Introduction
p. 11-15
Texte intégral
1L’idée d’un colloque sur les monnaies de fouille grecques est née des expériences respectives des deux éditrices de ce volume avec des monnaies de fouilles et des trésors. Les monnaies grecques des fouilles de l’EfA à Thasos, jadis, et plus récemment celles de l’EfA à Argos ou encore celles trouvées lors du survey mené en Béotie par les universités de Cambridge et de Leyde m’ont fait découvrir les difficultés et les enjeux propres à ce type d’études : problèmes de nettoyage et de conservation, identification des pièces délicate, dès lors que les sols, l’usure ou le feu ont fait leur œuvre de destruction. Il y a aussi le problème de la fiabilité de l’échantillon – pour l’essentiel jeté ou perdu par les Anciens –, que les archéologues nous transmettent : reconstituer la circulation monétaire à partir de ces monnaies pose donc toute une série de problèmes de méthodes. Il en va de même de l’utilisation archéologique des monnaies de fouilles comme élément de datation, puisque les monnaies étaient susceptibles de circuler longtemps après leur émission, avec parfois des phases de décri et de remise en circulation. Une autre question, à l’heure des banques de données et des SIG, est celle de l’utilisation de ce matériel. L’enrichissement des corpus monétaires en est une, traditionnelle et toujours d’actualité. L’accent est mis de plus en plus actuellement sur la capacité d’approcher, via ce matériel, la monétarisation tant d’un point de vue social, via la petite monnaie, la seule accessible à toutes les couches des sociétés antiques1, que d’un point de vue spatial, avec l’étude des monnaies trouvées dans l’astu, la chôra voire dans les périphéries urbaines, dont l’étude se développe, ou encore dans différents types de sites (habitat, sanctuaire, nécropole, zone artisanale, forteresse, etc.)2.
2Nous avons monté ce projet de colloque alors que Frédérique préparait la publication de son habilitation à diriger les recherches pour laquelle elle a travaillé en utilisant des monnaies de fouilles comme une donnée statistique, à partir des publications. La variété des modes de publication et la difficulté à les exploiter en séries invitaient à réfléchir aussi au mode de publication susceptible d’être le plus utile, non seulement aux numismates, mais à la communauté plus large des spécialistes de l’Antiquité.
3Nos approches étaient complémentaires et invitaient à examiner les manières d’appréhender les monnaies de fouilles. Près de vingt ans après la conférence sur les monnaies de fouille tenue à Athènes en l’honneur de la regrettée Mando Oikonomides, il était temps de faire un nouveau point sur les méthodes d’approche des monnaies de fouilles du monde grec3. Pour ce second colloque international sur les monnaies de fouille tenu à Athènes, nous avons décidé d’élargir les réflexions au monde grec au sens le plus large d’un point de vue spatial et d’y associer des spécialistes de la Grèce, de l’Égypte et de l’Orient grecs.
4Les monnaies de fouille grecques constituent un sujet peu attractif à première vue pour un colloque, et, le constat de Tony Hackens les concernant, lors de la conférence de Nancy Numismatique antique, Problèmes et méthodes, en 1971, n’a pas pris une ride : l’analyse des trésors est mieux accréditée auprès des numismates et des historiens4. Mais les découvertes au gré des fouilles et des prospections archéologiques renouvellent chaque année le matériel. Les grandes collections bougent peu et offrent une image bien différente des monnayages, plus proche des représentations de l’Antiquité au fil du temps dans le monde occidental que des réalités antiques, à l’exception de ce que l’on observe au Musée numismatique d’Athènes dont les collections comprennent une grande quantité de monnaies de fouille. Faute de spécialistes disposant de temps pour les étudier, un grand nombre de monnaies de fouille restent à publier et leur volume est sans doute sous-évalué5. Il faut espérer que les publications se multiplient, car ces monnaies enrichissent les corpus monétaires, permettent de préciser la datation de certaines séries, et leur apport, tant sur les techniques de frappe que sur les usages monétaires, est irremplaçable.
5Les numismates ont pris conscience depuis longtemps des spécificités, du potentiel, mais aussi des difficultés d’exploitation de ce matériel. Dans sa célèbre adresse à la Royal Numismatic Society en 1965 consacrée à l’interprétation des trouvailles monétaires, Philip Grierson proposait une typologie double du matériel en fonction des circonstances de découverte (en contexte ou hors contexte) et de la nature des trouvailles (monnaies groupées ou isolées, celles qu’il appelait les “step-children” de la numismatique). Et surtout, il insistait sur l’impossibilité à reconstituer la circulation à partir du témoignage des monnaies de fouille, posant le problème essentiel de la représentativité de l’échantillon dont nous disposons :
The coins available for study are only a sample of those that have been found. The coins that have been found are only a sample of those which were lost. These in turn were only a sample of those that had originally been in circulation. Those that had been in circulation in the area for which information is available would be only a sample of the total number of coins issued6.
