Données recueillies au cours des premières phases de terrain

1L’analyse raisonnée de la littérature internationale sur l’évaluation et les impacts des bibliothèques a montré qu’il existait déjà une masse importante de données, en particulier à l’étranger. C’est le cas notamment dans le champ de l’économétrie et des calculs de « retour sur investissement » qui ont beaucoup occupé les économistes et une partie des bibliothécaires français ces dernières années, en particulier au sein des associations professionnelles (voir Jany-Catrice, 2021).

Graphique 2 - Exemple de page de requête du SLL

2L’expérimentation conduite à la bibliothèque de Sotteville-lès-Rouen a permis de montrer des ratios d’activité élevés, que ce soit en termes de nombre d’inscrits, d’emprunts, de visites (rapportés aux ETP = personnel en équivalent temps plein) et globalement plus élevés que sur les autres sites étudiés.

3Les bibliothèques des sites A et B sont deux bibliothèques qui ont été étudiées dans le cadre plus large de cette recherche : dans une grande métropole du sud-ouest (A), dans une commune de près de 100 000 habitants limitrophe de Paris (B).

4Ces ratios, en particulier le nombre d’emprunts total par ETP de personnel, ne rendent pas bien compte de l’activité réalisée, de ce qui est fourni et des effets entraînés par la bibliothèque sur le territoire et les populations, non usagers compris. Nous avons tenté de dépasser cette limite par la concertation présentée plus haut pour élaborer une grille d’évaluation concertée qui a donc toute sa pertinence au niveau local.

La dimension culturelle plébiscitée…

5On l’a dit, un vote a permis d’attribuer des poids aux quatre dimensions relatives à l’importance à attribuer aux impacts de la bibliothèque, ces dimensions elles-mêmes étant le fruit de la première étape de discussion collective. Deux choses sont notables : d’une part, l’intérêt des participants pour s’exprimer par ce vote, complémentaire aux débats antérieurs. D’autre part, une convergence élevée des votes : c’est la dimension culturelle qui arrive le plus souvent en tête des choix, et c’est la dimension économique qui arrive systématiquement en bas des classements.

Les dix indicateurs phares des valeurs de la bibliothèque Sotteville-lès-Rouen

6Le tableau suivant présente les dix indicateurs phares tels qu’ils ont été sélectionnés par le panel de concertation, à l’issue d’une double expression : une expression dialogique dans le cadre du World Café (voir Encadré plus haut) ; un vote à l’issue de ces débats et d’une restitution plénière au cours de laquelle chaque participant pouvait sélectionner de 1 (économique), à 2 (éducatif), jusqu’à 3 (social et culturel) indicateurs.

7Ces indicateurs phares ont des airs de famille avec les données que récolte par ailleurs le SLL à l’instar par exemple du « nombre d’enfants concernés par les actions scolaires », du « nombre de conseils culturels ». Des points plus originaux font néanmoins leur entrée, notamment le fait que certains publics de la bibliothèque sont spécifiquement ciblés, comme autant de marques de la politique locale : enfants, séjourneurs, personnes en situation de handicap. A leur propos, soit il s’agit de dénombrer les publics cibles touchés par l’activité (enfants pour les actions scolaires, volume de fonds accessibles pour les personnes en situation de handicap). Soit il s’agit d’en qualifier la diversité (diversité sociale des usagers accueillis en bibliothèque, nombre de partenaires de la bibliothèque dans le champ social). Un indicateur phare est transversal aux quatre dimensions : il s’agit de la part des usagers de la bibliothèque qui recommanderaient la bibliothèque. Cet indicateur se veut une valeur résumée de la bibliothèque, tout à la fois une expression de sa réputation, de sa qualité et de son rayonnement.

Un modèle pour d’autres expériences ?

8Il nous semble que c’est moins le résultat final qui pourrait inspirer une partie de professionnelles et professionnels d’autres bibliothèques que la méthode de concertation qui a été mise en oeuvre. En effet, nous n’avons eu de cesse d’être surpris par l’intérêt des parties prenantes pour la démarche, relativement inédite dans l’articulation entre un processus (concertation) et une certaine originalité dans son résultat (tableau d’indicateurs phares sur les valeurs de la bibliothèque).

9Il va de soi qu’un tel modèle pour d’autres expériences doit s’appuyer impérativement sur les deux volets finement imbriqués :

• une monographie qualitative sur la bibliothèque (son histoire, ses acteurs, la description du travail qui y est réalisé, ses missions, etc.) où les chercheurs-observateurs prennent le temps de l’observation et de l’écoute, qui permet de défricher le terrain, dans un propos structuré et incarné.

• Une concertation dont un déroulé et la composition du focus group (groupe de discussion animé en World Café) ont été présentés dans ce document. Une telle mobilisation d’acteurs locaux autour de ce bien commun de territoire n’est pas banale. Elle peut aussi avoir d’autres effets à plus long terme en particulier en permettant à la population de mieux saisir les enjeux économiques et budgétaires des bibliothèques, la réalité du travail qui y est réalisé et ses effets.

10Par ailleurs, l’expérimentation a permis d’élaborer un propos structuré, légitime parce que collectif autour des valeurs de la bibliothèque municipale. N’est ce pas un évènement rare ? Enfin si ce type d’expériences venait à être multiplié sur une grande diversité de bibliothèques, (par exemple avec l’aide du service Etudes et Recherche de la Bpi), alors cet ensemble pourrait peut-être venir à terme consolider et enrichir le questionnaire quantitatif annuel du Service du Livre et de la Lecture du ministère de la Culture ?