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Les bibliothèques et la transition numérique

 | 
Pascal Plantard
, 
Agnès Vigué-Camus

2e partie : De la bureautique au Fablab : parcours de médiation

3. Code et démocratisation, un partenariat avec Bibliothèques sans frontières

Fabrice Chambon and Julien Dufetelle

Full text

Le contexte montreuillois

Inégalités sociales, diversité et dynamisme culturel

1La ville de Montreuil se caractérise par une très grande hétérogénéité sociale. Des disparités territoriales importantes existent entre le « Bas-Montreuil », bien desservi par plusieurs stations de métro, et les « Hauts de Montreuil » plus enclavés, accueillant une population moins aisée. Ce déséquilibre territorial ne résume pas pour autant l’ensemble des inégalités qui traversent la ville. En fait, l’ensemble des quartiers connaît une réelle mixité sociale.

2De ce point de vue, l’arrivée prochaine de nouveaux transports en commun dans les « Hauts de Montreuil » (tramway T1 et ligne 11 du métro parisien) modifiera sans doute les équilibres sociologiques, sans faire néanmoins disparaître, probablement, la forte diversité sociale qui caractérise ces quartiers.

3Afin de souligner ces différences de profils au sein de la population, il est par exemple éclairant d’insister sur la part des personnes diplômées du supérieur à Montreuil, supérieure à la moyenne nationale, et en même temps sur la proportion de personnes sans aucun diplôme, là encore supérieure à la moyenne nationale.

4Autre caractéristique importante de la population montreuilloise : sa très grande diversité culturelle. Plus de cent langues sont parlées à Montreuil, qui est depuis longtemps, et demeure encore aujourd’hui, une ville d’immigration.

5Enfin, il est important de souligner que Montreuil accueille une proportion importante d’actifs travaillant dans le domaine de la culture (près de 10 % des personnes en activité) et connaît un fort dynamisme culturel, qui s’articule notamment autour de nombreux lieux de diffusion présents sur le territoire. Les acteurs liés à l’économie numérique, en particulier à l’univers du jeu vidéo, sont également bien implantés à Montreuil.

Un réseau de bibliothèques sous-dimensionné, un investissement progressif dans le domaine numérique

6Paradoxalement, en dépit de besoins importants en matière d’accès au savoir, aux pratiques culturelles et à la création, on observe une disproportion entre la surface des bibliothèques et le nombre d’habitants. En effet, la surface totale des locaux (3 297 m²) est nettement inférieure à la moyenne nationale (5 800 m²) des villes de 80 000 à 125 000 habitants.

7Le nombre de postes informatiques en libre accès est également très largement inférieur à la fois aux besoins et aspirations des Montreuillois et aux moyennes nationales (24 vs 40 alors même que l’équipement informatique des bibliothèques françaises est connu pour être très inférieur à ce qui est constaté dans de nombreux autres pays européens).

L’évolution de la place du numérique dans l’organisation du service en 2010

8Depuis 2010, suite à la création d’un poste de responsable numérique, le réseau des bibliothèques de Montreuil s’est progressivement doté de ressources électroniques dont certaines sont accessibles à distance, en particulier dans le domaine de la presse et de l’autoformation. Dès lors, l’équipe s’est engagée dans le développement de formations à l’usage de l’informatique et d’Internet, à destination des personnes âgées.

  • 1 Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France.

9Une expérimentation du prêt de liseuses a également été conduite, dans le cadre d’un programme soutenu par le MOTif1 et le Conseil départemental du 93, en direction des adolescents et du grand public. L’expérience n’a pas permis de conclure à la nécessité de doter le réseau d’une flotte de liseuses. En effet, les appareils ont été essentiellement empruntés par des lecteurs confirmés, désireux de tester ce support de lecture avant de décider ou non d’en acquérir à titre individuel. Les tentatives de médiation en direction de publics moins familiers de la lecture n’ont que très faiblement porté leurs fruits, alors même que l’expérimentation a mobilisé un nombre important de bibliothécaires.

