Cadre Géo-historique

Le cadre géographique

1À l’origine, le cadre géographique, défini pour ce travail, correspondait à l’Armorique dans sa compréhension historique, c’est-à-dire un vaste espace recouvrant un très large quart nord-ouest de la Gaule, de la Seine à la Loire, voire à la Gironde (cf. infra chap. I, p. 19). Afin de réaliser une étude dans des temps raisonnables, ce cadre a été réduit à deux régions administratives, la Bretagne et les Pays de la Loire, soit huit départements à l’exclusion de la Vendée, totalisant près de 50 000 km² : le Finistère, les Côtes-d’Armor, le Morbihan, l’Ille-et-Vilaine, la Mayenne, la Sarthe, le Maine-et-Loire et la Loire-Atlantique (fig. 1). Avec pour objectif de conserver, malgré tout, une cohérence historique, il a été décidé de ne pas tenir compte du département de la Vendée, qui englobe seulement la partie septentrionale de la civitas des Pictons, excepté pour le dernier chapitre qui concerne les analyses spatiales. Le choix de travailler selon des découpages administratifs offre l’avantage de l’accès à une documentation plus homogène, d’autant que pour l’espace désigné les limites antiques sont proches des contours actuels.

Fig. 1. Cadre administratif soumis à l’enquête sous fond altimétrique et hydrographique (réal. J. Remy).

2De fait, la Manche et l’Atlantique constituent les marges septentrionale et occidentale de cette zone d’étude qui inclut l’ensemble du Massif armoricain et les franges des massifs aquitains au sud et parisiens à l’est. De manière générale, le relief est peu marqué, essentiellement composé de plaines, plateaux et collines, dominés par quelques massifs érodés au centre de la Bretagne. Deux lignes de crêtes d’orientation ouest-est se dressent à de faibles altitudes, les monts d’Arrée au nord et les Montagnes Noires au sud, qui se prolongent jusqu’à Nantes par les Landes de Lanvaux et le Sillon de Bretagne. Ainsi, Le Roc’h Ruz, sommet des monts d’Arrée culmine à 385 m NGF, tandis que le Roc’h Toullaëron, localisé dans les Montagnes Noires, pointe à 318 m (fig. 2). Le mont des Avaloirs, situé au nord de la Mayenne, offre le point le plus élevé de l’espace étudié, mais également du Massif Armoricain, avec une altitude maximale de 416 m. Les territoires sont irrigués par un réseau hydrographique dense dominé par des fleuves côtiers qui pénètrent la péninsule Bretonne, à savoir la Vilaine, le Blavet, l’Aulne et la Rance, pour les plus importants. Au sud, la Loire-Atlantique et le Maine-et-Loire sont parcourus par le plus long fleuve de France, la Loire. La façade atlantique est marquée par un littoral très découpé où alternent des pointes et falaises davantage localisées au nord, des baies, rias et plages sablonneuses.

Fig. 2. Contexte géographique de l’ouest de la France et limites de la zone d’étude (réal. J. Remy).

La notion d’Armorique

3L’analyse d’une telle zone géographique nécessite de revenir sur le terme d’Armorique, notion longtemps assimilée à l’aire géographique de la Bretagne actuelle, comme en témoigne l’intitulé du douzième colloque de l’AFEAF, organisé en 1988 à Quimper – et dont le volet régional était centré sur la Bretagne : Les gaulois d’Armorique. La fin de l’âge du Fer en Europe tempérée1. En effet, il est indispensable d’évoquer les réalités géographiques et historiques qu’a pu désigner ce terme, afin de comprendre les raisons pour lesquelles son emploi, en tant qu’entité géographique protohistorique cohérente, ne peut être ici justifié.

L’Armorique selon César

4Du point de vue des sources antiques – que M. Vaginay examine pleinement à l’occasion du colloque de l’AFEAF de Nantes (2003) – les termes armoricus et armoricae employés à trois reprises par César dans la Guerre des Gaules, qualifient clairement les peuples gaulois de l’Ouest installés près de l’Océan : quae Oceanum attingunt quaeque eorum consuetudine Armoricae appellantur, autrement dit “l’ensemble des peuples qui bordent l’Océan et qui se donnent le nom d’Armoricains” (Caes., Gal., 7.75). Il dénombre alors sept peuples – les Coriosolites, les Redons, les Ambibarii, les Calètes, les Osismes, les Lémovices, les Unelles –, dans la liste desquels ne figurent étrangement pas les Namnètes et les Vénètes, probablement pour la simple raison qu’elle n’est pas exhaustive comme le souligne M. Vaginay2. Les deux autres emplois de l’adjectif armoricain ne donnent pas de précisions quant aux peuples qu’il recouvre.

“Il apprit notamment de Lucius Roscius, qu’il avait mis à la tête de la treizième légion, que des forces gauloises importantes, appartenant aux cités qu’on nomme Armoricaines, s’étaient réunies pour l’attaquer ...” (Caes., Gal., 5.53).

“Les Carnutes, qui, bien que souvent éprouvés, n’avaient jamais parlé de paix, donnent des otages et se soumettent ; les autres cités, situées aux confins de la Gaule, touchant l’Océan, et qu’on appelle armoricaines, entraînées par l’exemple des Carnutes, remplissent sans délai, à l’approche de Fabius et de ses légions, les conditions imposées” (Ibid., 8.31).

5Les autres mentions qu’il fait de ces “régions maritimes” évoquent différents peuples littoraux, dont certains Armoricains, au sein d’un espace s’étendant au-delà des estuaires de la Loire et de la Seine.

“À la même époque, Publius Crassus, que César avait envoyé avec une légion chez les Vénètes, les Unelles, les Osismes, les Coriosolites, les Esuvii, les Aulerques, les Redons, peuples marins riverains de l’Océan, lui fit savoir que tous ces peuples avaient été soumis à Rome” (Ibid., 2.34).

6Au Livre III de la Guerre des Gaules, César relate le soulèvement des Vénètes – en 57/56 a.C. – et nous éclaire sur leurs liens avec les peuples voisins. Il s’exprime en ces termes au sujet des Vénètes :

“Ce peuple est de beaucoup le plus puissant de toute cette côte maritime : c’est lui qui possède le plus grand nombre de navires, flotte qui fait le trafic avec la Bretagne [...] Les premiers, ils retiennent Sillius et Vélanius, pensant se servir d’eux pour recouvrer les otages qu’ils avaient donnés à Crassus. Leur exemple entraîne les peuples voisins. [...] Toute la côte est promptement gagnée à leur avis, et une ambassade commune est envoyée à Publius Crassus pour l’inviter à rendre les otages s’il veut qu’on lui rende les officiers” (Ibid., 3.8).

7En réponse à cette révolte, César fait construire une flotte sur la Loire, en préparation d’une guerre et dans l’attente de pouvoir rejoindre Crassus. Les Vénètes, mis au courant de l’arrivée de César, organisent également des préparatifs et pour cela :

“s’assurent pour cette guerre l’alliance des Osismes, des Lexovii, des Namnètes, des Ambiliates, des Morins, des Diablintes, des Ménapes ; ils demandent du secours à la Bretagne, qui est située en face de ces contrées” (Ibid., 3.9).

8Ce passage signifie que les peuples de l’Ouest sont capables d’une prompte coalition pour défendre un intérêt commun à l’encontre de César, ce qui sous-entend des relations étroites préexistantes d’ordre commercial, ethnique ou politique. Certains de ces peuples ont directement accès à la mer et sont parfois désignés de maritimae civitates, ou d’Armoricae, les autres leur sont voisins. En tout cas, la localisation géographique d’une Gaule occidentale, proche de l’Oceanus, constitue clairement le point de concordance de l’ensemble de ces civitates, qui ne sont pourtant pas toutes explicitement qualifiées d’armoricaines par César (fig. 3). Néanmoins, le réexamen des sources césariennes désigne un complexe armoricain qui ne peut être limité à l’actuelle Bretagne et qui est visiblement employé par le général romain pour définir un territoire plus vaste que celui fixé par notre cadre d’étude.

Fig. 3. L’Armorique selon la Guerre des Gaules de César : a. Les peuples armoricains bordant l’Océan et mentionnés au Livre VII, 75. b. Les peuples riverains de l’Océan mentionnés au Livre II, 34. c. Les peuples de l’ouest alliés des Vénètes en 57/56 a.C. et mentionnés au Livre III, 9. d. Synthèse des trois extraits (réal. J. Remy).

9Par ailleurs, la révision de la Guerre des Gaules interroge sur la nature des relations qu’entretiennent ces différents peuples. Effectivement, en 1990 A. Duval s’interrogeait à juste titre sur la nature d’une “entité armoricaine”3. Était-elle considérée par César comme l’une des grandes régions de la Gaule, au même titre que la Gaule Belgique ou l’Aquitaine, bien qu’il ne l’individualise pas formellement ?

10Le proconsul n’apporte pas de renseignements formels à ce sujet, il affirme simplement que les Vénètes apparaissent comme les plus puissants (Ibid., 3.8). Voyons ce qu’il est possible de tirer de ses commentaires.

11En 52 a.C., les chefs gaulois rassemblés à Alésia, en position de siège, décident de rassembler une armée de secours. César énumère, pour chaque peuple, un quota d’hommes en armes sollicités à cette occasion, éclairant le lecteur sur la nature des liens entre certaines civitates. C’est ainsi que les chefs gaulois réclament, entre autres, “aux Héduens et à leurs clients [...] trente-cinq mille hommes”, “un chiffre égal aux Arvernes, auxquels on joint [...] leurs vassaux”, “vingt mille à l’ensemble des peuples qui bordent l’Océan et qui se donnent le nom d’Armoricains...” (Ibid., 7.75). De fait, les Armoricains sont présentés comme des peuples coalisés mais visiblement autonomes, devant s’entendre pour réunir un contingent d’hommes, a contrario de certaines civitates gauloises dont la décision semble soumise à celle d’une autre (clientibus et sub imperio).

12Au Livre III (Commentaire, 8.1), en décrivant le peuple vénète, César affirme que “presque tous ceux qui naviguent habituellement dans ces eaux sont leurs tributaires”, quos tenent ipsi – terme qui désigne certaines civitates voisines –, qu’il faut sans doute comprendre comme redevables d’une taxe, d’un droit que les Vénètes perçoivent de ceux qui fréquentent leurs ports : omnes fere qui eo mari uti consuerunt habent vectigales. Donc il semblerait que l’autorité des Vénètes vis-à-vis des autres peuples soit d’ordre commercial et limitée à la navigabilité de l’Océan, sans qu’il n’y ait nécessairement de rapport de dépendance ou de clientélisme politique et/ou militaire. C’est également l’avis de S. Fichtl qui propose de comprendre l’Armorique comme un système de citées confédérées4. Nombre de chercheurs rallient aujourd’hui cette idée, avançant des arguments historiques ou numismatiques. Pour L.-P. Delestrée et du point de vue de la numismatique, si la possibilité d’une suprématie maritime vénète apparaît concevable, une quelconque domination politique et/ou militaire de l’ouest de la Gaule par les Vénètes, elle, ne peut être envisagée5.

13P. Thollard, quant à lui, réfute l’hypothèse d’une hégémonie politique basée sur une puissance militaire maritime, s’appuyant sur le réexamen des descriptions des navires vénètes – que l’on doit à César6 mais également Strabon7 – auxquels le général romain se confronte lors du conflit qui l’oppose à ce peuple en 57/56 a.C. Son analyse le conduit à penser que les Vénètes sont équipés de navires de commerce, d’une flotte de marine marchande et non de vaisseaux de guerre, remettant, de fait, en cause leur puissance militaire marine8. Si aucune preuve archéologique (aucune épave gauloise) ne peut aujourd’hui venir conforter cette intuition, il est vrai que les descriptions, qui nous parviennent des auteurs antiques, rappellent les épaves de caboteurs de tradition “romano-celtique” – des bateaux larges, longs, à fond plats, constitués de bordages joints à franc-bord cloués sur une membrure de fort échantillonnage – découvertes à Londres ou dans les îles anglo-normandes, à savoir l’épave Blackfriars I (milieu ii^e s. a.C.), l’épave de St. Peter Port (ii^e ou du iii^e s. a.C.) et l’épave du County Hall datée du iii^e s. a.C.9. Elles sont, en effet, bien différentes des navires de guerre antiques à éperons, légers et longs, équipés de rameurs10 et qu’évoquent César : “Quand notre flotte se rencontrait avec de pareils vaisseaux, elle n’avait d’autre avantage que sa rapidité et l’élan des rames”, “nos éperons ne pouvaient rien contre eux” (Caes., Gal., 3.13).

... selon les chercheurs

14C’est l’analyse de ces sources qui a conduit les chercheurs à construire, dès les années 1970, un argumentaire pour définir une Armorique en tant qu’entité propre et à tenter de dégager ses caractéristiques à travers l’étude des données archéologiques.

15En 2003, M. Vaginay soulignait la définition ambigüe réservée à ce terme par certains archéologues, qui, dans un premier temps, ont pu s’accorder sur une Armorique désignant un vaste espace tel qu’il est présenté par César, puis ont eu tendance à réduire ce territoire à celui de la Bretagne. Ainsi, en 1979, P.-R. Giot désigne les “régions armoricaines, au sens large, dans le nord-ouest et l’ouest de la Gaule”11. Au fur et à mesure son discours se concentre sur une “Armorique occidentale”, limitée aux territoires des Osismes, des Vénètes et des Coriosolites. Ainsi, il oppose un occident atlantique d’une Gaule continentale. S’il concède l’existence d’une grande Armorique, il s’échine à démontrer, à travers les traces archéologiques, la spécificité d’une Armorique occidentale. Il parle d’un “enracinement atlantique” d’“une tradition technique d’un peuple de marins”12.

