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Louvre

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Jessica Desclaux

De la collection à l’enseignement, le rôle particulier de l’École du Louvre

Philippe Durey

Texte intégral

  • 1 Louis de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », dans Henri Verne(...)

L’enseignement naîtra de la conservation comme la conservation est née de la collection. Ce sera un développement logique et pour ainsi dire organique, qui fera porter à ces collections tous leurs fruits et tirera de ces vastes dépôts tout ce qu’ils peuvent contenir pour les progrès de la science et de l’éducation du public1.

1Cette phrase écrite en 1882 par Louis de Ronchaud, le fondateur de l’École du Louvre, annonce un propos pédagogique fort, en apparence simple et séduisant : puisque la collection de musée – car c’est bien d’elle qu’il s’agit – a engendré les spécialistes nécessaires à sa conservation, ces spécialistes sauront à leur tour en faire sortir naturellement, « organiquement », les enseignements de tous ordres que cet ensemble d’œuvres ou d’objets renferme et en faire bénéficier la science et le public… Derrière ce qui n’est encore qu’une intuition, certes énoncée avec conviction, se cachent en fait beaucoup d’hésitations, beaucoup d’incertitudes quant aux objectifs, aux capacités et à l’organisation d’une école qui serait en charge de ces enseignements. Les « progrès de la science » et « l’éducation du public » ne sont-ils pas les buts mêmes de l’institution muséale ? Quelle serait la valeur ajoutée spécifique d’une telle école ? Quels publics pourrait-elle concerner ? S’adresserait-elle à tous ou devrait-elle prioritairement viser la formation de spécialistes ? Pourrait-elle mener de front les deux propos ? Ces questions, l’École du Louvre se les posera tout au long des cent trente-sept années de son histoire et elle continue, d’une certaine façon, de se les poser aujourd’hui encore.

2Il existe bien sûr de multiples façons d’utiliser les collections des musées pour enseigner, de multiples manières de les faire parler. L’idée première des fondateurs, nous venons de le dire, fut de faire appel à la connaissance particulière qu’en ont les conservateurs. Cette idée est-elle devenue réalité et quelles méthodes l’École a-t-elle mises en œuvre pour y parvenir ? Pour tenter de répondre, il faut examiner au moins trois aspects majeurs du problème : la réalité de la pédagogie par l’objet, la relation entre le programme des cours, l’organisation des collections et le fonctionnement des musées, enfin la place laissée à l’enseignement de la muséologie. Mais auparavant, il est nécessaire de s’attarder un peu sur les hésitations, les évolutions des premiers temps de l’École : car elles expliquent en grande partie la suite, les choix ultérieurs avec leurs ambiguïtés longtemps maintenues ou même les absences de choix, les adaptations plus ou moins volontaires, les contraintes extérieures par lesquelles on se laissa guider, bref, ce que l’on pourrait qualifier de « plasticité » de l’institution, en grande partie sans doute à l’origine de sa réussite.

3On évoquera donc d’abord la création de l’École, la pluralité des objectifs poursuivis et les débuts de la pédagogie par l’objet ; puis la phase d’enracinement réussie grâce à l’extension des programmes, marquée aussi par l’abandon de finalités professionnelles précises. Sera enfin esquissée la difficile et longue conquête d’un équilibre, entre l’enseignement pour le grand public et la mise en œuvre d’une formation technique permettant de renouer avec des visées professionnelles.

La création de l’École, la pluralité des objectifs et les débuts de la pédagogie par l’objet

4En janvier 1882, l’École est créée comme « école d’administration des musées ». En décembre, elle ouvre ses portes en tant qu’« école pratique d’archéologie et d’histoire de l’art ». Comment et pourquoi est-on passé de l’une à l’autre ?

5L’acte juridique fondateur de l’École est contenu dans un décret portant sur l’organisation et l’administration des musées, signé le 24 janvier 1882 par le ministre des Arts Antonin Proust (1832-1905). L’article 5 du décret dispose :

  • 2 Henri Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 114.

Il est institué auprès du musée du Louvre une école qui prend le nom d’École d’administration des musées. Un arrêté ministériel déterminera les conditions d’admission et de sortie et le règlement des études de cette école destinée à recruter ultérieurement le personnel des administrateurs, conservateurs, conservateurs-adjoints, attachés, inspecteurs des musées, conférenciers, bibliothécaires et architectes. L’administrateur du Louvre est chargé de la direction de cette école2.

  • 3 Ibid., p. 122.

6Six mois plus tard, le 25 juillet 1882, un nouveau décret signé cette fois par Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, rapporte celui du 24 janvier, resté jusque-là sans application, mais conserve l’élément principal de l’article 5, la création d’une école au Louvre. Il en renvoie le règlement à un texte ultérieur, en confie la direction au directeur des musées nationaux, et lui donne sa dénomination définitive d’« École du Louvre3 ». Celle-ci a donc trouvé son origine dans un projet inabouti d’organisation des musées français.

  • 4 Du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882.
  • 5 Antonin Proust, « Rapport au Président de la République Jules Grévy, le 24 janvier 1882 », dans H.  (...)

