2. « Comme si l’important dans l’écriture était le crayon utilisé »
Texte intégral
1Longtemps engagé dans le développement des Fablabs en bibliothèque, Julien Devriendt poursuit son travail de transmission d’une culture numérique. Il prend ici la parole pour faire entendre sa voix de professionnel revenant sur un parcours au cours duquel il cherche à intégrer, toujours plus, le numérique au sein de pratiques existantes.
2Titulaire d’un brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et sportive TIC depuis dix ans, j’ai commencé en tant qu’animateur multimédia, on ne parlait pas encore de médiation numérique. J’avais pour mission de réduire la fracture numérique. Cela consistait à permettre un accès au matériel, à accompagner les usagers lors des ouvertures de l’espace au public et de proposer des ateliers d’initiation et de création. J’avais appris lors de ma formation à concevoir des ateliers avec des intentions éducatives et des progressions pédagogiques. Bien que travaillant en service jeunesse, de nombreux retraités venaient me voir pour des ateliers d’initiation. J’étais perçu comme une sorte de « prof » numérique. Mes premiers ateliers se focalisaient beaucoup sur le « comment faire » livrant des présentations étape par étape, expliquant comment envoyer un diaporama par pièce jointe. En parallèle, je mettais en place des ateliers multimédias à destination des jeunes autour de la photo, de la vidéo, des effets spéciaux. Là encore les ateliers étaient conçus de manière très classique : « étape 1 : cliquez sur fichier ; étape 2 : cliquez sur ouvrir… ». Mais le numérique ne se limite pas à l’apprentissage de l’outil informatique. Il s’agit d’une révolution culturelle amenant de nouveaux usages, de nouvelles pratiques qui changent profondément nos manières d’accéder à l’information, aux loisirs, notre rapport au travail. Plutôt que de me limiter à fournir un mode d’emploi sur le fonctionnement de leur machine, je profitai de ces ateliers pour aborder avec les différents publics les principes de fonctionnement des réseaux, en partant toujours de leurs centres d’intérêt. Il est plus efficace de s’inscrire dans leurs pratiques existantes afin d’illustrer les bouleversements amenés par les outils numériques. Un atelier de recherche d’emploi ne peut plus se limiter à la rédaction de CV et de lettres de motivation mais doit comporter un volet sur l’identité numérique. Aborder des thématiques comme la vérification de l’information ou le respect du droit d’auteur a d’autant plus d’impact auprès du public que l’on arrive à le relier à une pratique déjà existante ou à un projet lors d’un atelier de création.
De l’animation multimédia à la médiation numérique
3Je suis passé peu à peu de l’animation multimédia à la médiation numérique. Il s’agit moins de former les usagers à des compétences techniques qui seront rapidement dépassées que de les accompagner dans l’acquisition d’une culture numérique. Cela nécessite de la part de l’animateur une veille large des utilisations possibles du numérique au sein de différentes communautés de pratiques et de différents milieux professionnels pour être capables de rebondir facilement en fonction des situations. Cela signifie également être en mesure d’accompagner des démarches administratives parfois complexes ou une scolarité contrariée. Il s’agit de former des bénévoles au travail collaboratif, d’apprendre à évaluer l’information, de pouvoir parler de sujets qui intéressent les publics comme la santé ou la parentalité.
4On s’ennuie rarement dans ce type de poste qui relève de nombreuses missions, toutes différentes : accompagnement social, démarches administratives, soutien scolaire, veille et recherche documentaire. Le médiateur numérique a avant tout pour fonction de diffuser une pratique numérique au sein de son territoire. Les risques de se tromper, de donner un mauvais conseil sont nombreux et toutes ces tâches ne peuvent reposer sur une seule personne. La médiation numérique, plus qu’un métier, doit être une compétence partagée. Toutefois, il faut du temps pour que cette compétence se diffuse au sein des différentes professions, ce n’est pas propre au métier de bibliothécaire.
5L’enjeu n’est pas de former aux outils mais d’accompagner le développement des usages, de développer une culture de l’information à travers ces outils. Il ne s’agit pas de proposer des ateliers pour faire du numérique, mais de montrer comment les outils numériques peuvent s’adapter à différentes pratiques. En mélangeant les approches et les outils, cela donne parfois des résultats étonnants, inattendus, souvent qualifiés d’innovants.
