1. À Saint-Aubin-du-Pavail, le numérique entre ville et campagne
Texte intégral
1Responsable de la médiathèque Philéas-Fogg, Gildas Carrillo est engagé, depuis de nombreuses années, dans le domaine de la formation au numérique. Il dresse ici un panorama des transformations de la médiation et de l’évolution des besoins des usagers.
Agnès Vigué-Camus : Quelles formations aux nouvelles technologies sont proposées dans votre bibliothèque à Saint-Aubin, et l’ont été dans le passé ? J’ai l’impression que ça a beaucoup fluctué.
Gildas Carrillo : Oui, c’est vrai que les choses ont beaucoup évolué. Je suis arrivé à Saint-Aubin en 2006. C’était un poste à mi-temps dans l’ancienne bibliothèque. Lorsque j’ai pris mes fonctions, il y avait déjà quatre postes informatiques et mes missions n’étaient pas du tout les mêmes qu’aujourd’hui puisque la bibliothèque était minuscule avec des collections plus que modestes. L’espace dédié aux nouvelles technologies prenait presque autant de place que les rayonnages. Le premier poste de salarié est créé en 2005, lorsque j’arrive en 2006 je prends la succession d’une jeune femme qui, quelques mois auparavant, avait commencé l’informatisation du fonds. Le parc informatique était labellisé « Cybercommune1 », label créé en 1998 en Bretagne. Il permettait aux communes d’obtenir une aide financière pour acquérir du matériel et créer des postes d’animateurs multimédias. J’ai rapidement proposé des initiations à l’informatique, mais aussi des ateliers autour de la retouche photo et plus largement autour de la création graphique. Aujourd’hui nous proposons toujours des initiations mais les outils et les demandes ont particulièrement évolué.
A. V.-C. : Avant, dans la petite bibliothèque ne travaillaient que des bénévoles ?
G. C. : En fait, la bibliothèque de Saint-Aubin-du-Pavail existait depuis une trentaine d’années. Elle était gérée uniquement par des bénévoles. Grâce aux aides de la région, la création d’un poste a vu le jour sous la forme d’un « emploi jeune ». La fiche de poste, elle, était déjà très éclectique (ça n’a pas beaucoup changé…). Il s’agissait de donner des formations et des initiations au numérique, d’aider les associations communales à se former, d’assurer les fonctions de bibliothécaire mais aussi de réaliser le bulletin municipal mensuel d’une douzaine de pages en moyenne ! (Ça aussi ça n’a pas changé !) Sans compter la maintenance de base des machines de la bibliothèque mais aussi, parfois de la mairie. J’appelle ce genre d’emploi « les postes couteaux suisses ». Dans les communes de moins de mille habitants, il vaut mieux savoir être polyvalent, voire polymorphe !
A. V.-C. : Quels autres postes aviez-vous occupé auparavant ?
G. C. : Durant quelques années, j’ai été animateur multimédia. Je n’avais pas de formation spécifique, je suis autodidacte. La genèse de tout ça réside peut-être dans mon expérience d’objecteur de conscience, dans une école élémentaire et primaire de Rennes, qui fonctionnait entièrement sur la pédagogie Freinet. C’est une pédagogie ouverte, basée sur l’expression libre, l’échange de savoirs, le partage des connaissances… ils avaient déjà des ordinateurs dans l’école. J’ai donc commencé ma pratique, sur le fil, comme ça, j’ai appris à former les élèves directement sur le terrain. C’était le tout début de la démocratisation d’Internet, vers 1998 je crois. Parallèlement à cette pratique et en dehors des temps scolaires, je travaillais dans l’un des premiers Espaces Publics Multimédias créé à Rennes, situé dans la ZUP2 sud de la ville.
A. V.-C. : Et vous pensiez que le multimédia était un support important ?
G. C. : Bien sûr ! On sentait qu’il y avait une émulation autour d’Internet car c’étaient vraiment les débuts. Je me rappelle que l’espace multimédia où je travaillais hors temps scolaire attirait beaucoup de jeunes (enfants et ados). Ce quartier était par ailleurs assez pauvre avec peu d’occupations. Alors quand Internet a commencé à se démocratiser, on a rapidement constaté l’engouement qu’il y avait pour ce nouveau média. C’était le début des tchats sur Voila, les mails avec Caramail et les premiers téléchargements illégaux de musique avec la plateforme Napster. Je me souviens que les jeunes du quartier étaient particulièrement fans des tchats, c’étaient les premières rencontres virtuelles et les débuts de la « drague » sur Internet… Tout ça devait être entre 1998 et 2000. Ensuite, j’ai rapidement trouvé un emploi (à plein temps cette fois) dans une commune périurbaine de Rennes où je partageais mon poste entre la gestion d’un espace multimédia et des tâches de communication pour la mairie. C’était toujours dans le cadre d’un statut « emploi jeune ». Il y avait cinq ordinateurs et un serveur dans cet espace à l’époque. C’est là que j’ai véritablement commencé à faire des initiations et des ateliers autour du multimédia. Je suis resté un an dans cette commune.
