Introduction
p. 11-15
Texte intégral
1Cet ouvrage, consacré à l’analyse des territoires de l’extrémité occidentale de la Gaule, vise à mettre en évidence, à la fin de La Tène (iiie-ier s. a.C.), la structuration sociale des civitates comprises à l’intérieur des limites administratives actuelles de la Bretagne et des Pays de la Loire. Il s’inscrit dans la continuité d’analyses récemment menées sur l’occupation des sols du centre et de l’est de la Gaule, engagées dans le cadre spécifique de cités de la fin de l’Indépendance, à l’exemple de la thèse de doctorat réalisée par C. Féliu sur les peuples leuque et médiomatrique, ou encore de celle de J.-M. Laruaz sur la cité des Turons. Le choix, ici, d’un espace géographique large englobant huit entités territoriales, à savoir celle des Osismes, des Coriosolites, des Vénètes, des Riédones, des Aulerques Cénomans, des Andécaves et des Namnètes, répond à plusieurs impératifs et notamment à celui de palier d’importantes lacunes documentaires, constatées pour la région des Pays de la Loire2. En effet, il faut souligner la faible représentativité des sites fortifiés (vingt-cinq recensés) au sein d’une région rassemblant pourtant cinq cités – en comparaison avec les corpus de Haute-Normandie, du Limousin ou de Bretagne par exemple – et considérant un champ chronologique étendu à l’ensemble de l’âge du Fer. Suite à ce bilan, il est apparu nécessaire de réaliser une synthèse élargie à la Bretagne, regroupant des cités souvent jugées comme étant en marge des phénomènes de complexification et de hiérarchisation des sociétés laténiennes.
2Effectivement, le sujet traité soulève nécessairement la question de l’appropriation du(es) territoire(s) à la fin de l’âge du Fer, à la veille de la conquête de la Gaule, ou devrait-on dire des Gaules ?
3L’organisation de la société gauloise ne peut être perçue qu’à travers deux prismes – dont il faut être conscient des déformations –, l’archéologie, qui tente avec imperfection d’interpréter les traces laissées par l’histoire humaine et les sources écrites, en l’occurrence les commentaires que consigne le général romain Jules César sur la guerre qu’il mène contre les Gaules entre le courant de l’année 58 et la fin 51 a.C. (ou début 50 a.C.). Outre la subjectivité d’une littérature politique, cet ouvrage est révélateur du regard extérieur que porte l’envahisseur, l’explorateur militaire sur le monde gaulois.
4Ainsi, les textes livrent l’image de sociétés assez complexes, organisées suivant plusieurs niveaux hiérarchiques : “En Gaule, non seulement toutes les cités [civitatibus], tous les cantons [pagis] et fractions de cantons, mais même, peut-on dire, toutes les familles sont divisées en partis rivaux ; à la tête de ces partis sont les hommes à qui l’on accorde le plus de crédit” (Caes., Gal., 6.11.2). Cette phrase désigne plusieurs unités sociales et politiques emboitées, dont les civitates, désignées par les noms de peuples ethniques – tels que les Namnetes ou les Diablintes –, correspondent à la plus grande mesure. Ces civitates sont subdivisées en pagi, qui peuvent eux-mêmes être sous-divisés et au sein desquels se développent différentes unités familiales à la tête desquelles un homme se démarque d’une certaine autorité.
5L’archéologie, quant à elle, révèle que l’ensemble de la Gaule est soumis à de profonds changements sociétaux durant La Tène moyenne et finale. C’est ainsi que voient le jour, dans le courant du iie siècle, voire dès le iiie s. a.C., de premiers habitats agglomérés de plaine puis, à partir du milieu du iie siècle, des agglomérations fortifiées dont certaines sont désignées d’oppidum. Ces nouveaux établissements se démarquent progressivement d’un monde exclusivement rural. Leurs apparitions s’accompagnent de l’adoption de la monnaie et de l’émergence des civitates décrites par César, que ces sites contribuent à structurer par le rôle économique et/ou politique qu’ils y jouent. La nature de ces nouveaux pôles agglomérés/structurants varie selon les régions, “les oppida, les grands habitats groupés ouverts et les sanctuaires”3. Les civitates deviennent alors de véritables entités politiques dont les premières sont certainement créées dans le courant du iiie s. a.C.4. En clair, ces changements sociétaux reflètent des processus politiques qui aboutissement finalement à la naissance de l’État à la fin de La Tène.