7Il n’est pas possible de s’attarder ici sur le « ministère des Arts » d’Antonin Proust, création originale mais éphémère – il ne dura que deux mois4 – du non moins éphémère gouvernement Gambetta. Rappelons seulement que les collections nationales, définitivement sorties du domaine réservé du Souverain depuis la chute du Second Empire, attendaient encore en 1882 que de nouveaux objectifs, modes de gestion et moyens leurs soient assignés, non seulement en matière d’acquisitions, mais aussi de conditions de conservation, de choix de présentation et de services au public. Proust proposait, dans sa réforme, d’élargir la liste des musées nationaux, d’établir « une unité de protection » et « d’assistance mutuelle » entre musées de l’État et musées des départements et des villes, en accroissant dépôts d’œuvres d’art et échanges, en créant un service d’inspection et une caisse commune d’acquisitions ainsi qu’un règlement qui « fixera les heures auxquelles les conservateurs […] devront se tenir à la disposition du public, les jours où les conférences auront lieu dans nos musées, soit par les soins des conservateurs, soit par ceux des personnes qui seront autorisées par l’administration des Arts5. » Dans un tel contexte, où les normes techniques et professionnelles, les contrôles mais aussi les actions pédagogiques sont mis en avant, la formation et la compétence deviennent déterminantes ; d’où la création, en bonne place dans le décret, d’une « école d’administration des musées », le terme « administration » recouvrant, nous l’avons vu, l’ensemble des fonctions d’encadrement autres que celles concernant la surveillance ou l’installation des œuvres. Au total, il s’agit bien pour Proust de réactiver la fonction éducative des musées, fonction essentielle aux yeux des hommes de la Révolution, leurs fondateurs, dont il faut poursuivre « l’œuvre d’enseignement ».

  • 6 Créé en 1881.
  • 7 Révillout dirige la Revue égyptologique, dont il a été en 1880 l’un des fondateurs ; Ledrain créera (...)

8Mais l’ambitieux projet, à peine formulé, sera complétement réorienté. Déposé quelques jours seulement avant la chute du ministère, le projet restait très imprécis quant aux modalités de sa mise en œuvre. Il eut pour seule traduction, nous l’avons dit, la confirmation de la création de l’École le 25 juillet par Jules Ferry. La raison de cette survie tient principalement à l’action d’un petit groupe d’hommes passionnés, actifs à l’intérieur du Louvre, mus par des intentions diverses, parfois encore mal définies ou éloignées de celles de Proust, mais conscients de certaines carences du musée et décidés à faire jouer un rôle nouveau à ses collections. Leur chef de file est Louis de Ronchaud (1816-1887), directeur des musées depuis juillet 1881. C’est un poète, ami de Lamartine, républicain comme lui et aussi archéologue à ses heures, auteur d’un ouvrage sur Phidias. Dans les semaines qui suivent la chute de Proust, il adopte une double stratégie : démontrer sans attendre qu’une école au Louvre est possible et même « naturelle », et réorienter son objet vers celui d’une « école pratique d’archéologie et d’histoire de l’art ». Pour le premier point, il lui suffit de faire savoir à sa hiérarchie et à la presse que des cours de démotique et d’épigraphie sémitique ont déjà lieu dans le Louvre – il a même prêté son appartement pour cela – donnés bénévolement par deux scientifiques du musée depuis deux ans, le conservateur-adjoint du musée égyptien Eugène Révillout (1843-1913) et un attaché du tout nouveau département des antiquités orientales6, Eugène Ledrain (1844-1910). Ces deux hommes vont jouer à ses côtés un rôle déterminant : tous les deux sont fervents de philologie et d’épigraphie et sont passés par l’École pratique des hautes études, tous les deux sont (ou seront) directeurs de la revue scientifique de leur discipline7 ; le premier, personnage un peu fantasque, se voit comme le découvreur du droit égyptien, le second est un fouriériste militant, également journaliste et passionné d’éducation populaire.

9Le 11 avril, Louis de Ronchaud rédige un rapport fondamental dans lequel il définit son projet d’école :

  • 8 L. de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », art. cit., p. 116.

Le titre d’École d’administration dont s’est servi M. le ministre des Arts ne doit pas être pris à la lettre. Ce que M. Proust a voulu créer au Louvre, et ce que nous y devons, ce me semble, organiser, c’est une école pratique d’archéologie et d’histoire de l’art, analogue à cette École des Hautes Études déjà établie pour d’autres sciences et qui rend de si grands services8.

10Voilà donc le modèle précisément annoncé. Quant à la place de l’École parmi les autres établissements déjà existants, elle se veut tout aussi claire :

  • 9 L. de Ronchaud pense ici à celle d’archéologie grecque créée en 1876 par Georges Perrot.
  • 10 Chaire de Philologie et archéologie égyptienne, tenue par Gaston Maspero (1873-1916) ; chaire de Ph (...)
  • 11 L. de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », art. cit., p. 117.

L’archéologie n’est enseignée nulle part d’une manière pratique. En parlant ainsi, je n’oublie pas les chaires de la Sorbonne9 et du Collège de France10 où professent des hommes éminents par la science et par le talent ; mais leur enseignement si abondant, si plein d’érudition, de vues élevées et profondes, pêche cependant par un point essentiel : il n’est pas fait en face des monuments11...

  • 12 Ibid.
  • 13 Ibid.

11Or il faut, selon de Ronchaud, « ces connaissances positives et précises qui sont la base de l’archéologie et qui ne s’acquièrent que par la vue et le maniement des objets12 ». Et de conclure : « où cela pourrait-il avoir lieu mieux qu’au Louvre et au milieu de nos collections si riches, si variées13… ? »

  • 14 Voir entre autres Olivier Rayet, « Les réformes à faire dans l’organisation du Louvre », La Républi (...)
  • 15 Philippe Durey, « La question du catalogue à l’origine de l’École du Louvre », dans Claire Barbillo (...)

12Nous l’avons vu, les conservateurs, pour de Ronchaud, ont vocation naturelle à l’enseignement. Or il y a urgence à faire bouger les choses dans ce domaine. Des polémiques se développent en effet dans la presse au cours de l’été, certains, comme Olivier Rayet (1848-1887), brillant archéologue issu de l’École française d’Athènes, reprochant vertement au Louvre son immobilisme et son retard, au regard de ses concurrents allemands ou britanniques, en matière de pédagogie, de guides, de catalogues, de cartels, d’aménagements de salles14... Un échange d’articles s’en suit dans le Courrier de l’art, où Ledrain annonce et soutient le projet d’école de son directeur ; la controverse porte notamment sur les priorités à accorder à la formation de rédacteurs de catalogues ou de guides15, aux conférenciers ou aux « missionnaires archéologues ». Or au sein du Louvre, tous, loin s’en faut, ne sont pas convaincus de la nécessité de l’École. Philippe de Chennevières (1820-1899), dans ses Souvenirs, en donne un témoignage éloquent :

  • 16 Pierre-Paul Léonce Both de Tauzia (1823-1888), conservateur du Cabinet des dessins de 1874 à 1888.
  • 17 Charles-Philippe de Chennevières-Pointel, Souvenirs d’un directeur des Beaux-Arts [1883-1889], t. V (...)