Ensuite j’ai continué sur le même type de poste, dans une maison de quartier à Rennes où là je devenais de plus en plus professionnel grâce à l’expérience acquise auparavant. On était deux animateurs multimédias… On se partageait les formations de bureautique. J’animais les initiations basiques : l’apprentissage du matériel, qu’est-ce qu’une unité centrale, un écran, une souris… on s’adressait à des gens qui n’avaient quasiment jamais touché un clavier. Et à l’époque, il y avait encore beaucoup de gens novices en la matière. Les initiations se faisaient sur plusieurs séances avec une progression constante jusqu’à un niveau de perfectionnement. Il faut se remettre dans le contexte où le matériel n’était pas encore aussi fréquent dans les foyers. On avait aussi fonction à proposer du matériel jusqu’alors onéreux et parfois compliqué à installer. C’était pareil pour les logiciels et pour Internet. Il y avait encore pas mal de gens qui n’avaient pas de connexion. Et ceux qui possédaient les licences des logiciels chez eux étaient encore moins nombreux, comme par exemple le Pack Office ou le Pack Adobe. Les logiciels libres étaient encore très peu développés. Pour Internet, il y avait une grosse demande de formation de base ; comment utiliser un navigateur, comment créer un e-mail. Je suis graphiste de formation, donc, pour les usagers plus aguerris, je donnais des formations sur la retouche d’image, notamment sur Photoshop. Il y avait aussi beaucoup de demandes de formation sur l’appareil photo numérique qui était en « plein boom » commercial à cette époque.
Suite à ces diverses expériences professionnelles, j’ai décidé de me mettre à mon compte. Je rêvais depuis longtemps de vivre de ma pratique d’artiste plasticien et de graphiste. Pour compléter mes revenus, je donnais aussi des formations de nouvelles technologies, pour des structures publiques essentiellement. J’intervenais notamment pour le CRIJ Bretagne, qui est le Centre régional d’information jeunesse et aussi l’antenne principale des PIJ (points informations jeunesse). J’étais chargé de former leurs salariés à des techniques simples de communication visuelle (mise en pages d’affiches, flyers…) mais aussi de leur apprendre des techniques d’animation en utilisant l’appareil numérique. Voilà, c’est dans ce contexte que j’arrive à la bibliothèque de Saint-Aubin-du-Pavail courant 2006.
A. V.-C. : Vous proposez donc des ateliers multimédias ?
G. C. : Oui, et la demande était bien présente.
A. V.-C. : Qui faisaient les demandes ?
G. C. : Les usagers de la médiathèque, les associations et même certains élus…
A. V.-C. : Les usagers avaient l’idée de venir à la bibliothèque alors qu’il n’y avait pas grand-chose ?
G. C. : Il y avait tout de même plus de 800 ouvrages et 4 ordinateurs ! Pour un village de 700 habitants à l’époque, c’est pas mal ! Et puis la bibliothèque avait une certaine fréquentation même si cela n’a rien à voir avec aujourd’hui (près de 50 % de la population fréquentent la médiathèque). Le fait de proposer des outils de nouvelles technologies a accru la fréquentation surtout pour les plus jeunes et notamment les ados. Les foyers étaient encore peu équipés et ce n’était pas encore l’époque des smartphones. Ils venaient donc à la bibliothèque pour « surfer sur le Net » et jouer aux jeux vidéo installés sur les PC. L’attrait pour le numérique ainsi que le niveau d’apprentissage et de connaissances des gens ont considérablement évolué depuis 2006. À cette époque, on avait encore beaucoup de demandes de la tranche d’âge intermédiaire, 30-50 ans, donc une population majoritairement active. Des demandes d’initiation mais aussi de perfectionnement, notamment par rapport à leurs pratiques dans leurs parcours professionnels. Beaucoup voulaient éviter d’être « dépassés » technologiquement et donc professionnellement. Par exemple, ils demandaient à mieux maîtriser l’environnement et l’arborescence Windows : comment enregistrer des fichiers, créer des dossiers, organiser leurs documents… J’ai créé des sessions sur plusieurs séances composées de groupes de 4 à 8 personnes, parfois en binôme, souvent en solo. J’organisais aussi des ateliers autour de la création pour les jeunes. C’étaient les débuts de la réalité augmentée. On faisait des ateliers avec des livres en réalité augmentée couplés à une webcam. J’utilisais aussi beaucoup l’appareil numérique pour réaliser des minicourts-métrages avec la technique du Stop Motion. On faisait de la caricature, à partir de portraits numériques, grâce aux outils de Photoshop Elements (la version allégée de Photoshop). Les jeunes les imprimaient et repartaient avec. Je ne me rappelle plus de tout, mais on a fait beaucoup de choses dans cet esprit ; on liait création et outils numériques.
