Auxiliaria stipendia merere. La solde des auxiliaires de la fin de la guerre sociale à la fin du ier s. p.C.
p. 117-138
Texte intégral
1Le fonctionnement des troupes auxiliaires sous le Haut-Empire semble bien connu, grâce aux différents textes qui nous sont parvenus (sources littéraires, épigraphie, diplômes militaires) : des unités permanentes constituées de recrues individuelles, dont la solde est assurée par Rome et qui reçoivent la citoyenneté romaine après vingt-cinq ans de service, telle est la situation à partir de Claude. Mais la transition des pratiques républicaines (avec des levées temporaires et sans unités permanentes) au système impérial garde de nombreuses zones d’ombre, malgré la monographie de D. B. Saddington, qui continue à faire référence1. Comme son titre l’indique, cet ouvrage avait pour ambition de cerner “the development of the Roman auxiliary forces from Caesar to Vespasian” en recensant et synthétisant l’ensemble des sources écrites. On comprend donc que de nombreuses questions pratiques n’y soient pas abordées ; la rémunération des soldats auxiliaires en fait partie. C’est ce manque que nous essaierons de combler dans cette contribution, en insistant sur les changements de pratique tout au long de la période étudiée.
2On désigne par troupes auxiliaires tous les soldats pérégrins combattant pour Rome. Avant la guerre sociale, on distingue les Italiens (socii nomenve Latinum) des autres communautés, appelées auxilia externa. Ce dernier qualificatif devient inutile après l’octroi de la citoyenneté romaine à toute la péninsule italienne. L’usage d’auxilia externa par les Romains est attesté très tôt, mais les sources restent souvent évasives à ce sujet. L’expression même est un “fourre-tout” qui désigne des troupes de tout statut, levées de force ou volontaires, provenant de communautés indépendantes comme soumises, liées à Rome par un traité ou pas. Après la guerre sociale, bien que la terminologie employée reste assez flottante, les sources littéraires deviennent plus explicites et commencent à nous livrer des détails d’ordre pratique. Toutefois, elles concernent uniquement la partie occidentale de l’Empire. C’est pourquoi nous nous concentrerons essentiellement sur ces régions, aux ier s. a.C. et p.C., en nous limitant à quelques remarques pour les périodes antérieures et les provinces orientales2.
3Le statut des auxilia et leur rapport à la structure militaire romaine conditionnent fortement la manière dont ces troupes sont entretenues et rémunérées : toute discussion de la solde auxiliaire doit donc aller de pair avec une réflexion plus générale sur leur positionnement dans l’armée romaine. À notre connaissance, R. Wolters est le dernier à avoir abordé le sujet dans cette optique3. Selon lui, à la fin de la République, Rome faisait la différence entre les foederati, qui continuaient à gérer leurs troupes de manière autonome (y compris la solde), et les autres communautés. Ces dernières versaient diverses contributions en nature et en numéraire, dont Rome disposait pour les soldats qu’elles devaient également fournir. Ce sont les guerres civiles des années 40 et 30 a.C. qui ont changé la situation, qu’Auguste finit par stabiliser. À partir du deuxième tiers de son règne (“also kurz vor der ersten Feldzügen des Drusus in inneren Germanien”), toutes les troupes auxiliaires “wurden […] auch von Rom besoldet4”. Toutefois, les recherches menées depuis la parution de son travail nous amènent à proposer une lecture différente des sources républicaines, en particulier du corpus cicéronien. De même, sur ce sujet comme sur d’autres, il ne semble plus opportun de placer une césure aussi nette à la période augustéenne et nous étudierons les sources disponibles jusqu’à la fin du ier s. p.C.5
4Nous procéderons en trois temps. Nous commencerons par examiner les grandes étapes du passage au système impérial, en présentant et parfois en réinterprétant les quelques textes à notre disposition. Nous pensons que la mise en place du système impérial fut progressive : nous nous demanderons donc, en second lieu, quelle était la proportion de troupes concernée par ce nouveau système, et comment elle a évolué jusqu’à la fin du ier s. p.C. Pour terminer, nous nous pencherons plus spécifiquement sur le numéraire utilisé pour régler la solde dans les diverses situations dégagées précédemment.