Ah ! dame, il ne fallait pas demander à Tauzia16 de favoriser au Louvre ce qu’on pourrait y appeler les idées nouvelles. S’est-il assez moqué de l’École du Louvre et de la prétention de ses fondateurs d’y faire enseigner le goût et la pénétration des chefs d’œuvre à des apprentis conservateurs, au moyen de belles phrases redondantes et inutiles, et d’une compétence que pour d’aucuns il préjugeait douteuse, renvoyant d’ailleurs soit à la Bibliothèque nationale, soit au Collège de France, les cours de pure archéologie. Quant à l’idée sans cesse renouvelée des catalogues populaires et de la démocratisation des musées, elle lui répugnait visiblement comme rabaissant son Louvre, et il ne voulut jamais s’y prêter de sa personne17.

13On voit ici non seulement que Tauzia et Chennevières n’ont guère compris, en parlant de « belles phrases inutiles », l’idée première de Louis de Ronchaud qui est justement de revenir aux œuvres, mais aussi que deux conceptions du musée, deux familles de pensée, où la dimension politique n’est pas absente, s’opposent sans toutefois aller jusqu’à s’affronter ouvertement dans la presse.

  • 18 L. de Ronchaud, « Rapport au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le 8 novembre 18 (...)

14Dans ce contexte tendu, c’est bien une école pratique d’archéologie qui verra le jour. Le 8 novembre, de Ronchaud rédige un deuxième rapport18 dans lequel il ne parle plus que d’une « école pratique d’archéologie ». L’histoire de l’art a disparu et la première équipe d’enseignants sera, en décembre, quand l’École ouvre ses portes, purement archéologique. Six cours sont au programme, trois concernent l’égyptologie et sont confiés à Paul Pierret (1836-1916), chef du département et pur épigraphiste, et à Révillout (démotique et droit égyptien) ; deux autres relèvent du département des antiquités orientales et sont assurés par Ledrain (archéologie assyrienne et épigraphie sémitique) ; le dernier (archéologie nationale) est pris en charge par Alexandre Bertrand (1820-1902), conservateur du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, qui inaugure alors le premier cours en France consacré à la préhistoire. Il s’agit, on le voit, d’archéologies non classiques, le département gréco-romain longtemps espéré et même annoncé sur le programme, ayant finalement fait défaut. Face à l’austérité et à la nouveauté d’un tel programme, on comprend que le ministre ait préféré attendre un peu et voir venir, avant de valider le règlement des études proposé par de Ronchaud.

  • 19 L. de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », art. cit., p. 116.
  • 20 H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 132-133.

15Le miracle est que cela marche ! On a pu estimer à 130 le nombre d’inscrits au cours de la première année, chiffre dépassant les prévisions les plus optimistes. Louis de Ronchaud n’avait en tête que des « séminaire[s] de jeunes savants19 », de cinq à dix élèves, sans doute à l’image de ce qui se pratiquait aux Hautes Études. Or il semble y avoir eu jusqu’à 40 personnes pour assister effectivement chaque semaine au cours de préhistoire de Bertrand, le plus fréquenté, et une vingtaine à ceux de Révillout… Ce n’est malgré tout que deux ans plus tard, en novembre 1884, alors qu’on s’achemine vers les premiers diplômes, que paraît enfin un règlement des études20. L’article 1 distingue un « objet général » de l’École – « tirer des collections, pour l’instruction du public, l’enseignement qu’elles renferment » – et un « but spécial », former des élèves capables d’être employés soit comme conservateurs ou bibliothécaires, soit à des missions scientifiques ou à des fouilles pour l’enrichissement des collections nationales. Les visions de Proust et de Louis de Ronchaud sont ainsi réunies, mais c’est la seconde qui va l’emporter au cours des années suivantes. Précisons auparavant qu’aucun titre n’est exigé pour s’inscrire à l’École, dont les cours peuvent être suivis par des auditeurs libres ou par des élèves, que les études s’y déroulent en trois ans, chaque année étant validée par un examen, la rédaction d’une thèse permettant ensuite l’obtention du diplôme. Une sorte de débouché professionnel automatique est prévu pour les auteurs des meilleures thèses, sélectionnées par le Conseil des professeurs, auteurs qui se verront décerner le titre d’attachés non rémunérés ou « d’attachés libres » des musées, fonction qu’ils s’engagent à remplir pendant dix ans, sans assurance à son terme d’un quelconque emploi rémunéré.

  • 21 Georges Paturet, La Condition juridique de la femme dans l’ancienne Égypte, Paris, E. Leroux, 1886.
  • 22 Eugène Ledrain, « Les acquisitions du musée oriental du Louvre dans l’année 1884-1885, leçon d’ouve (...)