6De l’autre côté de la Manche et quelques années plus tard, lors de la conférence de Nancy, Tony Hackens évoquait aussi la nécessité, pour une interprétation correcte des monnaies de fouille, de connaître la manière dont les contextes archéologiques s’étaient formés : il soulignait qu’en cas de destruction soudaine et violente, l’image de la circulation monétaire était bien différente de ce que l’on observe en cas d’abandon sans précipitation : ainsi en est-il à Délos à l’ilot des Comédiens où une majorité de petits bronzes domine la statistique, les monnaies en argent étant quasi absentes. Dans l’ilot voisin, détruit par la violence, on a retrouvé des monnaies d’argent en plus d’un endroit, car la même sélection n’avait pu s’opérer7.
7En Grèce, la conférence organisée à Athènes en l’honneur de la regrettée Mando Oikonomides en 1995 par Kenneth Sheedy et Charikleia Papageorgiadou-Banis8 a été une étape importante dans la réflexion sur les relations entre numismatique et archéologie. Plusieurs communications sur les monnaies de fouille de Susan Rotroff, Olivier Picard, Yannis Touratsoglou et Alan Walker, n’ont rien perdu de leur actualité. Susan Rotroff y démontrait toute l’expertise pionnière des Américains en la matière, évoquant les problèmes de corrosion liés à la nature des sols et aux nettoyages chimiques. Elle indiquait les opérations à effectuer (tant pour le nettoyage que pour la conservation), insistait sur la nécessité dans les inventaires de faire une double numérotation, celle des trouvailles archéologiques et, en regard, celle de l’inventaire numismatique. Plus généralement, elle invitait les archéologues et les numismates à travailler vraiment ensemble. Dans le même volume, Olivier Picard insistait sur la nécessité d’éviter la confusion entre date de frappe et date d’enfouissement des monnaies, nombre de monnaies circulant longtemps. Il indiquait en outre que les monnaies de fouille reflètent les pratiques sociales structurant la vie d’une communauté et non l’activité économique et ses variations9.
8Travailler sur des monnaies de fouille est un travail d’équipe où le numismate doit s’accorder avec les archéologues, dont il dépend pour la fiabilité des trouvailles et les données sur les contextes. Albert France-Lanord attirait ainsi déjà l’attention, lors de la conférence de Nancy, sur le fait que les petites monnaies échappaient souvent aux fouilleurs10. Et, comme l’écrivait Susan Rotroff en 1995 :
Some numismatists are archaeologists and some archaeologists are numismatists. Usually, however, the two species are quite distinct, and they regard coins in very differing lights […] The archaeologist sees a tool, and he or she makes a simple demand but an insistant one. What is the date?11
9Depuis l’important colloque tenu à Athènes, les choses ont un peu changé. La relation duelle entre archéologue et numismate reste essentielle, mais tend peu à peu à s’élargir à d’autres spécialistes, dont les céramologues, à mesure que se précise la connaissance de la céramique commune et des timbres amphoriques. Les archéologues s’appuient sur les céramologues et le dialogue entre ces derniers et les numismates se développe aussi, car il est le plus souvent fructueux. Plusieurs publications, notamment celle des monnaies d’Alexandrie ou celle des monnaies de Monte Iato, veillent à établir une table de concordance entre unité stratigraphique et catalogue monétaire, ce qui facilite le dialogue avec les archéologues et autorise des rapprochements fructueux entre plusieurs matériels ; ces publications visent en outre à être utiles à des non spécialistes de la monnaie de fouille, intéressés par l’histoire économique et financière notamment12.
10Les bases de données simplifient désormais beaucoup le travail, notamment pour les gros volumes qu’elles permettent d’appréhender et de manipuler aisément. Les bases constituées par Thomas Faucher (sur les monnaies ptolémaïques trouvées en Égypte) et par Panagiotis Iossif (sur les monnaies séleucides) sont prometteuses, tant pour l’étude de la circulation que pour celle des faciès et des usages de la monnaie. Et la mise en ligne de plusieurs collections publiques et de trésors de monnaies grecques facilite déjà le travail des numismates de terrain, qui peuvent travailler sans s’encombrer de volumineux volumes de référence, dès lors qu’ils ont une connexion internet sur site.