6Si la recherche sur l’âge du Fer dans le nord-ouest de la France est particulièrement marquée par d’importantes avancées sur l’habitat rural, dont cette région fut d’ailleurs la principale investigatrice dans les années 1990 (cf. infra chap. I, p. 42), les récentes synthèses effectuées sur la fin de l’âge du Fer semblent mettre en lumière une région localisée à l’écart de ces structurations territoriales5. Pour preuve, en 1999, en concluant un chapitre sur les sites fortifiés de l’âge du Fer chez les Vénètes, P. Naas déclarait que “Les Vénètes tout comme les autres peuples armoricains restent en marge du phénomène des grands oppida tel qu’il se manifeste à partir du iie s. avant notre ère, en Gaule Centrale, voire en Belgique”6. Ce constat, auquel l’archéologue aboutissait – et qui ne fait d’ailleurs pas l’unanimité auprès des chercheurs7 –, a présidé au choix de la zone d’étude et résume l’un des enjeux de cet ouvrage. Le quart nord-ouest de la Gaule est-il véritablement en marge d’un phénomène de hiérarchisation des sociétés, qui touche le monde celtique à la fin de l’âge du Fer ? Alors que l’archéologie permet aujourd’hui d’admettre “[...] qu’une foule d’indicateurs corrobore le développement démographique et économique sans précédent qui s’opère et ne cesse de s’accélérer tout au long des iiie et iie siècles avant notre ère” dans toute l’Europe celtique8. Il s’agira ici d’évaluer dans quelle mesure l’extrémité occidentale de ce continent participe ou non à ces bouleversements qui aboutissent à des expériences étatiques.
7Depuis les années 1990, des travaux de recherches qui traitent de la question des origines et de la formation des territoires gaulois se multiplient dans le nord, le centre et l’est de la Gaule9. Au contraire, le quart nord-ouest souffre de l’absence de synthèse générale, bien qu’il hérite de bilans ponctuels et micro-régionaux, notamment celui d’Y. Menez consacré à l’habitat de Paule et aux enceintes aristocratiques (Menez 2008). Cette contribution a justement pour ambition de palier ce retard, d’autant que de récentes découvertes donnent effectivement matière à un examen des dynamiques territoriales dans ces régions. Des fouilles importantes comme celles menées sur “l’oppidum du Mesnil” à Moulay (Mayenne), à Trégueux (Côtes-d’Armor) ou encore à Vue (Loire-Atlantique), sont venues enrichir le corpus de l’habitat gaulois.
8La démarche, initiée dans le cadre d’une thèse de doctorat, propose donc de croiser l’ensemble de la documentation ancienne disponible et les données plus récemment acquises par l’archéologie programmée et préventive. L’objectif est ainsi d’identifier les indices de densifications sociales, telles que les agglomérations – sous les diverses formes qu’elles empruntent –, mais également les habitats aristocratiques – lieux de résidence d’une élite sociale–, les sites fortifiés, les espaces rituels, c’est-à-dire des types d’implantations dont on a constaté qu’ils jouaient, dans d’autres régions, le rôle de polarisation au sein des territoires à la fin de La Tène. Si l’enquête se focalise principalement sur ces grandes catégories de sites, elle prend également en compte les établissements ruraux de manière ponctuelle, dans le cas de focales géographiques et dans le but de mieux cerner, comprendre et tester les modèles qui sont proposés. En effet, le choix d’une large zone d’étude a offert, par ailleurs, la possibilité de constituer une base de données solide et suffisamment consistante pour prétendre mettre en place des modèles spatiaux10.
9À ce propos, la réflexion menée sur le territoire en archéologie implique nécessairement d’intégrer une dimension spatiale à l’analyse et donc d’adopter certains principes géographiques. C’est pourquoi, étudier l’organisation spatiale des sociétés – quelque soit la période – suppose inévitablement, aujourd’hui et depuis les années 1970, le recours à la géomatique11. En plus de permettre une manipulation aisée de milliers d’entités et une automatisation de la cartographie, l’utilisation des Systèmes d’Information Géographique (SIG) offre d’intéressantes possibilités d’analyses spatiales facilitées par l’informatisation des données archéologiques. Il était donc essentiel d’intégrer ce volet méthodologique à l’étude des territoires gaulois de l’ouest de la Gaule.
10Par ailleurs, ce vaste espace géographique, couvrant près de 50 000 km², soit environ 8 % de la surface de la France, permet de mesurer l’uniformité ou la diversité des entités politiques considérées, avant de pouvoir les confronter aux régions limitrophes et ainsi, d’évaluer leurs particularismes.