16La première thèse est soutenue dès novembre 1885 ; elle traite de « La condition juridique de la femme dans le droit égyptien » devant un jury composé d’un professeur à la Faculté de Droit, d’un professeur de philologie égyptienne aux Hautes Études et d’Eugène Révillout. La thèse est publiée chez Leroux dès l’année suivante21. On est cependant bien loin de l’histoire de l’art et un tel sujet est pour le moins inattendu dans le cadre du Louvre. Le constat ne manquera pas d’en être fait au cours des années suivantes, au fur et à mesure que se succèdent les thèses de démotique ou de copte et que s’enchaînent les programmes purement archéologiques. Certes, dans ce domaine, l’École semble atteindre ses objectifs. Dès la première année, Ledrain compte par exemple parmi ses auditeurs Marcel Dieulafoy (1844-1920), qui se rendra célèbre par ses découvertes sur le site de Suse : les premières caisses d’objets arrivent au Louvre en juin 1885 et dès décembre, Ledrain peut en commenter le contenu à ses élèves22. L’enracinement de l’École dans l’actualité des fouilles et la réalité des découvertes est donc immédiat et sera durable : ainsi, dans l’entre-deux-guerres, cela constituera l’essentiel de l’enseignement de Joseph Hackin (1886-1941) à Guimet ou d’André Parrot (1901-1980) au Louvre. Le premier conservateur du département des antiquités orientales fut Léon Heuzey (1831-1922) ; il enseigne pendant deux ans, de 1883 à 1885, comme Edmond Pottier le rappellera en 1932 :

  • 23 Edmond Pottier, « Léon Heuzey », dans H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 4 (...)

Heuzey était lors en pleine préparation de son grand ouvrage sur les Découvertes en Chaldée, écrit en collaboration avec Ernest de Sarzec. La chaire qui lui fut offerte lui fournissait l’occasion de faire connaitre au public le très ancien chapitre qui s’ouvrait dans l’histoire et qui reculait d’environ vingt siècles nos connaissances sur l’Orient asiatique23.

  • 24 L. Therrien, L’Histoire de l’art en France, op. cit., p. 126.
  • 25 Louis Gonse, « L’École du Louvre », La Chronique des arts et de la curiosité, supplément à la Gazet (...)

17Mais l’histoire de l’art, malgré tout, finira par s’imposer. Car cette archéologie pure et dure crée des frustrations, on s’étonne que l’histoire de l’art soit « proscrite » du Louvre et la polémique enfle dans la presse. Louis de Ronchaud ne l’avait pas exclue de ses premiers projets, pensant notamment à la formation de conférenciers « sachant de quoi ils parlent », mais il y croyait sans doute assez peu, percevant moins bien le caractère scientifique et la dimension pratique d’un tel enseignement et souhaitant, en bon archéologue, donner la priorité à l’archéologie ; il avait surtout souffert du manque de volontaires du côté des départements concernés. En janvier 1886, il doit lâcher du lest ; il recrute pour le département des peintures un conservateur-adjoint, Georges Lafenestre (1837-1919) qu’il charge d’un cours d’histoire de la peinture, qui sera, comme l’a bien souligné Lyne Therrien, le premier du genre dans notre pays24. Mais cela ne suffit pas ; en juillet Louis Gonse regrette encore dans la presse que « les papyrus [aient] envahi l’École » et insiste : « le Louvre est un grand musée d’art, […] l’archéologie pure n’y doit occuper qu’une place secondaire25. » L’année suivante, quelques mois avant sa mort, de Ronchaud, à contre cœur, fait appel à Louis Courajod (1843-1896), adjoint au département des sculptures, lui-même réticent au départ, mais qui a fini par ressentir l’utilité, pour la mise en forme et la diffusion de ses idées, d’un cours d’histoire de la sculpture.

Un enracinement réussi, entre extension des programmes et abandon des finalités professionnelles

  • 26 Salomon Reinach, Apollo. Histoire générale des arts plastiques professée à l’École du Louvre, Paris (...)
  • 27 Ibid., p. ix-x.

18Cette intrusion de l’histoire de l’art entraîne en effet la réussite publique de l’École, qui va cependant devenir une école sans débouchés précis. Comme de Ronchaud l’avait prévu et redouté, les nouveaux cours transformeront sa nature, d’abord parce qu’ils rencontrent immédiatement un succès considérable. C’en est fini des « séminaires de jeunes savants », il y aura désormais des cohortes d’auditeurs, d’autant plus nombreuses que les nouveaux professeurs font preuve d’un talent consommé et que leurs sujets séduisent ou même passionnent. Restées aux alentours de 130 au cours des premières années, les inscriptions passent à 250 dès 1887 pour atteindre 700 à 800 à partir de 1895 puis 900 après 1900. Il y a bien sûr beaucoup moins de présents réguliers que d’inscrits, comme il se doit dans une école entièrement gratuite. Mais 70 personnes assistent chaque semaine au cours de Courajod en mai 1894, lequel enflamme par ses propos sur les origines de la Renaissance ou par ses dénonciations virulentes de l’académisme. Il y en a presqu’autant à celui de Lafenestre qui charme par les Primitifs florentins ou par le xvie siècle vénitien. Le cas le plus marquant est celui de Salomon Reinach (1858-1932). Conservateur de Saint-Germain-en-Laye, il a succédé à Bertrand pour le cours d’archéologie nationale. En 1902-1903, il propose de donner, à titre d’essai bénévole, un cours d’histoire générale de l’art en vingt-cinq leçons, qu’il publiera dès 1904 sous le titre d’Apollo et qui sera jusque dans les années trente, un énorme succès d’édition26. Il raconte dans l’avant-propos ce que fut l’afflux du public : « dès la première leçon, il y eut foule ; quinze jours après il se produisit des bousculades ; on dut ouvrir toutes les portes, multiplier les bancs, rétrécir les tables, entasser le public dans quatre pièces contigües, alors qu’à mon cours d’archéologie celtique il n’en remplit même pas une27. » Mais le sommet est atteint quelques années plus tard, entre 1905 et 1910, quand il donne le cours d’histoire de la peinture. La confusion – il y a des blessés et il faut faire intervenir la police – et l’affluence sont telles qu’il faut transférer le cours dans la galerie Daru, au pied de la Samothrace, en aménageant celle-ci en salle de cours provisoire.

