de savants (Linné), « évolution »… Il pense implicitement le Louvre et l’étude de ses collections sur le modèle du muséum d’histoire naturelle et de ses travaux, tandis que le rapport du 11 avril 1882 sur la création de l’École du Louvre invoque le modèle de l’EPHE44. Avec Lafenestre, la méthode scientifique passe donc à l’étude de la peinture, dans le mouvement adopté par d’autres disciplines. Trois ans plus tard, il la transfère de l’École du Louvre au Collège de France où il la reformule néanmoins en termes plus philosophiques, cherchant à prendre en compte les deux termes principaux de l’intitulé de la chaire Esthétique et histoire de l’art :
C’est afin de me mettre en garde moi-même contre les faciles intéressements* des développements littéraires que j’ai voulu, critique d’observations plus que de spéculation, me placer de suite sur le terrain solide des faits. La méthode expérimentale me paraît, je l’avouerai, à l’heure actuelle, la plus capable d’étudier, sinon de résoudre, quelques-uns des innombrables problèmes posés par les recherches des philosophes45.
C’est avec les monuments, ou tout au moins leurs reproductions que nous interrogerons avant tout, aussi naïvement, aussi simplement que nous le pourrons faire et comme si nous nous trouvions en présence d’œuvres récentes et nouvelles46.
20Bien que le musée constitue le terrain d’application privilégié que Lafenestre indique dans la leçon de l’École du Louvre, il n’est pas le seul. Le professeur insiste également sur la double révolution technique qui permet de renouveler l’étude de l’art : la reproduction photographique et le chemin de fer, en rendant plus aisée et précise la vision des œuvres, amènent à décentrer le regard de la vie des peintres vers l’histoire des œuvres. L’iconothèque de Lafenestre, conservée en partie à l’Institut, est composée de près de 2780 clichés d’art italien, classés par villes, édifices et artistes, qui témoignent de l’importance accordée à l’image dans la constitution de son discours sur l’art. La photographie prise de Lafenestre dans la salle 4 du Collège de France, une fois qu’il est élu professeur, le représente saisissant d’une pile de photographies l’Adam et l’Ève du Retable de l’Agneau mystique des frères van Eyck47. En 1905, l’usage de reproductions n’est plus aussi novateur qu’il l’était en 1885 et 1889 : ainsi, son collègue à la Sorbonne, Henry Lemonnier, titulaire de la chaire d’Art moderne, pose derrière un bureau couvert de plaques de verre. Le match se joue désormais sur le plan technique des supports de cours. Deux écoles coexistent : les adeptes des planches contre les partisans des plaques de verre.
Fig. 1. Anonyme, « Collège de France. M. le professeur Lafenestre, membre de l’Institut », portrait-carte postale (14 x 9 cm), s. d. [vers 1905?], cliché Bibliothèque de la Sorbonne. Derrière Lafenestre, le médaillon représente Gaston Paris.

Fig. 2. Anonyme, « La Sorbonne, M. le professeur Lemonnier (Art moderne) » portrait-carte postale (9 x 13,9 cm), s. d., cliché Bibliothèque de la Sorbonne.

21Malgré le transfert d’une méthode scientifique d’un lieu à l’autre, malgré la circulation de Lafenestre entre les deux rives, l’École du Louvre continue au fil des ans de revendiquer sa différence par rapport au Collège de France. Ainsi, Théophile Homolle, directeur des musées nationaux, dans une note d’août 1904, où il fait le bilan des vingt-deux ans d’existence de l’établissement, écrit-il :
En tant qu’école d’enseignement artistique, l’École du Louvre était à l’origine d’autant plus nécessaire que l’histoire de l’art, sauf pour l’archéologie classique, n’était pas encore entrée dans les programmes universitaires. Elle n’a plus aujourd’hui cette originalité unique ; mais elle garde encore une personnalité distincte et conserve des avantages exclusifs sur les cours de l’Université de Paris ou du Collège de France par son caractère pratique, objectif, par le commerce direct des monuments originaux. Elle a dû à son caractère et au talent de ses professeurs un succès aussi brillant que légitime. Des cours, comme ceux de feu Courajod, de MM. Lafenestre, Michel, Pottier, Reinach, lui ont assuré une réputation qui a franchi les limites du monde des savants et les frontières de la France48.
22Cette case blanche relative à la migration des professeurs de l’École, notamment de l’autre côté de la Seine, n’est pas sans étonner. Existe-t-il une répartition des savoirs entre les deux établissements ? Quel poids occupe l’intitulé d’une chaire sur la constitution d’un enseignement ?
Les programmes de cours : répartition des savoirs
23À l’École du Louvre, Lafenestre se donne pour objectif de couvrir toutes les époques : « La division de notre cours est imposée par la chronologie. Nous étudierons successivement l’art de peindre, sous toutes ses formes, durant ses quatre périodes : l’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance, les Temps Modernes49. » Néanmoins, le professeur parcourt la frise du temps à un rythme capricieux, sans traiter le programme annoncé en trois ans, selon la contrainte imposée par la scolarité. D’après la liste établie par Henri Verne, il consacre ainsi sa première année à « La peinture dans l’Antiquité » (1885-1886), deux ou trois années aux origines de la peinture française au Moyen Âge (1886-1889), sept années à la Renaissance du xve siècle (1889-1896), sept au xvie siècle (1896-1903), avant de se faire suppléer. C’est avant tout l’auteur de La Peinture italienne qui fait cours, ouvrage couvrant les xive et xve siècles, paru en 1885 chez Quantin50. Le professeur se concentre pour l’essentiel sur la Renaissance, sujet qu’il traite successivement à deux échelles : les « influences réciproques » ou « échanges continus de pensée » entre pays, ce qu’aujourd’hui on nomme les « transferts artistiques », durant les années d’enseignement de 1889 à 1894 ; puis, les écoles régionales en Italie, sujet qui l’amène au-delà des années couvertes par son livre51. Dans sa leçon inaugurale, Lafenestre annonçait l’attention particulière qu’il porterait à la comparaison des nations :
Dans la plupart des ouvrages qui exposent l’histoire de la peinture, à partir de la Renaissance, on suit tour à tour son développement complet dans chacun des pays qui l’ont cultivée, en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas, en France, en Espagne. Cette méthode simplifie, en apparence, l’exposé d’une activité si générale, mais elle présente le grave inconvénient, lorsqu’on s’y enferme, de laisser perdre de vue la simultanéité des efforts qui se produisirent, alors, sur presque tous les points de l’Europe à la fois, de faire oublier les échanges continus de pensée qui s’opérèrent alors entres les différents peuples, de méconnaître les influences réciproques qu’ils exercèrent sans cesse les uns sur les autres. L’esprit se trouve ainsi disposé à s’exagérer l’importance relative de l’école qu’on étudie exclusivement52.