5La situation républicaine pour la période antérieure à la guerre sociale a été bien étudiée par C. Nicolet6. À partir des témoignages de Polybe et de Tite-Live, il a montré qu’avec les contingents demandés par les Romains d’après la formula togatorum, les Alliés italiens fournissaient également l’argent nécessaire à leur entretien. De plus, les troupes étaient accompagnées d’un payeur (µισθοδότην : Plb. 6.21.5). La suspension du tributum en 167 a.C. n’eut aucun effet sur cette procédure, qui resta en vigueur jusqu’à l’octroi de la citoyenneté romaine à l’ensemble de la péninsule. C. Nicolet clôt son article sur un passage de Cicéron, extrait des Verrines, qui confirme pleinement sa démonstration. Mais le texte est également d’un grand intérêt pour la question de la solde des auxilia externa. Cicéron écrit : sumptum omnem in classem frumento stipendio ceterisque rebus suo quaeque navarcho civitas semper dare solebat. Is neque ut accusaretur a nautis committere audebat, et civibus suis rationes referre debebat, et in illo omni negotio non modo labore sed etiam periculo suo versabatur. Erat hoc, ut dico, factitatum semper, nec solum in Sicilia sed in omnibus provinciis, etiam in sociorum et Latinorum stipendio ac sumptu, tum cum illorum auxiliis uti solebamus : Verres post imperium constitutum primus imperavit ut ea pecunia omnis a civitatibus sibi adnumeraretur, ut is eam pecuniam tractaret quem ipse praefecisset (Cic., Verr., 5.60)7. Ce passage nous indique très clairement qu’avant comme après la guerre sociale (puisque la propréture de Verrès en Sicile lui est postérieure), les Romains ont appliqué aux troupes auxiliaires provinciales, la procédure employée pour les socii nomenque Latinum.
6Dans le Pro Fonteio, Cicéron rapporte des faits similaires et strictement contemporains à ceux de Sicile, aux alentours de 75 a.C. : ceteris qui idcirco magnis saepe erant bellis superati ut semper populo Romano parerent, magnos equitatus ad ea bella quae tum in toto orbe terrarum a populo Romano gerebantur, magnas pecunias ad eorum stipendium, maximum frumenti numerum ad Hispaniense bellum tolerandum imperauit (Cic., Font., 13)8, et plus loin, quorum qui optima in causa sunt, equites, frumentum, pecuniam semel atque iterum ac saepius inuitissimi dare coacti sunt (ibid., 26)9. On peut y ajouter un texte du Pro Flacco qui est toutefois moins explicite (Cic., Flac., 27-33, en particulier : Classis nomine pecuniam civitatibus imperatam queruntur10). Fonteius et Flaccus, défendus par Cicéron, semblent avoir fait exactement ce qui est reproché à Verrès, accusé par le même Cicéron. Pour résoudre la contradiction, R. Wolters fait valoir que le texte des Verrines concerne les Mamertins, liés à Rome par un foedus11. Cette qualité de foederati rendrait les pratiques de Verrès intolérables, alors que celles de Fonteius seraient normales (R. Wolters ne cite pas le Pro Flacco). Les foederati auraient donc gardé leur autonomie militaire, y compris pour le versement de la solde, tandis que les autres communautés auraient été entièrement soumises à Rome. Ainsi, si on suit son raisonnement, il faut en déduire qu’avant et après la guerre sociale, Rome aurait traité les foederati, et seulement eux, comme elle traitait auparavant les Alliés et les Latins. Seuls les foederati auraient donc été considérés comme des socii et bénéficié d’un statut privilégié.
7Pourtant, contrairement à ce qu’écrit R. Wolters, Cic., Verr., 5.60 ne peut pas concerner les seuls Mamertins et a nécessairement une valeur générale. Cicéron écrit en effet suo quaeque navarcho civitas, ce qui signifie précisément “chaque cité à son propre navarque”12. S’il pouvait rester la moindre ambiguïté, elle serait levée par Erat hoc, ut dico, factitatum semper, nec solum in Sicilia et surtout Verres post imperium constitutum primus imperavit ut ea pecunia omnis a civitatibus sibi adnumeraretur. C’est donc que le mécanisme décrit concerne l’ensemble des cités siciliennes, dont très peu étaient fédérées et la majorité stipendiaires13. Un peu plus loin dans le discours, Cicéron nous donne à voir la flotte sicilienne : Egreditur in Centuripina quadriremi Cleomenes e portu ; sequitur Segestana navis, Tyndaritana, Herbitensis, Heracliensis, Apolloniensis, Haluntina (Cic., Verr., 5.86)14. Comme dans l’inscription AE, 1973, 265, datée entre le iie et le milieu du ier s. a.C., et qui livre la composition d’une flotte de quatre navires, sous le commandement d’un Caninius Niger, les cités mentionnées ne sont pas foederatae15. Elles ont pourtant les mêmes devoirs que Messine (Cic., Verr., 5.49-56) et, à n’en pas douter, les mêmes droits : comme l’explique Cicéron plus haut dans le discours, Siciliae civitates sic in amicitiam fidemque accepimus ut eodem iure essent quo fuissent, eadem condicione populo Romano parerent qua suis antea paruissent (Cic., Verr., 3.12)16, alors même que certaines, comme Thermae, avaient été assiégées et prises par la force17. Toutes sont classées par Cicéron dans les socii (Cic., Verr., 5.128).