Un espace numérique isolé dans une bibliothèque
6Je prends mes fonctions aux Ulis en 2010. Ville de vingt-cinq mille habitants, cosmopolite, récente (créée en 1977), Les Ulis concentre une population socialement fragile (une partie du territoire est concernée par les « contrats de ville », avec quelques quartiers labellisés « zones urbaines sensibles ») mais aussi des classes moyennes. La médiathèque des Ulis est construite en 1987, puis transférée à la Communauté du Plateau de Saclay en 2013, et fait désormais partie d’un réseau de quatorze médiathèques. La mise en réseau a accentué la mixité sociale : près d’un tiers de ses usagers viennent des communes alentour aux catégories socioprofessionnelles favorisées (CSP++).
7Les directions successives ont toujours eu à cœur de suivre de près les usages de la population et ont fait progressivement évoluer les services proposés, mettant au cœur du fonctionnement de l’équipement les outils et usages liés au numérique d’où, en l’an 2000, l’obtention du label « Espace culture multimédia » (ECM) attribué par la direction régionale des affaires culturelles (Drac). Si, en 2000, les ordinateurs étaient soigneusement tenus à l’écart des collections physiques, et n’étaient présents que dans l’ECM, lui-même ouvert à des horaires distincts de ceux de la médiathèque, progressivement, des postes informatiques sont venus se fondre dans les espaces de l’équipement.
8Mon prédécesseur était parti depuis plus d’un an au moment de mon arrivée, il fallait remettre sur pied une offre d’ateliers. Une vingtaine d’habitués continuaient à venir lors d’ateliers d’initiation proposés par un animateur présent depuis la labellisation ECM de l’espace numérique. Vingt participants pour huit ordinateurs, les conditions d’apprentissage n’étaient pas satisfaisantes, mais c’était avant tout la bienveillance, la disponibilité de l’animateur et cette convivialité qui était pour beaucoup la principale motivation pour assister aux ateliers. Ma première tâche fut de tenter de concilier cette convivialité tout en développant l’offre d’ateliers afin de toucher un public plus large. Deux associations proposaient également des ateliers d’initiation mais il fallait y adhérer afin de pouvoir y assister. Nous étions de fait le seul espace d’initiation gratuit de la ville. Nous sommes donc passés à quatre ateliers par semaine en limitant le nombre de participants à une personne par ordinateur.
9Au-delà du triptyque courriel, Web, bureautique, nous souhaitions montrer également un autre aspect du numérique. Trop souvent ce qui a trait à ce domaine est limité à l’ordinateur et considéré comme virtuel et solitaire. Nous voulions proposer un espace d’expérimentation, un centre de ressources sur les questions liées au numérique et au multimédia auprès des habitants, mais aussi des acteurs institutionnels et associatifs de la ville.
10Nous menions déjà un travail de veille important autour des usages du numérique sur différents champs (éducation, culture, social…). Il s’agissait de faire sortir l’espace numérique de la médiathèque afin de faire découvrir de nouveaux usages en participant aux différentes manifestations de la ville. L’équipe avait déjà l’habitude de faire des actions en direction du public éloigné du livre et de la lecture, en choisissant délibérément d’être présente sur le territoire, par exemple dans les services municipaux, dans les parcs, lors de forums ou de fêtes. En favorisant une approche transversale nous pouvions aller à la rencontre d’un public qui ne fréquentait pas la médiathèque, susciter la surprise et entamer la discussion. Dès 2011, nous avions ainsi organisé des ateliers « light painting » et « graff numérique » lors de la soirée de la fête de la musique ou encore des tournois de foot robotique lors de la fête du sport.
11Ces actions nous permettaient d’expliciter par l’exemple ce que nous étions en mesure de proposer. Mais il nous importait plus encore de faire découvrir que le numérique pouvait tout à fait s’hybrider avec le monde physique. Montrer les passerelles possibles et rappeler que ces deux aspects ne s’opposent pas mais au contraire se complètent. Avec le recul, c’est cette approche qui a guidé l’ensemble des actions que nous avons développées par la suite.