24Par son intérêt porté aux échanges artistiques durant la Renaissance et à la non-concordance des temps entre les nations, Lafenestre dialogue avec Louis Courajod, qui consacre alors plusieurs cours à l’idée de l’origine franco-flamande de la Renaissance française, de son développement antérieur aux guerres en Italie qui entraînèrent l’importation de modèles dans la péninsule53. Selon Claire Barbillon et François-René Martin, dans La Peinture italienne, l’auteur accrédite de « manière plus estompée » que Courajod, la thèse de l’importance des Flandres, en particulier de van Eyck, dans le tournant naturaliste, préparant l’avènement de la Renaissance54. Il n’est peut-être pas anodin que Lafenestre, professeur au Collège de France, ait choisi de se faire photographier tenant une reproduction de van Eyck à la main, alors même que ses écrits autant que son iconothèque témoignent d’un tropisme italien fort, à la différence de Courajod. Les intitulés des cours montrent que le professeur déplace ce débat historiographique sur la Renaissance du domaine de la sculpture étudié par Courajod à celui de la peinture. Il y revient sans cesse, creuse la comparaison sur l’état des arts en l’Italie, dans les pays du Nord et en France à partir de coupe synchronique d’une année ou de quelques mois, cherche à saisir le moment et l’origine de la diffusion du naturalisme chez ces nations : il aborde ainsi en 1889-1890, « Les premières écoles de la Renaissance aux xive et xve siècles en Italie, en France, dans les Flandres et en Allemagne » ; en 1892-1893, « La Peinture au xve siècle dans les Pays-Bas, l’Allemagne et la France » et l’année suivante « Le développement de la peinture dans la deuxième moitié du xve siècle dans le Nord et en Italie sous l’influence des premières écoles naturalistes55. » Seul ce dernier cours est conservé. Composé de près de 314 feuillets de notes56, il permet d’analyser plus précisément la méthode et les idées développées par le professeur. Durant plus de seize leçons, reconstituées à partir des titres inscrits sur les pochettes, Lafenestre aborde, après une introduction générale, la tapisserie, la peinture décorative avant de consacrer l’essentiel de son propos à la peinture sur bois, dont il étudie des écoles allemandes puis l’école florentine de la deuxième génération :
Tableau 2 - Cours à l’École du Louvre 1893-1894 : « Le développement de la peinture dans la deuxième moitié du xve siècle dans le Nord et en Italie sous l’influence des premières écoles naturalistes »
Leçons | Titres | fos |
1re | « La peinture à la fin du xve siècle » | 1-32 |
1893 | ||
2e (16 décembre) 3e (23 décembre) | « La tapisserie au xive et xve siècle » | 33-99 |
4e (30 décembre) | « xve siècle : Peinture décorative (Flandres, France, | 100-117 |
1894 | ||
5e (15 janvier) | « Arras (Flandres). La tapisserie au xve siècle » | 118-156 |
6e | « École de l’Allemagne centrale » | 157-160 |
7e et 8e | « Martin Schöngauer [sic] (1420?-1488) » | 161-206 |
9e (24 février) | « Allemagne. Les Petits maîtres-graveurs » | 207-230 |
10e | « Écoles de Souabe (Ulm, Nordhinger) » | 231-247 |
11e | « École d’Augsbourg (Holbein le Vieux) » | 248-256 |
11-12e | « Écoles de l’Allemagne méridionale (Nuremberg, | 257-281 |
13e, 14e et 15e | « Benozzo Gozzoli (1490-1498) » | 282-297 |
16e | « Les Peselli » | 298-302 |
Chiffre au crayon rouge 20 | « Baldavinetti (1427-1499) » | 303-310 |
Chiffre au crayon rouge 20 | « Les Bicci » | 311-314 |
25Dans les dernières leçons allant de Benozzo Gozzoli aux Bicci, Lafenestre reprend un chapitre de La Peinture italienne, mais en le déplaçant dans sa nouvelle perspective de comparer l’Italie avec les Flandres et l’Allemagne57. Si on se penche plus précisément sur une leçon pour observer la fabrique du cours, on note la grande place accordée à l’étude de l’œuvre, conformément au discours de la leçon d’ouverture. La onzième leçon consacrée à « Holbein le vieux » au sein du cours sur l’école d’Augsbourg est assez représentative de la manière de procéder du professeur : Lafenestre commence par indiquer trois références bibliographiques sur la pochette d’un dossier composé de sept feuillets58. Il suit un plan assez simple : caractérisation de l’école d’Augsbourg comme école réaliste par rapport à l’école idéaliste d’Ulm, arbre généalogique de l’artiste, liste de ses œuvres sur le reste des feuillets. Chaque feuillet s’organise en deux colonnes : à gauche le texte de cours, assez bref, ou le lieu de conservation de l’œuvre ; à droite la liste d’œuvres, classées par ordre chronologique. L’essentiel du cours prend ainsi la forme de commentaires d’œuvres montrées en classe. Dans ce corpus d’images, les œuvres du musée du Louvre ne dominent pas ; Lafenestre puise plus largement ses exemples dans les collections des musées européens. « M. Lafenestre familièrement refaisait en paroles, devant ses auditeurs, ses voyages à travers les musées d’Italie que si peu de Français avaient encore étudiés et qu’il connaissait si bien59. » raconte son élève, Jean Guiffrey, tandis que Prosper Dhorbec ajoute que « des photographies qu’il venait de commenter avec délectation circulaient dans l’auditoire60 ». Le professeur apparaît ainsi comme un passeur d’œuvres, plus cosmopolite, plus italionophile que Courajod dans son mode de vie, mettant à profit les avancées techniques du train et de la reproduction d’art. Le modèle scientifique, empirique et positiviste, fondé sur l’observation de l’œuvre est bien au cœur de son enseignement, mais fortement assoupli par l’art du conteur.