8Pour la période antérieure à la guerre sociale, J. W. Rich a récemment montré que contrairement à l’opinion traditionnelle, les sources mentionnent très peu de foedera entre Rome et ses socii italiens, dont la plupart devaient simplement être, selon lui, in dicionem18. Pourtant, lorsque Polybe (6.21.4-5) décrit le recrutement des Alliés par Rome, il ne fait aucune distinction entre différents types de σύµµαχοι : leurs obligations sont identiques, quel que soit leur statut précis. L’exemple de Messine démontre précisément que le statut de civitas foederata n’exemptait pas de la fourniture de troupes, puisque Cicéron nous rappelle que le traité prévoyait explicitement la fourniture d’un navire : Mamertinis in ipso foedere sanctum atque praescriptum sit, ut navem dare necesse sit (Cic., Verr., 5.50)19.
9D’autre part, Cic., Verr., 5.60 dit clairement que les communautés extra-italiennes sont concernées. Il faut mentionner ici la proposition de J. Prag sur le recrutement des auxilia externa, qui s’appuie sur l’étude d’E. Lo Cascio de la formula togatorum20. Ce dernier pense que dans cette expression, togatus désigne toute personne en âge de prendre les armes et non pas déjà mobilisée. Si on accepte sa suggestion, chaque communauté devait donc recenser sa population et mettre à disposition de Rome une liste à jour des mobilisables, qui serait la dite formula. De plus, il note, mais sans s’y attarder, que dans la formule conservée dans la lex agraria de 111 a.C. (quei in eo agro loco ceivis Romanus sociumve nominisve Latini, quibus ex formula togatorum milites in terra Italia inperare solent21), la précision in terra Italia s’explique uniquement si la formula togatorum incluait également des communautés extra-italiennes22. Contrairement à ses prédécesseurs, J. Prag franchit le pas et fait donc l’hypothèse, qui nous semble fondée, que la formula togatorum, c’est-à-dire un document recensant dans chaque communauté tous les mobilisables, concernait tous les socii et pas uniquement les Italiens. Cette interprétation est confortée par la formule qui ouvre la lex repetundarum, datée de 123 a.C., [quoi socium no]minisve Latini exterarumve nationum, et qui donne la qualité de socii aux Italiens comme aux exterae nationes23.
10Or plusieurs textes laissent entendre que socii désigne toutes les communautés passées sous domination romaine, quel que soit leur statut précis (fédérés, libres ou stipendiaires). Dans le corpus cicéronien, outre les Verrines, analysées par F. Sartori24, cette lecture est confirmée par Cic., Div. Caec., 66-67, où l’orateur utilise successivement, pour désigner la même réalité, ab exteris nationibus (en 66) puis sociorum (en 67). Ces exterae nationes sont donc bien au nombre des socii et on notera qu’elles sont décrites comme quae in amicitiam populi Romani dicionemque [sunt] (Cic., Div. Caec., 66)25 : nulle mention de traité. Dans la Guerre des Gaules, César en fournit un bon exemple. Après avoir rappelé leur rébellion récente (Caes., Gal., 1.6.2 : qui nuper pacati erant), il classe les Allobroges dans les socii, sur le même plan que les Eduens et les Ambarres : Helvetii […] in Haeduorum fines pervenerant eorumque agros populabantur. Haedui […] legatos ad Caesarem mittunt rogatum auxilium […]. Eodem tempore Ambarri, necessarii et consanguinei Haeduorum, Caesarem certiorem faciunt sese depopulatis agris non facile ab oppidis vim hostium prohibere. Item Allobroges qui trans Rhodanum vicos possessionesque habebant fuga se ad Caesarem recipiunt et demonstrant sibi praeter agri solum nihil esse reliqui. Quibus rebus adductus Caesar non expectandum sibi statuit dum omnibus fortunis sociorum consumptis in Santones Helvetii pervenirent (ibid. 1.11.1-6)26.