L’atelier robotique
12C’est dans cet esprit que dès le mois de septembre 2010, nous avons organisé des ateliers robotiques en nous appuyant sur la plateforme Lego Mindstorms. Ludique, simple à prendre en main, les kits sont composés de moteurs et de capteurs (ultrason, tactiles, de luminosité) reliés à une brique contenant un microprocesseur et une mémoire pour stocker les programmes. Le robot est ensuite programmé à l’aide d’un logiciel de programmation avec une interface graphique. Chaque fonction est représentée par un cube, il suffit de les assembler à l’écran puis de les charger sur le robot à l’aide d’un câble USB.
13Nous nous étions inscrits au tournoi de robotique First Lego League organisé en France par l’association Planète Sciences1. Chaque année, fin août, toutes les équipes reçoivent une aire de jeux avec des éléments à placer et une liste d’objectifs à réaliser en un temps limité. Les participants disposent de six mois pour mettre au point un robot capable, le jour de la compétition, de faire un maximum de points. En plus des matches de robot, les équipes sont notées sur l’esprit d’équipe, la conception du robot et enfin un projet de recherche.
14Le club se réunissait une fois par semaine le mercredi et nous étions face à des équipes de collèges qui se rencontraient lors de la pause méridienne. L’aspect jouet des robots attirait les plus jeunes, qui pour certains se sont découragés devant la tâche à accomplir. Il a fallu attendre deux ans pour que le groupe se constitue et que nous commencions à obtenir des résultats. Les participants étaient autorisés à revenir en dehors des temps d’ateliers le matériel restant à leur disposition en accès libre. Assez rapidement ils ont pris l’habitude de se retrouver après les cours pour continuer à avancer sur leurs projets.
15Nous avions réparti les rôles au sein du groupe. Un responsable programmation et son assistant chargés de documenter et sauvegarder les différents programmes. Un responsable mécanicien et son assistant réalisaient les plans des robots dans leurs versions successives. Enfin, un capitaine tranchait lors des nécessaires prises de décisions, tandis qu’un journaliste racontait les avancées du groupe sur le blog de l’équipe. Ce blog a été mis en place dès le début du club. Au-delà de l’atelier robot, il s’agissait également d’initier les participants à la création et la publication de contenu en ligne. Écrire pour être lu, documenter ses projets, publier des photos, des vidéos ; se posait également la question des licences de publication et de droit d’auteur. Des questions difficiles à aborder lors d’un atelier spécifique mais, parce qu’on s’exprimait au nom du club et qu’il y avait une mise en pratique immédiate, les jeunes y étaient plus attentifs. Le travail sur le projet de recherche était l’occasion de sortir de la médiathèque, de rencontrer des acteurs du territoire (visite du Synchrotron soleil, du centre de traitement des déchets intercommunal), de mettre à contribution les ressources de la médiathèque, les collègues, mais aussi les usagers. Ainsi avant la compétition, nous organisions des temps de présentation des projets de recherche, ainsi que des démonstrations du robot réalisé. Il s’agissait à la fois d’une excellente occasion de s’entraîner mais aussi de partager et faire connaître le club au plus grand nombre.
16Le club est ouvert aux jeunes âgés de 11 à 16 ans, chaque année de nouveaux membres arrivent. La transmission des connaissances et savoir-faire s’opère entre les participants. Les membres les plus anciens ayant à cœur de maintenir la place du club lors des rencontres nationales, voire internationales. Cette année le groupe a ainsi participé aux rencontres internationales à Saint-Louis. Sur les 8 membres, 4 ont plus de deux ans d’ancienneté.