A. V.-C. : Donc, il y avait différents groupes : les actifs qui avaient besoin de connaître l’environnement Windows, les jeunes, plus demandeurs de quelque chose de créatif, et aussi les retraités ?
G. C. : Il y avait les retraités qui eux cherchaient à acquérir des bases. Pour les actifs, la demande était plus large. Car lorsqu’on parle d’environnement Windows et de bureautique, ça englobe déjà beaucoup de choses. La difficulté, c’est qu’on nous demandait de parler d’initiations et non de formations en raison d’un problème de concurrence avec les boîtes privées de formation. C’était délicat à gérer, notamment sur de la retouche d’image ou sur des logiciels spécifiques de bureautique (Word, Excel…). On appelait ça des initiations mais c’était quand même très proche des formations professionnelles.
A. V.-C. : Comment définir la limite ?
G. C. : En fait, on parlait plutôt d’ateliers découvertes ou d’initiations que de formations. Une formation est très souvent sanctionnée par un diplôme ou tout autre document gratifiant ; ce n’était évidemment pas notre rôle ni notre fonction de former « professionnellement » les usagers. Et puis le problème, c’est la concurrence déloyale par rapport à des tarifications qui ne sont pas du tout les mêmes dans le secteur privé. Dans les structures publiques, type espaces multimédias, maisons de quartier ou médiathèques, les tarifs sont très accessibles. Aujourd’hui encore, on demande une somme symbolique pour les ateliers informatiques adultes de plus de cinq séances. Ceci lié à une raison précise : on a remarqué, en tout cas sur notre territoire, que la gratuité dévalorisait certains de nos ateliers. La gratuité pour un tel service, qui plus est en semi-ruralité, ne paraissait pas être un gage de qualité pour beaucoup de nos usagers. À ceci, il faut rajouter une forte proportion au phénomène suivant : « je m’inscris mais comme c’est gratuit, je viens quand je veux ! Voire je ne viens pas du tout ! J’étais assez ennuyé avec ça ». Donc on a décidé de mettre des tarifs symboliques. Une séance d’une heure trente coûte 2 euros. On a vite fait le constat que lorsqu’une personne paie, elle s’engage et ne rate quasiment aucune séance. C’est propre à une société de plus en plus consumériste. Ça me gêne d’avoir dû adopter ce comportement car je milite vraiment pour la gratuité, surtout au sein d’une médiathèque municipale qui est le seul service public culturel de la commune. D’ailleurs, la majorité des ateliers au sein de la médiathèque restent gratuits.
Et puis les usagers peuvent aussi utiliser les machines en usage libre. Nous avons un logiciel spécifique qui permet de laisser le parc informatique en autogestion. Il suffit juste à l’usager de rentrer l’identifiant de sa carte d’adhérent et son mot de passe pour avoir accès à une machine pour une heure minimum. Il peut aussi imprimer des documents s’il le souhaite.
A. V.-C. : Il me semble que vous avez réduit la gamme des possibilités concernant les ateliers numériques ?
G. C. : Oui, tout à fait. On a réduit le nombre de propositions et la fréquence des ateliers essentiellement à cause d’un manque de formateurs et d’animateurs multimédias. Et puis la demande a considérablement évolué, notamment par rapport aux 30-50 ans. Il y a sept ou huit ans, cette catégorie demandait encore beaucoup d’initiations au système Windows ou sur les logiciels de bureautique. Désormais c’est devenu très sporadique. Je pense qu’entre les formations professionnelles, l’équipement des familles en nouvelles technologies et le fait que le numérique occupe désormais une place incontournable, les gens sont beaucoup plus formés à l’informatique qu’ils ne l’étaient auparavant. Je pense aussi que la démocratisation des smartphones et autres tablettes a changé la donne.