16Cette ambiguïté n’est plus de mise en 1980, alors que P. Galliou identifie clairement l’Armorique à la Bretagne comme cadre d’étude d’une contribution consacrée aux invasions du Bas-Empire13. Il s’inscrit à nouveau dans cette tendance lorsqu’il publie, en 1983, L’Armorique romaine dont le cadre géographique est également restreint à la Bretagne. Il prend d’ailleurs le soin de préciser dans l’introduction de cet ouvrage que “le terme Armorique étant ici attaché à la péninsule bretonne et non à l’Armorique des auteurs anciens, qui s’étendaient de l’embouchure de la Gironde à celle de la Seine”14. E. Le Goff se situe pleinement dans cette tradition alors qu’il tente justement de contester la cohérence culturelle, pour la période gauloise, d’une Bretagne fondée sur un cadre administratif actuel15. De fait, il se démarque de ces prédécesseurs, de P. R. Giot, ou d’A. Duval, qui reconnaissent un particularisme atlantique, une “Gaule Atlantique”, s’opposant au reste du continent16. Notons qu’A. Duval apparaît, néanmoins, plus prudent vis-à-vis de l’emploi du terme “Armorique”, puisqu’en 1990, après une révision des Commentaires de César, il défend même l’idée d’une grande Armorique (fig. 4). Il reste cependant plus hésitant quant à la définition des limites sud-est de ce complexe, qu’il propose d’abord d’étendre jusqu’à la Garonne17, puis de restreindre à la vallée de la Loire, au niveau de son embouchure18. En effet, l’examen des sources antiques l’incite alors à exclure d’un large quart nord-ouest les peuples des Andes, des Pictons, des Turons et des Véliocasses qui ne sont jamais mentionnés par César lorsque celui-ci évoque les différents regroupements de cités : les peuples qui se soumettent à Crassus en 57 a.C. (Caes. 3.34 ; fig. 3, b), ceux qui forment une coalition autour des Vénètes (3.9 ; fig. 3, c) et ceux d’Amorique venus au secours de Vercingétorix (7.75 ; fig. 3, a).

Fig. 4. Découpage de la Gaule selon A. Duval : 1. Gaule Belgique, 2. Gaule Armoricaine, 3. Gaule du Centre, 4. Gaule de l’Est, 5. Narbonnaise, 6. Aquitaine, 7. Parisii (Duval 1984, fig. 26).

17De nouveau, ces limites sont discutées lors du XXXI^e colloque de l’AFEAF, tenu à Chauvigny (Vienne). À ce moment, les chercheurs s’accordent pour définir une “Grande Armorique”, allant de la Basse-Normandie au Bordelais (de la Seine jusqu’à la Gironde) et correspondant à une entité territoriale, au même titre que la Gaule Belgique ou la Gaule du Centre, avec des sous-ensembles régionaux19. La réintégration de la région centre-ouest de la Gaule au complexe armoricain s’appuie sur une remarquable analyse historique de l’Aquitaine proposée par J. Hiernard20.

18Rappelons qu’au moment de la réorganisation des Provinces de la Gaule par Auguste, la petite Aquitaine (de l’époque césarienne) est étendue jusqu’à la Loire par l’adjonction de quatorze peuples dont les Pictons et les Santons. J. Hiernard montre, d’après un passage emprunté à Pline l’Ancien21, que la création de la province romaine d’Aquitaine a connu un premier nom, celui d’“Arémorique”, probablement emprunté à la grande région qui englobait initialement les quatorze peuples22.

19Notons que cette démonstration s’ajoute à un argument numismatique précédemment avancé par le même auteur – et s’appuyant sur la circulation des séries de statères des ii^e et i^er s. a.C. découvertes en Poitou –, pour justifier l’existence d’une Grande Armorique23. Elle souligne néanmoins l’ironie de la désignation d’une entité armoricaine forte, telle qu’elle a pu être défendue par les chercheurs bretons, qui ont parfois eu tendance à l’accaparer, alors que la grande province d’Aquitaine administrée par Auguste “avait failli s’appeler l’Armorique”24. On constate que cette vision restreinte à la Bretagne, bien que coriace25, est peu à peu abandonnée par tous les chercheurs, comme en témoigne l’évolution de la revue de l’Université de Bretagne Occidentale de Brest (Finistère), Aremorica. Inaugurée en 2007, son titre annonce clairement, à ses débuts, un choix de publication d’études régionales, mais rapidement, l’intérêt scientifique s’étend au grand ouest (2009), puis la revue exprime sa volonté de se démarquer d’un cadre de recherche limité à la Bretagne actuelle, déplorant son absence de cohésion historique pour l’Antiquité.

20La définition d’une Armorique répondant à un vaste ensemble – caractérisé par la limite atlantique à l’ouest, la Seine au nord et outrepassant celle de la Loire au sud – s’appuie aujourd’hui sur des arguments historiques, numismatiques, toponymiques et archéologiques26. Par ailleurs, les contours proposés sont assez proches de ceux du Massif Armoricain, massif géologique ancien localisé dans le nord-ouest de la France (formations précambriennes et hercyniennes) et composé de schistes cristallins, de granites et autres roches cristallines (fig. 5). La réutilisation de ce terme à la fin de l’Antiquité tardive conforte l’hypothèse d’une définition géographique large de l’Armorique. Au cours du iv^e s. p.C., une administration militaire est créée lors du règne de Valentinien I^er pour protéger les côtes, le Tractus armoricanus et nervicanus27. Initialement conçue pour protéger le littoral allant du Nord-Pas-de-Calais à la Gironde, S. Fichtl rappelle qu’elle a été principalement active entre la Seine et la Loire, d’après la Notice des dignités (Notitia Dignitatum, section XXXVII) qui liste les unités de commandements28. Les limites sont ici étendues à un large quart nord-ouest, mais la prise en compte des territoires au sud de la Loire pose encore problème.

Fig. 5. Limites des peuples gaulois concernés par l’étude sous fond de carte géologique (réal. J. Remy d’après BRGM).

21Finalement, il apparaît que la question de la définition de l’Armorique, qui couvre à l’origine et sous la plume de César une dimension géographique, a fait naître bon nombre de débats quant à la nature des relations entre les différents peuples évoqués par le général et ceux oubliés de ses listes. Et ces relations commerciales, culturelles et/ou politiques sont encore aujourd’hui largement discutées. Néanmoins, il faut rendre à César ce qui lui appartient, c’est pourquoi on ne s’inscrira pas ici dans une tradition visant à concevoir l’Armorique comme une entité culturelle ou politique à la Protohistoire. De fait, la position de M. Vaginay qui comprend, à travers les propos de César, une désignation d’ordre uniquement géographique “à l’évidence subdivisé[e] en plusieurs sous-ensembles” apparaît comme la plus appropriée29. La révision de la Géographie de Strabon par C. Goudineau, suggère d’ailleurs que les désignations de “peuples maritimes”, par César, traduisent une certaine représentation géographique de l’Occident autour du changement d’ère. En effet, s’appuyant principalement sur le livre IV du géographe, il propose alors une traduction de ses propos, concernant le découpage administratif des provinces de Gaule (la Lyonnaise, l’Aquitaine et la Belgique) – mis en place par Rome sous Auguste –, calquée à la cartographie actuelle, partant du constat que Strabon avait une vision géométrique de l’Occident30. D’après, C. Goudineau, le découpage administratif relève non pas de choix politiques mais bien d’une logique géographique, les provinces formant ainsi “des figures géométriques proches du parallélogramme”31. Cette représentation place la Belgique et la Lyonnaise entre Loire et Rhin, “la première occupant la partie septentrionale, la seconde la partie méridionale de cet espace” (fig. 6 et 7). Bien qu’il ne soit pas possible d’établir l’origine ni même d’affirmer l’existence d’une telle carte, cette proposition cartographique s’accorderait bien avec les descriptions de César, qui écrivait : “la Gaule fait face au nord sur toute sa longueur” (Gal., 4.20.1).

Fig. 6. La Gaule vue par Strabon d’après C. Goudineau (réal. J. Remy, d’après Goudineau 2007, 480, fig. 6).

Fig. 7. Interprétation de C. Goudineau de la répartition des provinces du Haut-Empire selon Strabon (Goudineau 2007, 487, fig. 9).

22Actuellement, les sources ne permettent en aucun cas de définir une région à part entière, une Armorique déterminée par une politique cohérente et/ou caractérisée par une identité culturelle propre. Les partis-pris identitaires, on l’a vu, ne sont pas toujours absents des travaux des chercheurs, influencés par leurs propres affections, à plus forte raison lorsqu’il est question d’un territoire. À ce propos, on s’étonnera de voir sur des cartes présentant un découpage régional de la Gaule, le seul territoire des Parisii individualisé32 ... Y aurait-il eu une Lutèce capitale des Gaules ?

23Il est donc nécessaire de prendre acte de ces influences comme l’un des biais de la recherche afin de pouvoir s’en dégager. Par conséquent, il convient, pour mener une étude objective, de s’affranchir de ces discours identitaires qui ont concouru à bâtir une Armorique en tant qu’entité politique et de se concentrer, en premier lieu, uniquement sur un bilan archéologique objectif. Il sera d’ailleurs intéressant de revenir sur ce débat au terme de cette synthèse.

Discussion autour des limites de civitates à la fin de l’Indépendance

24De manière générale, la difficulté à construire une réflexion archéologique à travers un cadre historique réside notamment dans le fait qu’il peut être complexe de discerner – et particulièrement pour la période gauloise pour laquelle les témoignages sont limités – les découpages ethniques, d’une réalité administrative et politique en constante évolution. D’autant que ces différents types de renseignements se mêlent souvent via le discours des auteurs antiques. Ainsi, César, tente de décrire des territoires tels qu’ils existaient au moment de la Conquête, dans leur complexité ethnique, avec le point de vue des Romains du i^er s. a.C. dont l’intérêt commercial ne devait pas être négligeable, dans le contexte belliqueux que l’on connaît. En parallèle, les témoignages, qui nous sont parvenus des découpages opérés dès l’époque augustéenne puis au Haut-Empire, ont probablement eu tendance à lisser certaines spécificités régionales au profit d’une logique administrative33. Finalement, c’est toute la complexité de la notion de territoire, dont nous savons assez peu de choses pour les périodes anciennes, qui influe sur l’angle d’approche de l’archéologue (cf. infra chap. I, p. 39)

25Conscients des difficultés qui prévalent sur notre connaissance de l’agencement des territoires à la fin de l’Indépendance, voici de quelle manière il est possible de les définir au sein de l’espace soumis à l’étude.

26Sept peuples gaulois sont assurément compris dans le cadre administratif actuel, préalablement défini : les Osismes, les Coriosolites, les Vénètes, les Riedones, les Aulerques Diablintes, les Aulerques Cénomans, les Andécaves et les Namnètes (fig. 8). Connus à l’époque romaine, ils sont tous mentionnés par César (Gal., 2.34 ; 3.9 ; 4.75), mais également par Pline l’Ancien dans la description qu’il livre de la Lyonnaise, où il précise la géographie de la péninsule bretonne qui s’avance dans l’Océan (Nat., 4.32). Strabon, quant à lui, n’évoque que trois de ces civitates : les Osismes qui occupent la péninsule et qui sont voisins des Vénètes, ceux-là mêmes qui se sont opposés à César lors d’une bataille navale (Géographie, 4.4.1). Enfin, il place les Namnètes à l’embouchure de la Loire (Ibid., 4.2.1). Malheureusement, ces descriptions, rédigées entre la fin du i^er s. a.C. et la seconde moitié du i^er s. a.C., ne permettent pas d’établir les limites des territoires qui nous intéressent. Ce problème, récurrent pour la fin de l’âge du Fer, trouve, la plupart du temps, une solution dans l’analyse régressive des limites de diocèses, choix qui a été retenu ici34.

Fig. 8. Limites des peuples gaulois et cadre administratif actuel concerné par l’analyse territoriale, sur fond hydrographique (réal. J. Remy).

27De fait, les limites proposées correspondent, à quelques exceptions près (territoire des Namnètes), aux limites de cités antiques communément admises et établies sur la base des contours de diocèses médiévaux et de recherches ponctuelles menées dans le courant du xx^e siècle – principalement nourries de la toponymie (Ingrande, Equoranda et ses dérivés, Basilica, Feins, Fines...) –, réajustées aux données topographiques (suivi de lignes de crêtes) et hydrographiques35. En résumé, pour la fin de l’âge du Fer, la définition des contours de territoires s’est largement inspirée des travaux réalisés pour la période romaine, eux-mêmes hérités des données médiévales. Cependant, depuis un peu plus d’une dizaine d’années, la numismatique gauloise s’est révélée constituer un très bon axe de recherche quant à la détermination des frontières, les monnaies étant un indicateur fort du pouvoir qui l’émet. L’étude des différentes séries monétaires, de leur répartition et de leur quantification par site, peut offrir, selon les peuples, des réponses quant aux limites territoriales36. Les récentes avancées en numismatique montrent que ce n’est pas toujours possible, puisque dans certains cas les émissions sont supra-régionales ou au contraire limitées à une micro-région autour du site émetteur37. De fait, il n’existe pas un système monétaire gaulois homogène, mais une diversité des pratiques. K. Gruel a ainsi défini quatre mécanismes de diffusion et de circulation monétaire susceptibles d’avoir fonctionné dans le courant de l’âge du Fer en Gaule et dans les régions voisines, variant en fonction de la structure socio-politique de la région38. Pour les territoires de l’ouest de la Gaule, des études sur la circulation monétaire gauloise ont d’ailleurs montré une certaine adéquation avec les délimitations proposées ici pour les peuples des Osismes, des Riedones, des Cénomans et des Diablintes39 (fig. 9).

Fig. 9. Carte de répartition des monnaies gauloises osismes, riedones et cénomanes (réal. J. Remy, d’après Gruel 2002, 207).

28Toutefois, les données historiques et archéologiques, pour l’âge du Fer, ne permettent pas aujourd’hui d’aller au-delà de ces constats, or il est nécessaire de dresser un cadre géographique comme point de départ à cette analyse territoriale, qui aura justement pour ambition de le discuter dans un second temps. C’est pourquoi il faut se résoudre à recourir aux travaux de nos collègues antiquisants. À ce propos, M. Monteil a réexaminé la question des limites de cités au Haut-Empire, aboutissant à un découpage pour l’ouest de la province de Lyonnaise, sur un territoire sensiblement identique à notre choix d’étude40.