Le partenariat avec BSF en 2014

10L’association BSF a développé un programme de sensibilisation et de formation à la programmation informatique et, plus largement, à la culture numérique : les Voyageurs du code. Concrètement, le programme offre des ateliers d’initiation et de formation au code, qui s’articulent principalement autour de la plateforme Codecademy, adaptée en français par BSF, et du logiciel Scratch (à destination des jeunes publics). Codecademy, qui compte aujourd’hui 24 millions d’utilisateurs à travers le monde, permet d’apprendre de manière ludique et pédagogique la plupart des langages informatiques actuels (HTML & CSS, Python, JavaScript, jQuery, PHP et Ruby).

11En 2014, un projet de déploiement de ce programme a été imaginé en partenariat avec les bibliothèques de Montreuil et en lien avec de nombreux acteurs locaux, en raison notamment de la diversité sociale et culturelle de la population, de la densité de la vie associative locale et de la présence d’acteurs investis dans l’économie numérique. L’objectif était de s’adresser à l’ensemble des publics. Cette proposition est apparue immédiatement comme une formidable opportunité pour le territoire. Au-delà de la réponse que ce projet, au travers de formations à la programmation informatique, contribue à apporter au défi de l’alphabétisation numérique, les moyens investis par BSF, tant sur le plan matériel (quatre « boîtes à coder » composées de 20 ordinateurs portables, casques, souris et du matériel électronique) que sur le plan humain (une équipe salariée de BSF, ainsi qu’un réseau de bénévoles qui s’est développé tout au long du projet) ont permis de donner une impulsion forte à l’initiative et de rayonner sur l’ensemble du territoire municipal.

12À l’issue des neuf mois de partenariat avec BSF, sur lesquels nous reviendrons plus en détail dans la suite de l’article, et alors que le programme Voyageurs du code se déployait en 2015 à l’échelle nationale, le projet s’est poursuivi à Montreuil. Plusieurs bibliothécaires, qui avaient eu l’occasion de se former aux côtés des bénévoles formateurs et de l’équipe de BSF, ont porté de nouveaux développements, toujours accompagnés des bénévoles, qui ont pour la plupart poursuivi leur investissement dans les initiatives mises en place par les bibliothèques.

L’acquisition de tablettes en 2015-2016

13Le faible nombre de postes informatiques publics ne permet pas de valoriser des contenus numériques originaux au sein des espaces, ces postes étant massivement employés à des usages utilitaires ou sociaux (recherche d’emploi et rédaction de CV, consultation de messagerie, e-administration, réseaux sociaux, jeux sociaux, etc.), usages que nous ne saurions restreindre sans frustrer plus encore la demande d’un public qui souffre directement de la fracture numérique.

14Afin de valoriser d’autres contenus, d’autres outils, et de proposer une véritable offre documentaire numérique sans compromettre notre participation à la réduction des inégalités d’accès à l’informatique et à Internet, une offre complémentaire sur tablettes tactiles en libre accès a semblé être une véritable opportunité, tant pour sélectionner et mettre en lumière des contenus du Web accessibles depuis n’importe quel navigateur que pour exploiter la richesse des contenus exclusifs qui y sont proposés à travers des applications dédiées.

Cycle de formation numérique à destination du personnel

15Un cycle de formation et de réflexion est actuellement en cours, un an avant l’ouverture du service. Il s’agit tout à la fois de favoriser l’appropriation de l’outil par les équipes et de leur faire découvrir le panorama des contenus disponibles, de définir une politique documentaire, de constituer une offre cohérente, accessible via un catalogue simplifié, de mettre en œuvre des outils de gestion, de veille et de partage de la veille, de réfléchir aux conditions de mise en service et de sécurisation des tablettes et de prévoir les modalités de communication. Une attention particulière est portée aux livres numériques jeunesse, aux propositions à destination des adolescents et au jeu vidéo. Les expériences menées dans d’autres bibliothèques, les formations et journées d’étude consacrées au numérique sont également une source d’inspiration.

16Il est prévu de lancer à titre expérimental des ateliers pendant les vacances scolaires, avant de mettre en place, en septembre 2016, les tablettes dans les espaces des bibliothèques et de développer alors différents ateliers, avec le renfort d’un volontaire en service civique.