26Au Collège de France, Lafenestre redonne-t-il les mêmes cours qu’à l’École du Louvre ?
Dans les seize années d’enseignement pendant lesquelles, il a suppléé M. Guillaume, M. Lafenestre a successivement étudié toutes les périodes de l’art depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il s’est surtout attaché, il est vrai, à la peinture et à la peinture du xive et du xve siècle, il n’y a pas lieu de s’en étonner ; ses fonctions administratives en sont l’explication. Mais il n’a eu garde de se limiter à ces périodes seules. Il a pris soin également, à côté de la technique de l’art et de son histoire d’en exposer la théorie, répondant ainsi aux exigences d’une chaire à titre double : Esthétique et histoire de l’art61.
27Le rapport de René Cagnat souligne que Lafenestre en tant que suppléant s’est adapté au double intitulé de la chaire. Lafenestre aborde des questions esthétiques absentes de son enseignement de l’École du Louvre, mais de manière ponctuelle et tardive, essentiellement autour de l’élection de 1905 : « Histoire de la Beauté dans les arts et les idées de l’Antiquité » en 1903-1904, « Les variations du goût et de l’imagination dans la peinture aux xive et xve siècles, depuis Giotto jusqu’à Léonard de Vinci » en 1904-1905 ; « La nature et la tradition dans l’imagination et les arts du Moyen Âge » en 1906-1907. Mais il se démarque de l’approche de ses prédécesseurs, Blanc et Guillaume, en traitant les questions esthétiques en historien plutôt qu’en philosophe : « Histoire de la Beauté » [et non la Beauté], où il concilie observation et spéculation : « dans les arts et les idées ». La vision essentialiste portée par les concepts traditionnels de « goût » et d’« imagination » est infléchie par la prise en compte du temps historique : les « variations », la chronologie « depuis Giotto jusqu’à Léonard de Vinci ». Une parenthèse ajoutée au titre d’une leçon témoigne de la résistance de l’historien à traiter les questions esthétiques : « 2e L’imagination dans la peinture française 2 (coup d’œil historique62) ».
Tableau 3 – Cours à l’École du Louvre et au Collège de France63
École du Louvre | Collège de France |
1885-1886 | |
La peinture dans l’Antiquité | |
1886-1887 | |
La peinture au Moyen Âge. Les origines de la peinture française | |
1887-1888 : // | |
1889-1890 | |
Les premières écoles de la Renaissance aux xive et xve siècles en Italie, en France, dans les Flandres et en Allemagne | 1er s. ; lundi 10h15 : Les arts de la Renaissance en Europe depuis la mort de Laurent de Médicis jusqu’au sacre de Rome ; |
1890-1891 | |
Les premières écoles de la Renaissance au xve siècle en Italie | L’histoire des Médicis et des arts à Florence dans la seconde moitié du xve siècle |
1891-1892 | |
Les premières écoles de la Renaissance en France | 1er s. : L’histoire des arts à Rome dans la seconde moitié du xve siècle, |
1892-1893 | |
La peinture au xve siècle dans les Pays-Bas, l’Allemagne et la France | 1er s.: Histoire des arts en Italie sous le pontificat de Pie II |
1893-1894 | |
Le développement de la peinture dans la deuxième moitié du xve siècle dans le Nord et en Italie sous l’influence des premières écoles naturalistes | 1er et 2e s. : Histoire des arts en France au xve siècle, avant l’expédition en Italie |
1894-1895 | |
La peinture dans la seconde moitié du xve siècle en Italie | 1er et 2e s. : Histoire des arts en France au xve siècle, avant l’expédition en Italie |
1895-1896 | |
La peinture dans la seconde moitié du xve siècle | 1er s. : Histoire des arts en France au xve siècle, |
1896-1897 | |
La peinture vénitienne | 1er et 2e s. : Histoire de la Beauté dans les arts au Moyen Âge |
1897-1898 | |
L’histoire de la peinture en Italie au début du xvie siècle | 1er et 2e s. : Les arts en France et en Italie au temps de Charles VIII |
1898-1899 | |
L’école florentine après Léonard de Vinci | 1er et 2e s. : Les arts en France et en Italie au temps de Charles VIII |
1899-1900 | |
La peinture à Rome et à Venise au début du xvie siècle | 1er et 2e s. : La peinture et la sculpture du xixe siècle aux expositions universelles de Paris (1855, 1869, 1878, 1889) |
1900-1901 | |
La peinture à Venise | 1er et 2e s. : La peinture historique et décorative en France aux xvie et xviie siècles |
1901-1902 | |
La peinture dans la haute Italie au xvie siècle | 1er et 2e s. : Les arts en France depuis la mort de Charles VIII jusqu’à la bataille de Pavie (1498-1525) |
1902-1903 | |
La peinture à Rome au début du xvie siècle | 1er et 2e s. : L’art des Pays-Bas au xve siècle dans ses rapports avec les arts français, italien et allemand |
1903-1904 | |
suppléé | 1eret 2e s. : Histoire de la Beauté dans les arts et les idées de l’Antiquité |
1904-1905 | |
suppléé | 1er et 2e s. : Les variations du goût et de l’imagination dans la peinture aux xive et xve siècles, depuis Giotto jusqu’à Léonard de Vinci |
