Conclusion
p. 187-188
Texte intégral
1Nous avons hésité avant de conserver le titre de ce livre. Penser la médiathèque en situation de crise : n’y allait-il pas y avoir confusion avec la situation sanitaire que nous traversions alors ? Quelques mois après la réouverture sereine de la médiathèque, nous avons collectivement partagé la crise sanitaire liée au Covid, et par la suite, l’expérience de nouvelles crises, sanitaires, sociales, économiques, politiques et démocratiques… Finalement, nous avons fait le choix de garder notre titre. C’est bien d’une crise que nous voulions parler. Une crise particulière peut-être, mais une crise qui fait écho aux autres crises aussi.
2En situation de crise, nombreux sont les repères qui se dérobent, les failles qui s’ouvrent en fractures. Il est facile d’être pris par une forme de sidération. L’intervention-recherche nous a offert un point d’appui solide en ce qu’elle nous a obligés à continuer à penser pendant la crise, à penser la crise elle-même, à penser collectivement la complexité de la situation. À rebours de la pensée binaire ou de la pensée unique qui peuvent faire office de solution de repli face aux situations de crise. C’est ce qui d’ailleurs a fait naître le projet de ce livre : il n’était pas question pour nous de proposer une « méthode », une voie unique de résolution des situations difficiles d’accueil du public, ou un simple partage d’expérience, mais plutôt d’inviter le lecteur à parcourir à nos côtés le chemin effectué au fil de l’intervention-recherche, à penser avec nous, à partager nos interrogations, nos doutes et à explorer les pistes de réflexion nées de ce travail collectif.
3Quelqu’un nous demandait, lors d’une journée professionnelle, de quoi concrètement avait été faite cette intervention-recherche, suite à l’interruption des dispositifs d’observation et d’entretiens envisagés initialement. Il s’est agi, en grande partie, de rencontres, d’observations in situ, de liens tissés et de conversations, prolongées de lectures. Ces conversations pourraient être considérées comme secondaires. C’est pourtant loin d’être le cas : la démarche analytique et nos regards croisés ont constitué la matière centrale et sensible du processus de transformation de la crise vers sa résolution.
4Nous voudrions insister ici sur le fait que le langage, souvent, a fait écran pour penser les situations dans lesquelles nous étions engagés. En cela, la recherche a été une entreprise systématique d’interrogation et de déconstruction de nombreuses notions qui nous semblaient aller de soi. Les incivilités, la violence, l’inconditionnalité de l’accueil, la bibliothèque troisième lieu, le bibliothécaire couteau-suisse, la mixité sociale, la proximité, la pédagogie, les partenariats, le rôle social de la médiathèque… De quel sens, quelles valeurs, quelles représentations investissions-nous ces mots et à quelle distance de la réalité à laquelle nous étions confrontés se trouvaient-ils ? Peu à peu, ce qui nous avait semblé univoque ou évident le devenait un peu moins, et nous avons essayé de retisser un sens qui tienne davantage compte des situations que nous rencontrions et un peu moins de nos présupposés.
5C’est en travaillant dans un temps long, en pensant collectivement, en confrontant nos représentations, en écoutant nos désaccords, en acceptant l’altération et le déplacement que cela produisait en nous que nous avons pu contourner l’écueil de la simple gestion de l’urgence. C’est en agissant solidairement, en travaillant à la fois au recentrement de la médiathèque sur ses fonctions et sur le réancrage de son lieu au sein de son territoire que nous avons pu traverser la crise que nous rencontrions et transformer des situations de violence en la prise en compte de la bibliothèque comme bien commun au sein de la ville.
6Nous voilà arrivés de l’autre côté. Les traversées de la crise, de la recherche-intervention et de l’écriture de cet ouvrage touchent à leur fin. Il resterait des pages à écrire, des recherches-interventions à conduire, des débats à engager. Il y aura, à n’en pas douter, d’autres crises. Nous espérons que ce livre pourra contribuer à trouver des points d’appui pour les traverser. Mais avant de le refermer, nous voudrions souligner une dernière chose : la crise que nous avons traversée ne nous a pas désenchantés, au contraire, elle nous a ouvert des mondes possibles.
Auteurs
Retraitée – Association des bibliothécaires de France (ABF)
Chercheuse psychosociologue, directrice de recherche émérite du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB, Marne-la-Vallée)
Sociologue, responsable du service Études et recherche, Bibliothèque publique d’information (Bpi, Paris)
Chargée de mission « Évolution des métiers des bibliothèques et inclusion numérique », Département de la lecture publique, Bureau des bibliothèques, Service du livre et de la lecture, ministère de la Culture
Directrice de la médiathèque de Gentilly
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