11Ainsi, tout nous conduit à affirmer que, de manière générale et comme le dit explicitement le texte, ce que décrit Cicéron en Verr., 5.60 s’appliquait à tous. La façon dont on rentrait sous la puissance romaine ne présageait en rien du traitement postérieur, pas plus que l’existence d’un foedus27. Ce dernier était probablement nécessaire en cas de dispositions particulières (par ex. l’exemption de Tauroménium de fournir un vaisseau : Cic., Verr., 5.50).
12Il faut revenir maintenant sur la lecture que fait R. Wolters de Cic., Font., 13. Selon lui, stipendium ne devrait pas être pris ici au sens strict de solde mais au sens plus large d’indemnité de guerre ; ad eorum stipendium se rapporterait à ceteris et non pas à magnos equitatus. Que les magnas pecunias ne soient pas destinées uniquement à la solde serait démontré par Cic., Font., 26, qui donne à la suite equites, frumentum, pecuniam. Il nous semble pourtant que stipendium a bien le sens restreint de solde, ce qui est toujours le cas, selon F. Cadiou, en contexte militaire28. Ailleurs dans les Verrines, Cicéron écrit que [Verres] quod eius nautae nomine pro stipendio frumentoque acceperat, lucrabatur (Cic., Verr., 5.62)29. On retrouve la même tripartition que dans le Pro Fonteio et il nous semble clair que stipendium signifie bien ici la solde. On pourra enfin citer une phrase de Tite Live rappelée par C. Nicolet, qui donne clairement la destination de la pecunia (on est en 209 a.C.) : nec miles, qui legeretur, nec pecunia, quae daretur in stipendium esset (Liv. 27.9.13)30. Par ailleurs, le caractère emphatique de Cic., Font., 13 est manifeste, de même que son ton très rhétorique, avec la répétition ternaire de la construction magnus… ad…, qui culmine dans maximum frumenti numerum ad Hispaniense bellum. On remarquera à cet égard, dans l’énumération, le caractère assez “sec” de magnas pecunias ad eorum stipendium, qui ne s’explique guère si stipendium a le sens large d’indemnités dont Rome pouvait disposer à sa guise et pas seulement pour la solde, ce que Cicéron n’aurait pas manqué de développer. Enfin, sur le plan grammatical, il est difficile de rapporter eorum à ceteris, deux lignes plus haut, et un renvoi à magnos equitatus est plus naturel.
13Dans l’ensemble, il nous semble que R. Wolters ne tient pas assez compte du contexte judiciaire des différents discours. S’il s’agit toujours de quaestiones de repetundis, Cicéron accuse Verrès mais défend Fonteius et Flaccus, et il est manifeste que dans ces deux derniers procès, il adopte exactement la stratégie prévue par Hortensius pour défendre Verrès31. Alors qu’en Verr., 5.60, Cicéron doit rappeler les mécanismes qui régissent les contributions des socii, afin de souligner la faute de Verrès, un tel exposé pourrait le desservir en Font., 13. Au contraire, il doit insister sur la grandeur des réalisations de Fonteius, motivée par une situation difficile et par la barbarie des Gaulois, sur laquelle l’orateur insiste en plusieurs points du discours (symétrique inversé, à nouveau, de sa défense des Siciliens). On ne peut donc pas expliquer les différences entre ces deux passages par des pratiques diverses. Au contraire, la procédure décrite en Verr., 5.60 était commune à l’ensemble des communautés sous domination romaine à qui on demandait de fournir des auxilia : elles envoyaient avec leurs troupes l’argent nécessaire à la solde, dont elles assuraient aussi la distribution, avec la variété de pratiques et de numéraires qu’implique une telle autonomie. Il y eut certainement des exceptions32, mais telle était la règle générale.