28Si Lafenestre aborde des questions nouvelles en lien avec l’intitulé de la chaire, la majorité de ses cours au Collège porte néanmoins sur la période d’étude privilégiée à l’École du Louvre : le xve siècle. Pendant plus de onze années, il y consacre son enseignement. D’après les programmes et les notes de cours, Lafenestre ne donne jamais le même enseignement sur la Renaissance la même année dans les deux établissements. Il a l’art de la variation dans ses intitulés, tandis que des leçons circulent d’une pochette à l’autre à plusieurs années d’écart : pour sa 15e leçon au Louvre de 1893, le professeur récupère ainsi une partie de la présentation historique de Florence au temps des Médicis qu’il a donnée le 4 décembre 1890 au Collège de France, en deuxième leçon de son cours64. Les cours du Collège de France sur la première Renaissance semblent se singulariser par une évolution de l’intérêt du professeur de l’Italie vers la France. Après cinq années sur la Renaissance italienne, dont la première comportait un séminaire de commentaire des Vies de Vasari, Lafenestre consacre cinq années à la Renaissance française, entrecoupées par d’autres cours, alors même qu’à l’École du Louvre, au même moment, il se concentre sur les écoles régionales en Italie. Lafenestre importe-t-il le débat historiographique sur la Renaissance de l’École du Louvre au Collège de France ? Le professeur puise abondamment dans les écrits de Courajod, sans s’y restreindre, comme l’indiquent ses bibliographies : au sein du cours sur « L’imagination dans la peinture française », pour la leçon sur « L’Italianisme sous Charles VIII et Louis XII », il mentionne son nom sur la pochette, avant de relever dans la bibliographie six articles de Courajod parus dans la Gazette des beaux-arts65. En outre, dans son enseignement au Collège de France, Lafenestre continue de mettre l’accent sur la manière dont la Renaissance française s’est nourrie des apports d’abord du Nord puis de l’Italie. Dans « L’art français au xve siècle », il déclare par exemple : « Si nous avons commencé par l’Italie [les cinq premières années de cours], ce n’est point parce que les productions de l’art, durant la période d’incubation y furent […] supérieures à celles des nations septentrionales ; au contraire66… », ou « Durant toute la première moitié de la période, c’est l’influence flamande qui domine, durant la seconde, c’est l’italienne qui a pénétré ou plutôt qu’on va chercher67. » Il y a ainsi une continuité entre les deux établissements par la place majeure accordée à la question des échanges artistiques durant la Renaissance.
Le musée et le Collège de France, un lien génétique ?
29Quel lien établir entre l’enseignement et le travail du conservateur qui propose au visiteur une nouvelle mise en récit historique des écoles nationales des peintures ? Lafenestre procède à la réorganisation totale des galeries des peintures, à la demande d’Albert Kaempfen, directeur des Musées nationaux, qui en a le projet depuis octobre 188768. En septembre 1892, Le Matin l’annonce69. Les premières réalisations ont lieu dans les salles des primitifs allemands et italiens en 1895, avant qu’en 1896, le conservateur, en prévision du vote à la Chambre du budget nécessaire à sa réalisation, expose le plan complet. Léonce Bénédite, à la tête du musée du Luxembourg, en commente les enjeux dans La Nouvelle Revue :
La question de l’organisation des peintures du Louvre est une des plus délicates qui puissent se poser dans l’administration des musées nationaux. Elle n’a cessé de passionner une partie de l’opinion et de préoccuper, du moins depuis quelques années, la conservation de ce département. C’est que nul problème n’est plus difficile à résoudre. En théorie déjà, personne n’est d’accord sur la signification à donner à ce musée. Tandis que les uns trouvent le Louvre trop encombré et voudraient ne le voir composé que des têtes de ligne, les autres, préoccupés des nécessités de l’enseignement historique, s’effrayent de voir retirer, suivant les caprices de la mode, des ouvrages qui, pour n’être point de premier ordre, peuvent justifier de leur place par l’importance que les faits donnent à l’école à laquelle ils appartiennent70.
30Lafenestre opte pour le sens historique, sur le modèle des musées allemands. Son enseignement au Collège fait écho à plusieurs actualités artistiques, mais qui ne sont pas toujours liées à son travail au Louvre. Plutôt que le musée, le professeur ne regarde-t-il pas vers les expositions ? Il consacre son cours de 1899-1900 à l’exposition universelle de 1900, rare cours portant sur l’art contemporain :
L’ouverture prochaine de la 4e Exposition universelle de Paris où les arts français seront représentés […] m’a paru une excellente occasion de constater une fois de plus la puissance de ces relations fatales et utiles entre le passé et le présent, mais en prenant, cette fois, pour point de départ, l’art moderne dans tous les pays civilisés, tel qu’il nous a été montré par les quatre expositions antérieures, et qu’il va nous l’être de nouveau par l’exposition prochaine71.