29Pour la Bretagne, sa démarche s’est appuyée sur des recherches conduites dans le milieu du xx^e siècle41 qui ont été, en partie discutées42 et synthétisées43. Pour les Pays de la Loire, les enquêtes sont plus isolées. Ce constat n’est d’ailleurs pas anodin puisque l’unité historique que l’on connaît pour la Bretagne n’a pas de réalité en Pays de la Loire, engendrant des conséquences sur les zones de recherche (cf. infra chap. I, p. 60). De fait, on doit la détermination des contours des cités cénomane et diablinte aux recherches de C. Lambert et de J. Rioufreyt44, de J. Naveau45, mais également de J.-P. Bouvet et A. de Saulce46. Les limites du peuple andécave, quant à elles, ont été principalement fixées par P. Dain47 et M. Provost48, mais également R. Niderst49, à travers des examens toponymiques, puis ont été modifiées par J.-P. Brunterc’h50 et J.-C. Meuret51.

30Le territoire namnète reprend également les contours définis pour l’époque romaine, sauf pour la frontière méridionale dont l’emplacement reste incertain. Si la question de la limite sud des Namnètes – correspondant au cours de la Loire – semble définitivement résolue pour la période romaine52 et largement appuyée par les sources antiques, le problème demeure pour la Protohistoire. En effet, l’attribution du sud du département de Loire-Atlantique, mais également de la partie méridionale du Maine-et-Loire, constituant un espace octroyé aux Pictons en 16-13 a.C. ou peu avant, est toujours en discussion pour la période gauloise (cf. infra chap. I, p. 32). Effectivement, les données numismatiques vont à l’encontre du cadre fixé par Auguste, puisque les cartes de répartitions des monnaies, à La Tène finale, montrent une grande majorité de statères de type armoricain (Vénètes, Namnètes, Riedones, Osismes, etc.) en circulation dans cette zone géographique, contre une minorité de monnaies d’or attribuée aux Pictons53 (fig. 10).

Fig. 10. Carte de répartition des monnaies d’or gauloises au sud de la Loire (réal. J. Remy, d’après Hiernard 1996, 45).

31Enfin, la limite nord-est de la cité namnète et son contact avec celle des Diablintes et des Andécaves, est également sujette à des débats, dont J.-C. Meuret a rappelé les enjeux54. En effet, la région du Craonnais, située à la confluence de ces territoires, a été tantôt rattachée aux Namnètes tantôt aux Andécaves, – hypothèse la plus couramment retenue chez les protohistoriens55 –, voire inclue à une zone désertique au contact entre ces deux civitates56. Néanmoins et sans entrer dans les détails, la proposition de J.‑C. Meuret – qui s’appuie sur la toponymie et la numismatique – d’étendre la cité Namnète au Craonnais (à l’époque romaine et à l’âge du Fer), également soutenue par J. Naveau57, puis par M. Monteil, apparaît comme la plus acceptable.

32À l’issue de cet examen, on constate que les limites des peuples restituées se confondent assez peu avec les contours des départements actuels (fig. 11). Par conséquent, à l’est de la zone d’étude, elles outrepassent le cadre administratif soumis au dépouillement. Ainsi, la civitas des Aulerques Cénomans grignote sur le sud de l’Orne et le nord-est du Loir-et-Cher, tandis que la frontière est des Andécaves sillonne l’ouest du département d’Indre-et-Loire.

Fig. 11. Proposition de restitution des limites de territoires gaulois et cadre administratif actuel sur fond orographique (réal. J. Remy).

33En somme, le cadre d’étude défini couvre huit civitates et peut-être neuf (Ambiliates ?), de tailles relativement modestes, établies à l’extrémité occidentale de la Gaule, cernées au nord par la Normandie et la civitas des Abrincates et celle des Esuviens, à l’est par la région centre et les territoires turon et carnute et au sud par l’Aquitaine avec les Pictons (fig. 12). Les franges continentales de notre zone d’étude constituant une zone tampon avec les territoires plus imposants du centre et centre-ouest de la Gaule.

Fig. 12. Carte des civitates gauloises et localisation des territoires concernés par l’étude (réal. J. Remy, d’après Fichtl 2012, 18).

Des peuples disparus : les Ambiliates et les Anagnutes

34Deux autres peuples sont mentionnés par les auteurs antiques, les Ambiliates (ou Ambilatres) et les Anagnutes, dont la localisation fait encore débat puisqu’on n’en retrouve aucune trace après l’organisation administrative de la Gaule en 16-13 a.C.

35Ainsi, César évoque le peuple Ambiliate à une unique occasion (cf. supra chap. I, p. 19), au titre de l’un des peuples coalisés des Vénètes lors du combat qui les oppose au général romain en 57/56 a.C. (Gal., 3.9). Cependant cette citation renseigne peu sur leur situation, au mieux il est possible d’envisager une certaine proximité entre ces deux peuples. Pline l’Ancien, quant à lui, livre un véritable indice géographique puisqu’il mentionne les Ambilatres à l’occasion d’une description qu’il propose des différentes cités qui composent l’Aquitaine romaine (Nat, 4.34). En effet, P.-M. Duval a montré que la description du naturaliste suivait une logique géographique, partant de la Loire et descendant vers le sud58. Suivant cette démonstration, le peuple ambilatre trouve sa place juste au sud de la Loire, à l’extrémité nord-ouest de l’Aquitaine (fig. 13). Précisons que les historiens et archéologues s’accordent, en général, sur la correspondance des Ambilatri de Pline et des Ambiliatos de César59.

Fig. 13. Carte de l’Aquitaine romaine restituée par P.-M. Duval, selon la description de Pline l’Ancien (Duval 1955, fig. 1).

36Au Livre IV (75.4), César fait également mention de la civitas des Ambibares dans la liste de peuples armoricains implantés au bord de l’Océan : universis civitatibus, quae Oceanum attingunt quaeque eorum consuetudine Armoricae appellantur, quo sunt in numero Curiosolites, Redones, Ambibarii, Caletes, Osismi, Veneti, Lemovices, Venelli. Il serait séduisant de confondre les Ambibares et les Ambiliates malheureusement aucun indice ne permet réellement d’étayer cette proposition, si ce n’est que, dans les deux cas, ces noms sont associés à des peuples armoricains.

37Sur les bases de ces extraits d’auteurs antiques, plusieurs chercheurs ont tenté de localiser ce peuple, nous en retiendrons les propositions les plus probantes.

38La première hypothèse sérieuse est attribuée à J. Hiernard, qui après avoir démontré la pertinence de l’étude des limites antiques de la cité pictonne à partir de l’analyse des toponymes frontaliers de la série des Ingrandes, souligne la présence de l’un de ces toponymes au sein du territoire (au sud de la Vendée actuelle). Il en déduit l’existence possible d’un autre peuple à l’époque gauloise, installé en Bas-Poitou60. Il développe cette idée en analysant la circulation monétaire gauloise (monnaies des ii^e-i^er s. a.C.) de la cité des Pictons (d’après les limites augustéennes) :

• dans un premier temps, il observe une faible circulation des monnaies pictonnes dans un secteur ouest (nord-ouest de la cité), correspondant au pays de Retz, aux Mauges et au bocage vendéen ;

• dans un second temps, il s’aperçoit que dans une zone à peu près équivalente a circulé nombre de monnaies attribuées aux peuples du nord-ouest de la Gaule – les Andécaves, les Namnètes, les Vénètes, les Riedones, les Osismes – formant une concentration particulière au niveau du pays de Retz, des Mauges, du Thouarsais et “accessoirement” du bocage vendéen.

39Il en tire la conclusion que l’ouest de la future cité romaine pictonne – correspondant approximativement aux contours de la Vendée militaire c’est-à-dire le sud de la Loire-Atlantique, le sud-ouest du Maine-et-Loire, les deux tiers nord de la Vendée et le quart nord-ouest des Deux-Sèvres – était probablement occupé à l’époque de l’Indépendance gauloise par un ou plusieurs autres peuples61 (fig. 14). Il fait ensuite le lien entre cet espace dégagé et la localisation des Ambilatri de Pline l’Ancien, justement placés, par P.‑M.  Duval, à l’ouest de la cité romaine pictonne et au sud de la Loire.

Fig. 14. Les différentes hypothèses de localisation des Ambiliates, peuple disparu après l’organisation de la Gaule par Auguste (réal. J. Remy).

40Lors du 31^e colloque de l’AFEAF, A. Duval oppose plusieurs arguments à la démonstration de J. Hiernard. Le territoire désigné serait presque aussi grand que celui des Pictons, encerclé par celui-ci et localisé dans un secteur peu peuplé donc ayant peu d’intérêt à être indépendant. Des arguments qui semblent pouvoir être invalidés du fait qu’il réduit l’espace désigné par J. Hiernard au seul Bas-Poitou, “en gros dans tout le Bas-Poitou”, ce qui correspondrait aux limites de la Vendée actuelle62. Ainsi, il fait litière du pays de Retz et des Mauges que J. Hiernard associe pourtant précisément à l’ensemble géographique qu’il distingue. D’ailleurs, en 1996, celui-ci formule de nouveau cette hypothèse, principalement fondée sur une analyse numismatique, précisant à nouveau ce découpage territorial “[...] la Vendée actuelle devait être partagée, dans l’Antiquité pré-romaine, entre au moins deux entités ethno-politiques : les pictons au sud, et un ou plusieurs peuples armoricains au nord”63. C’est sans doute pour cette raison qu’A. Duval oppose cette hypothèse64, à une seconde qui placerait les Ambiliates sur la basse vallée de la Loire et dans les Mauges. Cependant, cette seconde hypothèse s’appuie sur une nouvelle étude numismatique réalisée par G. Aubin et J. Hiernard65, qui ne contredit pas nécessairement la première et semble plutôt même la préciser, puisqu’en 1979 J. Hiernard présumait l’existence d’une ou de plusieurs autres cités.

41Effectivement, en 1979, puis en 1996, J. Hiernard souligne le fait que le peuple Ambiliate, s’il est localisé dans une région où ne circulent que des numéraires attribués à d’autres peuples, ne devait pas être suffisamment riche ou autonome politiquement pour frapper sa propre monnaie. Or, l’historien et le numismate ont mis en évidence l’existence d’une monnaie bien particulière qui passerait pour l’un des premiers monnayages de l’ouest de la Gaule66 : les quarts de statères en or dits “au pontife forgeron”. Bien que peu nombreuses (13 à 14 exemplaires avérés67) et plus anciennes (entre la fin du iii^e et le début ii^e s. a.C.) au regard des monnaies ayant servi à l’analyse de 1979, elles pourraient donc représenter la première monnaie émise dans ce secteur et plus précisément entre les Mauges – région reconnue pour sa richesse en gisements aurifères – et le Craonnais. Une autre série “de style armoricain” dite “aux aigrettes”, – surnommée ainsi pour la présence au droit d’un décor en demi-cercle situé à l’arrière d’une tête humaine – découverte uniquement dans un secteur proche, au sud de la Loire entre les Mauges et le Gâtinais – autour de Cholet (fig. 15), pourrait également y avoir été émise68. Il est alors tentant d’attribuer ces émissions au fameux peuple disparu des Ambiliates69.

Fig. 15. Répartition des monnaies gauloises dans le sud de la Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire (Aubin 2010).

42La troisième et dernière hypothèse propose de situer les Ambiliates dans la région de l’Aunis – région culturelle au sud de la Vendée actuelle dont la capitale est La Rochelle –, qui procède d’une individualité forte démontrée par l’archéologie et la culture matérielle70. L’argument soulevé, qui consiste à placer les Ambiliates – coalisés avec les peuples du nord-ouest de la Gaule (Nanmètes, les Osismes...) dans le conflit qui oppose César aux Vénètes –, dans une région enclavée par des civitates “pacifiées” pictonne et santonne, apparaît bien moins convaincant. De plus, cette hypothèse s’appuie sur l’idée selon laquelle les Ambiliates sont les plus méridionaux des peuples de l’Océan, ce qui va à l’encontre de la démonstration de P.-M. Duval sur la localisation des cités de l’Aquitaine romaine (cf. supra chap. I, p. 33). Si l’on suit l’ordre proposé par ce dernier, ce sont les Anagnutes que nous pourrions placer en pays Aunis (fig. 13). J. Hiernard et A. Duval rejoignent d’ailleurs cet avis, tout comme C. Jullian qui s’appuie sur les sources antiques71 72.

43Ce tour d’horizon éclaire sur un débat, qui est encore loin d’être clos quant à la localisation de ces deux peuples. En tout cas, il semble que l’on puisse définitivement exclure la présence des Anagnutes de notre zone d’étude. Quant aux Ambiliates, on l’a vu, ils devaient être implantés quelque part entre le sud des départements de la Loire-Atlantique, le sud-ouest du Maine-et-Loire, le nord-ouest des Deux-Sèvres et une large moitié nord de la Vendée (fig. 16). Toutefois, la deuxième hypothèse, partagée par J. Hiernard et G. Aubin et qui localise ce peuple dans une zone géographique autour des Mauges, c’est-à-dire au sud du Maine-et-Loire –compris dans le cadre de cette étude –, apparaît actuellement comme la mieux fondée. Cette question sera à nouveau discutée en fin d’analyse (cf. infra chap. III, p. 305).

Fig. 16. Hypothèses les plus probantes quant à la localisation des Ambiliates. 1 : Localisation du peuple ambiliate selon Aubin, Hiernard 2002 ; 2 : Emplacement/situation de possible(s) peuple(s) armoricain(s), d’après Hiernard 1996 (réal. J. Remy, d’après Aubin 2010, 47).

Le territoire et sa structuration à l’âge du Fer

L’archéologie du territoire du point de vue des géographes

“Du fait qu’il n’existe pas de territoire sans mémoire, chaque portion de notre terre garde la trace de l’histoire humaine locale”73.

44L’intitulé de l’étude qui est proposée dans cet ouvrage suppose d’éclaircir, au préalable, la définition du territoire et des problématiques que soulève son analyse. Or, il s’agit de l’un des champs favoris des géographes. Ce sont eux qui ont le mieux exploré les notions que ce terme recouvre, bien que de nombreuses autres disciplines se le soient par la suite approprié, démultipliant progressivement son usage et son sens (biologie, anthropologie, politique, économie, sociologie, philosophie...). Cette situation a conduit les géographes à réviser la définition du territoire, ce qui a donné lieu, depuis une quinzaine d’années, à une profusion de contributions74, qui s’accordent toutes pour y voir le résultat de l’action des sociétés et de l’homme sur les espaces terrestres. Voici en quels termes le géographe P. Gentelle l’abordait : “[...] l’espace terrestre, champ favori d’action des géographes, ne prend sa dimension géographique que lorsqu’il devient territoire, c’est-à-dire lieu d’action et de vie des sociétés humaines. Territoire devrait alors s’écrire ‘terre-histoire’”75.