A. V.-C. : Que faites-vous comme rapport entre ces deux phénomènes ?
G. C. : Je pense que toutes ces nouvelles technologies ont poussé le public à devenir plus autodidacte et donc à « s’autoformer ». Et puis tout a été mis en œuvre par les fabricants du côté technique. C’est-à-dire une approche très simple et intuitive des outils : la navigation tactile, les multiples applications et leur facilité d’installation, etc. Tout cela a accéléré les connaissances de l’outil informatique en général. Prenez des applications comme Waze pour le GPS, la fonction photo intégrée dans les téléphones, les réseaux sociaux… Du coup, j’ai vu certains usagers ayant suivi les initiations à l’époque devenir de vrais « geeks » aujourd’hui !
A. V.-C. : Une culture informatique se serait installée entre 2006 et 2011 ?
G. C. : Oui, même jusqu’en 2012. C’est subjectif bien sûr. Mais n’oublions pas que cette meilleure approche des nouvelles technologies de la part du grand public reste tout de même ambivalente. Ils connaissent plus d’outils mais seulement « en surface ». Il suffit de constater le manque de connaissances dans la gestion des paramètres de confidentialité des réseaux sociaux par exemple. Ou bien, les nombreux virus et programmes malveillants téléchargés lors de manipulations approximatives. En tout cas, force est de constater que le grand public intègre ces nouveaux outils relativement rapidement. Mais il y a eu de nouvelles demandes de formation sur les réseaux sociaux…
A. V.-C. : Est-ce que cela a eu un effet sur la restriction de votre offre de formation ?
G. C. : Oui, bien sûr mais il y a surtout un autre effet : le facteur temps et humain. En effet, en 2008, la commune projette de construire une nouvelle médiathèque. J’ai eu alors beaucoup, beaucoup de travail pour élaborer la structure telle qu’on la connaît aujourd’hui. Jusque-là, j’animais les ateliers informatiques, aidé parfois par des stagiaires. Et puis nous avons inauguré et ouvert la nouvelle médiathèque Philéas-Fogg fin 2011. La préparation et l’animation des séances multimédias étant tellement chronophages que j’ai abandonné au cours du premier semestre 2012 pour me concentrer sur mes fonctions de responsable de structure. Je me suis donc retrouvé face à des demandes d’usagers auxquelles je ne pouvais répondre. Des demandes sur les réseaux sociaux, la photo numérique, la protection de son ordinateur, les tablettes, etc. Les demandes d’éclaircissement et d’approfondissement sur les tablettes mais aussi sur les réseaux sociaux datent de 2014 je dirais… Pour Facebook par exemple, les usagers aimeraient des ateliers pour acquérir des techniques pour mieux gérer les fameux paramètres de confidentialité… Malheureusement, on ne peut y répondre car nous n’avons personne pour le faire. Il y a désormais un bénévole dans notre équipe qui s’occupe de l’informatique (entretien des machines) et qui anime les ateliers d’initiation et de perfectionnement en informatique de base. Mais il ne souhaite pas intégrer les réseaux sociaux et les tablettes dans ces ateliers tout simplement parce qu’il connaît peu ces outils. Pour revenir aux ateliers de base, on propose donc de l’initiation dans un premier temps puis du perfectionnement. On a deux modules : un module de 10 séances et un module de 6, 7 séances de perfectionnement. Donc, en général, les gens qui ont suivi l’initiation s’inscrivent ensuite au perfectionnement.
A. V.-C. : Est-ce qu’à votre avis, cette culture numérique, dont vous avez senti qu’elle se mettait en place après 2005, concerne tout le monde ?
G. C. : Non, il y a encore besoin d’initiations de base : Qu’est-ce qu’un ordinateur ? Comment enregistrer des données, les classer, se servir du Web, les bases pour protéger sa machine… ?, etc. Contrairement à ce que j’ai entendu dire certaines fois : « maintenant, c’est plus la peine de faire des initiations, les gens connaissent suffisamment les bases de l’informatique ». C’est faux ! Il y a toute une catégorie de la population qui souhaite et a besoin d’être accompagnée et initiée. Du coup, cette population se sent de plus en plus exclue. Et puis, il y a aussi le fait que désormais beaucoup de démarches administratives se font uniquement en ligne ; cela est discriminatoire pour les personnes novices en informatique. Il y a aussi le phénomène classique, les enfants ou petits-enfants qui offrent une tablette ou un ordinateur aux grands-parents. Ils souhaitent communiquer avec leurs enfants et petits-enfants qui sont loin. Mais là, problème ; ils n’y connaissent rien, on ne les a jamais formés. Et puis ces personnes ont envie d’apprendre tranquillement, à leur rythme. C’est pour cela que l’on propose de travailler sur plusieurs séances étalées dans le temps. Du coup on a des gens qui viennent de bien au-delà de Saint-Aubin-du-Pavail, plus de la moitié des inscrits sont hors commune.