31Ou en 1902-1903, son cours « L’art des Pays-Bas au xve siècle dans ses rapports avec les arts français, italien et allemand » fait écho à l’exposition des primitifs de Bruges, sur laquelle il écrit un article « Les vieux maîtres à Bruges72 » pour la Revue des Deux Mondes en octobre 1902. Le professeur retrouve ainsi le critique d’art, qui rend compte dans la presse des Salons et des expositions73. Mais qu’en est-il du rapport entre le professeur, le conservateur et l’historien ? Le cas le plus passionnant concerne Jehan Fouquet. La monographie, publiée en 190574, est bien connue des historiens de l’art s’intéressant à la réception des primitifs français et à leur revalorisation prise dans un discours patriotique75. Si l’on s’en tient seulement à la date de parution, on considère l’étude comme le prolongement de l’exposition des primitifs français, dont Lafenestre a rédigé la préface, tandis qu’Henri Bouchot en fut le maître d’œuvre, peut-être en raison de la mauvaise santé du premier durant les années 1903-1905. Néanmoins, la monographie trouve ses sources dans l’activité d’enseignant de Lafenestre. La première leçon du cours « Les arts en France et en Italie au temps de Charles VIII », donnée en décembre 1898, porte sur Jean Fouquet76. Lafenestre met au propre le manuscrit de cette leçon conservé sous la forme de vingt-six feuillets de notes et la publie environ trois ans plus tard, en janvier 1902, dans la Revue des Deux Mondes, réécrivant son texte de cours, qu’il augmente d’une introduction historique77. Entre cet article et la parution de la monographie trois ans s’écoulent de nouveau, entrecoupés par la maladie du professeur, et par différents événements qui ont pu l’inciter à transformer cet article en livre : l’exposition des primitifs de Bruges de 1902, puis l’exposition des Primitifs français en 190478. Dans ce scénario génétique qui mène du cours au livre, il manque un acteur important : le Louvre, le musée, et non l’aile Marsan servant à accueillir l’exposition de 1904. Durant ses années de suppléance au Collège de France, le conservateur entreprend d’aménager des salles pour les primitifs et la Renaissance française. Alors qu’à son arrivée à la conservation, les deux toiles de Fouquet sont exposées séparément, l’une dans le Salon Carré, l’autre dans la travée C de la Grande galerie79, il les réunit dans la salle 10, qu’il consacre à la peinture française des xive et xve siècles et rassemble dans la salle 11 « l’École de Fontainebleau », avant les deux salles « Lesueur ». Il étend ainsi le fil chronologique de la peinture française, car le Plan-catalogue de 1882 indiquait pour l’enfilade des mêmes salles situées perpendiculairement à la galerie du bord de l’eau, avant l’escalier Mollien : Cousin, Lesueur, Lesueur, Vernet80. Le réaménagement des deux salles est difficile à dater précisément81. En juillet 1890, la Gazette des beaux-arts parle de la « salle des primitifs français que l’on s’efforce de constituer au Louvre82 », au moment où le conservateur renonce, faute d’argent, à acquérir les deux « Fouquet de Francfort83 ». Durant l’année 1891-1892, Lafenestre consacre son cours à l’École du Louvre aux « Premières écoles de la Renaissance en France », mais dans le catalogue des peintures du musée de 189384, la salle projetée n’apparaît pas. Sa première mention retrouvée dans un catalogue date de 1903 ; en 1900, Gustave Geffroy retrace néanmoins déjà le nouveau parcours historique85. La salle est initialement nommée « salle Jehan Fouquet86 », nom utilisé encore en 1907, mais qui devient « salle des primitifs français87 » dans le catalogue publié en 1909 par Leprieur, successeur de Lafenestre à la conservation. Le travail de réaménagement semble donc s’être effectué entre 1893 et 1900, lors des années où le professeur fait cours au Collège de France sur l’histoire de l’art en France du xve siècle à Charles VIII, après y avoir consacré une année à l’École du Louvre. Il s’accompagne d’une politique d’acquisition, notamment par l’achat, en 1904, de l’Homme au verre de vin, œuvre que Lafenestre attribue à Fouquet, malgré les débats soulevés sur ce point, auxquels il répond dans la version augmentée et mise à jour en 1906 du Catalogue de peinture du musée du Louvre88. Les cours de Lafenestre sur Fouquet et la monographie de 1905 sont donc à replacer dans la perspective du travail de réaménagement du conservateur, antérieur à l’exposition de 1904. Un fil génétique se dessine entre le musée et le Collège de France, deux lieux où Lafenestre aspire à présenter un nouveau récit historique des peintures qui accorde une place remarquable aux arts français du xve siècle.
***
32« Georges Lafenestre engage l’enseignement du Collège dans une voie nouvelle, celle de l’histoire89. » déclare Gabriel Millet dans son allocution donnée à l’occasion du centenaire de Georges Lafenestre, le 28 mai 1937. On a cherché à saisir le lien entre le tournant historique de la discipline au Collège de France et le musée, au moment du cumul de trois postes par Lafenestre. On a ainsi montré l’importance, pour le professeur, de l’École du Louvre dans la mise en place d’une méthode expérimentale d’observation des œuvres muséales et dans le transfert au Collège de débats historiographiques sur la Renaissance, marqués par le dialogue avec Courajod. Puis dans une perspective génétique, on a mesuré la place du cours dans la fabrique d’une histoire de l’art qui s’écrit aussi bien dans les articles et les monographies que sur les murs du musée du Louvre.
Notes de bas de page
1 André Michel, « L’histoire de l’art au Collège de France », Revue bleue, 17 juillet 1920, p. 417.
2 Sur Georges Lafenestre, voir Claire Barbillon et François-René Martin, « Georges Lafenestre (1837-1919), un historien de l’art “exemplaire” du xixe siècle français ? », dans Simonetta La Barbera (dir.), Enrico Mauceri (1869-1966), storico dell’arte tra « connoisseurship » e conservazione, Palerme, Flaccovio, 2009, p. 87-95 ; Lyne Therrien, L’Histoire de l’art en France : genèse d’une discipline universitaire, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, coll. « Format 25 », 1998, p. 145-147 et p. 202-207 ; « Georges Lafenestre », dans Jean-Paul Bouillon, Nicole Dubreuil-Blondin, Antoinette Ehrard et Constance Naubert-Riser (dir.), La Promenade du critique influent (1850-1900) [1990], Paris, Hazan, p. 161-163 ; Géraldine Masson, « Georges Lafenestre, le poète conservateur », dans Jessica Desclaux (dir.), « Le musée du Louvre entre deux siècles (1874-1925) », RHLF, vol. 3, 2019, p. 589-604.
3 Octave Mirbeau, « Un tableau par la fenêtre ! », Le Gaulois, 22 septembre 1896, p. 1.
4 Ibid.
5 Antoine-Chrysostome Quatremère de Quincy, Considérations morales sur la destination des ouvrages de l’art, ou de l’influence de leur emploi sur le génie et le goût de ceux qui les produisent ou qui les jugent, et sur le sentiment de ceux qui en jouissent et en reçoivent les impressions, Paris, Imprimerie de Crapelet, 1815, p. 44.