45On s’aperçoit alors que l’archéologie entretient des liens étroits avec cet exposé. Bien qu’elles aient longtemps évolué indépendamment, l’archéologie et la géographie ont donc un champ d’action commun autour du territoire, qui se construit au rythme de l’évolution de l’homme et de la société. À la fin du xix^e siècle, la géographie historique a d’ailleurs offert les premiers essais d’une histoire du territoire français : la Géographie historique de la Gaule d’E. Desjardins76, l’Atlas historique de la France d’A. Longnon77, ou l’introduction que propose P. Vidal de La Blache à l’Histoire de France d’E. Levisse (1903)78.

46En géographie, les processus d’organisation territoriale s’analysent suivant deux niveaux de lecture différents, l’un s’intéressant à la construction matérielle et l’autre à la construction immatérielle du territoire par l’homme. B. Elissalde (2014) a clairement explicité ce concept – alors qu’il s’attachait à traduire la pensée de C. Raffestin (1986) : Les “(...) processus d’analyse territoriale doivent s’analyser à deux niveaux distincts, mais fonctionnant en interactions : celui de l’action des sociétés sur les supports matériels de leur existence et celui des systèmes de représentation. Puisque ce sont les idées qui guident les interventions humaines sur l’espace terrestre, les arrangements territoriaux résultent de la ‘sémiotisation’ d’un espace progressivement ‘traduit’ et transformé en territoire. Le territoire serait donc un édifice conceptuel reposant sur deux piliers complémentaires, souvent présentés comme antagonistes en géographie : le matériel et l’idéel”79.

47Ce point, essentiel pour qui étudie les dynamiques territoriales, est, en fait, moins abstrait qu’il n’y paraît si on le considère au travers du regard de l’archéologue. Effectivement, cette notion de territoire idéel, qui semble au premier abord inabordable pour ceux qui s’attachent à l’étude des sociétés passées, renvoie en fait à la valeur symbolique du territoire (identité) et à la conception de ces frontières (appropriation). En effet, si chaque discipline a pu proposer une signification différente du territoire, deux idées reviennent de manière récurrente dans les exposés, celle de l’appropriation et celle de l’identité. Elles sont d’ailleurs au centre des définitions proposées par le Larousse. Toutes deux sont intrinsèquement liées à la notion de société humaine, bien que leurs expressions puissent revêtir des formes différentes suivant les groupes humains étudiés. Néanmoins, même pour des populations nomades qui n’affectent pas de frontières matérielles, à proprement parler, aux territoires sur lesquels elles circulent, on note tout de même “[...] un rapport étroit entre autonomie et territoire : Que les limites viennent à n’être pas respectées par des groupes extérieurs, que des points deviennent inaccessibles et que des parcours soient interdits, et c’est la crise (cf. [388] p. 98)”80. À ce sujet, M. Tarpin a rappelé l’aspect symbolique de la délimitation rituelle de la ville antique chez les auteurs latins, qui évoquent le rôle sacré de l’enceinte des oppida étrusques qui n’est, parfois, même pas matérialisée81.

48Le recours à ces idées d’appropriation et d’identité, dans l’exploitation des données archéologiques, offre la possibilité de percevoir quelques clés de l’organisation des territoires à la fin de l’âge du Fer, à travers les répercutions matérielles et les indices idéels laissés par les sociétés :

“Appropriation et enracinement se manifestent par des éléments matériels, mais aussi idéels et certaines matérialités du territoire possèdent une forte valeur symbolique. Des éléments emblématiques renforcent les effets d’appropriation, qu’il s’agisse des ‘lieux de mémoire’, des lieux ou des stéréotypes...”82.

49Bien sûr, toute la difficulté réside dans nos capacités à identifier ces indices. À ce propos, M. Vaginay a récemment exploré ce concept de lieux à forte valeur symbolique, à l’origine, d’après lui, de l’ancrage d’un peuple ou d’une entité sociale à son territoire et de son appropriation sur le temps long83. On ne manquera pas de revenir sur ces concepts dans le dernier chapitre.

50La notion d’identité est plus dure à percevoir en archéologie que celle d’appropriation matérielle, qui renvoie finalement à une dimension politique du territoire à la fin de l’âge du Fer. Toutefois, l’identité comprend certainement un attachement au “terroir” qu’il est parfois possible de pressentir via les vestiges immatériels, comme l’expression de gestes rituels ou comme la perduration d’une occupation sur le temps long. Par exemple, les habitats ruraux isolés dont l’occupation persiste à travers plusieurs générations et parfois sur plusieurs siècles – tel que l’habitat de “Kerven-Teignouse” à Inguiniel (56), ou celui du “Boisanne” à Plouër-sur-Rance (22) –, reflètent certainement une forme d’attachement à un domaine, à un paysage. Bien qu’on ne puisse pas totalement exclure l’idée de terres aux potentiels suffisamment intéressants pour être revendues à différents propriétaires au fil des générations (cf. infra chap. II, p. 161).

51L’identité s’appréhende peut-être également par la culture matérielle, bien qu’une unité culturelle – définie par la répartition cohérente d’un type d’objet en particulier – soit rarement assimilable à une entité politique et même souvent difficile à interpréter84. On tient là, une distinction entre deux types de territoire définies par P. Leveau, le territoire ethnique qui se distingue par des valeurs culturelles communes – qui peut se manifester à travers une langue ou une culture matérielle commune, des liens de parenté, etc. – et le territoire civique construit autour des institutions politiques85.

52L’histoire de l’étude des territoires en archéologie montre que ces concepts, énoncés par les géographes, ont été absorbés et largement exploités par certains chercheurs, tel que P. Leveau86, qui cherche d’ailleurs, dès 1993, à redéfinir le terme de territoire et son utilisation à la lumière des sociétés passées par le biais des sources anciennes grecques et latines87. Le projet Archaeomedes, initié au début des années 1990, illustre parfaitement cette connivence entre géographes et historiens (ou archéologues). En effet, par une fructueuse collaboration, un groupe de chercheurs s’est attaché à déterminer quels paramètres définissent le territoire des sociétés de la moyenne et basse vallée du Rhône, la structure de leur habitat et leur évolution à travers le temps, depuis le ii^e s. a.C. jusqu’à nos jours. L’étude de l’impact de l’homme et de son environnement sur “la structuration du paysage”, à différentes échelles de temps – passé et présent –, la confrontation entre le monde rural et le monde urbain et l’analyse hiérarchique de l’habitat ont permis des conclusions sur l’origine de l’organisation territoriale du Midi de la France88. Effectivement, ils ont abouti à la conclusion que les bases de cette organisation spatiale sont déjà en place à l’époque romaine, bien qu’elle voit une phase importante de restructuration au début du Moyen Âge.

53Finalement, il apparaît tout naturel que l’on s’accorde, ici, sur la définition simple mais efficace du “territoire”, au sens politique et administratif du terme, telle qu’elle a été retenue par cette équipe pluridisciplinaire. Suivant cette acceptation, le territoire correspond à “une portion de la surface de la terre appropriée par un groupe”89. Les chercheurs ont convenu du fait que la construction de la territorialité et son expression, par la mise en place de limites spatiales bien établies, sont la conséquence de “processus d’intégration sociale, économique et spatiale”, qui s’imposent progressivement, aux termes de plusieurs siècles90. Il s’agira finalement pour nous d’évaluer l’état du processus d’appropriation territoriale dans l’ouest de la Gaule, à la fin de l’âge du Fer.

Les premiers débats et la naissance du concept de territoire à l’âge du Fer

54Nous empruntons donc la notion de territoire aux géographes, qui les premiers ont réfléchi au sens de ce terme, mais également aux archéologues qui se sont imprégnés des travaux de la Géographie pour comprendre l’occupation de l’espace au passé. Or, l’emploi de ce terme en Protohistoire récente n’est pas fait nouveau, c’est pourquoi nous proposons de rappeler les temps forts de cette historiographie.

55En France, le concept de territoire s’invite dans les débats sur l’âge du Fer au début des années 1980. Les chercheurs perçoivent alors de profonds changements dans la société aux alentours des ii^e et i^er s. a.C., à travers divers facteurs et notamment l’apparition des oppida et plus généralement des sites de hauteur fortifiés, synonymes, d’après A. Duval, d’une explosion de l’économie en Gaule91. L’essor du commerce et le contrôle des échanges participent progressivement à la mise en place de pouvoirs centralisés et à la construction d’une “structure territoriale nouvelle”, qui s’expriment à travers ces sites92. En effet, la mise en évidence d’une mutation sociale et d’une complexification de la société gauloise à la fin de l’âge du Fer guident les premières recherches sur l’origine des territoires. P. Brun apporte une dimension plus conceptuelle, associant la création des territoires à l’émergence des États, à une période qui voit le développement des fortifications et des sanctuaires qu’il assimile également à des marqueurs territoriaux93.

56Près de dix ans plus tard, la mise en place d’une table ronde internationale sur le thème de la société de l’âge du Fer en France offre l’opportunité à O. Buchsenschutz, A. Colin, K. Gruel et I. Ralston de poser les bases de la recherche sur le territoire. Conscients que l’organisation de la société se reflète dans l’aménagement territorial, ils déclinent toutes les sources à la disposition des archéologues pour analyser les mutations sociales et leurs incidences sur l’occupation des sols94. L’étude des textes antiques, la perception des strates sociales à travers le monde grec et latin offrent un premier niveau de lecture. La connaissance des formes de l’habitat, qui évolue en même temps que l’archéologie progresse et son analyse hiérarchique, dont l’oppidum apparaît très tôt comme l’élément majeur – une vision aujourd’hui discutée (cf. infra chap. II, p. 125) – apportent un second niveau de lecture. Celui-ci est complété par l’étude des mobiliers et à travers eux des systèmes économiques et des échanges à longues distances. La numismatique est aussi un moyen d’appréhender les pouvoirs émetteurs et de renseigner l’implication d’une autorité religieuse, politique ou économique au sein d’une région. Tous ces vecteurs guideront les études françaises à venir sur les territoires protohistoriques.

57Le choix de l’AFEAF, de réunir, en 2000, les chercheurs de l’Europe occidentale autour du thème portant sur les “Territoires celtiques”, permettant des bilans d’ordre méthodologique, thématique, ainsi que de multiples approches locales et régionales, témoigne de l’attention grandissante portée à ce thème. L’introduction à ces rencontres est une contribution méthodologique et historiographique incontournable sur le sujet, qui éclaire sur les travaux initiés par les géographes – avec notamment les apports de la géographie quantitative puis de la géographie spatialiste –, les historiens et les médiévistes, à l’origine de l’archéologie du territoire95. Cette introduction semble également désireuse de proposer un débat ouvert, cassant les codes préétablis d’un modèle de territoire renvoyant aux institutions des cités romaines, emprunt des schémas du monde grec particulièrement pour la Gaule du Sud.

58La maîtrise des espaces est donc introduite dès lors que sont évoquées les questions de hiérarchie des sociétés96, puis progressivement d’urbanisation à la Protohistoire. L’émergence du phénomène urbain, qui se traduit d’abord par l’identification de grands sites fortifiés, puis par celle d’habitats groupés de plaine, participe en effet de ces profondes mutations, signe d’une organisation des peuples et donc des territoires à la fin de La Tène97. L’archéologie du territoire devient alors un sujet de prédilection pour les chercheurs travaillant sur le second âge du Fer, qui se développe plus rapidement dans le nord, l’est et le centre de la France. En effet, ces régions bénéficient de corpus archéologiques qui se prêtent plus facilement à l’exercice. En témoignent les travaux de S. Fichtl sur la Gaule Belgique et sur la naissance des entités politiques en Gaule, abordée à travers l’étude des territoires trévire, médiomatrique et leuque, concluant à des civitates très bien structurées, parfois dès le début du iii^e s. a.C.98. Concernant le centre de la France, la documentation archéologique permet dès le début des années 2000 et notamment grâce aux travaux de P. Barral, une discussion autour de l’organisation du territoire des Éduens et de la relation de cette cité avec les peuples limitrophes99. Citons également, la mise en place d’un programme collectif de recherche en 1998 sur le Berry antique, qui livre rapidement de premiers résultats sur l’organisation de la cité biturige à la fin de l’âge du Fer100.

59De même, ces régions bénéficient de travaux universitaires récents qui ont éclairé la recherche sur des microterritoires ou des cités. Notons par exemple, la thèse de C. Féliu sur les territoires Médiomatriques et Leuques, celle de J.-M. Laruaz qui traite de la cité des Turons, limitrophe à notre zone géographique, celle de T. Dechezleprêtre sur la basse vallée de la Seine ou encore celle de D. Lallemand sur un territoire à la marge des cités arverne, éduenne et biturige101.

60Enfin et dès 2004, S. Fichtl propose un bilan sur les peuples gaulois, dans lequel les notions de territorialités sont au cœur de son discours. Réédité en 2012, l’ouvrage constitue finalement un bilan méthodologique et un état de la recherche sur l’émergence des cités celtiques à l’échelle de la Gaule s’inscrivant pleinement dans les axes d’études, engagés en France depuis les années 1980102. Rappelant le rôle particulier des oppida et des sanctuaires dans la formation des civitates, il souligne également le poids des disparités régionales de la recherche, mais également de l’hétérogénéité des phénomènes qui conduisent à la formation d’une multitude d’entités territoriales, qui connaissent une évolution propre à chacune d’elles.

61Pour finir, en France méditerranéenne, si la hiérarchisation des sites est tout aussi présente dans les recherches, il faut noter une prise en compte de l’environnement et de l’espace physique en général, qui a fortement marqué les travaux portant sur les formes de peuplement. Dès le début des années 1990, est définie est une “archéologie des espaces” qui étudie la “relation dynamique […] entre l’homme et tout ce qui l’entoure”103. À petite échelle, l’intérêt s’est d’abord attaché à l’aménagement du “territoire vivrier autour d’un habitat”, questionnant les formes et les conditions de l’exploitation des ressources du milieu104. Puis, progressivement ces études ont été intégrées à des échelles plus larges, analysant “l’imbrication de plusieurs unités au sein d’une micro-région”, jusqu’à mettre en évidence des réseaux d’habitats, entre pôles et périphéries, qui sont l’expression de systèmes sociaux, économiques et politiques en jeux au sein des territoires105.