A. V.-C. : Ah oui ? Ils se passent le mot ?
G. C. : Il y a le bouche à oreille, c’est certain. On le constate lors des inscriptions (« je suis venue avec une amie, une voisine… »). Et puis ils découvrent nos ateliers dans la presse et les bulletins municipaux.
A. V.-C. : Pour revenir aux usagers qui sont demandeurs de formation sur les réseaux sociaux car, en effet, toute une partie de la vie professionnelle passe par là aujourd’hui, vous me disiez qu’il n’y avait pas de possibilités de répondre ?
G. C. : Malheureusement non. Dès que c’est possible, on les guide vers des collègues qui peuvent répondre à leurs attentes. On a un réseau de 8 communes, sur lesquelles il y a 7 médiathèques et un point lecture. Dans ce réseau de médiathèques, il y a des animateurs multimédias dédiés entre autres aux missions d’initiation et à la découverte des nouvelles technologies. Mais visiblement ça ne suffit pas car les demandes continuent régulièrement. Peut-être cela dépend-il des horaires des autres structures, l’éloignement géographique, le nombre de places, etc. De toute manière, il a toujours manqué un demi-poste supplémentaire en complément du mien. Si ce poste existait, il serait dédié pour une petite partie à la bibliothèque et pour beaucoup au numérique. Il y a encore tellement à faire. J’ai aussi plein d’idées autour de la jeunesse, faire par exemple des ateliers créatifs avec les ados, les enfants. Ce n’est pas qu’ils soient demandeurs, mais en général il n’y a qu’à proposer et ils s’inscrivent. Heureusement, certaines années on accueille des stagiaires qui se débrouillent très bien en multimédia et qui savent animer un groupe. On a fait des ateliers sur tablette autour de contes interactifs, des jeux sur tablettes qu’on projette avec un vidéoprojecteur, ça fonctionne très bien mais c’est épisodique. Le souci c’est vraiment un manque de personnel et de temps dédiés à ces domaines.
A. V.-C. : Oui, car c’est pour un public spécifique ?
G. C. : Tout à fait, et puis tous ces ateliers, ça se prépare, il faut être rigoureux et surtout pédagogique !
A. V.-C. : Et sur le thème des réseaux sociaux, est-ce qu’il n’y a pas une dynamique collaborative qui puisse se mettre en place : quelqu’un vient, montre aux autres ?
G. C. : Pas encore, mais c’est très intéressant ce que vous dites. Parce que le participatif et le collaboratif, on y travaille déjà et depuis plusieurs années sur des projets culturels. Mais ça me demanderait, une fois de plus, beaucoup de temps. Et puis il faut pouvoir apporter un savoir-faire de qualité ainsi qu’un certain professionnalisme. Il y a sûrement des gens qui seraient volontaires, qui sont passionnés mais sont-ils à même de faire ce travail de transmission ? Il y a beaucoup de très bons techniciens mais ils ne sont pas pour autant de bons pédagogues. Cette notion de pédagogie est extrêmement importante.
A. V.-C. : En effet. Je vous demande ça, car on parle beaucoup de toute cette dimension participative, collaborative mais finalement ce n’est pas si facile à mettre en place. En tout cas chez vous ça ne se passe pas comme ça pour le numérique ?
G. C. : Oui et non. Comme je vous le disais précédemment, on fonctionne beaucoup en participatif sur l’action culturelle et la lecture publique. Mais on le fait tout de même sur le numérique puisque c’est un bénévole qui partage ses connaissances avec les usagers. Et puis les gens n’arrivent pas à la médiathèque, comme ça, naturellement, en disant : « je vais animer un atelier pour la médiathèque ». Pour vous donner un exemple, je peux vous parler de notre plus ancien atelier (créé en 2010) animé par une bénévole, il s’agit de l’atelier « Loisirs créatifs » pour enfants. Au début, elle avait la trouille. Ce n’était pas quelque chose de naturel pour elle d’animer un atelier, ce n’était pas du tout lié à son travail, c’était une passion personnelle. Depuis, l’atelier ne cesse d’être complet. Les enfants ont réalisé un nombre d’objets incroyables depuis des années. Pour le numérique, c’est la même chose, ça veut dire trouver une personne qui se sente techniquement au point et surtout qui possède le savoir-faire pour partager ses connaissances, ce qui n’est pas simple. Autre exemple : un bénévole arrivé il y a peu dans l’équipe m’a proposé d’organiser fin 2016 une petite conférence sur la sécurité informatique. Ce bénévole de 35 ans environ travaille comme informaticien dans ce domaine. On reste pour l’instant sur une rencontre, sur une seule date. Mais c’est déjà bien et ça commence souvent comme ça. Si ça se passe bien, peut-être me proposera-t-il autre chose par la suite ? Qui sait… Nous sommes ouverts aux propositions des bénévoles et usagers. Chacune d’elles est étudiée et travaillée en totale collaboration avec le prescripteur. L’objectif, finalement, c’est la rencontre avec l’autre. Partager et échanger ses connaissances gracieusement, c’est déjà beaucoup !