17La proposition de BSF s’est donc inscrite dans une démarche déjà engagée de construction d’une offre de collections et de services numériques dans les bibliothèques de Montreuil. Elle a constitué une opportunité pour les équipes d’acquérir des compétences et développer des actions. L’accompagnement et la démarche collaborative qui ont présidé à ces réalisations ont permis, au-delà des succès rencontrés dans ces projets de démocratisation de la programmation informatique, de renforcer le positionnement des bibliothèques de Montreuil dans leur investissement progressif du champ numérique sous différentes formes.

Voyageurs du code : une démarche de démocratisation de la programmation

Numérique, citoyenneté, insertion

  • 2 Bibliothèques sans frontières, présentation du programme Voyageurs du code.

18L’analyse développée par BSF repose sur le constat suivant : en France, « l’économie numérique représente 7 % des emplois et la diffusion des technologies de l’information et de la communication a créé 700 000 emplois en quinze ans. Alors que la France a besoin de 100 000 développeurs par an, les structures classiques d’éducation et de formation tout au long de la vie ne proposent pas d’initiation et de formation au code informatique. Une majorité de Français utilise au quotidien de nombreux outils technologiques, mais n’a pourtant qu’une faible conscience des immenses potentiels offerts par la maîtrise de la programmation informatique et n’a souvent aucune compétence en la matière. Les femmes, qui n’occupent que 27 % des emplois dans le secteur logiciel et services informatiques, sont beaucoup plus touchées par cet analphabétisme numérique. Le défi de l’alphabétisation numérique (Digital Literacy) reste donc entièrement à relever alors qu’il est certain que le code sera LE langage du xxie siècle »2.

19En effet, l’initiation à la programmation informatique peut aller jusqu’à se révéler un formidable levier d’insertion, en particulier pour certains jeunes, parfois en situation d’échec sur le plan scolaire, que les ateliers permettent à la fois de valoriser, de remobiliser tout en favorisant la capacité d’analyse, la créativité, la confiance en soi et les démarches collaboratives.

20Au-delà, la compréhension des enjeux de société liés au numérique est sans doute un élément essentiel de la construction d’une citoyenneté pour les générations à venir. Pourtant, si une part importante de la population utilise régulièrement l’outil numérique, il semble que la rapide évolution des pratiques culturelles ait limité la capacité des acteurs éducatifs à intégrer un enseignement tant pratique que théorique et critique sur ces univers dans les parcours d’éducation.

Une démarche d’éducation populaire au cœur des missions des bibliothèques

21L’incapacité du système éducatif à proposer un apprentissage du langage informatique, à l’exemple des langues vivantes, n’est peut-être que provisoire mais, dans ce contexte, les bibliothèques ont un rôle à jouer, aux côtés des acteurs associatifs.

22De ce point de vue, la démarche engagée conjointement par BSF et le réseau de Montreuil s’inscrit pleinement dans les missions des bibliothèques. Dans une perspective d’éducation populaire, favoriser l’accès de tous à une pensée critique dans le domaine du numérique et diffuser des outils qui permettent d’y acquérir des qualifications sont des actions qui devront trouver place au cœur des pratiques professionnelles de demain (et d’aujourd’hui…).

23C’est en effet dans la médiation autour des contenus que réside la valeur ajoutée des bibliothèques. L’objectif est double : il s’agit d’une part de favoriser la formation de citoyens éclairés, à même de prendre part au débat public, capables de mobiliser des connaissances et d’accéder en autonomie à une pensée critique autant qu’à la création artistique ; et, en même temps, de faciliter l’acquisition de qualifications, utiles y compris parfois pour s’insérer professionnellement.

La mobilisation de nombreux partenaires et bénévoles

24Un compagnonnage de neuf mois a débuté à Montreuil en avril 2014. Des ateliers d’initiation et de formation ont été mis en place non seulement dans les bibliothèques, mais aussi dans de nombreuses structures associatives de la ville. Des associations de soutien scolaire, la mission locale, des centres sociaux (Grand Air et Solidarité français migrants), des espaces culturels (espace Comme vous émoi, Maison populaire), des associations d’aide aux migrants (Hors la rue, qui intervient auprès des populations Roms vivant dans des bidonvilles ou des villages d’insertion) ont participé au programme.