Quels marqueurs territoriaux pour le second âge du Fer ?

62Si l’appropriation territoriale s’inscrit dans un long processus (cf. supra chap. I, p. 39), il connait sans doute des formes diverses depuis le Néolithique, se construisant avec l’apparition de sociétés complexes. La fin de l’âge du Fer constitue un moment clé de cette structuration territoriale qui voit émerger de véritables entités politiques, les civitas que décrit César au i^er s. a.C. Celles-ci sont les témoins de l’ancrage d’une multitude de peuples sur des espaces géographiques définis. Leurs emprises spatiales, qui sont proches de celles de nos départements et parfois même de nos régions actuelles, constituent le socle de l’organisation administrative des Gaules au Haut-Empire. Bien que les descriptions de César soient trop imprécises pour offrir une carte de ces cités, la plupart des chercheurs s’accordent aujourd’hui sur la pertinence de la méthode régressive, depuis les contours de diocèses du haut Moyen Âge, pour restituer plus ou moins précisément les limites des territoires gaulois106. Ces derniers peuvent regrouper plusieurs pagi, c’est-à-dire des entités territoriales plus petites et plus ou moins autonomes vis-à-vis de la civitas. L’origine et le point de départ de cette structuration territoriale, dont César est témoin au i^er s. a.C. est difficile à appréhender, du fait du silence des textes à ce sujet. Néanmoins, ce que l’archéologie perçoit c’est qu’elle s’inscrit, à la veille de la romanisation, dans un processus d’urbanisation et de complexification des strates sociales qui pose la question de l’émergence de l’État dans les sociétés gauloises. Des habitats agglomérés voient le jour dès le iii^e s. a.C., se démarquant progressivement d’un monde exclusivement rural, alors que la monnaie est progressivement intégrée aux circuits économiques et commerciaux en Gaule.

63Ces nouveaux centres, parfois hiérarchisés, s’insèrent dans un réseau de voies de communication qui permettent des échanges à plus ou moins longue distance, participant ainsi à structurer ces cités par leur rôle économique et/ou politique.

64Le bilan historiographique précédemment dressé nous renseigne sur les moyens de l’archéologie pour étudier ces territoires celtiques et pour évaluer le niveau de complexité social et politique auquel parviennent chacun des peuples, dont certains évoluent d’un État fédéral, regroupant des pagi autonomes, à un État centralisé – tel que le peuple éduen107. En effet, la hiérarchie fonctionnelle des sites permet de dégager des marqueurs territoriaux pour l’âge du Fer, qui diffère parfois selon les régions. De fait, l’histoire de la recherche nationale permet de retenir trois grandes catégories de sites, qui attestent de l’état de hiérarchisation des sociétés et de leur emprise sur leurs territoires, à savoir les oppida et les sites fortifiés de manière plus générale, les habitats groupés ouverts et enfin les sanctuaires.

65Chez certains peuples, comme celui des Bituriges, les oppida se répartissent à distance régulière (entre 50 et 60 km), formant un réseau hiérarchisé permettant le contrôle de l’ensemble de la civitas108. Pour d’autres régions, les agglomérations ouvertes participent au maillage du territoire, au même titre que les oppida109. Par ailleurs, des recherches menées sur les territoires du nord de la Gaule (Picardie et Haute-Normandie) ont montré, à travers des approches chronologiques larges, les positions fortes des sanctuaires qui perdurent sur le temps long et qui traduisent leur implication dans l’organisation de ces territoires110. Aussi, la maîtrise des espaces par les peuples est rapidement assimilée par les chercheurs aux questions de hiérarchie des sociétés et aux rôles des élites gauloises111. C’est pourquoi, il a semblé indispensable de prendre également en compte les habitats aristocratiques, qui correspondent à notre quatrième grande catégorie de sites.

66Finalement, appropriation et identité du territoire, que nous évoquions précédemment (cf. supra chap. I, p. 39), s’appréhendent d’après les archéologues via l’habitat et sa hiérarchie, ainsi que par le biais des espaces cultuels, mais également funéraires. Effectivement et pour revenir sur les travaux d’Archaeomedes en moyenne et basse vallée du Rhône, cette équipe composée d’archéologues et de géographes a mis en évidence divers facteurs (superficie, qualité architecturale, qualité du mobilier, etc.) impliqués dans la permanence d’un établissement ou sa disparition rapide. La pérennité d’un site est ainsi considérée, comme un élément stable et donc potentiellement structurant du territoire. Suivant leur démarche, le “niveau fonctionnel” des établissements, qui s’exprime à travers différents critères archéologiques (présence d’un espace funéraire, cultuel, d’une fortification, etc.), apparaît, de loin, comme le plus significatif en termes de pérennité. C’est-à-dire que la probabilité qu’une occupation perdure augmente, généralement, lorsque celle-ci est fortifiée, ou bien lorsqu’elle est associée à un lieu de culte ou à une nécropole112. Dans notre cas, la nécropole informe aussi indirectement de la proximité d’un pôle de peuplement et d’une éventuelle organisation de l’habitat, c’est pourquoi cette cinquième catégorie113 de sites a été retenue dans le cadre de cette étude.

Une méthode d’approche des territoires dans le nord-ouest

L’espace rural : un thème de prédilection pour la réflexion sur l’occupation des sols dans le nord-ouest

67Concernant le quart nord-ouest de la Gaule, l’étude de l’occupation des territoires gaulois bénéficie principalement d’importantes avancées pour le domaine rural. D’ailleurs et dans le cadre d’une synthèse sur l’âge du Fer en Bretagne proposée par P.-R. Giot, dont la première édition remonte à 1979, l’archéologue émet le constat qu’aucun indice de “bourgades ou villes, des chefs-lieux des ‘cités’ armoricaines préromaines” n’est connu pour La Tène finale114. Parallèlement, la Bretagne apparaît comme “le fer de lance” de la recherche sur le monde rural autour des années 1990115. En effet, celle-ci est favorisée par les grands décapages de l’archéologie préventive, qui se développent dès le début des années 1980 dans le cadre de grands aménagements de type autoroute, mais également grâce aux larges campagnes de prospection pédestres et aériennes menées en Bretagne dès les années 1970 sous l’impulsion de L. Langouët et P.-R. Giot116. À l’échelle locale ou régionale, les études et les opérations se multiplient avec notamment la mise en place d’un projet collectif de recherche (PCR) sur l’Archéologie du milieu rural en Haute-Bretagne aux époques préromaine et gallo-romaine (Coord. L. Langouët, 1984-1990). L’explosion de l’acquisition des données issues des prospections fournit alors la matière à des thèses universitaires, celle de P. Naas centrée sur l’étude du territoire vénète entre le second âge du Fer et l’époque romaine117, ou celle de T. Arbousse-Bastide, qui vise l’analyse de l’habitat protohistorique des deux côtés de la Manche118. On citera également les travaux de M. Gautier119 ou de G. Leroux120. Enfin et alors que L. Langouët conclue, en 1991, à l’occasion d’un bilan sur les activités menées par le PCR de Haute-Bretagne, que : “[…] le groupe de recherche a pu atteindre un niveau de synthèse relativement rare en France”121 – comme en témoigne un article proposé à l’issue du colloque organisé à Quimper en 1988122 – la dynamique autour du monde rural progresse et voit rapidement la réalisation de synthèses plus générales et plus larges123. Celle-ci ne cesse de se développer et prend un nouvel essor avec la mise en place d’un autre PCR portant cette fois-ci sur les installations agricoles de l’âge du Fer en France septentrionale, qui donne lieu à un colloque124.

68Avec le concours de l’INRAP, un recensement des établissements ruraux à l’échelle nationale est entrepris dès 2007, donnant naissance à une importante base de données, dont les premiers résultats sont publiés à la suite du XXXII^e colloque de l’AFEAF organisé en 2007 à Chauvigny125. Enfin, l’engouement suscité par les résultats obtenus lors de ces rencontres aboutit, quatre ans plus tard, à une grande synthèse sur l’habitat rural en France septentrionale, ayant pour ambition de renouveler les problématiques liées à ce thème. La qualité avec laquelle la base de données nationale, couplée à un Système d’Information Géographique, a été conçue permet d’unir les bilans de neuf régions126, dont les Pays de la Loire et la Bretagne127. L’ensemble de ces travaux tend à exprimer, d’une part, une expansion démographique qui s’opère dans le courant de l’âge du Fer et d’autre part, une complexification progressive de l’organisation de l’espace rural divisé en terroirs.

Quels autres vecteurs de recherche pour l’étude du territoire dans le nord‑ouest de la Gaule ?

69L’impressionnant développement de l’archéologie rurale, qui touche particulièrement le nord et l’ouest de la France depuis les années 1990, a largement orienté les thèmes de recherche sur l’occupation des sols, participant en quelque sorte à creuser l’écart entre les peuples du centre et de l’est de la Gaule, considérés comme fortement structurés et politisés et les peuples de l’ouest réputés fortement ruralisés et accusant un certain retard face aux grands changements observés en Europe celtique à la fin de l’âge du Fer. À ce propos, en 2009, à l’occasion d’une contribution sur l’occupation d’une contribution à La Tène finale en Suisse occidentale, F. Carrard précisait que “L’étude de l’organisation des territoires à la fin de l’âge du Fer, et en particulier des espaces ruraux, a pour corollaires principaux la localisation, l’identification et l’intégration des habitats dans une trame principalement structurée par des sites centraux (oppida, agglomérations, sanctuaires) et les voies de communications”128. C’est d’ailleurs l’avis de bon nombre de protohistoriens travaillant sur les questions de territorialité (cf. supra chap. I, p. 42 et 44). Or il apparaît que dans la zone géographique étudiée, la question des pôles d’attraction et de centralisation des populations est bien moins développée que ne l’est la recherche sur le monde rural. Ce constat a donc orienté les choix méthodologiques et la problématique de ce travail, qui s’inscrit par ailleurs dans la continuité de recherches régionales, au sein desquelles la question des “grandes catégories” de sites n’a pourtant pas été absente des débats.

L’intérêt pour les sites fortifiés

70Au début du xx^e siècle, les sites de hauteur fortifiés éveillent la curiosité des érudits locaux, qui s’emparent du sujet et s’engagent dans la réalisation d’enquêtes départementales. Cette dynamique est motivée par un signal archéologique imposant, matérialisé par les volumineux talus qui barrent le paysage. Le caractère spectaculaire de ces remparts est un indicateur fort de l’anthropisation, tout comme l’est la terre cuite antique qui émerge parfois abondamment des sols labourés, ou bien des mégalithes129 qui pointent dans le paysage (en particulier dans le Morbihan) et qui ont, en premier, attisé la curiosité des érudits. En effet, nous ne pouvons passer sous silence l’importance du signal archéologique qui a souvent conditionné l’intérêt des recherches et particulièrement celle des lieux fortifiés. L’autre élément déclencheur est certainement le recueil des Commentaires de Jules César qui invite à identifier les sites mentionnés par le général romain.

71Le début du xx^e siècle annonce alors le temps des premiers inventaires avec notamment l’investissement de la Commission d’étude des enceintes préhistoriques et anhistoriques de la Société Préhistorique Française. Elle opère un gigantesque recensement bibliographique accompagné d’enquêtes de terrain qui s’organise par département. Ainsi, pour la zone géographique considérée on compte, entre autres, le travail d’O. Desmazières pour le département du Maine-et-Loire, qui rédige un inventaire des fortifications et retranchements des périodes préhistoriques et “anhistoriques”130. Ou celui de R.-F. Le Men, qui recense les Oppidums du département du Finistère131, ou le travail de P. Du Chatellier qui propose un catalogue plus large des sites gaulois du Finistère132 et qui publie, conjointement, des articles monographiques sur certaines enceintes133. Citons également l’enquête sur le territoire français d’A. Mortillet qui renseigne le Finistère, le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine134. Parallèlement, certains départements apparaissent en marge de ces préoccupations : les Côtes-d’Armor135, la Loire-Atlantique, la Mayenne et la Sarthe.

72La première guerre mondiale interrompt cette dynamique, partout en France, avant de reprendre sous l’impulsion d’une équipe d’étrangers dirigée par R. E. M. Wheeler et K. M. Richardson qui étendent leur zone d’étude en comparant les sites de Grande-Bretagne avec celle de Normandie et de Bretagne, entre 1938 et 1939136. La région des Pays de la Loire est intégrée à l’inventaire, mais dans une moindre mesure (fig. 17 et 18). Dans un premier temps, les travaux des anglais ne sont que peu exploités et les acteurs locaux ne poursuivent pas leur entreprise. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce constat. D’une part, les choix méthodologiques, en Bretagne, d’une archéologie qui se veut centrée sur la prospection, sur la reconnaissance des sites inventoriés au xix^e siècle (mégalithes, enceintes et sites fortifiés, vestiges romains) et sur la réalisation de relevés de terrain précis de ces derniers. Cette politique assumée dénonce les dégâts que causeraient de grandes campagnes de fouille organisées à la hâte, notamment sur des enceintes particulièrement délicates à appréhender137. D’autre part, à partir des années 1950 on découvre, en France, l’intérêt d’exploiter les couvertures photographiques (notamment celle de l’IGN) en archéologie. Par conséquent, des archéologues indépendants vont progressivement s’emparer de cet outil138, qui révolutionne les techniques de prospection, mais qui bénéficie alors principalement à la recherche sur l’habitat rural. Ponctuellement, la prospection aérienne sert l’étude des sites fortifiés. Pour exemple, J. Rioufreyt et C. Lambert, très actifs dans la reconnaissance de sites en survols aériens dans les années 1970, identifient deux sites de hauteurs en Sarthe (Gesnes-le-Gandelin et Aubigné-Racan), sur lesquels ils conduiront ensuite des sondages (fig. 19).

Fig. 17. Localisation des sites fortifiés de l’ouest de la France recensés par l’équipe de R. E. M. Wheeler (Wheeler & Richardson 1957, plate XLIII).

Fig. 18. Coupe pratiquée à travers le rempart principal du “Camp d’Artus” à Huelgoat dans le Finistère (Wheeler & Richardson 1957, plate VIII).

Fig. 19. Cliché du sondage conduit, en 1976, sur le rempart de barrage de la “Butte de Vaux” à Aubigné-Racan dans la Sarthe (Cl. C. Lambert).