A. V.-C. : De quelle façon la médiathèque a transformé l’accompagnement et la formation au numérique et peut le faire encore davantage ? Comment faites-vous avec les tablettes numériques, par exemple ? Quels projets pourraient être mis en place à la médiathèque ?
G. C. : La médiathèque doit vivre avec son temps et donc adopter une attitude de « veille numérique » si je puis dire. Les progrès techniques sont fulgurants en matière de nouvelles technologies. Les outils évoluent très vite, mais les pratiques également. Personnellement, il m’est difficile d’être tout le temps à la page d’autant que je suis le seul professionnel de la structure. Je dois autant veiller aux collections d’ouvrages qu’au fonds de CD mais aussi à l’actualité en tout genre afin que la médiathèque suive au plus près les goûts et tendances des usagers. En matière de numérique, je fonctionne comme pour les acquisitions : j’écoute les usagers, j’observe leurs pratiques et j’enrichis mes connaissances par tous les moyens possibles (lectures, radio, Web…).
Et puis, il existe au sein de notre réseau des médiathèques, différents groupes de travail, dont celui dédié au « numérique » (il y a aussi un groupe musique, accueil, communication…). Ce groupe est composé de bibliothécaires et d’animateurs multimédias. Ce sont de véritables passionnés, très au fait des dernières innovations. L’une de ses principales missions est l’élaboration de préconisations tant au niveau technique que pédagogique. Cela permet à l’ensemble des professionnels de pouvoir profiter de matériels dûment sélectionnés, mais aussi de formations adéquates et de projets d’actions culturelles adaptés à nos publics. Pour les ados par exemple, on organise tous les ans un tournoi de foot sur console de jeux. La finale se déroule lors de la fête du jeu de la communauté de communes, sur un écran géant et devant le public. Nous avons aussi organisé il y a quelques années un jeu appelé « MDR Party » afin de favoriser les échanges entre adultes et ados, qui permettait aussi de partager sur les usages et les comportements. Ce jeu, animé par des comédiens, mêlait QCM sur les nouvelles technologies mais aussi jeu de piste sur Second Life3 et sur les réseaux sociaux.
Pour en revenir à votre question sur les tablettes numériques, je dirais que cela dépend de la structure. Certaines communes de notre réseau comptent des animateurs multimédias qui peuvent accompagner les usagers par des initiations et des formations sur la tablette. Lorsqu’on est seul comme moi, c’est impossible. C’est vraiment dommage car il y a beaucoup de demandes. La tablette n’est donc utilisée que par les jeunes qui jouent sur les applis préinstallées en amont. En effet, on ne peut pas laisser la tablette connectée pour des raisons de sécurité (impossible de contrôler les contenus visionnés par les mineurs).
A. V.-C. : Quels sont les effets de l’offre de médiation à la bibliothèque sur les pratiques numériques des usagers ?
G. C. : Certains usagers suivent nos conseils quant à l’acquisition de leur matériel personnel. C’est pareil pour les logiciels, ils vont protéger leurs machines en suivant nos indications, installer le logiciel de retouche photo dont on leur a parlé. Récemment, certains m’ont confié qu’ils avaient eux-mêmes transmis ces conseils à des collègues ou des membres de leurs familles. D’autres nous disent : « Tu te rappelles ? Il y a trois ans je ne savais même pas envoyer une pièce jointe par mail ! Et aujourd’hui je fais la cuisine en lisant les recettes sur ma tablette ! »
Certaines discussions autour de la pratique du numérique suscitent des débats animés et passionnants. Surtout lorsque ça concerne les parents et leurs enfants. Aujourd’hui ça s’est un peu atténué, mais il y a quelques années, nous avions presque le rôle du sage ou de bouée de secours face à toutes les questions liées « aux dangers » du Web. Il y a eu d’abord l’explosion des blogs persos (surtout chez les jeunes filles), les tchats, puis l’arrivée fracassante des réseaux sociaux. Il y avait beaucoup de craintes et de peurs, certaines légitimes et d’autres infondées. Les parents ne savaient pas quels conseils donner à leurs enfants puisqu’ils étaient eux-mêmes novices en la matière. Mis à part les conseils, ils tentaient de définir des limites aux différentes utilisations de l’outil informatique : combien de temps les laisser devant l’écran ? À partir de quel âge et faut-il les laisser seuls ? Peuvent-ils faire de mauvaises rencontres virtuelles… ? Dois-je leur interdire l’ordi à la maison ? Aujourd’hui, et du fait de la médiatisation, nous avons nettement moins de questions sur ces thèmes. Et puis les nouvelles technologies et les réseaux sociaux sont tellement rentrés dans les mœurs que certains parents sont aujourd’hui plus connectés que leur progéniture ! J’ai parfois l’impression que la pratique commune de Facebook, Twitter… mais aussi l’utilisation d’appareils comme les smartphones, tablettes… ont permis de rapprocher certains jeunes de leurs parents, d’avoir des sujets de conversation centrés sur les mêmes thèmes.