14Si on avance dans le temps, c’est dans César que l’on trouve ensuite de précieuses indications. Dans le Bellum civile, ce dernier raconte une des raisons de la trahison de deux frères allobroges, Roucillus et Ecus (on est alors en 48 a.C., près de Dyrrachium) : sed freti amicitia Caesaris et stulta ac barbara adrogantia elati despiciebant suos stipendiumque equitum fraudabant et praedam omnem domum avertebant. Quibus illi rebus permoti universi Caesarem adierunt palamque de eorum iniuriis sunt questi et ad cetera addiderunt falsum ab iis equitum numerum deferri, quorum stipendium averterent (Caes., Civ., 3.59.3-4)33. Le texte montre très concrètement comment était payée cette unité de cavaliers gaulois, commandée par des officiers indigènes certainement issus de la même cité. Ces derniers ne contrôlent pas l’argent de la solde, qui leur est nécessairement remis par des Romains, vraisemblablement le questeur. La somme est calculée précisément, selon le nombre de soldats déclarés par les officiers et également, on peut le supposer, selon leur grade. Les officiers ne font que distribuer l’argent à leurs hommes, qui savaient combien ils étaient censés recevoir, ce qui montre l’existence, dès cette époque, de salaires fixes (au moins au sein de chaque unité) et vraisemblablement de versements réguliers. Dans le contexte de la guerre contre Pompée, et des relations d’amicitia et de clientèle entretenues entre César et les Gaulois, on peut penser que la solde de ces auxiliaires est payée par les Romains, plutôt que par une contribution de la cité des Allobroges. On voit la différence avec Cic., Verr., 5.60 : César décrit ici un pas important vers le système impérial. Un passage du Bellum Africum laisse penser que cette solde était couverte par la caisse personnelle de César plutôt que par les ressources publiques. En effet, l’auteur prend soin de préciser que regium enim equitatum Scipio ex provincia Africa alebat (B. Afr. 8.5), ce qui inclut le versement de la solde comme le montre l’épisode qui suit immédiatement : itaque castra cum movere vellet, subito ex oppido erupit multitudo atque equitatus subsidio uno tempore eis casu succurrit qui erat missus a Iuba ad stipendium accipiendum (ibid. 9.1)34. Mais l’œuvre tout entière est fortement anti-pompéienne et on ne sait quelle valeur précise accorder à ces phrases. Deux autres textes du Bellum Africum mentionnent des Africains sous commandement romain recevant un stipendium. Il s’agit tout d’abord de deux Gétules qui passent de l’armée de Scipion à celle de César, parce qu’ils appartiennent à la clientèle de Marius : qui conlaudati a Caesare stipendioque donati ad reliquos perfugas deducuntur (ibid. 35.5)35. Un peu plus loin, interim Considius qui Acyllam VIII cohortibus et stipendariis Numidis Gaetulisque obsidebat (ibid. 43.1)36. Dans l’édition de la Collection Universitaire de France, A. Bouvet traduit “des mercenaires numides et gétules”, car ces deux peuples n’étaient pas à ce moment formellement soumis à Rome. Mais, au vu du contexte troublé de l’époque et de la conception lâche qu’avaient les Romains des auxilia, il conviendrait peut-être de restituer un sens plus neutre à stipendiariis. Quoi qu’il en soit, on peut suivre D. B. Saddington lorsqu’il affirme que ce sont les années de la guerre civile qui ont vu les prémices de la professionnalisation des troupes auxiliaires.
15Pour notre sujet, les sources sont malheureusement presque muettes pour la période augustéenne. On pense généralement que le fondateur du principat réforma les auxiliaires en même temps que les légions. C’est possible, mais rien ne l’atteste explicitement. Les deux passages sur lesquels on s’appuie sont très vagues ; il s’agit d’une part d’une phrase de Tacite, qui rapporte qu’Auguste avait laissé un libellum où on trouvait, entre autres, quantum civium sociorumque in armes (Tac., Ann., 1.11.4)37 et de quelques mots de Suétone (Aug., 49.1 : Ex militaribus copiis legiones et auxilia provinciatim distribuit38). Elles montrent qu’on disposait d’un état des forces, vraisemblablement par province, mais rien de plus. Dans le même paragraphe, Suétone ajoute qu’Auguste fixa les conditions du service quidquid […] ubique militum esset (Aug., 49.3) : on en a déduit que les auxiliaires étaient inclus. Mais Dion Cassius, lorsqu’il rapporte ce même épisode de 13 a.C., précise bien que seuls les citoyens étaient concernés (D.C. 54.25 : οἱ πολῖται). Le discours de Mécène (ibid. 52.27) est difficilement utilisable, car on sait ce qu’il doit au contexte de sa rédaction.