73Durant cette période les fortifications n’apparaissent donc pas comme une priorité pour la recherche protohistorique, mais le sujet n’est pas pour autant délaissé. De fait, lors d’un congrès, organisé en 1980, L. Langouët propose une contribution sur les enceintes de la cité des Coriosolites139. Par la suite, les carnets de notes inédits de Sir M. Wheeler sont repris dans le cadre de mémoires universitaires proposant des inventaires pour le Morbihan et plus tard pour le Finistère140 (fig. 20). P. Maguer développe plus largement la question des sites fortifiés du second âge du Fer dans l’ouest de la Bretagne, les qualifiant de sièges de l’aristocratie et mettant ainsi en évidence “l’importance de la fortification au sein des territoires”141. Toujours dans un cadre universitaire et pour la région des Pays de la Loire, il faut mentionner le mémoire de maîtrise de J.-P. Bouvet, rédigé en 1987, qui offre un premier inventaire des fortifications de l’âge de Fer dans le département du Maine-et-Loire. Cette étude s’appuie sur des données documentaires, mais également sur des informations, alors inédites – issues d’analyses de photographies aériennes et de prospections pédestres142.

Fig. 20. Cliché des talus multiples de la “Pointe de Kervedan” sur l’île de Groix dans le Morbihan, lors d’une reconnaissance sur le terrain en 1989 (Cl. M.-L. Hervé).

74Si l’écueil de la datation de ces sites fortifiés fait souvent obstacle à la recherche et particulièrement à ses débuts, les historiens et archéologues se cantonnent rarement à de simples recensements, se questionnant sur leurs fonctions et leurs rôles au sein du territoire. Dès 1993, B. Cunliffe évoque la possibilité de territoires armoricains gaulois bénéficiant d’une “administration centralisée” autour de grands retranchements, autour des oppida143. En effet, la réflexion d’une hiérarchie de l’habitat prend rapidement part à ces études sur les sites fortifiés.

75En 1990, Alain Duval essayant de définir les particularités d’un territoire armoricain s’étendant à un large quart nord-ouest de la Gaule, expose les divergences d’opinions quant à la présence ou non, comme ailleurs en Gaule, des grands sites fortifiés qualifiés d’oppida. Il se range alors du côté de ceux qui préfèrent relativiser la spécificité d’une “Armorique” jalonnée principalement de “petits camps” fortifiés, théorie héritière de celle qui a longtemps considéré l’Ouest comme étant à l’écart des mutations sociales et politiques qui affectent la Gaule aux iii^e et ii^e s. a.C.144. Effectivement, les archéologues bretons L. Pape et P.-R. Giot dressent, eux, le portrait d’une “Armorique péninsulaire” isolée du phénomène des oppida dont on ne trouve aucun exemple au nord de la Loire145.

76À la même période, J.-C. Meuret soulève la question des sites de hauteurs fortifiés pouvant jouer un rôle de contrôle, de centralisation économique ou politique sur un secteur, un territoire défini. Cependant, sur la zone géographique qu’il traite dans le cadre d’une thèse, localisée aux confins de l’Anjou et de la Bretagne, la qualité des données archéologiques ne permet pas de confirmer ces intuitions146.

77En 1994, malgré un corpus très disparate et les carences de la documentation vis-à-vis de la datation et de la caractérisation des enceintes de la cité des Osismes, P. Maguer propose un essai d’analyse spatiale issue d’une enquête menée dans le cadre de son mémoire de DEA (diplôme d’études approfondies) et d’une campagne de prospection pédestre conduite dans le Finistère. Au moyen de la méthode des Polygones de Thiessen, il dresse ainsi une carte des territoires théoriques, centrés sur des promontoires ou des éperons barrés, qu’il publie deux ans plus tard147.

78Dans son histoire rurale des Vénètes, P. Naas consacre un chapitre sur les fortifications (de hauteur ou de plaine) qui jalonnent le territoire, les caractérisant de pôles d’attraction et d’implantations stratégiques. Il souligne le fait que “[…] plusieurs sites importants semblent en prise directe avec l’organisation du territoire”, n’excluant pas la possibilité que certains d’entre eux correspondent même à des centres politiques148.

79Plus largement, L. Langouët fait un point sur les fortifications de La Tène finale en Bretagne, les classant en trois catégories, tenant compte à la fois de leur superficie et de leur implantation géographique149. Travaillant à l’échelle d’une “Armorique” limitée aux cinq peuples les plus occidentaux (Osismes, Coriosolites, Vénètes, Riedones, Namnètes)150, P. Galliou est convaincu que ce secteur géographique subit, comme ses voisins, des mutations au cours du ii^e s. a.C. – non sans particularisme –, bénéficiant d’une organisation politique structurée151.

80Enfin, depuis 2010, une nouvelle dynamique autour des sites fortifiés de l’Ouest voit le jour à travers des travaux universitaires visant à la fois une révision de la documentation ancienne et l’intégration de résultats récents issus du préventif (principalement en Pays de la Loire). Ils sont couplés à des opérations de terrain de type prospections pédestres et sondages. Ainsi, entre 2010 et 2011, un bilan sur les sites fortifiés de l’âge du Fer est présenté pour la région des Pays de la Loire152, associant des sondages sur les remparts de deux sites (Vue et Bouguenais en Loire Atlantique), qui donnent lieu à une opération programmée à Bouguenais entre 2014 et 2018153. Ce bilan s’inscrit dans la continuité d’un programme d’étude engagé, en 2002, par une équipe de chercheurs (J.-P. Bouvet, A. Levillayer, O. Nillesse et G. San Juan), dont l’objectif visait, au-delà d’un recensement, de premières reconnaissances de terrain. Plus récemment, un examen approfondi de la documentation et la révision du mobilier pour les sites fortifiés du Morbihan sont réalisés par Y. Dufay‑Garel154. Enfin, une thèse vient d’être engagée sur Les sites fortifiés littoraux et insulaires de la façade Manche-Atlantique de l’Europe : territoires, échanges et pouvoirs au 1^er millénaire av. notre ère par H. Duval (dir. M.‑Y. Daire).

La question des habitats groupés

81Par ailleurs, depuis moins de dix ans, la réflexion sur les territoires de l’ouest de la Gaule, jusque-là cantonnée à une documentation vétuste et peu fiable, s’est vue bouleversée par des découvertes qui ont ouvert le débat sur l’existence de véritables agglomérations gauloises. Alors que l’on pouvait encore récemment considérer le monde urbain comme “essentiellement centré sur l’époque romaine”155. En outre, les questions d’organisation spatiale et territoriale en archéologie doivent beaucoup à “la théorie des lieux centraux”, concept développé en géographie, dès le milieu du xix^e siècle, pour comprendre la distribution des villes156. Il bénéficie, dans un premier temps, à la recherche sur la période romaine – dont P. Leveau semble le précurseur157 – avant de constituer une méthode d’approche pour les protohistoriens158.

82De fait, dans l’Ouest, l’archéologie préventive a révélé la plupart des centres urbains avec les fouilles de Quimper159, Trégueux160, Moulay161 et Angers162. Par ailleurs, les opérations archéologiques conduites en 2009 et 2013 à Mervent (85) ont également participé à renouveler les données sur l’habitat groupé dans ces régions, puisqu’elles ont permis d’écarter l’hypothèse, jusqu’alors admise, d’une agglomération de La Tène finale163. Ces découvertes ont impulsé une dynamique nouvelle autour des agglomérations dans l’Ouest de la Gaule, à l’origine du travail universitaire en cours d’E. Le Goff sur l’Organisation spatiale des agglomérations à la fin de l’âge du Fer dans le Massif Armoricain : les sites de Kergolvez à Quimper (Finistère) et de Moulay (Mayenne) (dir. S. Fichtl).

83D’autre part, certaines monographies sont issues de l’investissement de chercheurs en archéologie programmée, à l’image des fouilles entreprises par A. Dos et L. Langouët à Alet dans le nord de l’Ille-et-Vilaine164, ou celles de Paule en Côtes-d’Armor165. La recherche sur ce dernier site pose d’ailleurs la question du rôle, au sein des territoires, des grands domaines fonciers, parfois qualifiés d’aristocratiques166. En 1999, P. Naas évoque la possibilité d’une hiérarchie entre les habitats vénètes, suggérant que les sites de hauteurs fortifiés, mais aussi certains grands établissements ruraux se distinguent par leur statut social de rang élevé167. Cette idée est approfondie et pleinement développée pour l’Ouest de la Gaule par Y. Menez, à l’occasion d’une thèse de doctorat portant sur l’habitat de “Saint-Symphorien” à Paule (Côtes-d’Armor). Il dresse alors un bilan des résidences aristocratiques du nord de la Gaule, élaborant une liste de critères permettant de hiérarchiser les établissements ruraux168.

Les sanctuaires : éléments structurants du territoire ?

84Avec le développement des recherches sur les espaces religieux gaulois, la question de leur implantation et de leur répartition conduit rapidement à s’interroger sur le rôle qu’ils ont pu jouer dans la structuration des territoires. En 1990, le colloque de Saint-Riquier sur les sanctuaires celtiques offre l’opportunité de présenter une large et première synthèse sur l’Ouest de la Gaule169, qui est associée à des études plus locales, comme celle du site des “Sept-Perthuis” à Saint-Malo en Ille-et-Vilaine170 et celles d’Aubigné et d’Oisseau-le-Petit dans la Sarthe171. La recherche en Picardie, qui bénéficiait alors déjà d’un inventaire pour la période romaine et des travaux de prospection de R. Agache, est alors suffisamment développée pour tenter une analyse territoriale. Ce travail, basé sur une chronologie large (Protohistoire et époque romaine), met en évidence les positions fortes des sanctuaires au sein des cités sur le long terme, traduisant un phénomène de tradition dans l’organisation du territoire172. Dans une démarche proche, S. Fichtl confronte les sites fortifiés et les sanctuaires, aboutissant au postulat que ces derniers – du moins certains – semblent avoir eu la capacité à capter l’habitat, au point d’être parfois à l’origine de centres urbains173.

85En 2003, une synthèse réalisée sur les pratiques cultuelles en Gaule et proposée par P. Arcelin et J.‑L. Brunaux, est accompagnée de bilans régionaux dont l’un d’eux porte sur notre zone d’étude174. Il met en exergue la diversité du corpus et la qualité disparate de l’information archéologique. Par la suite, on notera la réalisation de travaux universitaires qui intègrent des études monographiques en Pays de la Loire, en Bretagne ou en Normandie à un contexte plus large, régional voire extrarégional175. Enfin, soulignons le travail de K. Gruel, V. Bernollin et V. Brouquier-Reddé qui, à la lumière des résultats de la fouille programmée du sanctuaire de “La Tour aux Fées” à Allonnes (Sarthe), proposent de replacer les sanctuaires romains au centre d’une organisation politique du territoire des Aulerques Cénomans. Cette analyse spatiale, qui examine les sites à travers leur implantation géographique, topographique et les relations qu’ils entretiennent avec les agglomérations et le réseau viaire, suppose de comprendre les lieux de cultes comme “les pôles de réseaux” qui structurent la cité176. Nous retiendrons de cette étude principalement la méthodologie et, entre autres, l’argument de l’implantation d’un espace sacré sur le long terme. Il s’agira pour nous de s’inscrire dans la continuité de ces travaux et de s’imprégner de cette dernière démarche afin d’évaluer le corpus des espaces à vocation religieuse, identifiés pour un quart nord-ouest de la Gaule et réexaminés dans le cadre de ce travail.

Bilan historiographique dans le nord-ouest de la Gaule et problématique

86L’ensemble des travaux présentés traduit une certaine dynamique à l’échelle régionale, ayant rarement abouti à de plus larges enquêtes. Elles ne sont pas inexistantes, bien au contraire, mais apparaissent soit peu exhaustives dans le cas d’analyses larges, soit sélectives quant au choix des catégories de sites évoquées. Ainsi, P.-M. Duval rédige, en 1959, un premier bilan interrégional des enceintes gauloises les classant en deux groupes définis selon le critère de la superficie – “les grands oppidums” et les “enceintes secondaires” – auxquels il adjoint des fonctions177. Il reconnaît la présence de places centrales, de “chefs-lieux” au sein des territoires osisme, vénète, coriosolite et riedone. Notons que si cet article tient compte de la Bretagne et de la Normandie, seul l’éperon barré du Pouliguen (Loire-Atlantique) est mentionné pour la région des Pays de la Loire. Les sites fortifiés du nord-ouest de la Gaule ne sont pas tout à fait absents des synthèses nationales, puisqu’en 1984, O. Buchsenschutz les intègre à sa thèse de doctorat qui porte plus largement sur l’habitat de l’âge du Fer dans le nord de la France178. Par la suite, le XXXI^e colloque de l’AFEAF, organisé à Chauvigny, offre l’opportunité à un groupe de chercheurs coordonné par C. Maitay d’établir un inventaire raisonné des enceintes dans le Centre-Ouest de la France179. Cependant, ce recensement ne dépasse pas le cadre géographique défini par le colloque, limité par la Loire et la Dordogne. Seuls trois sites fortifiés de l’âge du Fer sont désignés pour la région des Pays de la Loire et la Bretagne n’est alors pas intégrée à l’étude. Plus récemment, une enquête microrégionale de l’occupation à l’âge du Fer en centre Bretagne propose une analyse de l’ensemble des données collectées – toutes catégories de site confondues cette fois-ci – sur 108 communes180. Finalement, les Pays de la Loire apparaissent souvent en marge de ces synthèses et bilans qui prennent pour cadre le centre-ouest et/ou la Bretagne.

Problématique de l’étude

87Au terme de cet examen historiographique, durant lequel nous nous sommes attachés à souligner la diversité des vecteurs employés pour faciliter la compréhension de l’organisation des territoires, il apparaît que la seule synthèse réalisée à l’échelle du quart nord-ouest de la France concerne le monde rural. Cette contribution a donc pour objectif de rééquilibrer la recherche dans ce domaine en considérant les autres formes d’occupation, les grands marqueurs territoriaux, afin d’aboutir à une première synthèse générale. L’objectif est d’observer notre zone d’étude, limitée à huit cités de l’ouest, par un biais différent, tentant de dégager les témoins d’un phénomène de complexification sociale et politique, sans toutefois négliger la réalité d’une occupation fortement ruralisée. L’intérêt de raisonner à une telle échelle doit permettre – et ce malgré la grande disparité des données qu’il convient de dépasser – la comparaison de systèmes hiérarchiques, mis en évidence sur les territoires concernés, avec ceux de cités de l’est ou du centre de la Gaule, mieux documentées qui ont déjà fait l’objet d’analyses fines (cf. supra chap. I, p. 39).