J’ai une impression assez similaire entre usagers et professionnels des médiathèques, les nouvelles pratiques numériques deviennent un espace commun de partages et d’échanges comme l’imprimé l’est depuis des millénaires.
2Le 15 janvier 2016, entretien téléphonique.
Témoignages d’usagers : médiathèque Philéas-Fogg de Saint-Aubin-du-Pavail
1. À la recherche d’un appui dans l’usage
Christiane – 54 ans
« J’ai suivi une dizaine de séances d’initiation à l’informatique à la médiathèque. Maintenant je peux profiter d’Internet comme je l’entends ; je vais sur YouTube pour écouter de la musique, je fais des jeux comme le scrabble, je cherche des recettes et je fais des recherches pour préparer mes vacances. Pour les fêtes j’ai eu un ordinateur et une tablette, curieusement je suis plus à l’aise avec la tablette. J’envoie des mails et trie mes photos.
Je suis assistante maternelle et dans le cadre de mon travail la plupart des démarches ne se feront bientôt que sur Internet. Je crains cette étape car je manque encore de confiance pour faire des démarches administratives sur le Web, peut-être faudra-t-il que je continue à me former à la médiathèque pour cela. »
Marie-Colette – 62 ans
« Avant de suivre les ateliers informatiques de la médiathèque, je ne savais même pas envoyer un mail. Aujourd’hui je me sens en sécurité sur Internet, j’ai enfin un e-mail, j’imprime les messages que je reçois et j’utilise Skype pour communiquer avec ma fille et ma petite-fille. La photo numérique reste un souci pour moi, il faudrait que je sois plus formée. Par contre j’ai pris de l’assurance sur mon ordinateur, notamment pour comprendre l’environnement Windows. »
Monique – 69 ans
« J’allais déjà un peu sur mon ordinateur mais je n’étais pas du tout à l’aise. J’avais vraiment besoin d’une formation mais sur ma commune les ateliers proposés étaient beaucoup trop onéreux. J’habite à 15 km de la médiathèque de Saint-Aubin-du-Pavail. Du coup, lorsque j’ai appris qu’il proposait des formations à un tarif très raisonnable je n’ai pas hésité ! J’espère ensuite pouvoir mieux saisir des textes, télécharger mes photos numériques et utiliser plus d’options dans ma boîte mail. »
Marie-Thérèse – 74 ans
« J’avais déjà suivi il y a plusieurs années une initiation à l’informatique à la médiathèque. Entre-temps j’ai pratiqué mais certaines choses restaient encore floues. Je me suis donc à nouveau inscrite pour notamment connaître plus d’options sur le clavier numérique, j’aimerais aussi savoir mieux trier et classer mes photos. J’aimerais également mieux maîtriser la bureautique car je suis trésorière d’une association et j’ai besoin de savoir réaliser des tableaux. J’aime aussi venir aux ateliers informatiques de la médiathèque pour rencontrer de nouvelles personnes. Je pense que si la médiathèque de mon village ne proposait pas d’ateliers multimédias, je n’aurais pas osé aller demander dans d’autres communes. »
Corinne – 44 ans
« J’ai suivi il y a plusieurs années une formation sur le redimensionnement des images numériques et leurs envois par mail. J’avais vraiment besoin de connaître ces techniques pour gérer moi-même mes envois. De plus, j’apprécie le côté “formation de proximité”. C’était le bibliothécaire qui animait cette formation, il avait distribué des supports de cours qu’il avait réalisés lui-même. Je les ai toujours aujourd’hui. »
2. À la recherche d’une sociabilité et de contenus
Patrick – 9 ans
« Avant, je n’avais pas d’ordinateur chez moi, j’ai donc pu apprendre plein de choses à la médiathèque. Aujourd’hui, j’ai un ordi à la maison mais j’adore venir regarder des démos de Minecraft à la médiathèque. »
Katell – 11 ans
« Chez moi ce n’est pas toujours simple d’avoir accès à l’ordinateur entre mes parents et mes frères. Du coup à la médiathèque j’ai un ordi pour moi toute seule et j’apprends donc plein de trucs seule ou avec des amies. Quand j’étais plus petite j’ai fait un atelier créatif sur Halloween, on réalisait un masque sur l’ordinateur qui était ensuite imprimé, c’est dommage qu’il n’y est plus d’atelier comme ça. J’ai aussi participé il y a pas longtemps à un atelier de conte interactif sur tablette, c’était super ! »