6 Ibid., p. 45.
7 O. Mirbeau, « Un tableau par la fenêtre ! », art. cit.
8 A. Michel, « L’histoire de l’art au Collège de France », art. cit., p. 417.
9 Bibliothèque de l’Institut, Fol. Rodocanachi 95(1-21), collection de photographies d’art italien constituée par G. Lafenestre. Les portefeuilles ont été légués à la Bibliothèque de l’Institut par Pierre Lafenestre, son fils, en 1945 et insérés au fonds Rodocanachi en raison de leur sujet thématique sur l’Italie. Je remercie Eloïse Dumas de m’avoir fait part de l’existence de ce fonds photographique.
10 En 1937, après que le conservateur adjoint au musée du Luxembourg, Pierre Ladoué, a retrouvé dans le grenier « un demi-siècle de notes », Pierre Lafenestre, fils unique de Georges, propose d’en faire don au musée de France (AN 20150538/4, lettres de Pierre Ladoué des 19 et 23 mars 1937). Mais c’est sous le nom de Pierre-Marie Auzas, inspecteur général des monuments historiques, et à la date du 15 mars 1976 que le don est enregistré à la BCMN. Le fonds est désormais consultable à l’INHA. INHA, BCMN, fonds Georges Lafenestre, MSS 297(1) « Cours manuscrits du Collège de France » ; MSS 297 (2) « Cours manuscrits de l’École du Louvre » ; MSS 297 (5) « Lettres de Georges Lafenestre à ses amis Jean Guiffrey » ; MSS 297 (3) « textes divers ».
11 Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 31 janvier 1886, p. 515.
12 INHA, BCMN, fonds Georges Lafenestre, MSS 692 (02), lettre de Georges Lafenestre à Henry de Chennevières du 18 septembre 1878.
13 Voir par exemple : « Est-ce curieux qu’à Paris, les gens chargés de conserver le Louvre soient souvent incapables de dénicher une œuvre propre. Il est vrai que ce sont des gens placés là par la politique, dans des sinécures, de vrais moules, absolument incapables de reconnaître une copie d’un original. Tout le monde le sait et personne ne le dit parce que cela ne serait pas patriotique ! » Joris-Karl Huysmans, Lettres inédites à Arij Prins, 1885-1907, éd. Louis Gillet, Genève, Droz, 1977, lettre 120 [13 9bre 1892], p. 245 ; « Qu’un poète, un écrivain, soit nommé à un musée, j’applaudis. La sinécure est une des bases de la vie civilisée : en tête de toutes collections nationales, il devrait y avoir un écrivain : mais à côté de ce sinécuriste, il faudrait un homme qui fût compétent en la matière ; et non de cette compétence mnémotechnique et dissertative qui permet de faire un cours ou un livre, mais d’une compétence technique. Un conservateur de peinture doit être un chimiste ; il devrait avoir à restaurer une vieille peinture comme examen. » Joséphin Péladan, « Du Louvre et de sa garde », La Revue politique et littéraire, no 12, 16 septembre 1911, p. 363.
14 Voir Daniella Gallo (dir.), Les Vies de Dominique-Vivant Denon. Actes du colloque organisé au musée du Louvre par le Service culturel du 8 au 11 décembre 1999, Paris, Documentation française, 2001.
15 B. Guinaudeau, « À Monsieur Lafenestre, homme puissant dans les musées », La Justice, 24 octobre 1892 ; extrait cité par G. Masson, « Georges Lafenestre, le poète conservateur », art. cit., p. 603.
16 Mireille Dotin, « Introduction », Jules Laforgue, Textes de critique d’art, M. Dotin (éd.), Lille, Presses univ. de Lille, 1988, p. 14.
17 D’après Christophe Beaufils, Joséphin Péladan (1858-1918) : essai sur une maladie du lyrisme, Grenoble, J. Millon, 1993, p. 375.
18 Archives du Collège de France, Professeurs. Dossiers personnels des professeurs nés entre 1789 et 1958, Lafenestre, 16 CDF 222-5, parcours de Lafenestre : 1870 : Attaché au cabinet du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Secrétaire du directeur des Beaux-Arts. 1871 : Sous-chef du Bureau des Beaux-arts (commandes et acquisitions, écoles, musées, expositions). 1880 : Inspecteur des Beaux-Arts, commissaire des expositions de Beaux-Arts françaises et internationales. Je remercie Christophe Labaune, archiviste au Collège de France, de sa grande aide.
19 Archives du Collège de France, Professeurs. Dossiers personnels des professeurs nés entre 1789 et 1958, 16 CDF 174-3-14, lettres et télégrammes de Guillaume à l’administrateur pour demander à être suppléé.
20 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(5), fo 60, lettre de Georges Lafenestre à Jean Guiffrey du 12 septembre 1898.
21 Ibid., fo 93, lettre de Georges Lafenestre à Jean Guiffrey du 1er août 1903.
22 Archives du Collège de France, Professeurs. Dossiers personnels des professeurs nés entre 1789 et 1958, Lafenestre, 16 CDF 222-3a-3b, deux lettres de Lafenestre à l’administrateur sur son état de santé du 25 juin 1903 et du 24 juin 1904.
23 N. S., « Échos », Le Figaro, 21 mai 1905, p. 1.
24 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900 et Rapports de présentation – 1800-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-o, René Cagnat, « Présentation des titres et travaux de Georges Lafenestre, candidat à la chaire d’Esthétique et histoire de l’art ».
25 AN F/17/13556, Collège de France, Boissier, « Rapport de présentation d’Edmond Pottier ». Ce rapport n’est pas conservé aux archives du Collège de France.
26 Archives du Collège de France, Procès-verbaux des assemblées des professeurs du Collège de France, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342, pièce p : Maurice Croiset, « Rapport de présentation de Pierre de Nolhac ».
27 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-r.