Les installations et fabriques numériques
17La grande majorité de notre public jeune n’arrivait pas à se projeter pour s’inscrire à nos ateliers ni à y voir l’aspect ludique, la dimension scientifique leur rappelant trop le côté scolaire. Au départ, par contrainte et nécessité, nous avons commencé à travailler sur la création d’installations numériques en présence du public pendant nos temps d’accueil. Assez vite, nous nous sommes rendu compte des avantages que cela nous procurait. C’était un excellent moyen de briser la glace avec le public. Du Google Bike2 au Laser tag3en passant par Jump, une installation qui prend une photo lorsque l’on saute, nos bricolages suscitaient l’intérêt. Nous présentions les choses simplement, « Aujourd’hui on essaie de fabriquer cette installation et on a besoin d’aide, vous pouvez nous aider si vous voulez ». Ces temps n’étaient pas annoncés sur le programme, on n’était pas sûr de réussir. Bien souvent il s’agissait d’une première pour nous également mais nous insistions sur l’idée « ensemble peut-être allons-nous y arriver ». Ces temps de collaboration ont changé également le regard du public sur notre travail. Certains usagers se déplaçant juste pour voir sur quoi nous étions en train de travailler. Un jour que je ne travaillais pas sur une installation, un lecteur m’a interpellé « bah alors, on ne travaille pas aujourd’hui ? ».
18En 2012, la directrice des affaires culturelles de la ville propose de monter le festival annuel de la médiathèque autour de la thématique du numérique. Cette thématique est vaste et ne correspondait pas à l’approche transversale que nous avions eue jusqu’à présent. Nous décidons de mettre en avant le mouvement « Makers » ou « Do it yourself » qui commence alors à émerger auprès du grand public. Il s’agissait avant tout de montrer l’impact des outils numériques dans le monde physique en permettant au public de les manipuler lors d’ateliers pratiques. Nous mettons en place le festival Fabriques numériques.
19Le projet s’est monté autour de trois objectifs généraux :
Utiliser : acquérir des connaissances techniques.
Comprendre : prendre en main, porter un regard critique, évaluer.
Créer : créer et communiquer.
20Pour en faire un projet pleinement numérique, nous mettons en place, afin de le coordonner, un wiki. Ce projet avait également pour objectif de développer une culture numérique auprès du reste de l’équipe. Il a fallu présenter les outils, former les collègues à la médiation des installations. Bien que motivée et impliquée, la médiation ne fut pas simple pour l’équipe. En 2012, expliquer le fonctionnement d’une imprimante 3D ou des lapins connectés à Internet4 ne fut pas chose aisée. À cela s’est ajoutée la pression due à la forte mobilisation en amont dans les collèges de la ville afin de présenter les installations et notre présence dans le centre commercial Ulis 2 pendant le festival.
21De nombreuses installations sont mises en place pour l’occasion, nous sortons du cadre de la médiathèque pour rayonner sur la ville. Des flashmobs sont organisés avec la compagnie de danse Massala, une chasse au trésor avec des lapins écrite par un auteur, du graffiti numérique sur la façade du cinéma en nous basant sur le travail du collectif Graffiti Research Lab ou encore l’Urban Musical Game organisé avec le service des sports En parallèle des « Ateliers bidouille » sont organisés. Ces derniers rencontrent un grand succès et affichent complet, preuve supplémentaire de l’appétence de notre public pour cette thématique.
Le Fablab mobile
22Suite au succès de Fabriques numériques, nous décidons de conserver le wiki que nous avions mis en place pour un usage interne et de le rendre public. Cet outil nous a permis de conserver et de documenter nos différentes installations. Il s’agissait également de disposer d’un « catalogue » d’actions à destination de nos partenaires et de permettre à d’autres personnes au-delà de notre territoire de pouvoir à leur tour mettre en place ces installations.
23Le développement des Fablabs, initié au Massachusetts Institute of Technology par le Pr Neil Gershenfeld depuis 2011, et l’appétence de notre public pour des ateliers de bricolage numérique, nous poussent à repenser le modèle de notre espace numérique. Nous poursuivons nos actions d’ateliers d’initiation, tout en développant de nouveaux ateliers de création notamment autour de Minecraft et de l’impression 3D.
24Fin 2013, nous décidions d’engager une refonte de l’espace numérique afin de mieux répondre aux attentes de notre public. Nous profitons de l’appel à projet « e-inclusion » lancé par la Fonderie, l’agence régionale, Ile-de-France du numérique. Nous présentons un projet d’atelier de fabrication numérique mobile. L’objectif étant de rayonner sur l’ensemble du territoire des Ulis puis de la communauté d’agglomération que nous venions alors d’intégrer. Par la suite les ateliers ont continué et de nouveaux axes ont été développés notamment autour de la mise en place d’une offre de jeux vidéo. Le club de robotique s’est hissé dans le top 5 au classement national et a pu partir représenter la France lors des rencontres internationales à Saint-Louis. L’ensemble de ces actions a permis à la médiathèque de devenir un acteur important du numérique sur son territoire.