  • 28 « Henry Roujon, directeur général des Beaux-Arts, circulaire adressée aux préfets le 25 juillet 189 (...)
  • 29 Règlement de l’École du Louvre, 8 octobre 1895, article préliminaire, dans H. Verne et al., L’École (...)
  • 30 Cette année-là un cours complémentaire est confié à Henry Lemonnier (1842-1936). La première chaire (...)

19S’il se trouve dans ces foules des élèves, leur nombre est évidemment réduit. Ils ne sont que quelques dizaines en tout, ne dépassant la centaine que vers 1910. Chaque année en moyenne, moins d’une douzaine deviennent « anciens élèves », titre obtenu avec l’examen de troisième année. Et un ou deux seulement sont diplômés en soutenant leur thèse. À cela rien de surprenant pour un diplôme n’assurant dans les faits aucun débouché. Car le système des « attachés libres » imaginé par de Ronchaud s’est assez vite révélé pour ce qu’il était, c’est-à-dire une simple fiction. S’engager à travailler sans rémunération pendant dix ans et sans aucune certitude d’un emploi à l’arrivée ne pouvait naturellement guère susciter de vocations, quel que fût le prestige du poste, d’autant que les équipes scientifiques des musées nationaux restent alors très réduites et offrent peu de places. En 1893, on imagine de se tourner vers les musées de province avec une circulaire envoyée à tous les préfets, vantant les formations de l’École et suggérant aux conseils généraux d’y envoyer des boursiers qui, à leur retour, seraient des personnels scientifiquement compétents dans les musées locaux28. C’est un échec cuisant qui traumatise durablement l’École (un seul département a répondu favorablement). Une conséquence immédiate en est l’abandon, dès 1895, de toute perspective professionnelle précise dans la rédaction de son règlement. Il n’y est plus question que de la formation d’élèves capables d’être employés dans les musées29 sans qu’il en soit dit davantage sur le type de poste. Il en ressort surtout un changement global d’ambition. Car le très net succès simultané obtenu auprès des auditeurs autorise l’École à ne plus se focaliser, comme du temps de Louis de Ronchaud, sur les seuls élèves, d’autant que d’autres enseignements d’histoire de l’art s’ouvrent ailleurs, comme à la Sorbonne, où un premier cours apparait en 189330. L’idée s’affirme alors que l’École ne délivre qu’une formation complémentaire spécialisée, certes très recommandable pour une carrière dans les musées, mais ne se suffisant pas en elle-même. De fait, presque tous les élèves de l’époque ont aussi des parcours dans d’autres établissements.

  • 31 Ils sont réapparus dans l’entre-deux-guerres.

20Mais si l’ambition s’affaiblit pour l’avenir professionnel des élèves – on est alors très loin du rêve d’Antonin Proust – comment se montrer en même temps plus exigeant en matière de scolarité, ou trouver la volonté de corriger certaines carences trop évidentes ? Constatant le déséquilibre persistant des programmes de cours, qui donnent une place très grande à la philologie et à l’épigraphie et encore très insuffisante à l’histoire de l’art, Théophile Homolle (1848-1925), directeur des musées de 1904 à 1911, parvient en 1910 à établir la parité entre cours d’archéologie et cours d’histoire de l’art ; ces derniers sont étendus aux époques moderne et contemporaine, confiées à Pierre de Nolhac (1859-1936), le conservateur de Versailles, et à Léonce Bénédite (1859-1925), le conservateur du musée du Luxembourg. Comme le département des antiquités gréco-romaines accepte enfin lui aussi de faire cours, la quasi-totalité des départements des collections nationales se trouve alors représentée dans l’École. Mais cette extension se fait au prix de la disparition pure et simple des cours d’épigraphie31. Surtout, Homolle connaît deux échecs majeurs : il ne parvient ni à mettre en place un cours d’histoire générale de l’art, pourtant indispensable pour permettre aux élèves de contextualiser leurs connaissances très spécialisées et pour vérifier leur culture générale, ni, second échec, un enseignement spécifique de muséographie, que de plus en plus de voix demandent et s’étonnent de ne pas encore voir figurer dans les programmes.

  • 32 S. Reinach, « Alexandre Bertrand et l’École du Louvre », dans H. Verne et al., L’École du Louvre, 1 (...)
  • 33 Étienne Michon, « Cours d’archéologie grecque et romaine », ibid., p. 57-60.
  • 34 André Pératé, « Le cours de M. de Nolhac à Versailles », ibid., p. 96-100.

21Il faut ici malgré tout relativiser ces échecs : une muséographie « pratique » est enseignée depuis le début dans certains cours de l’École. Alexandre Bertrand fait ainsi régulièrement dans les salles de Saint-Germain des démonstrations d’aménagement de vitrines, de confection de socles, de moulages, d’étiquettes, et même, de fonctionnement des objets archéologiques32. Autre exemple : quand en 1910 un cours d’archéologie gréco-romaine est enfin créé, son titulaire, Étienne Michon (1865-1939), conservateur en chef du département, choisit de le consacrer à l’histoire des collections, sujet de muséographie, pour ne pas marcher sur les brisées de ses collègues universitaires, qui enseignent déjà abondamment la sculpture ou l’architecture gréco-romaine33. La plupart des professeurs divisent l’année en un semestre d’hiver, dont les cours avec projections se déroulent dans la salle de l’École, et un semestre d’été, à partir d’avril, dans les salles du musée, devant les vitrines ouvertes et en manipulant les objets présentés. Les questions de conservation, de catalographie, d’accrochage y sont inévitablement abordées… Mais cela ne convient pas pour les cours où le public est particulièrement nombreux, notamment pour l’histoire de la peinture. Surtout, il n’existe pas de programme officiel de muséographie ni de cours spécifiquement dédié, les choses sont laissées à l’initiative individuelle. Pierre de Nolhac, après son cours pour élèves et auditeurs mélangés qui se tient dans l’une des salles du château de Versailles, prend à part le petit groupe des élèves et leur explique in situ son programme d’ameublement ou de restitution des décors34.