11Aborder la question de l’émergence des habitats groupés et celle de l’organisation des cités à l’origine du dispositif administratif du Haut-Empire, imposait de suivre une démarche cohérente par rapport à la dynamique engagée sur les agglomérations secondaires romaines de Bretagne et de Pays de la Loire – dans le cadre d’un Programme Collectif de Recherche mis en place en 2002 (dir. M. Monteil). Il s’agissait de dépasser les clivages périodiques et de favoriser les approches diachroniques. Comme l’a rappelé P. Leveau, “[...] l’espace doit être abordé de manière pluridisciplinaire et diachronique”12. Cette nécessité, qui ne peut être que le fruit d’un travail collectif, dépasse bien-entendu l’ambition de cet ouvrage. Celui-ci se présente avant tout comme un premier bilan de l’organisation spatiale des sociétés du quart nord-ouest de la Gaule à la fin de l’âge du Fer, qui tente de confronter les modèles hiérarchiques, proposés pour l’habitat, aux différentes composantes du milieu naturel et de ses ressources.
12Si les comparaisons avec le monde romain sont facilitées par une récente synthèse du réseau urbain13, le sujet mériterait d’être envisagé à l’échelle de l’ensemble de l’âge du Fer. Les données étant plus limitées pour les périodes qui précèdent La Tène moyenne et finale, l’exercice apparaissait délicat et même prématuré. Toutefois, les questions de rupture et de continuité avec les périodes antérieures à la séquence chronologique considérée seront ponctuellement intégrées à la réflexion, à l’échelle de chaque site. De plus, on peut espérer que la recherche consacrée au premier âge du Fer progresse dans les années à venir comme l’augurent les découvertes réalisées sur le promontoire de Mervent (85)14, ou la fouille programmée engagée à Bouguenais, qui a récemment donné lieu à un premier bilan des sites fortifiés hallstatiens à l’échelle du nord-ouest de la France – Bretagne, Pays de la Loire et Normandie15.
13Afin de mener à bien ce projet, qui consiste à offrir un examen de l’organisation des territoires du quart nord-ouest de la Gaule, la réflexion est organisée suivant trois chapitres. Dans un premier temps, les spécificités géographiques de la zone d’étude et le contexte historique sont présentées. Effectivement, les limites de civitates de la fin de l’Indépendance, qui sont ici discutées, prévalent sur le découpage administratif actuel. Aussi, l’approche de ces territoires nécessite d’éclairer le lecteur sur l’évolution des pratiques archéologiques régionales et des problématiques qui ont animé les chercheurs et qui justifie aujourd’hui les choix méthodologiques. Un second chapitre est consacré à la présentation du corpus suivant des critères morphologiques et fonctionnels, permettant de dégager les caractéristiques propres de l’habitat et des espaces à vocation rituelle. Elle est complétée par une réflexion menée autour de la hiérarchisation de ces sites et leur place au sein des territoires. Une attention plus particulière est portée aux formes et aux fonctions de l’habitat groupé. Aussi, il s’agit d’éclairer le lecteur sur les spécificités de l’habitat dans l’Ouest et des problématiques qu’elles soulèvent. Le troisième chapitre propose une première synthèse et un bilan critique de la configuration générale de la zone d’étude. Le poids de nombreux facteurs anthropiques et naturels sera évalué afin d’obtenir une vision complète de l’occupation des sols à la fin de l’âge du Fer. Cette démarche permet d’apprécier l’interaction entre les grandes catégories de sites retenus, les réseaux de communication, les ressources minérales et agricoles et le rôle éventuel de chacun de ces facteurs dans l’organisation des différentes cités. Enfin, des analyses spatiales à l’échelle de chaque cité sont envisagées à travers la notion de rupture et continuité avec la période romaine.
Notes de bas de page
2 Ce constat s’est imposé au terme d’un travail universitaire portant sur les fortifications de l’âge du Fer (Remy 2011).
3 Fichtl 2012a, 152.
4 Ibid., p. 152-153.
5 Fichtl & Pierrevelcin 2012.
6 Naas 1999, 86.
7 Duval 1959.
8 Fichtl & Guichard 2016, 58.
9 Fichtl 1996 ; 2007 ; Barral et al. 2002.
10 Le corpus est ainsi composé de 78 sites datés de La Tène moyenne ou finale, dont 31 sites fortifiés, 14 habitats groupés (certains, probables ou potentiels), 12 habitats aristocratiques, 11 espaces à caractères rituels, auxquels on peut ajouter 10 indices d’occupation mis en évidence sous des temples romains.
11 Barge & Rodier 2011, 9.
12 Leveau 2002, 9.
13 Monteil 2012.
14 La dernière opération préventive conduite sur ce site en 2013 a motivé la réalisation d’un Lidar sur le massif forestier de Mervent-Vouvant (85), à l’initiative d’O. Nillesse (INRAP) qui devrait prochainement aboutir à la mise en place d’un important programme de recherche (cf. infra. chap. I, p. 47).
15 Remy et al. 2016.
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