Le bilan
25Ces réussites reposent uniquement sur la compétence de deux agents. Il était difficile de les diffuser au sein de l’ensemble de l’équipe. Les collègues n’étaient pas opposés aux différents ateliers numériques mis en place et s’investissaient avec plaisir lorsqu’ils étaient sollicités. Toutefois, malgré les échappées fréquentes de l’espace numérique hors de la médiathèque, celui-ci avait du mal à irriguer l’ensemble de la structure. La nouveauté et la technicité de certains ateliers ne facilitaient pas la situation. L’espace numérique souffrait finalement du même manque de transversalité que les autres espaces au sein de la médiathèque.
26Le numérique ne doit pas faire l’objet d’une prise en charge spécifique mais être pleinement intégré dans les différents aspects du métier. Dans l’idéal, le métier de médiateur numérique devrait disparaître pour devenir une compétence partagée par l’ensemble de l’équipe. Du côté des médiateurs numériques comme des médiathécaires, le risque est de se focaliser sur l’aspect technique. Les uns pour en tirer une légitimité basée sur un savoir-faire purement technique et les autres pour exclure ces pratiques de leurs champs de compétences.
27Un temps de formation est nécessaire aux différents outils. Nous sommes dans une phase d’apprentissage permanente. Il ne s’agit pas de faire des médiathécaires des animateurs multimédias, mais d’intégrer le numérique au service du projet de la structure. En menant cette approche, on se rend assez vite compte d’une chose : les compétences techniques, grâce à des outils simples d’accès, s’acquièrent relativement rapidement. À l’inverse, la capacité à mettre en relation les outils et les contenus est beaucoup plus complexe à développer. Ainsi les cartes de programmation Makey Makey ou le logiciel d’initiation à la programmation Scratch ne demandent pas plus d’une heure d’apprentissage pour en comprendre le fonctionnement et savoir les utiliser. Par contre, pour imaginer des histoires, des installations interactives, faire des passerelles avec vos collections, vous n’aurez pas assez de toute une vie. Ce qui est demandé finalement, c’est moins une compétence technique que de l’imagination et la capacité à animer des groupes. Ce qui est au cœur de ces séances n’est pas l’utilisation des outils, mais le contenu apporté par les médiathécaires, l’émulation entre les participants. Comme si l’important dans un atelier d’écriture était le crayon utilisé et non pas l’histoire produite.
28Cette capacité à créer des passerelles, imaginer des connexions impose une connaissance approfondie des usages, ce qui suppose de pratiquer des activités avec les usagers. Il est ainsi possible de dépasser une réflexion réduite à la connaissance d’un seul support. Plus qu’un simple profil de médiateur numérique que l’on placerait dans un organigramme, c’est tout un projet de service qui est à revoir. Une organisation plus transversale correspondant mieux aux supports hybrides que nous sommes amenés de plus en plus à intégrer dans nos collections, ainsi qu’aux pratiques de nos usagers.
Retour aux fondamentaux
29Après avoir mis en place de nombreux ateliers très orientés sur les questions de la programmation, de la fabrication, de l’électronique, je suis revenu sur des ateliers plus simples. J’avais, en effet, avancé vite, mais seul, sans arriver à réellement partager les compétences. Le travail de veille que je mène me permet de saisir (mais pas tout le temps) les enjeux et d’imaginer les usages de nouveaux services mis en place. Toutefois, même si certains services bluffaient mes collègues, cela relevait souvent de la boîte noire à leurs yeux et d’un champ de compétences très technique, derrière lequel il m’arrivait, il faut bien le reconnaître, de me cacher.