  • 35 Gaston Brière, Henri Focillon, François Benoit, « L’enseignement de l’histoire de l’art en France » (...)

22L’École, en ces années qui précèdent la Première Guerre, semble comme anesthésiée par son succès public. Dans le contexte du vol de la Joconde, qui provoque un énorme scandale en 1911, on prend conscience du retard du grand musée national en matière de gestion et d’aménagement, mais cela ne suffit pourtant pas à faire accélérer la mise en place d’un enseignement de muséographie. Les moyens accordés à l’École restent squelettiques : elle n’a ni locaux adaptés, ni bibliothèque, ni photothèque (les professeurs achètent en grande partie eux-mêmes les plaques de verre dont ils se servent pour leurs cours), quand les documentations des Instituts d’histoire de l’art à Lille ou à Lyon affichent déjà des collections remarquables35. L’inertie est d’autant plus forte que, malgré tout, beaucoup d’anciens élèves parviennent à se professionnaliser, soit en archéologie (Georges Bénédite, Émile Chassinat, Jean Clédat, Georges Legrain, Louis Delaporte, Jean-Vincent Scheil), soit dans les départements d’histoire de l’art (Paul Leprieur, Gaston Brière, Paul Vitry, Jean-Joseph Marquet de Vasselot…) et que le niveau scientifique des travaux est tout à fait honorable (sur la soixantaine de thèses soutenues avant 1914, un gros tiers fait l’objet d’une publication, sous une forme ou sous une autre). Une commission pour des réformes à mettre en place dans les musées et à l’École est finalement réunie, mais on est alors en juillet 1914.

La difficile conquête de l’équilibre, entre enseignement pour le public et formation technique

  • 36 Geneviève Bresc-Bautier, Guillaume Fonkenell, Françoise Mardrus (dir.), « Une modernisation interro (...)

23Il reste à esquisser les grandes lignes d’une troisième étape, celle d’une difficile et longue conquête de l’équilibre entre l’enseignement dû au public et le développement d’une formation technique qui permettrait de renouer avec des visées professionnelles. Jusqu’en août 1914, l’École était restée clairement une école pratique d’archéologie et d’histoire de l’art. C’est au cours des années vingt, au lendemain de la guerre, que « l’école d’administration des musées » fera un retour en force pour deux raisons principales. La première est l’émergence d’un nouveau public, plus divers, plus nombreux et qui réclame des musées mieux aménagés, plus accessibles, où il puisse trouver des explications et des guides compétents. L’École est à même d’en fournir et d’organiser avec eux des « conférences-promenades » dans les salles en 1920. De même, c’est d’elle que sera très vite issue la majorité des intervenants pour un programme de conférences d’histoire générale de l’art gratuit et ouvert à tous, créé par la Direction des musées, les cours financés par la fondation Rachel Boyer, qui connaissent un succès fulgurant en 1921. La seconde raison, qui découle de la première, est le vaste programme de rénovation du Louvre qu’un nouveau directeur, Henri Verne (1880-1949), conçoit à partir de 1926 et parvient à lancer en 193136. La mise en œuvre de ce programme, destiné à servir de modèle pour les autres musées français, puis le fonctionnement des nouveaux équipements appellent une nouvelle génération de conservateurs et de professionnels formés à la muséographie, d’autant que celle-ci est désormais à la mode et qu’elle se trouve débattue dans des instances internationales comme l’Office international des musées, créé en 1926. C’est à partir de 1928 que se mettent en place à l’École les premiers cours officiels, complétés en 1933 par un « certificat d’études muséographiques » que l’on peut obtenir en troisième année.

  • 37 Aujourd’hui au musée d’Orsay. Robert Rey, « La Belle Angèle de Paul Gauguin », Beaux-Arts, 1er avri (...)

24La formation technique des futurs conservateurs est donc revenue sur le devant de la scène. Mais qu’est-il advenu de la pédagogie par l’objet et du rôle des conservateurs dans l’enseignement ? La taille du public qui assiste aux cours est devenue un problème croissant. Si le nombre des auditeurs libres stagne ou diminue dans l’entre-deux-guerres – l’École comme les musées est devenue payante – le nombre des élèves explose. D’une centaine vers 1900, ils sont plus de 1 000 vers 1930 dont plus de la moitié passe les examens. Tous les professeurs, pourtant, ne renoncent pas à enseigner devant les œuvres : en 1927, Robert Rey (1888-1964), pour illustrer son cours d’histoire des arts au xixe siècle consacré aux impressionnistes, se fait prêter des tableaux par Ambroise Vollard et fait installer dans la salle de cours un éclairage spécial, se rapprochant de la lumière du jour. Les musées y gagnent le don par Vollard de La Belle Angèle de Gauguin37, mais l’expérience reste sans lendemain. La solution ne tarde pas à être trouvée : elle passe par la création, à cette même date, des visites dirigées réservées aux élèves par petits groupes, confiées à des assistants ou attachés qui commencent de se multiplier dans les départements. Mais la pratique n’est systématisée qu’après la Libération, pour aboutir de nos jours aux Travaux Dirigés devant les Œuvres, part essentielle de l’enseignement de premier cycle.

25L’autre question est celle de la place que peuvent prendre les conservateurs dans l’enseignement. Très tôt, l’École s’est aperçue, en dépit des espoirs de Louis de Ronchaud, qu’il ne pouvait y avoir d’automatisme entre conservation d’un département – où trop de tâches diverses étaient venues progressivement occuper les emplois du temps – et l’enseignement. Dès 1923, le système très codifié de suppléance réservé aux seuls membres des équipes de conservation avait été très largement assoupli pour permettre des interventions extérieures. Leur nombre restera limité jusque dans les années quatre-vingt, pour augmenter ensuite beaucoup, obligeant alors l’École à réagir, et aller jusqu’à fixer aujourd’hui une proportion obligatoire de professionnels des musées dans ses effectifs.