28 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900 et Rapports de présentation – 1800-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-n, Joseph Bédier, « Présentation des titres et travaux d’Émile Mâle, candidat à la chaire d’Esthétique et histoire de l’art » : « Il résume son livre L’Art religieux du xiiie siècle en France (1898) et montre que c’est l’œuvre d’un esprit philosophique, d’un bon érudit et d’un excellent écrivain, puis M. Bédier fait voir l’importance des articles de M. Mâle, récemment publiés par la Gazette des beaux-arts, et qui forment les premiers chapitres d’un ouvrage qui paraîtra prochainement : L’Art religieux au xve siècle: ces articles présentent une théorie originale et toute nouvelle qui explique par l’influence des mystères, le réalisme de l’art du xve siècle. Il indique enfin l’importance des travaux de M. Émile Mâle sur les manuscrits à miniature. »
29 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-b, carte de visite et lettre de Paul Souriau à l’administrateur du 6 mai 1905 : « Lorsque j’ai eu l’honneur de me présenter à vous, il y a quelques jours, je vous ai exprimé mon intention de poser une candidature à la chaire d’esthétique vacante au Collège de France. Les démarches que j’ai entreprises à ce sujet m’ont convaincu que dans les circonstances actuelles j’aurais trop peu de chances d’être présenté en bon rang ; aussi ai-je cru devoir, à mon vif regret, retirer ma candidature avant même de l’avoir officiellement posée. »
30 N. S., « Échos », Le Figaro, 21 mai 1905, p. 1.
31 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-c-d, lettre d’Edmond Pottier à l’administrateur du 6 mai 1905 : « Je vous serais reconnaissant de vouloir bien dire à vos collègues que je ne sollicite leurs suffrages que pour la présentation en seconde ligne. » ; lettre d’Émile Mâle à l’administrateur du 10 mai 1905 : « J’ai l’honneur de poser ma candidature – en seconde ligne – à la chaire d’histoire de l’art devenue vacante. »
32 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-e, lettre de Pierre de Nolhac à l’administrateur du 17 mai 1905.
33 AN F/17/13556, Collège de France, Boissier, « Rapport de présentation d’Edmond Pottier ».
34 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900 et Rapports de présentation – 1800-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-o, René Cagnat, « Présentation des titres et travaux de Georges Lafenestre, candidat à la chaire d’Esthétique et histoire de l’art ».
35 Les cours de Lafenestre à l’École du Louvre connaissent un succès croissant : 5 élèves sont inscrits et 122 auditeurs y assistent en 1893-1894 ; 28 élèves et 233 auditeurs pour celui de 1894-1895. Jusqu’à l’arrivée de Reinach, l’Histoire de la peinture attire le plus de monde, devançant largement l’enseignement de Courajod sur la sculpture (21 élèves et 141 auditeurs).
36 Voir Dominique Charpin, « L’assyriologie », dans Jean-Luc Fournet (dir.), « Ma grande église et ma petite chapelle ». 150 ans d’affinités entre le Collège de France et l’EPHE. Journée d’étude du 6 septembre 2018 au Collège de France [https://www.college-de-france.fr/site/jean-luc-fournet/symposium-2018-09-06-10h45.htm] [à paraître aux Éditions du Collège de France/EPHE, 2020 et dans la collection « Passage des disciplines]
37 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(5), fo 59, lettre de Lafenestre à Jean Guiffrey, jeudi [1898-1899*]. L’Odalisque d’Ingres a été acquise en 1899 par le musée du Louvre.
38 L. Therrien, L’Histoire de l’art en France : genèse d’une discipline universitaire, op. cit.
39 G. Lafenestre, « Leçon d’ouverture du Cours d’histoire de la peinture à l’École du Louvre », L’Artiste, août 1886, p. 85-97.
40 BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(1) « Cours manuscrits du Collège de France », pochette 1, fos 1-5.
41 Annuaire du Collège de France, Paris, Leroux, année 1905-1906.
42 G. Lafenestre, « Leçon d’ouverture du cours d’histoire de la peinture à l’École du Louvre », art. cit., p. 87.
43 Ibid.
44 « [U]ne école pratique d’archéologie et d’histoire de l’art, analogue à cette École des hautes études ». AN, École du Louvre, cote 20144781/1, « Rapport du 11 avril 1882 ».
45 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(1) « Cours manuscrits du Collège de France », pochette 1, fo 1- fo 2.
46 Ibid., fo 5.
47 Éloïse Dumas, Lire, écrire et présenter la peinture italienne au musée du Louvre (1874-1905), mémoire d’études de Master 1, dirigé par Michela Passini, soutenu à l’École du Louvre en mai 2019, p. 57.
48 AN, École du Louvre, cote 20144781/1, organisation historique, note de M. Homolle août 1904.
49 G. Lafenestre, « Leçon d’ouverture du Cours d’histoire de la peinture à l’École du Louvre », art. cité, p. 89.
50 G. Lafenestre, La Peinture italienne, Paris, Quantin, 1885.
51 D’après la liste des cours établie par Henri Verne et al., L’École du Louvre, Paris, Bibliothèque de l’École du Louvre, 1932, p. 173-174. Voir infra, tableau 3.
52 G. Lafenestre, « Leçon d’ouverture du cours d’Histoire de la peinture à l’École du Louvre », art. cit., p. 89.
53 D’après Michela Passini, La Fabrique de l’art national. Le nationalisme et les origines de l’histoire de l’art en France et en Allemagne (1870-1933), Paris, Maison des Sciences de l’homme, 2012, p. 11-25. La place de Lafenestre dans le débat historiographique n’y est pas étudiée.
54 C. Barbillon et F.-R. Martin, « Georges Lafenestre (1837-1919), un historien de l’art “exemplaire” du xixe siècle français ? », art. cit., p. 93.
55 Henri Verne et al., L’École du Louvre, Paris, Bibliothèque de l’École du Louvre, 1932, p. 173-174.
56 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(2), « Cours de l’École du Louvre », année 1893-1894.
57 G. Lafenestre, La Peinture italienne, op. cit.
58 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(2), « Cours de l’École du Louvre », année 1893-1894, fos 248-256.