25Tout au long du projet, des formateurs bénévoles coordonnés par BSF sont intervenus pour animer des ateliers et sensibiliser aux enjeux de la culture numérique et de la programmation. Ces bénévoles ont été recrutés par BSF via les réseaux sociaux, grâce à la participation de BSF à des événements autour du numérique (Futur en Seine, journée Code-Décode de Cap Digital, etc.), ou lors de présentations du programme auprès d’entreprises, d’écoles d’ingénieurs, d’IUT, de structures de formation à l’informatique et à la programmation (ParisTech Télécom, Institut universitaire de technologie (IUT) de Montreuil, école 42, École pour l’informatique et les nouvelles technologies (Epitech), etc.).

26Tous ont participé à au moins une journée de formation par BSF au cours de laquelle sont abordés les enjeux et objectifs du programme, la prise en main de ses outils et les ressources pédagogiques clés (Codecademy, Scratch, Webmaker et outils de « bidouille électronique »), sans oublier les techniques de médiation. Quatre formations de formateurs ont permis de construire un réseau de quarante-cinq bénévoles actifs aux compétences et aux profils complémentaires.

27Des sessions de formation spécifiques ont également été organisées à destination des médiateurs, bibliothécaires, professionnels des centres sociaux, bénévoles associatifs, afin qu’ils puissent accompagner les participants aux ateliers en complément des formateurs.

Plus de 1 500 personnes sensibilisées en six mois

28En six mois, le programme a touché plus de 700 enfants, 350 adolescents et 450 adultes. Trente cinq ateliers d’initiation et 25 formations d’une vingtaine d’heures en moyenne ont été organisés auprès de publics variés : enfants, adolescents, jeunes en décrochage scolaire, jeunes en recherche d’emploi, mineurs isolés étrangers, publics en situation précaire et personnes âgées éloignées des usages du numérique.

29Le cadre partenarial a permis de s’adresser à des publics ciblés en inscrivant les ateliers dans une dynamique propre aux groupes accueillis, dans une perspective résolue de réduction des inégalités d’accès aux outils numériques. Des publics aux faibles pratiques numériques ont été particulièrement pris en compte, en même temps que des populations plus jeunes, familières d’une partie de cet environnement culturel, que l’expérience a permis de valoriser et d’orienter vers des horizons intellectuels critiques.

30Des compléments de formation ont été mis en ligne sur la plateforme pour permettre à ceux qui le souhaitaient de poursuivre leur apprentissage à distance.

L’inscription du projet dans les cadres d’action existant au sein du réseau des bibliothèques

31Le projet s’est naturellement inscrit dans les animations culturelles régulièrement menées par les bibliothèques de Montreuil, notamment en direction des classes primaires et des adolescents. Ces programmes ont pu être mobilisés pour valoriser la démarche de sensibilisation autour du codage informatique.

32Ce fut par exemple le cas pour les activités organisées pendant les petites vacances avec les centres de loisirs de la ville. En février 2015, le dispositif a permis à vingt-huit enfants (âgés de plus de 8 ans, car le logiciel Scratch nécessite une bonne maîtrise de la lecture) de découvrir le codage informatique. Ils ont ainsi pu réaliser des jeux vidéo3 et la semaine a pris fin avec un mini-salon, au cours duquel les jeunes ont présenté leurs créations à des professionnels du jeu vidéo, devant familles et amis venus pour l’occasion.

33Les bibliothèques de Montreuil organisent chaque année, pour des classes de collèges et de lycées, des programmes qui abordent différents domaines de la connaissance et de la création. Un cycle d’ateliers a été construit à cette occasion autour du langage informatique avec une classe de 4e et leur professeur de mathématiques ; il s’est conclu par une rencontre publique à la bibliothèque avec Gérard Berry, professeur au Collège de France (voir encadré ci-après).

34En 2014, année de lancement du programme, les mercredis après-midi et les samedis, à l’occasion, d’événements locaux, des ateliers d’une demi-journée ont été organisés en différents points du territoire et dans les bibliothèques, afin de sensibiliser le plus grand nombre et de faire découvrir les plateformes Codecademy et Scratch. Enfin, au cours de la première semaine des vacances d’été, un stage intensif d’une semaine a été proposé aux adolescents qui avaient participé aux demi-journées de sensibilisation et qui souhaitaient approfondir leurs connaissances dans ce domaine. Douze adolescents ont participé à ces ateliers collectifs, dont les résultats s’améliorent constamment grâce à l’apprentissage collaboratif et au partage d’expérience.