11Depuis quelques décennies, des numismates de terrain et des mathématiciens ont mis au point, surtout en Grande-Bretagne, mais aussi en Belgique, en France et ailleurs, des outils spécifiques de quantification et de cartographie destinés à mettre en valeur des normes applicables aux monnaies de fouille. On citera notamment les travaux de Richard Reece, Jean-Marc Doyen et Stéphane Martin. Ils mettent en regard les études de monnaies de fouille de très nombreux sites, à l’échelle parfois d’un pays entier, distinguent des phases chronologiques de dix à vingt ans dans les arrivées de matériel ou considèrent les faciès de tel ou tel type de site (militaire, sanctuaire, habitat, urbain, village). Il est évidemment possible pour les spécialistes du monde grec d’adopter ce type d’approche, là où nous disposons de bons contextes et d’une masse de monnaies bien datées issues des mêmes ateliers. Mais cela nous est-il possible en dehors du monde des monarchies hellénistiques13 ? Dans le monde des colonies grecques au contact de populations barbares, où circulait souvent un type dominant de monnaie grecque, à l’ouest de la Sicile ou dans le Pont-Euxin par exemple, cette méthode est vraisemblablement susceptible de donner aussi des résultats fructueux. Il n’est pas évident en revanche, comme le notait déjà Olivier Picard en 1995, qu’elle puisse s’appliquer au monde des cités de Vieille Grèce, parce que leurs monnaies sont rarement datées avec précision et que la part des émissions locales est importante.
12En revanche, ce que Jean Marc Doyen appelle l’analyse chronostratigraphique fine au sein d’un même site est envisageable dès lors que les fouilles sont bien conduites. Elle permet notamment de distinguer les monnaies résiduelles encore en circulation de celles qui sont mises au rebut et inactives : cela n’est pas sans conséquence pour expliquer la présence si fréquente des monnaies classiques et hellénistiques dans des contextes très tardifs, comme l’a montré Kevin Butcher pour Beyrouth14. L’étude des facies monétaires au sein d’une cité fouillée nous est souvent accessible et gagnerait à distinguer différents types de sites, les nécropoles bien sûr, mais aussi les sanctuaires, les postes militaires, les zones d’habitat et d’artisanat. Cela apporterait des informations sur les pratiques monétaires.
13Les possibilités de développement sont donc très étendues. La masse d’informations que peuvent livrer les monnaies de fouilles est cependant en partie limitée par l’absence de standardisation des publications qui rend toute entreprise de comparaison des sites ardue. La rareté des images disponibles rend donc quasiment impossible la mise à jour les catalogues de monnaies de fouilles lorsque, la bibliographie ayant évolué, ils sont devenus partiellement obsolètes.
14Ce rapide tour d’horizon des différentes approches et des problèmes méthodologiques nous ramène à ce volume. Nous avons eu le souci d’y proposer un panorama des monnaies de fouilles du monde grec aussi complet que possible, mais il y a évidemment des lacunes, dont la plus importante concerne le monde colonial occidental ; plusieurs contributions reflètent les découvertes de Grèce, d’Égypte et de l’Orient grecs. La question des faciès des sites archéologiques a été traitée à partir d’études de cas, dont la majorité donne à connaître des matériels et sites inédits. Reste que l’ambition principale de cet ouvrage est de marquer une étape dans la réflexion méthodologique sur l’apport des monnaies de fouilles. La réflexion sur l’exploitation historique des monnaies de fouille est au cœur de ce volume, avec les modes de traitement des données qu’elles fournissent, depuis leur classement et leur conservation jusqu’aux moyens actuels de gérer ces données et de les mettre en relation avec les autres informations livrées par le site d’où elles sont extraites (cartographie, SIG).
Notes de bas de page
1 Butcher 2003.
2 Grandjean 2015.
3 Sheedy & Papageorgiadou-Banis, éd. 1997.
4 Hackens 1975.
5 F. de Callataÿ évalue leur nombre à 100 000 dans le même volume (voir infra p. 239-262) en se fondant sur les publications, ce qui, rapporté aux millions de monnaies présentes dans des collections, paraît faible, voire négligeable. Reste que peu de monnaies de fouille ont été publiées, faute de spécialistes et parce que le ratio heures de travail/publication, pour les monnaies de fouille, est particulièrement bas, ce qui décourage les vocations.
6 Grierson 1965, p. i-xvi.
7 Hackens 1975.
8 Sheedy & Papageorgiadou-Banis, éd. 1997.
9 Picard 1997.
10 France-Lanord 1975.
11 Rotroff 1997.
12 Picard 2012 ; Frey-Kupper 2013.
13 Reece 2003 (= id. 1996).
14 Doyen 2011 ; Butcher 2003.
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