16Toutefois, plusieurs passages des Annales montrent que certains auxiliaires percevaient bien une solde à la fin du règne d’Auguste. En 16, lorsque qu’Arminus demande à son frère Flavus les récompenses reçues lors du combat où il perdit un œil, ce dernier lui répond aucta stipendia, torquem et coronam aliaque militaria dona (Tac., Ann., 2.9.3)39. Flavus servait alors sous le commandement de Tibère, ce qui permet de placer l’épisode entre 4 et 12 p.C. Lorsque Tacfarinas entame sa révolte en 17, Tacite le décrit ainsi : Is, natione Numida, in castris Romanis auxiliaria stipendia meritus, mox deserto (ibid. 2.52.1)40. Ici aussi, la formule ne laisse pas de doute sur le versement d’une solde ; comme Flavus, Tacfarinas a dû servir dans l’armée romaine après le changement d’ère. On note également un Ampsivarien du nom de Boiocalus, qui déclare vinctum se rebellione Cherusca iussi Arminii referens, mox Tiberio et Germanico ducibus stipendia meruisse (ibid. 13.55.1)41 : son engagement se situe donc entre 9 et 16. Il est plus difficile de dater le service de Cruptorix, ancien auxiliaire (ibid. 4.73.8 : Cruptorigis quondam stipendiari<i>) mentionné dans le contexte de la révolte des Frisons en 28. Mais il ne peut remonter avant la fin du règne d’Auguste. Enfin, le passage de Strabon concernant la Bretagne est d’interprétation plus difficile à cause de la langue, mais pourrait faire référence à des cavaliers auxiliaires professionnels : τοὐλάχιστον µὲν γὰρ ἑνὸς τάγµατος χρῄζοι ἂν καὶ ἱππικοῦ τινος, ὥστε καὶ φόρους ἀπάγεσθαι παρ᾽ αὐτῶν, εἰς ἴσον δὲ καθίσταιτ᾽ ἂν τὸ ἀνάλωµα τῇ στρατιᾷ τοῖς προσφεροµένοις χρήµασιν (Str. 4.5.3)42.
17Comme on le voit, nous manquons d’indices pour la première partie du règne, mais nous ne pouvons en tirer aucune conclusion. En effet, les divers textes cités rapportent tous des anecdotes et il nous manque une source similaire pour la période augustéenne. De même, l’œuvre de Tacite débutant avec l’avènement de Tibère, il est normal que les personnages mentionnés aient tous servi après le changement d’ère. Les autres sources documentaires, en particulier les papyrus, ne permettent pas de combler cette lacune43. L’épitaphe de C. Iulius Macer à Saintes pourrait rapporter une carrière augustéenne plus précoce, mais sa datation fait débat44.
18Les sources sont plus abondantes et plus explicites pour Tibère et Caligula. On a retrouvé à Vindonissa une tablette du 22 juillet 38, correspondant au dernier volet d’un reçu de solde d’un cavalier auxiliaire, à qui on verse cinquante deniers ainsi que son stipendium à venir, de soixante-quinze deniers45. Mais une reconnaissance de dette signée à Alexandrie entre deux soldats auxiliaires montre que le système était déjà bien établi onze ans plus tôt46. En effet, le débiteur promet au créditeur de le rembourser grâce à son stipendium à venir : Fateor / me tibei debere dr(achmas) Aug(ustas) et Pt(olemaicas) ducentas / quas tibi solvam stipendio proxumo / et eorum usuras in menses singulos / in dr(achmis) C a(ssibus) III sine ulla controversia47. Or, d’une part le créditeur a accepté l’arrangement, d’autre part M. A. Speidel a montré que le débiteur lui versait la totalité de son stipendium de septembre, déduction faite des retenues48. Ces deux faits montrent clairement que les salaires comme les retenues étaient fixes et connus de tous, de même que les dates de versement. On trouve également chez Tacite d’autres passages similaires à ceux cités plus haut, qui nous font connaître des individus ou des groupes recevant une solde. Comme Baiocalus et Cruptorix déjà mentionnés, il s’agit de Germains. Lors de la révolte des Frisons de 28, on note une alam Canninefatem et quod peditum Germanorum inter nostros merebat (Tac., Ann., 4.73.2)49. Un peu plus tard, puisque l’épisode se situe en 47, Tacite mentionne un déserteur devenu pirate, nommé Gannascus, qui natione Canninefas, auxiliare aes diu meritus (ibid. 11.18.1)50 : il a donc probablement servi sous Tibère. Ainsi, le versement de la solde semble déjà codifié dans la deuxième décennie de notre ère ; les réformes claudiennes ont dans une large mesure achevé de réglementer des pratiques déjà bien établies.