Intégrer la démarche dans le quotidien des bibliothèques de Montreuil…

35BSF a mobilisé sur le projet près de quarante-cinq bénévoles, ainsi que des salariés, pendant neuf mois. À l’issue de cette période d’expérimentation particulièrement dynamique, l’enjeu consistait donc à intégrer la démarche engagée à leurs côtés dans le quotidien de la bibliothèque.

36Inscrire durablement à Montreuil cette activité, à la croisée d’une éducation aux médias et à l’information, d’une culture scientifique et technique et d’une démarche de création, constitue encore aujourd’hui un objectif qui s’intègre à notre politique générale de réduction des inégalités culturelles et sociales sur le territoire et de mixité des publics.

37Depuis le mois de janvier 2015, une fois par mois, le premier samedi de chaque mois, de 10 heures à 12 heures, des ateliers de sensibilisation au codage informatique sont animés par des bibliothécaires et des bénévoles qui s’inscrivent dans la continuité des initiatives précédentes. L’arrivée de matériaux électroniques « ouverts » et construits pour être utilisés par le grand public offre des possibilités pour permettre au plus grand nombre de s’approprier des technologies toujours plus répandues. Cette habilité à comprendre leurs fonctionnements peut aider à percevoir les enjeux liés à leurs utilisations et dans le même temps dissiper l’aura de magie qui les entoure.

  • 4 Microcontrôleur pouvant être programmé pour analyser et produire des signaux électriques de manière (...)
  • 5 Nano-ordinateur destiné notamment à encourager l’apprentissage de la programmation informatique, qu (...)

38Ce constat, et la perspective de prolonger la dynamique développée dans le cadre des Voyageurs du code, ont conduit le réseau des bibliothèques de Montreuil à acquérir différents kits « Arduino4 » et « Raspberry Pi5 », afin d’organiser pendant l’été 2016 puis à partir de la rentrée scolaire des ateliers de programmation électronique et robotique. Ces activités offriront également l’opportunité de faire découvrir les acteurs du territoire qui occupent ce créneau, en particulier certains Fablabs, et les initiatives qu’ils proposent ; elles permettront d’y orienter les usagers afin de développer la « bidouille électronique » au sein d’espaces publics, éducatifs et associatifs, en vue de favoriser la mobilisation citoyenne autour de l’apprentissage du code.

39Dans cette perspective, afin de pallier l’absence de compteurs d’entrée en état de fonctionner dans les bibliothèques de Montreuil, il est prévu d’organiser des ateliers collaboratifs de réalisation de compteurs de passages avec des usagers. En effet, depuis six ans, faute de crédits d’investissements, ces indicateurs précieux de l’activité de nos équipements font défaut et les usagers auront ainsi l’occasion de participer à l’amélioration de leurs bibliothèques !

40Cette démarche d’ateliers de programmation imaginée pour l’occasion est clairement une déclinaison des initiatives conduites aux côtés de BSF en 2014, dont l’empreinte semble avoir marqué favorablement et durablement les projets imaginés dans le réseau des bibliothèques.

La baisse des moyens à l’issue de l’expérimentation…

41Les difficultés induites par ce type d’expérimentation tiennent précisément à leur pérennisation. En effet, BSF a été largement soutenu par les pouvoirs publics pour la conduite de ce projet, à la fois financièrement et symboliquement (la secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire a marqué de sa présence le lancement des Voyageurs du code à Montreuil en avril 2014). L’association a également bénéficié de financements privés, de fondations d’entreprises des secteurs informatiques et numériques. Si de tels financements sur projet peuvent être mobilisés dans certains domaines jugés porteurs ou prioritaires par la puissance publique, il est de plus en plus difficile d’obtenir un soutien dans la durée, et la baisse tendancielle des moyens dont disposent les services publics complique bien sûr la tâche des bibliothèques. Comment intégrer de nouveaux projets dans le fonctionnement d’un équipement dont les ressources humaines diminuent et les budgets de fonctionnement sont orientés à la baisse ?

42Malgré une orientation volontariste, la constitution d’un réseau de partenaires et de bénévoles, et l’expérience acquise au cours des neuf mois de mise en œuvre du programme Voyageurs du code, les bibliothèques de Montreuil ont été conduites à revoir à la baisse le niveau de leur intervention dans le domaine du codage informatique, faute de moyens supplémentaires et afin de ne pas hypothéquer trop fortement d’autres projets conduits par les équipes sur le territoire.