59 H. Verne et al., L’École du Louvre (1882-1932), op. cit., p. 18.
60 Ibid., p. 82.
61 Archives du Collège de France, Comptes rendus xviie-xixe, 1656-1900 et Rapports de présentation – 1800-1900, assemblée du 21 mai 1905, 4 AP 342-o, René Cagnat, « Rapport de présentation de Georges Lafenestre ».
62 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(1) « Cours manuscrits du Collège de France », année 1900-1901, pochette.
63 La liste des cours à l’École du Louvre a été établie par Henri Verne (L’École du Louvre, op. cit., p. 173-174) et celle du Collège de France à partir des manuscrits de cours, qui comportent parfois quelques variantes par rapport à l’intitulé affiché sur les programmes.
64 Ibid., MSS 297(2), « Cours de l’École du Louvre », année 1893-1894, fo 288.
65 Ibid., MSS 297(1) « Cours manuscrits du Collège de France », année 1900-1901, fo 41ro et fo 42ro.
66 Ibid., année 1900-1901 « L’imagination française au xvie siècle », fo 3ro.
67 Ibid., fo 39ro.
68 AN, Musée du Louvre, 20144790/3, lettre du Directeur des musées nationaux à Edmond Guillaume, 17 octobre 1887 ; échange de correspondances entre le directeur des Beaux-arts, le directeur des musées nationaux et l’architecte du Louvre au sujet du projet de nouveau classement des tableaux, 14-25 octobre 1887 (5 p.).
69 N.S., « Le Musée du Louvre. Projet de réorganisation totale des galeries », Le Matin, 30 septembre 1892, p. 1.
70 Léonce Bénédite, « La réorganisation des peintures au Louvre », La Nouvelle Revue, juillet-août 1896, p. 128.
71 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(1) « Cours manuscrits du Collège de France », année 1899-1900, fo 2ro.
72 G. Lafenestre, « Les vieux maîtres à Bruges », Revue des Deux Mondes, octobre 1902, p. 130-163.
73 Lafenestre collabore à la Revue contemporaine, à la Gazette des beaux-arts (1859-1870), au Moniteur universel (de 1868 à 1879), à la Revue de France, puis, lorsqu’il est professeur à la Revue des Deux Mondes… Voir infra, note 1.
74 Id., Jehan Fouquet, Paris, Librairie de l’art ancien et moderne, 1905.
75 Voir notamment Dominique Thiébaut, Philippe Lorentz, F.-R. Martin (dir.), Primitifs français. Découvertes et redécouvertes, catalogue d’exposition (musée du Louvre 27 février – 17 mai 2004), Paris, Réunion des musées nationaux, 2004.
76 INHA, BCMN, fonds Lafenestre, MSS 297(1) « Cours manuscrits du Collège de France », cours 1898-1899 « Les arts en France et en Italie au temps de Charles VIII », 1re leçon « Jehan Fouquet ».
77 G. Lafenestre, « L’art français au xve siècle. Jehan Fouquet », Revue des Deux Mondes, janvier 1902, p. 241-283.
78 G. Lafenestre, Les Primitifs à Bruges et à Paris, 1900-1902-1904 : vieux maîtres de France et des Pays-Bas, Paris, Librairie de l’art ancien et moderne, 1904.
79 G. Lafenestre, Eugène Richtenberger, La Peinture en Europe. Le Musée du Louvre, Paris, Librairie-imprimeries réunies, 1893.
80 Plan-catalogue complet du musée du Louvre, Paris, Imprimerie Balitout Questroy, 1882, plan des salles, n. p.
81 Nos recherches aux centres de documentation du département des peintures et de l’histoire du palais ou aux Archives nationales n’ont pas abouti. Aucune mention de la salle n’est faite dans Geneviève Bresc-Bautier, Guillaume Fonkenell, et Françoise Mardrus (dir.), Histoire du Louvre, Paris, Fayard, 2016, 3 vol.
82 Léon Palustre, « Exposition rétrospective de Tours », Gazette des beaux-arts, juillet 1890, p. 72.
83 « “Il faudra un crédit extraordinaire non moindre peut-être que le crédit nécessaire pour l’acquisition des J. Fouquet de Francfort, bien plus précieux pour l’histoire de notre art national.” (AMN 20144790/35, dossier « Sciarra », note de Lafenestre au Directeur des Musées nationaux, 18 juillet 1890). Les “Fouquet de Francfort” désignent ici Le Livre d’heure d’Étienne Chevalier et La Vierge et l’Enfant entourés d’anges du diptyque de Melun, alors en possession de la famille Brentano, et qui seront respectivement vendus au duc d’Aumale en 1892 et au musée de Berlin en 1896 ». É. Dumas, Lire, écrire et présenter la peinture italienne au musée du Louvre (1874-1905), mémoire d’études de Master 1, dirigé par Michela Passini, soutenu à l’École du Louvre en mai 2019, p. 32.
84 G. Lafenestre, E. Richtenberger, La Peinture en Europe. Le Musée du Louvre, op. cit.
85 Gustave Geffroy, Les Musées d’Europe. La peinture au Louvre, Paris, Librairie Nilsson, 1900.
86 Paul Durrieu, Catalogue sommaire des peintures exposées dans les galeries du musée national du Louvre, Paris, Librairie-imprimeries réunies, 1903, plan des salles, n. p.
87 Paul Leprieur, Catalogue sommaire de peintures françaises, Paris, Librairie-imprimeries réunies, 1909.
88 G. Lafenestre, Le Musée national du Louvre, édition complément mise à jour, Paris, Librairie-imprimerie réunies, 1906, p. 146. Voir Géraldine Masson, « Georges Lafenestre, le poète conservateur », art. cit.
89 Archives du Collège de France, Professeurs. Dossiers personnels des professeurs nés entre 1789 et 1958, Lafenestre, 16 CDF 222-16, Gabriel Millet, « Allocution au Centenaire de Georges Lafenestre », 28 mai 1937.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Ma grande église et ma petite chapelle
150 ans d’affinités électives entre le Collège de France et l’École pratique des hautes études
Jean-Luc Fournet (dir.)
2020