30Arrivé à la médiathèque de Choisy-le-Roi, je découvre une autre organisation. Non plus pensée par silo (verticalement) mais dans un ordre transversal. En tant que membre de l’équipe de direction, je dispose maintenant de plus de légitimité pour accompagner mes collègues. Un groupe numérique est mis en place. Celui-ci, comme les autres groupes de travail, n’est pas figé et regroupe des collègues qui ont par ailleurs des tâches variées : responsable du circuit du document, chargé des acquisitions jeunesse, formation des adultes… Depuis mon arrivée en 2014, le groupe a été modifié non pas que les collègues qui ont quitté le groupe ne feront plus de médiation numérique, mais il s’agit de faire circuler les compétences, tout en les accompagnant avec pour objectif de créer une culture professionnelle commune intégrant des savoir-faire dans le domaine du numérique.
31Je suis donc parti de l’existant. D’une activité déjà maîtrisée par les collègues qui puisse être valorisée par l’apport d’outils numériques sans que cela n’apporte une surcharge importante de travail. Il fallait aussi montrer que les collègues maîtrisent déjà un certain nombre de compétences numériques. Pour cela, nous sommes partis sur les ateliers « racontines ». Il s’agit de séances de lecture à voix haute et de comptines en direction des plus jeunes comme cela se fait dans de nombreux établissements. Les collègues s’enregistrent à l’aide du dictaphone de leur smartphone et nous publions les chants accompagnés des paroles sur un blog dédié. Le projet n’est pas spécialement innovant mais permet de montrer que l’important reste leurs compétences. Les outils numériques permettant de valoriser ce travail sans que cela devienne chronophage.
32Nous avons également opéré de la même manière pour les ateliers « cinéma éphémère »que nous menons l’été dans différents quartiers de la ville. Il s’agit d’atelier de création de court métrage. La captation est réalisée à partir d’une tablette, les séquences sont filmées dans l’ordre dans lequel elles seront ensuite diffusées (tourné-monté), limitant ainsi les compétences techniques requises. Le « story-board » est préparé à l’avance et adapté en fonction de l’âge des participants. Nous mettons à disposition des costumes, du carton, de la peinture, différents accessoires pour la création des décors, et pour filmer nous utilisons l’application vidéo par défaut de la tablette. Le son et l’image ne sont pas parfaits mais le cœur de l’atelier n’est pas là. Ce qui est mis en avant, c’est avant tout le plaisir de se déguiser, de jouer des rôles, de redécouvrir des textes, d’imaginer et de fabriquer des décors puis de regarder ensemble le résultat que l’on a réussi à créer.
33Cette approche transversale demande du temps, de la bienveillance, de l’accompagnement vis-à-vis des collègues. L’enjeu n’est pas de former aux outils mais de susciter des rencontres, des opportunités, des questionnements. Pour citer Lauren Bradley de la bibliothèque de Fayetteville, la mission des bibliothèques est « de fournir un accès libre et ouvert à l’information, aux technologies et aux idées5 ». Il s’agit d’explorer avec les usagers différents modes d’expression que ce soit par l’écriture, la programmation, les arts plastiques, la vidéo ou la musique. C’est en croisant les approches et les outils que l’on obtiendra les résultats les plus intéressants. Et si nous sommes d’accord sur le fait que l’important n’est pas l’outil technique mais bien ce que l’on en fait, finalement nous devrions arrêter de parler de médiation numérique pour nous concentrer sur la médiation.
Notes de bas de page
1 Depuis 2016, la « First Lego League » est organisée par le Centre de ressources en robotique éducative et professionnelle de Nevers : < http://firstlegoleaguefrance.fr >.
2 Un vélo d’appartement connecté au service google street view.Google Street View. Lire le mode d’emploi : Julien Devriendt, Julien. « Google Bike. », Bibliothèque(s), Juillet juillet 2015, n° 79.
3 Laser tag est un dispositif permettant de dessiner à l’aide d’un laser sur un bâtiment et de projeter le résultat. Voir la page du projet : < http://www.graffitiresearchlab.com/blog/projects/laser-tag/ >.
4 Voir le programme du Festival Fabriques Numériques : < http://frama.link/festivalulis >.
5 Sabine Leblanc, Made in ma bibliothèque, [En ligne] < http://owni.fr/2012/07/10/made-in-my-bibliotheque/ >.
Auteur
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Trois études sur la fréquentation juvénile
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2003