43Malgré tout, la pérennisation de la démarche impulsée aux côtés de BSF constitue bien sûr une prolongation particulièrement positive et pertinente du projet. Elle s’inscrit pleinement dans les orientations des bibliothèques de Montreuil d’ouvrir à tous l’accès au savoir et à la création, dans une perspective d’éducation populaire, d’émancipation et de transformation sociale.

Programmer pour comprendre

Dans le cadre du programme Voyageurs du code initié par l’association BSF au premier semestre 2014 et dont la ville de Montreuil a constitué le territoire pilote, les bibliothèques de la ville ont souhaité proposer aux collèges et lycées en 2014-2015 un nouveau projet autour de la programmation informatique : « Programmer pour comprendre ».

Contexte

Il faut tout d’abord rappeler la multiplication des initiatives des bibliothèques de Montreuil en direction du public adolescent, qui a permis, depuis quelques années, de construire un nouveau rapport avec ce public. Le travail mené sur l’accueil et les collections s’est doublé d’un grand nombre d’initiatives et d’actions avec la volonté de prendre en compte la diversité des pratiques culturelles des adolescents mais aussi les différentes formes de la culture contemporaine, de les mettre en valeur et de les croiser : littérature, musique, cinéma, internet, photographie, vidéo, etc.

Le programme Voyageurs du code a créé l’opportunité d’ajouter une forme de création plus atypique à cet éventail de propositions : celle de la programmation informatique qui sous-tend notamment la création des jeux vidéo.

Projet

« Programmer pour comprendre » est en effet un projet de conception et de réalisation de jeux vidéo par une classe du collège Césaria-Evora, collège dit « numérique » caractérisé par un fort équipement en ressources informatiques. L’objectif principal est de sensibiliser les élèves à la programmation informatique et notamment aux applications concrètes des mathématiques au travers de réalisations s’inscrivant dans leur univers culturel.

Le projet s’est articulé en cinq séances de deux ou trois heures, au collège ou à la bibliothèque, et une séance spéciale en soirée pour une rencontre avec l’informaticien, créateur de langage de programmation, Gérard Berry, professeur au Collège de France.

Initiant une nouvelle collaboration entre la bibliothèque et un enseignant de mathématiques, le projet s’est coconstruit avec l’équipe de BSF, l’équipe pédagogique du collège et les bibliothécaires. Si l’opportunité d’une collaboration avec l’Éducation nationale autour d’une matière strictement scientifique comme le sont les mathématiques fut une grande satisfaction pour l’équipe des bibliothèques, plus habituée à construire des projets à dominante littéraire ou artistique, la thématique du jeu vidéo a en outre permis de mobiliser d’autres matières et d’inventer un projet en interdisciplinarité. Ont ainsi été impliqués dans le projet, outre le professeur de mathématiques, la documentaliste responsable du centre de documentation et d’information (CDI) qui a accompagné les élèves dans le suivi de leurs créations ; le professeur de français pour un travail autour du scénario des jeux vidéo et une préparation de la présentation biographique orale de Gérard Berry en introduction à son intervention ; la professeure d’arts plastiques pour un travail sur les décors des jeux vidéo autour de la thématique du street art (qui était la thématique de la résidence Ados des bibliothèques en 2015) et enfin le professeur de musique qui a accompagné la création musicale des jeux vidéo des élèves. Par ailleurs, la référente numérique du collège a activement participé à la conception du projet et a contribué à lui conférer une cohérence globale.

Objectifs

Au titre des objectifs du projet, au-delà de celui consistant à faire découvrir aux élèves à quoi sert la programmation informatique et les liens entre le codage et les mathématiques, furent identifiés notamment et plus spécifiquement l’appréhension des structures de contrôle de la programmation (boucles, conditions, variables, etc.), de la notion d’aléatoire et de son utilisation dans les jeux, mais également l’appréhension des éléments qui constituent les jeux vidéo : game design, level design, gameplay ainsi que les éléments structurels du récit dans le jeu.