88La formulation de ces constats encourage une analyse fondée sur deux principaux axes. Le premier concerne les critères qui définissent la forme et la fonction de ces (cinq) “grandes catégories” de sites, ce qui permettra de s’interroger sur les phénomènes d’interactions entre les différents sites et leurs relations hiérarchiques. Les systèmes de réseaux mis en évidence devront être confrontés aux observations des régions voisines. Aussi, une approche diachronique aura pour objectif de pallier les difficultés propres à la qualité et à la disparité de la documentation, qui discréditent parfois l’emploi d’une typologie. Ce travail bénéficie justement des recherches sur l’époque romaine. En effet, il s’inscrit dans la continuité des études menées dans le cadre d’un PCR sur les agglomérations secondaires romaines de Bretagne et de Pays de la Loire, dont les résultats sont présentés dans une Habilitation à diriger des recherches (HDR), récemment soutenue par M. Monteil.

89Le deuxième axe s’attachera à replacer les divers éléments du corpus dans leur environnement géographique et naturel, afin d’établir les caractéristiques propres de l’organisation des territoires du quart nord-ouest de la Gaule. À ce sujet, on peut dès à présent évoquer l’important travail de restitution du réseau des voies majeures de la péninsule bretonne à la Protohistoire (jusqu’au Moyen Âge), réalisé par A. Provost et T. Lorho (cf. Geobretagne.fr) et dont cette étude profite.

Les méthodes de l’étude

La mise en place de l’inventaire

90La démarche de cette analyse, qui vise à mettre en évidence la structuration sociale des territoires d’un quart nord-ouest de la Gaule, dicte la constitution d’un corpus, issu, dès lors, d’un premier niveau de tri, excluant l’habitat rural dispersé. L’enquête s’est donc appliquée à dégager, par un dépouillement de la base PATRIARCHE du ministère de la Culture, les sites ou indices de sites permettant de mettre en exergue une structure sociale, c’est-à-dire les habitats agglomérés, les sites de hauteurs fortifiés, les établissements ruraux aristocratiques ou les espaces rituels, en tenant compte également du monde funéraire avec les nécropoles.

91Effectivement, dans la palette des bases de données disponibles pour les régions de Bretagne et des Pays de la Loire, les Carte Archéologique de la Gaule (CAG) se sont révélées insuffisantes, du fait de leur vétusté, la moitié d’entre elles ayant été publiée avant 1990 ou peu après. Si pour la première région, deux départements ont été récemment révisés (Morbihan et Finistère), pour les Pays de la Loire la publication de la Loire-Atlantique et celle du Maine-et-Loire remontent à 1988, avec des corpus en grande partie figés dès 1982 (information orale, J.-P. Bouvet). Ajoutons qu’à l’origine de la création des CAG, la Protohistoire n’était quasiment pas prise en compte dans les recherches bibliographiques.

92Quant aux bilans scientifiques régionaux (BSR), s’ils constituent un outil intéressant pour prendre connaissance des découvertes annuelles dès 1991, leur composition dépend de chaque Service archéologique, voire de la volonté des responsables d’opérations. Ainsi en Pays de la Loire, la collection est incomplète entre 2002 et 2008, alors qu’en Bretagne ils ne sont plus produits après 1998. De plus, étant donné qu’ils portent sur l’actualité de la recherche, ils ne tiennent pas compte des opérations antérieures aux années 1990, pour lesquelles les rapports constituent bien souvent une source de données moins complète – la présentation des résultats suit un cheminement scientifique moins abouti que celui imposé par les méthodes actuelles d’une archéologie professionnalisée. Néanmoins, ils sont indispensables dans ce travail d’inventaire, qui ne doit écarter aucun indice, afin de constituer une base solide au sein d’une zone géographique qui présente des carences documentaires.

93Finalement, le dépouillement de la base PATRIARCHE, alimentée par les données issues de la bibliographie, des fouilles et des différents types de prospection, est apparu comme la méthode la plus exhaustive, permettant le passage en revue de la majorité des communes de la zone d’étude. Bien sûr, l’utilisation d’un tel instrument n’est pas sans difficulté puisque cette base inventorie la totalité du patrimoine archéologique sous forme d’entités archéologiques, qui correspondent à des vestiges ponctuels qu’il est indispensable de contextualiser. En effet, un groupe d’entités peut parfois participer d’un même ensemble, d’un unique site archéologique, particulièrement dans le cas des agglomérations (parfois non identifiées comme telles). Citons l’exemple de l’oppidum d’Angers qui cumule autant d’entités que de découvertes réalisées au gré des aménagements à différents points de la ville, constituant une occupation homogène de l’éperon à La Tène finale.

94Afin de dégrossir les recherches, une requête de toutes les entités archéologiques de l’“âge du Fer” ou du “second âge du Fer” a été réalisée pour la base des Pays de la Loire. Celle de la Bretagne permettant une extraction un peu plus précise, en évacuant les entités identifiées comme des “occupations”, code correspondant à des indices de sites, c’est-à-dire à des découvertes de surface. Ce qui n’a d’ailleurs pas empêché leur intégration, dans un second temps, au moment de la réflexion autour de l’environnement des sites sélectionnés.

95Enfin, soulignons que cette démarche est simplement le point de départ avant l’immersion dans l’étude de chaque site qui nécessite bien sûr la consultation des rapports d’opérations, des publications et surtout des dossiers communaux disponibles dans les Services régionaux de l’archéologie, qui livrent bien souvent des indices inédits.

96Parallèlement à ces enquêtes, certaines synthèses régionales visant des thèmes particuliers, comme celui des sanctuaires, ont permis quelques compléments pour la mise en place de l’inventaire181. La contribution de M. Monteil à l’étude des agglomérations secondaires des cités romaines de l’Ouest offre, notamment, une piste privilégiée pour l’identification d’éventuels antécédents182.

97Pour une étude approfondie de l’origine des centres urbains romains de l’Ouest, les annuaires du Centre National d’Archéologie Urbaine (le CNAU), édités dès 1986, apportent un appui sérieux pour une analyse critique de l’état de la recherche. Ces documents permettent également de cartographier les opérations de terrain en centre-ville, qui ont atteint le sol géologique sans rencontrer de vestiges protohistoriques. Cette précision a toute son importance pour pister la valeur informative des données tirées de l’archéologie préventive, particulièrement soumise à des contraintes d’accès en milieu urbain et où l’absence de vestiges n’est pas nécessairement rédhibitoire – elle dépend, entre autre, de la profondeur des aménagements. D’autant, que cette information n’est pas systématiquement mentionnée dans les rapports d’opérations ou les bilans scientifiques régionaux qui sont, d’ailleurs, mis en place après les annuaires du CNAU.

98Finalement, le corpus retenu pour l’étude comprend cinq grandes catégories regroupant 82 sites, dont 31 sites fortifiés, 14 habitats groupés ouverts, 12 habitats enclos aristocratiques, 22 sanctuaires et 3 nécropoles (fig. 21 à 23).

Fig. 21. Localisation de l’ensemble des sites retenus pour l’étude, c’est-à-dire un corpus de 82 sites, dont 31 sites fortifiés, 14 habitats groupés ouverts, 12 habitats enclos aristocratiques, 22 sanctuaires et 3 nécropoles (réal. J. Remy).

Fig. 22. Liste des habitats retenus pour l’étude, regroupant les sites fortifiés, les habitats groupés ouverts et les habitats enclos aristocratiques (réal. J. Remy).

Fig. 23. Liste des espaces rituels ou sanctuaires et des nécropoles retenus pour l’étude (réal. J. Remy).

Quelques considérations à propos de la documentation

99Si la recherche archéologique est toujours confrontée aux problèmes d’exhaustivité du corpus et à la qualité de la documentation, ces limites sont d’autant plus marquées dans le cadre de cette étude qui englobe deux identités géographiques différentes. Effectivement, la Bretagne historique, qui s’étendait à l’origine au département de Loire-Atlantique, est une création du haut Moyen Âge qui voit la mise en place d’un royaume au ix^e siècle qui deviendra le duché de Bretagne183. Tandis que la région Pays de la Loire, créée en 1955, correspond à un regroupement administratif et politique, dénué de sens historique. En effet, elle est issue d’un agrégat d’anciennes provinces – qui dessinent le paysage de la France, à l’aube de la Révolution de 1789 –, celle de la Bretagne à l’ouest, de l’Anjou à l’est, du Maine et du Perche au nord/ nord-est et du Poitou au sud (fig. 24). Il est d’ailleurs à noter que ces cadres administratifs n’ont pas été remis en cause par la réforme territoriale promulguée le 7 août 2015, délaissant le débat entre proposition de réunification de la Loire-Atlantique à la Bretagne – selon des arguments historiques et des revendications identitaires bretonnes–, ou fusion des deux régions au profit d’exigences économiques et/ou politiques. Par conséquent, la Bretagne connaît de nombreux travaux archéologiques et historiques à valeur synthétique tant pour l’âge du Fer184 que pour la période romaine185, qui sont, à l’inverse, quasi-inexistant à l’échelle des Pays de la Loire, à quelques rares exceptions près186. En effet, il découle de ce constat une certaine cohérence de la documentation à l’échelle de la Bretagne, bien que les différents acteurs de la recherche s’orientent parfois vers des programmes plus localisés, tandis que l’absence de logique historique et géographique constatée pour la seconde région induit des études systématiquement ciblées sur une cité187, un département188, ou une ancienne province189.

Fig. 24. Carte de la France en 1035 d’après The Historical Atlas (Shepherd 1911) : les limites de la région des Pays de la Loire sont représentées en bleu.

La typologie de l’habitat celtique : à l’origine de nos connaissances sur l’habitat gaulois

100L’étude des modes d’occupation du territoire et du peuplement à la fin de l’âge du Fer, invite à revoir la question de la typologie de l’habitat celtique. En effet, l’analyse à venir s’est d’abord inscrite dans la continuité des plus récents travaux sur la question, avant d’examiner les spécificités propres à l’ouest de la Gaule.

101La perception des modes d’implantation de ces sociétés s’est d’abord inspirée des sources écrites, à savoir des commentaires de César sur la Guerre des Gaules, qui décrit trois catégories d’habitat, que l’on retrouve résumées dans son premier Livre, au départ de la migration des Helvètes :

“Quand ils se croient prêts pour cette entreprise, ils mettent le feu à toutes leurs villes [oppida] – il y en avait une douzaine, – à leurs villages [vicos] – environ quatre cents – et aux maisons isolées [aedificia] (Caes., Gal., 1.5.2)”.

102La signification de ces trois termes latins a été largement débattue par des allers-retours entre les quelques indices que César délivre au fil de son discours et les découvertes de grands sites explorés dès le xix^e siècle. Il semble que les spécialistes de l’âge du Fer s’accordent aujourd’hui assez bien sur leurs différentes définitions190.

103Ainsi, l’oppidum est certainement le terme qui a suscité le plus de débats. De manière générale, il caractérise les sites fortifiés les plus imposants, le plus souvent installés sur des points hauts. Le critère de superficie a souvent été au centre des discussions, cherchant à déterminer des surfaces minimums – discussions qui ont été synthétisées par S. Fichtl191 –, cependant l’avancée de la recherche montre que l’acceptation de bornes rigides n’est pas toujours pertinente. Par ailleurs, l’oppidum est compris comme un centre de production et de commerce où se développent différents types d’artisanats, comme un pôle politique, religieux et administratif. En somme, il s’approche de la définition de la ville et de la notion d’urbanisme. Néanmoins, la question de l’emploi de ces deux derniers termes pour la fin de l’âge du Fer a animé bon nombre de débats au sein de la communauté scientifique192, qui a d’abord tenté de réfléchir sur la légitimité à les rapprocher des modèles gréco-romains, correspondant aux acceptations classiques de la notion de ville. Puis, rapidement, l’idée selon laquelle le modèle urbanistique celte ne doit pas être pensé comme une réplique de pratiques romaines plus abouties s’est imposée193. En somme, il existe aujourd’hui un consensus qui permet d’associer les oppida à des villes celtiques, comme l’atteste l’avant-propos aux actes de la table ronde de Beroun (République tchèque), portant sur la gestion et la représentation des oppida194, ou bien l’introduction au site internet consacré aux oppida195.

104Le vicus, quant à lui, correspond à un habitat groupé ou à une agglomération de plaine qui prospère par le développement d’activités agricoles ou artisanales. Enfin, les aedificia sont des habitats isolés (des unités familiales) à vocation agropastorale qui revêtent des formes variables et pouvant parfois se concentrer en de denses réseaux de fermes.

105La confrontation des sources manuscrites aux vestiges archéologiques a entraîné progressivement une complexification de cette schématisation tripartite de l’habitat gaulois. De fait, en 1999 – et à nouveau en 2007 –, O. Buchsenschutz propose d’organiser les formes de l’habitat selon plusieurs critères de distinction (fig. 25), le premier s’attachant à l’état isolé ou aggloméré du site, le second à la morphologie et à la nature de ses délimitations (ouvert, enclos, fortifié), le dernier s’intéressant à sa fonction (production agricole, artisanat, commerce). Depuis, l’archéologie a progressé dans la connaissance des sociétés gauloises, révélant une diversité des implantations humaines de la fin de l’âge du Fer – en témoigne une récente exposition proposée à la cité des sciences et de l’industrie, intitulée “Gaulois : une expo renversante”196 –, ce qui a entraîné une réactualisation de cette typologie de manière à couvrir l’ensemble des signaux perçus par l’archéologie197. Ainsi, S. Fichtl classe les habitats selon leurs critères fonctionnels, c’est-à-dire, d’une part les habitats en lien avec une activité agricole et, d’autre part, ceux pour lesquels les fonctions artisanales et/ou commerciales prédominent, chaque classe se déclinant en différentes catégories (fig. 26). La morphologie du site et sa démarcation dans le paysage deviennent alors des critères secondaires, utilisés pour hiérarchiser les différents types observés par l’archéologie. On notera qu’une catégorie de sites fortifiés pour lesquels une occupation pérenne n’a pu être définie est alors mise à part.