26Restait le vieux sujet de la formation technique, issue de la muséologie enfin officialisée, et notamment destinée aux futurs conservateurs. La nouvelle orientation prise à la fin des années vingt trouve son aboutissement en 1941, à l’initiative d’un ancien professeur de l’École et historien de l’architecture, devenu secrétaire général des Beaux-Arts sous Vichy, Louis Hautecœur (1884-1973). Dans le cadre d’une réforme des musées, organisant notamment la tutelle de l’État sur les musées de province – on ne peut s’empêcher de penser ici à Antonin Proust – est créée au sein de l’École une « section supérieure », accessible par concours en début de scolarité, dotée d’un programme renforcé, où les élèves doivent obligatoirement étudier la muséologie avant de rédiger une thèse. Les élèves issus de cette section seront conservateurs des musées nationaux ou des musées classés en province. Maintenue à la Libération, la section supérieure a existé jusqu’en 1963, date à laquelle un nouveau statut de conservateur a été créé, et un nouveau concours organisé, ouvert cette fois au niveau de la licence. L’École perd alors la forme de monopole acquise en 1941, tout en restant le principal réservoir de lauréats pour ce concours. Mais une fois encore, elle aura tendance à s’assoupir et à vouloir continuer sa route selon de vieux schémas, se reposant toujours sur l’affluence de ses publics et oubliant une nouvelle fois de renforcer ses exigences en matière de scolarité. Chargée en 1986 de créer en son sein une formation d’application après le concours, elle y trouvera brièvement l’illusion que sa vieille vocation d’« école d’administration des musées » est pérenne. Mais quand en 1990, à la suite encore d’un autre changement de statut pour les conservateurs, la section de formation d’application lui est retirée et transformée en une École du Patrimoine indépendante, le réveil en sera d’autant plus difficile. Il ne s’en produira pas moins par étapes : 1994, mise en place d’un test probatoire pour sélectionner les élèves à l’entrée de l’École ; 1997, transformation en établissement public administratif lui conférant une réelle souplesse de fonctionnement ; 1998, réinstallation dans les nouveaux locaux de l’aile de Flore obtenus dans le cadre du « Grand Louvre » ; 2002, début de la réorganisation des études selon le schéma Licence-Master-Doctorat (LMD).

***

  • 38 Services documentaires de l’École du Louvre, Registre du Conseil, « Procès-verbal du Conseil des ét (...)

27Pour conclure, je ferai appel à Henri Focillon. Une grave crise marqua l’histoire de l’École juste avant la Seconde Guerre. Elle se produisit à la suite d’un rapport de la Cour des comptes consacré à la Réunion des musées nationaux. Celle-ci encaissait certains droits d’inscription de l’École et le rapporteur avait étendu ses observations à cette dernière, critiquant non seulement la légalité de la perception de ces droits, mais aussi le contenu et l’organisation de l’enseignement, jugés trop légers. Il avait préconisé de la faire passer sous le contrôle de l’Université et Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale, avait en partie suivi cette recommandation, en faisant entrer dans son conseil des études des enseignants de la Sorbonne, de l’École des chartes, de l’École pratique des hautes études, de l’École des Beaux-Arts et du Collège de France, ainsi que des membres de l’Institut. La première – et la seule – réunion de ce nouveau conseil eut lieu en mai 1939 : Focillon, qui avait vécu en direct la montée de la rivalité entre l’École et l’Institut d’art depuis la création de ce dernier, y représentait le Collège de France, dont il était désormais membre. Le secrétaire général des Beaux-Arts, Georges Huisman, après avoir expliqué que la suppression pure et simple de l’École avait été envisagée, indiqua son souhait de voir les membres du conseil extérieurs à l’École siéger jusque dans les jurys d’examen : humiliation totale pour les membres de celle-ci, protestations et menace de démission collective. C’est Focillon qui apaisa la situation en expliquant au secrétaire général qu’il était hors de question pour eux de contrôler leurs éminents collègues du Louvre, mais qu’il s’agissait plutôt d’établir des concertations et des collaborations, notamment pour les thèses, ce sur quoi tous tombèrent d’accord, faisant s’incliner Georges Huisman. On chercha, en fin de séance, à définir le rôle et la juste place de l’École. C’est encore Focillon qui trouva la juste formule : « Je ne voudrais pas qu’il fût dit que l’École du Louvre a le privilège de l’enseignement de l’art et de l’archéologie, mais je tiens pour assuré qu’elle enseigne d’après l’objet et que telle est sa principale raison d’être38. »

Notes

1 Louis de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », dans Henri Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 116-119, ici p. 118. Louis de Ronchaud est administrateur du musée du Louvre et directeur de l’École d’administration des musées.
Cette contribution procède de la préparation d’un ouvrage consacré à l’histoire de l’École du Louvre, de 1882 à 1998, à paraître en février 2021. À ce jour, le seul livre sur cette histoire reste celui publié en 1932 sous la direction d’Henri Verne, à l’occasion du cinquantenaire de l’établissement [Henri Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, Paris, Bibliothèque de l’École du Louvre, 1932]. Depuis, divers mémoires d’étudiants, articles ou chapitres d’ouvrages ont traité de certains aspects ou de différentes périodes. On citera notamment, pour les premiers temps de l’École : Lyne Therrien, L’Histoire de l’art en France, genèse d’une discipline universitaire, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, coll. « Format 25 », 1998, p. 171-216 ; Sophie Picot, Les Premières années de l’École du Louvre, 1882-1914, mémoire de maîtrise en histoire contemporaine dirigé par Pascal Ory, université Paris I-Panthéon Sorbonne, octobre 2000.

2 Henri Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 114.

3 Ibid., p. 122.

4 Du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882.

5 Antonin Proust, « Rapport au Président de la République Jules Grévy, le 24 janvier 1882 », dans H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 111-113, ici p. 113. Antonin Proust est ministre des Arts.