19Si on considère l’engagement et la rémunération individuels des soldats auxiliaires comme la norme pour l’époque impériale, il ne fait toutefois aucun doute qu’il a existé de nombreuses exceptions qui ne se sont dissipées que progressivement. Pour D. B. Saddington, l’organisation des auxilia trouve sa forme classique seulement à la fin du ier s. p.C., bien que “the auxiliary system must have taken shape by the time of Tiberius, even if it had not yet crystallized into that known from the diplomas51.” Néanmoins, il nous semble que pour le début de l’Empire, ce chercheur a tendance à exagérer la part du “professional element” des troupes auxiliaires. Plusieurs indices laissent penser que les pratiques républicaines ont perduré longtemps après le changement d’ère. Les troupes qui étaient à l’époque républicaine levées temporairement, selon les besoins de chaque campagne, donnent progressivement naissance à l’époque impériale à des régiments permanents, dont les qualificatifs ethniques présents dans la titulature indiquent l’origine première. C’est également ainsi qu’on peut expliquer, avec R. Wolters, qu’il n’existe pour les Trois Gaules aucun régiment auxiliaire portant le nom d’une cité gauloise fédérée : leur statut privilégié devait les décharger de ces obligations militaires52. Mais on rappellera l’existence au Haut-Empire d’ailes de Voconces, alors qu’il s’agit selon Pline d’une civitas foederata (Plin., Nat., 3.37.4) : nouvelle preuve que le foedus ne dispensait pas automatiquement des obligations militaires53. La situation variait selon la communauté et le cas des Bataves et des Mattiaques est bien connu : dispensés de tribut, ils furent astreints à la mobilisation annuelle de soldats, vraisemblablement jusqu’à une date avancée du Ier s. p.C.54 De même, Tacite écrit des Ubiens que transgressi olim et experimento fidei super ipsam Rheni ripam collocati, ut arcerent, not ut custodirentur (Tac., Ger., 28.5)55 : la formule semble indiquer un statut particulier, peut-être fixé à l’origine dans un traité dont nous avons perdu la trace.
20On trouve au moins deux instances où les auteurs antiques avouent avoir du mal à quantifier le nombre des auxiliaires : Dion Cassius pour Auguste en 6 p.C. (55.24 : οὐ γὰρ ἔχω τὸ ἀκριβὲς εἰπεῖν56) et Tacite pour Tibère en 23 (Ann., 4.5.6 : sed persequi incertum fuit, cum ex usu temporis huc illuc mearent, gliscerent numero et aliquando minuerentur57). Pourtant, nous avons déjà cité un texte du même Tacite disant qu’à sa mort, Auguste avait laissé un document où on trouvait quantum civium sociorumque in armes (ibid. 1.11.4). Cependant, il y a contradiction uniquement si on considère que, dès cette époque, les auxiliaires sont composés uniquement, ou même majoritairement, de troupes professionnelles. Que ces dernières existent, on peut l’admettre et les identifier avec les auxilia qu’Auguste provinciatim distribuit en même temps que les légions, comme le rapporte Suétone (Aug., 49.1). Mais il est instructif d’analyser le vocabulaire employé par Tacite, comme l’a fait D. B. Saddington, qui note que “Socius is much more common” dans les Annales que dans les Histoires58. On peut proposer plusieurs explications à cela. D’une part, les Annales sont le dernier ouvrage de Tacite, écrit un siècle après la mort d’Auguste, et ses sources ont pu être moins précises. D’autre part, elles couvrent une période beaucoup plus longues que les Histoires, et les événements militaires y sont moins centraux. Enfin, D. B. Saddington fait jouer un rôle important à la variatio tacitéenne : l’utilisation de socii pour auxilia tiendrait surtout à des raisons stylistiques ; en effet, il est souvent difficile d’en distinguer les usages59. On peut toutefois se demander si le caractère plus imprécis des descriptions dans les Annales ne reflète pas également une organisation militaire encore en gestation et si les nombreuses occurrences de socii ne trahissent pas la permanence de pratiques républicaines au début du ier s. p.C., comme c’est le cas dans la marine60. En particulier, l’emploi de civium sociorumque plutôt que legionum auxiliorumque dans la description du libellum laissé par Auguste, nous semble signifiant. Nous avons rappelé plus haut la position de J. Prag sur la formula togatorum : pour chaque communauté, ce document aurait donné le nombre de mobilisables, sur la base de recensements locaux ; il aurait donc été mis à jour périodiquement. Rien ne l’atteste formellement, mais on peut se demander si la formula, et les pratiques connexes, n’étaient pas toujours en vigueur au début de l’empire (à cette différence que le recensement était désormais du ressort de l’administration impériale). C’est à ce document qu’aurait fait référence le libellum d’Auguste, justifiant l’emploi de socii. Il aurait servi à faire des levées selon les besoins de chaque province et de chaque campagne, ce qui expliquerait l’incapacité de Tacite comme de Dion Cassius à donner des effectifs précis pour les auxiliaires de la fin du règne d’Auguste et du début du règne de Tibère. Comme sous la République, on peut imaginer que ces levées faisaient partie des réquisitions demandées par le pouvoir romain, dont P. Herz a rappelé qu’elles étaient nombreuses au début de l’Empire61.