Le choix a été fait de faire travailler les élèves sur le logiciel Scratch et non pas en ligne de code brute afin de se concentrer sur ces objectifs mais également pour obtenir des réalisations plus visuelles lors de la restitution de leurs projets. Par ailleurs ce logiciel permet une appropriation plus aisée et ludique des notions fondamentales de programmation (puisque les éléments basiques de la « phrase » sont déjà partiellement écrits sous forme de blocs).

En termes d’objectifs purement disciplinaires, il s’est agi en premier lieu de faire travailler les élèves sur un champ d’application précis des mathématiques et de développer leur sens logique. Ont été ainsi abordés, parmi les notions de « mathématiques » au programme de quatrieme : le calcul littéral, Scratch permettant en effet de donner du sens au concept de variable, en lien étroit avec la notion d’« inconnue mathématique » ; les notions de « repères » et de « repérages » dans le plan : faire avancer un personnage ou placer un objet nécessite ainsi la compréhension des abscisses et ordonnées positives ou négatives dans l’espace ; les nombres réels et leur manipulation (comparaisons, ordre de grandeurs, etc.) et enfin des notions de géométrie, les élèves ayant dû utiliser les mesures d’angles pour réaliser le saut d’un personnage par exemple. Mais également, du point de vue de la littératie médiatique et numérique, le programme leur a permis d’apprendre à naviguer et à travailler sur un espace de conception collaboratif, à tenir un journal de bord en ligne et à se questionner sur les enjeux du Web ; de concevoir un décor avec l’outil informatique et de situer un courant artistique, le street art, en arts plastiques ; de créer et composer une bande-son en éducation musicale ; enfin de manipuler le schéma d’une structure narrative et de caractériser des personnages en cours de français.

Réalisations et bilan

En groupe de travail réduit de 3 à 4 élèves réunis par affinités, les collégiens ont réalisé 7 jeux vidéo, reprenant les structures des grands classiques du jeu : combat, course, labyrinthe, etc. Des réalisations basiques, étant donné le temps dont ils ont disposé (bien qu’après avoir utilisé Scratch en ligne, ceux qui le souhaitaient pouvaient poursuivre le projet au CDI ou chez eux), mais qui leur ont permis d’explorer les aspects fondamentaux de la conception du jeu vidéo, tant du point de vue de la programmation informatique que de celui de l’écriture vidéo-ludique. Comme nous l’escomptions, nous avons observé un fort impact sur la motivation des élèves et certains semblent avoir été remotivés en mathématiques à l’issue du projet. Le fonctionnement de Scratch, par tâtonnements, a notamment permis aux élèves, qui préfèrent souvent rendre copie blanche plutôt que de prendre le risque de se tromper, de s’autoriser à essayer et à tester leurs idées.

Afin d’élargir la réflexion des élèves à l’issue du projet, une rencontre avec l’informaticien Gérard Berry, sous forme de dialogue avec les collégiens mais ouverte au public, a donc été programmée à la fin de la session d’ateliers. L’objectif de cette rencontre était double : en premier lieu montrer aux élèves les perspectives à grande échelle qu’offrait la programmation informatique (Gérard Berry a notamment conçu le logiciel qui fait voler les Airbus A380) ; mais aussi aborder la question des algorithmes, omniprésents dans la vie numérique des adolescents sans qu’ils en aient nécessairement conscience, et plus largement leur transmettre quelques réflexions d’un homme ayant vécu et participé aux débuts de l’informatique contemporaine sur les enjeux du Web en 2015. On se souviendra notamment de la réaction unanime de stupéfaction des collégiens lorsque Gérard Berry leur expliqua que quand un service commercial était gratuit cela signifiait que c’était eux et leurs données personnelles qui en constituaient la marchandise…

Notes

1 Observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France.

2 Bibliothèques sans frontières, présentation du programme Voyageurs du code.

3 Ces jeux sont accessibles à l’adresse https://scratch.mit.edu/studios/996794/

4 Microcontrôleur pouvant être programmé pour analyser et produire des signaux électriques de manière à effectuer des tâches très diverses, dont par exemple le pilotage d’un robot.

5 Nano-ordinateur destiné notamment à encourager l’apprentissage de la programmation informatique, qui permet l’exécution de plusieurs variantes du système d’exploitation libre GNU/Linux et des logiciels compatibles.

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