Élisa – 8 ans
« J’adore la tablette ! Il y a des jeux déjà téléchargés. J’aime bien l’espace multimédia car je peux aller sur Internet. »
Stacy – 9 ans et Éloïse – 10 ans
« On aime se retrouver tous les mercredis à la médiathèque entre copines, on est souvent à l’espace multimédia. On vient faire des jeux sur Internet et en plus on peut repartir avec plein de livres. »
Amadou – 14 ans
« Je viens à la médiathèque car c’est vraiment convivial, je retrouve mes potes et on joue à la Xbox. Je viens aussi pour faire mes devoirs sur les ordis et imprimer mes exercices. »
Mady – 11 ans
« J’ai un ordinateur qui bugge tout le temps chez moi, et puis c’est impossible d’y inviter tous mes copains. À la médiathèque on est ensemble et du coup j’ai appris plein de choses grâce à eux. Des choses sur les jeux et d’autres sur Internet. Je viens aussi faire des recherches à l’espace multimédia pour mes exposés de l’école. »
Louanne – 13 ans
« Les ordis de la médiathèque ils fonctionnent mieux que celui de la maison. J’ai découvert YouTube et mes amies m’ont fait connaître des jeux. »
Notes de bas de page
1 Cybercommunes de Bretagne : pour favoriser l’accès d’un large public aux nouvelles technologies, le Conseil régional a encouragé et soutenu la création par les collectivités locales de plus de 400 cybercommunes. L’objectif est de permettre à tous les Bretons de s’initier à l’informatique à moins de 20 km de chez eux, mais aussi à des usages plus pointus : création de site, création de webzines pour les jeunes ; ateliers sur le traitement de l’image… En 2008, Cybercommune a fêté ses 10 ans, l’occasion de lancer de nouveaux chantiers et impulser une nouvelle dynamique : le soutien de projets favorisant les usages et l’animation dans les cybercommunes et l’appropriation des TIC par tous, des rencontres d’animateurs des cybercommunes, la mise en réseau des espaces.
2 Zone à urbaniser en priorité.
3 Second Life est un jeu 3D de réalité virtuelle où l’on se façonne un avatar qui évolue dans un monde créé par les résidents eux-mêmes.
Auteurs
Gildas Carrillo travaille sur la commune de Saint-Aubin du Pavail depuis 2006 et dirige la médiathèque Philéas Fogg depuis son inauguration fin 2011. Bibliothécaire autodidacte, il a auparavant travaillé comme animateur multimédia, graphiste et artiste plasticien.
Agnès Vigué-Camus est sociologue, psychologue et psychanalyste. Chargée d’études en sociologie au service « Etudes et recherche» de la bpi, elle est co-auteur de plusieurs ouvrages dont Les habitués (2000) Tex-e – le texte à l’heure de l’Internet (2003) et Bibliothèques et Autoformation (2006).
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Des jeunes et des bibliothèques
Trois études sur la fréquentation juvénile
Martine Burgos, Nassira Hedjerassi, Patrick Perez et al.
2003
Les bibliothèques municipales en France après le tournant Internet
Attractivité, fréquentation et devenir
Bruno Maresca, Françoise Gaudet et Christophe Evans Bruno Maresca (dir.)
2007
Un laboratoire de littératures
Littérature numérique et Internet
Serge Bouchardon, Evelyne Broudoux, Oriane Deseilligny et al. Serge Bouchardon (dir.)
2007
Les bibliothèques municipales et leurs publics
Pratiques ordinaires de la culture
Anne-Marie Bertrand, Martine Burgos, Claude Poissenot et al.
2001
La BPI à l’usage
1978-1995 : analyse comparée des publics de la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou
Christophe Evans
1998
Les nouvelles technologies à l’épreuve des bibliothèques
Usages d’Internet et des cédéroms
Emmanuel Pedler et Olivier Zerbib
2001
Publics à l’œuvre
Pratiques culturelles à la Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou
Jean-François Barbier-Bouvet et Martine Poulain
1986
Lire, écrire, récrire
Objets, signes et pratiques des médias informatisés
Emmanuël Souchier, Yves Jeanneret et Joëlle Le Marec (dir.)
2003