6 Créé en 1881.

7 Révillout dirige la Revue égyptologique, dont il a été en 1880 l’un des fondateurs ; Ledrain créera en 1884, aux côtés de Jules Oppert, la Revue d’assyriologie.

8 L. de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », art. cit., p. 116.

9 L. de Ronchaud pense ici à celle d’archéologie grecque créée en 1876 par Georges Perrot.

10 Chaire de Philologie et archéologie égyptienne, tenue par Gaston Maspero (1873-1916) ; chaire de Philologie et archéologie assyrienne tenue par Jules Oppert (1874-1905).

11 L. de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », art. cit., p. 117.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Voir entre autres Olivier Rayet, « Les réformes à faire dans l’organisation du Louvre », La République française, 20 juin 1882 ; « Les antiques au musée de Berlin », Gazette des beaux-arts, 1er septembre 1882, p. 224-250.

15 Philippe Durey, « La question du catalogue à l’origine de l’École du Louvre », dans Claire Barbillon et Cécilia Hurley (dir.), Le Catalogue dans tous ses états (actes du colloque, Paris, École du Louvre, 12-14 décembre 2012), Paris, École du Louvre, coll. « Rencontres de l’École du Louvre », 2015, p. 223-232.

16 Pierre-Paul Léonce Both de Tauzia (1823-1888), conservateur du Cabinet des dessins de 1874 à 1888.

17 Charles-Philippe de Chennevières-Pointel, Souvenirs d’un directeur des Beaux-Arts [1883-1889], t. V, Paris, Arthena, 1979, p. 63.

18 L. de Ronchaud, « Rapport au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le 8 novembre 1882 », art. cit., p. 123-126.

19 L. de Ronchaud, « Rapport au directeur général des Beaux-Arts, 11 avril 1882 », art. cit., p. 116.

20 H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 132-133.

21 Georges Paturet, La Condition juridique de la femme dans l’ancienne Égypte, Paris, E. Leroux, 1886.

22 Eugène Ledrain, « Les acquisitions du musée oriental du Louvre dans l’année 1884-1885, leçon d’ouverture des cours d’épigraphie assyrienne et d’épigraphie phénicienne et araméenne à l’École du Louvre », L’Artiste, décembre 1885, p. 401-402.

23 Edmond Pottier, « Léon Heuzey », dans H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 42.

24 L. Therrien, L’Histoire de l’art en France, op. cit., p. 126.

25 Louis Gonse, « L’École du Louvre », La Chronique des arts et de la curiosité, supplément à la Gazette des beaux-arts, 3 juillet 1886, p. 197-198.

26 Salomon Reinach, Apollo. Histoire générale des arts plastiques professée à l’École du Louvre, Paris, Librairie Hachette, 1904. Le 96e mille est atteint en décembre 1930. L’ouvrage est dédicacé par Reinach « à [ses] auditrices de l’École du Louvre ».

27 Ibid., p. ix-x.

28 « Henry Roujon, directeur général des Beaux-Arts, circulaire adressée aux préfets le 25 juillet 1893 », dans H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 134-135.

29 Règlement de l’École du Louvre, 8 octobre 1895, article préliminaire, dans H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 144-145.

30 Cette année-là un cours complémentaire est confié à Henry Lemonnier (1842-1936). La première chaire autonome est fondée en 1899.

31 Ils sont réapparus dans l’entre-deux-guerres.

32 S. Reinach, « Alexandre Bertrand et l’École du Louvre », dans H. Verne et al., L’École du Louvre, 1882-1932, op. cit., p. 40.

33 Étienne Michon, « Cours d’archéologie grecque et romaine », ibid., p. 57-60.

34 André Pératé, « Le cours de M. de Nolhac à Versailles », ibid., p. 96-100.

35 Gaston Brière, Henri Focillon, François Benoit, « L’enseignement de l’histoire de l’art en France », Revue de synthèse historique, février 1914, p. 51-62.

36 Geneviève Bresc-Bautier, Guillaume Fonkenell, Françoise Mardrus (dir.), « Une modernisation interrompue par la guerre », dans Histoire du Louvre, t. II, « De la Restauration à nos jours », Paris, Louvre/Éditions, Fayard, 2016, p. 386-421.

37 Aujourd’hui au musée d’Orsay. Robert Rey, « La Belle Angèle de Paul Gauguin », Beaux-Arts, 1er avril 1927, p. 105-106.

38 Services documentaires de l’École du Louvre, Registre du Conseil, « Procès-verbal du Conseil des études du 11 mai 1939 ».

Auteur

École du Louvre

Né en 1953, Philippe Durey est diplômé de l’Institut des sciences politiques de Paris et ancien élève de l’École du Louvre. Reçu au concours de conservateur des Musées nationaux en 1977, il est conservateur général honoraire du patrimoine. Il a été successivement conservateur à l’Inspection générale des musées classés et contrôlés (1979-1986), directeur du musée des Beaux-arts de Lyon (1986-2000), dont il a conduit de 1990 à 1998 la complète rénovation, administrateur général de la Réunion des musées nationaux (2000-2002) et enfin directeur de l’École du Louvre (2002-2017). Spécialiste de la sculpture française du xixe siècle (exposition en 1986 au Grand Palais), commissaire ou organisateur d’une vingtaine d’expositions au musée des Beaux-Arts de Lyon (Triomphe et Mort du Héros, Vuillard, Denis, Meissonnier, Donation Jacqueline Delubac…), enseignant à l’École du Louvre (cours sur la sculpture néo-classique européenne, 2006-2008), il a publié divers articles consacrés à ce courant. Il a été président du Comité Français d’histoire de l’art (2002-2009) et membre du Conseil artistique des musées nationaux (2010-2016).

© Collège de France, 2020

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