Fig. 25. Organisation de l’habitat en Europe tempérée à l’âge du Fer selon O. Buchsenschutz (1999, 358, fig. 3).

Fig. 26. Typologie de l’habitat en Europe tempérée à la fin de l’âge du Fer (iii^e-i^er s. a.C.) d’après S. Fichtl (Fichtl 2013, 21, fig. 19).

106L’idée majeure que l’on retiendra de ces classements, c’est l’ambition dès 1999 de s’affranchir des schémas hérités de la littérature pour construire des modèles basés sur les réalités archéologiques. Le dernier offrant l’image la plus aboutie et la plus proche des connaissances actuelles et générales sur l’habitat gaulois de la fin de l’âge du Fer. Il s’agira pour cette analyse de procéder à des emprunts de cette dernière typologie afin d’approcher un modèle, le plus approprié possible aux particularismes régionaux de la zone concernée par l’étude.

107Enfin et avant de poursuivre, nous souhaiterions revenir sur l’acceptation du terme oppidum. En effet et comme nous venons de le voir, il existe aujourd’hui une définition sur laquelle s’accordent les ouvrages généraux traitant de la fin de l’âge du Fer en Europe tempérée, l’oppidum désignant la ville celtique de la fin de l’âge du Fer. Néanmoins, de nombreux chercheurs ont souligné et soulignent encore les diversités morphologiques et fonctionnelles que ces sites recouvrent. La multiplication des fouilles, depuis le xix^e siècle, améliore la connaissance que nous en avons, révèlant ainsi d’importantes disparitées régionales tant du point de vue de la chronologie, du rythme de l’occupation de ces sites, que de leurs fonctions198. De fait, le renouvellement des données de terrain est venu contrarier un schéma global, hérité de la “civilisation des oppida” de J. Déchelette, à tel point que P. Pion concluait en 2012 qu’il était trop tôt “pour proposer des généralisations” à l’ensemble des sites concernés ou potentiellement concernés199. Comme l’exprimait déjà G. Woolf en 1993, prendre conscience de cette diversité est d’ailleurs essentiel pour la compréhension des processus sociaux en oeuvre à la fin de l’âge du Fer200.

108C’est pourquoi, au vu des résultats de l’analyse qui suit et de la disparité des données qui caractérise le corpus des sites fortifiés, il est apparu plus prudent de se dégager partiellement du terme d’oppidum pour l’analyse des sites du nord-ouest de la Gaule, afin de se concentrer sur une description archéologique plus neutre, en recourant, si nécessaire, à la formule d’“agglomération fortifiée” (cf. infra chap. II, p. 117). Néanmoins, il ne s’agit pas de faire “table rase” de son emploi et de traditions orales ou de recherches qui ont conduit à donner à certains sites ce qualificatif (ex. : “l’oppidum de Vue” ; “l’oppidum d’Orange” à Vieux-Vy-sur-Couesnon, etc.). Pour cette raison, il ne sera pas totalement exclu du discours lors de la présentation des sites ou lorsqu’il s’agira de positionner l’analyse à l’échelle du reste de la Gaule ou de l’Europe celtique.

Une grille d’analyse

109Afin de tirer la substance de notre analyse, il a été nécessaire de mettre en place, en amont de l’étude, une grille de critères caractérisant les sites retenus, afin d’espérer tirer les termes d’une organisation, d’une hiérarchie des différentes implantations humaines reconnues. Ces paramètres sont relatifs à la chronologie et à la durée d’occupation du site, à la position topographique, géographique et sa relation avec l’environnement hydrologique (potentielles voies navigables), ainsi que sa proximité avec une voie terrestre romaine ou protohistorique – selon le degré de renseignement. Les vestiges témoignant d’activités artisanales, cultuelles ou funéraires permettent également de caractériser plus finement les sites, tout comme leur superficie et la présence de mobilier ostentatoire (armement, parure, vaisselle de luxe, monnaies). Enfin, le volet “investigations archéologiques”, renseigne sur l’investissement fourni sur le site et donc indirectement sur la qualité de la documentation disponible.

110Les sites sont classés selon six grandes catégories qui correspondent à un premier niveau d’interprétation. Ces catégories, qui seront pleinement détaillées au fil de l’analyse, sont inspirées d’une typologie de l’habitat réfléchie à l’échelle européenne201, mais sont également conformes à la bibliographie régionale. On distingue les sites fortifiés, les habitats enclos aristocratiques, les habitats groupés ouverts et enclos, les sanctuaires ou plus exactement espaces à vocation religieuse et les nécropoles. Enfin, les dépôts monétaires ont également été enregistrés afin d’être mis en perspective avec le corpus de sites – les découvertes isolées ne sont pas renseignées.

Deux bases de données complémentaires

111Initialement, l’information recueillie pour l’enquête a été enregistrée dans une base FileMaker, afin de constituer un inventaire classique de notices descriptives détaillées et raisonnées. Parallèlement, l’étude de territoires impose une dimension géographique qui nécessite l’utilisation d’un outil adapté. C’est pourquoi, une seconde base, réalisée sous Excel, visait l’établissement d’un Système d’information géographique (SIG). Les critères définis pour ces deux bases reprennent le principe de la grille d’analyse (cf. supra chap. I, p. 65), sans toutefois être répétitifs. En effet, ces deux bases de données ont été conçues de manière complémentaire. Effectivement, la base FileMaker a pour objectif de remplacer une notice littéraire (sous Word) pour plus d’efficacité et de formalisme en amont de l’étude, tout en gardant la possibilité de détailler certains aspects de l’occupation, palliant, dans le même temps, les inconvénients du codage des données nécessaires au SIG, qui ne s’avère pas toujours suffisamment souple pour refléter la pluralité des réalités archéologiques.

La méthode classique : une base sous FileMaker Pro

112Quatre modèles de formulaires ont été créés afin de faire figurer les différentes rubriques retenues correspondant à la spécificité des six catégories de sites, sept avec les dépôts monétaires, de manière à les présenter le plus précisément possible. Le format de notice sous FileMaker permet de présenter un corpus normalisé et homogénéisé, dans l’intention d’établir des comparaisons intra et extrarégionales.

113Ainsi, un modèle répond aux fortifications de hauteur, aux habitats enclos aristocratiques et aux habitats groupés enclos, dont le facteur commun correspond à la délimitation du site (enclos ou fortifié), qui s’ajoute aux caractéristiques définies pour la notice associée à l’habitat ouvert. Un troisième formulaire, pour les nécropoles et les sanctuaires, s’est vu retirer les paramètres liés aux activités agricoles ou artisanales. Et enfin, un dernier très simplifié recense les dépôts monétaires. Notons que pour chaque modèle, des zones d’édition offrent la possibilité de préciser l’information. Les notices des sites ont donc été conçues sur des modèles identiques de manière à contenir l’information la plus exhaustive possible, néanmoins pour l’édition des notices de chaque site, les critères non renseignés (lorsque l’information n’était pas accessible ou inexistante) ont été évacués afin de faciliter la lisibilité des fiches. Cela permet, par ailleurs, de rendre compte de l’inégalité de l’information archéologique disponible.

114Enfin, ce logiciel présente l’avantage de pouvoir associer à la fiche de site des documents cartographiques ou des photographies. Une charte graphique a été pensée en amont, les plans sont normalisés en fonction des différentes catégories, de manière à simplifier les comparaisons entre les sites et d’offrir un corpus cartographique homogène. Les cartes réalisées d’après la BD Alti de l’IGN, visent à intégrer les sites dans leur environnement (altitude, dénivelé, hydrologie), ceux présentés sous fond cadastral apportent des précisions sur la situation des vestiges pour les contextes agglomérés.

115Les données compilées dans cette base ont servi d’appui à l’enquête, puis ont été synthétisées afin de proposer au lecteur un catalogue de notices facile d’accès (cf. annexes).

La méthode géographique : Constitution de l’inventaire sous Système d’Information Géographique

“La voie actuelle la plus prometteuse dans les relations entre archéologie et géographie est celle des systèmes d’information géographique. Ces systèmes étant avant tout des bases de données dont les références se situent essentiellement du côté du territoire, on peut dire qu’ils sont la base sur laquelle vont s’effectuer les reconstructions logiques des sociétés du passé et de leur fonctionnement202”.

116L’intérêt du Système d’Information Géographique, de cet outil informatique, que les géographes ont su intégrer avant les archéologues, est, ici, bien résumé par P. Gentelle. L’avantage de cette méthode est qu’elle permet d’inventorier de manière homogène et cohérente les données, d’établir un inventaire raisonné et normalisé. Ainsi, tous les sites sont envisagés et décrits uniformément.

117Néanmoins, la mise en place d’un SIG en archéologie pose une principale difficulté, liée à la nature même des données souvent incomplètes et hétérogènes qui demandent, en amont, une réflexion autour de leur structuration pour permettre, dans un second temps, l’analyse la plus précise et proche de la réalité archéologique. La réalisation d’un inventaire sous SIG nécessite un enregistrement des données relatives aux sites en fonction de critères définis au préalable, afin de pouvoir interroger le SIG et de répondre aux objectifs de la recherche. Le choix de ces critères est donc primordial, d’autant plus que la compréhension de la réalité archéologique évolue au fil de l’étude impliquant de modifier le modèle de la base de données, comme cela a déjà été explicité par certains chercheurs203. Notons qu’à chaque modification, il est nécessaire de revisiter la partie du corpus déjà enregistrée dans la base pour garder la cohérence de l’étude.

118La qualité de l’information archéologique obtenue par l’étude spatiochronologique au moyen d’un SIG est conditionnée par l’hétérogénéité de la documentation archéologique recueillie en amont de l’étude. C’est pourquoi elle doit être gérée selon des critères précis et les données archivistiques doivent être hiérarchisées afin d’améliorer leur exploitation.

119En effet, les critères, correspondant à des “champs” dans la base SIG, sont renseignés au moyen de codes chiffrés qui font références à des informations archéologiques de qualités variables. Ces codes mathématiques sont donc définis avec le plus de souplesse possible, au moyen d’un minimum de critères binaires (présence/absence ; oui/non ; etc.), qui permettent de réaliser des requêtes cartographiques pertinentes (fig. 27).

Fig. 27. Présentation des champs et des codes utilisés pour la base SIG (réal. J. Remy).

Le cadre chronologique

120Contrairement à certains chercheurs qui emploient la chronologie absolue, avec un système de bornes inférieure et supérieure pour l’établissement d’une base de données SIG, il a été décidé ici de fonctionner par périodes et sous-périodes. Ainsi, le champ chronologique est fractionné en cinq niveaux différents renvoyant pour chacun à une précision chronologique croissante. De fait, le niveau 1 regroupe les séquences les plus larges puisqu’il désigne trois grandes périodes chronologiques (l’âge du Fer, la période romaine, le Moyen Âge). Le niveau 2 regroupe les sous-périodes du niveau 1, c’est-à-dire, le premier âge du Fer, La Tène, le Haut Empire, l’Antiquité tardive, le haut et le bas Moyen Âge. Tandis que les trois niveaux les plus précis correspondent à une progression croissante des subdivisions laténiennes : La Tène ancienne (LT A/B), La Tène moyenne (LT C), La Tène finale (LT D) ; LT C1, LT C2, LT D1, LT D2 et enfin, LT D1a, LT D1b, LT D2a, LT D2b. À titre d’information, sur les 85 sites enregistrés dans la base de données (à l’exclusion des dépôts monétaires), seuls 16 bénéficient de ce dernier niveau de précision chronologique.

121Ce choix méthodologique dépend, en premier lieu, de la nécessité de fonctionner avec la chronologie allemande élaborée par P. Reinecke (affinée par J. Metzler et A. Haffner) et adaptée à la période étudiée (fig. 28)204. Par ailleurs, ce fractionnement des périodes chronologiques en champs indépendants permet d’analyser les rythmes de rupture et de continuité dans l’évolution d’un site à travers tout l’âge du Fer et jusqu’à la fin du Moyen Âge (abandon rapide ou perduration), information qui pourra être croisée avec les autres critères et notamment la nature des sites. De surcroit, il constitue une solution pour attribuer une chronologie, aussi imprécise que possible, à des sites ou indices de sites mal documentés. Ajoutons que ce système offre la possibilité de renseigner chaque classe selon un degré de fiabilité qui se décline en quatre possibilités. “Non renseigné” sous-entend que la datation ne permet pas de renseigner cette période ou que la sous-période ne peut être précisée, elle correspond donc à un état de la recherche. La documentation archéologique peut suffire à désigner une période “absente” ou “avérée” dans le cas d’une datation assurée. Enfin, le qualificatif “estimé” implique une attribution peu fiable due à une documentation insuffisante.

Fig. 28. Système chronologique de référence (Barral 2012, 16, fig. 1).

122Finalement, l’application de cette méthode par le biais de la chronologie relative apporte davantage de précisions que les bornes de datation.

123L’information chronologique est affinée au moyen d’une série de champs qui renvoient à la méthode de datation employée : étude de mobilier céramique, métallique, numismatique, analyse radiocarbone et/ou dendrochronologique. Ces méthodes, qui ont évoluées au cours du temps, n’offrent pas le même degré de fiabilité, c’est pourquoi leur mention apporte de la transparence vis-à-vis de la qualité de la documentation.

124Par ailleurs, l’ensemble des mobiliers issus des sites pris en compte dans cette analyse n’a pas pu être révisé à l’occasion de ce travail. Actuellement, les référentiels dont nous disposons correspondent à des monographies de sites dispersées sous la forme de rapports d’opérations ou de publications représentant une abondante bibliographie. Effectivement, cette démarche constitue une entreprise à part entière, d’ailleurs déjà engagée par plusieurs acteurs. Depuis 2005, A. Levillayer mène des recherches sur les faciès céramiques autour de la basse vallée de la Loire (Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Mayenne, Ille-et-Vilaine et Vendée). À plus large échelle, un programme collectif de recherche sur la typo-chronologie des mobiliers du second âge du Fer dans l’ouest de la France – regroupant la Normandie, la Bretagne, les Pays de la Loire et le Poitou-Charentes –, a été engagé en 2008. Il a abouti à une synthèse typo-chronologique centrée sur les six derniers siècles a.C. et conçue par une trentaine de chercheurs205.