21Si on accepte cette hypothèse, la grande variété et les doublons observés dans les noms des unités impériales pourraient résulter, d’une part de la variété des accords passés, d’autre part de ces levées ad hoc, qui pouvaient appliquer, comme à l’époque républicaine, un système de rotation, ne touchant qu’une partie des communautés dans une province donnée. Ainsi, sur la foi des qualificatifs ethniques, plusieurs peuples belges auraient pu être concernés par des traités similaires à celui des Bataves, ou du moins contenant des obligations militaires accrues. Ce ne semble pas avoir été le cas pour les communautés de Gaule Lyonnaise, dont les recrues ont dû être mêlées au sein d’alae et de cohortes Gallorum, qu’on connaît en grand nombre. Dans les épitaphes d’officiers répertoriées par P. Holder (et dont D. B. Saddington a montré qu’elles donnaient les nomenclatures les plus précises), les noms d’unités tels qu’on les connaît dans les diplômes ne deviennent courants qu’au cours des règnes de Claude et Néron, ce qui tend à confirmer l’action régulatrice du premier62. Cette “normalisation” apparaît dans un épisode de 69 rapporté par Tacite, qui nous semble être un bon indice du fort taux de professionnalisation des auxiliaires à cette époque : Isdem diebus Batavorum et Canninefatium cohortis, cum iussu Vitellii in Urbem pergerent, missus a Civile nuntius adsequitur. Intumuere statim superbia ferociaque et pretium itineris donativum, duplex stipendium, augeri equitum numerum, promissa sane a Vitellio, postulabant, non ut adsequerentur, sed causam seditioni (Tac., Hist., 4.19.1)63. Selon nous, il faut donc restituer une grande variété de situations à l’époque augustéenne, durant laquelle de nombreux auxiliaires devaient encore être entretenus par leur communauté. Les sources ne permettent pas de proposer d’estimations quantifiées, ni même d’ordres de grandeur. La proportion des troupes professionnelles a progressé pendant la première moitié du ier s. p.C., jusqu’à devenir majoritaires, peut-être sous Claude. C’est seulement dans la seconde moitié du siècle qu’on peut considérer que l’évolution est achevée et que le système impérial est la norme.
22A côté de ces unités professionnelles, les légats ou promagistrats gardaient, comme sous la République, la possibilité de lever des troupes dans la province qu’ils dirigeaient64. Recevaient-elles une solde ? On ne peut l’exclure, mais on peut aussi penser que ces fournitures de troupes étaient dues par les communautés concernées et qu’elles en assuraient également l’entretien. Le passage suivant de Tacite ne permet pas de trancher : Reddita civitatibus Gallorum auxilia, ingens numerus et prima statim defectione inter inania belli adsumptus. Ceterum, ut largitionibus adfectae iam imperii opes sufficerent, amputari legionum auxiliorumque numeros jubet, vetis supplementis (Hist., 2.69.1-2)65. Deux solutions sont possibles : soit Tacite emploie auxilia d’abord au sens large (Gallorum auxilia), puis au sens restreint de troupes professionnelles (legionum auxiliorumque numeros)66 ; soit le terme garde le même sens dans les deux phrases, qui serait alors le sens large (le sens restreint nous semble exclu par les conditions de recrutement des Gallorum auxilia). Notre préférence va à la première hypothèse, car nous avons vu que le reste de la documentation montre une forte professionnalisation des auxiliaires à cette époque. On connaît toutefois un cas où la solde ne concerne pas de “vrais” professionnels. Dans les Histoires, Tacite nous rapporte un conflit entre les soldats de Caecina et les Helvètes : initium bello fuit avaritia ac festinatio unaetvicensimae legionis : rapuerant pecuniam missam in stipendium castelli quod olim Helvetii suis militibus ac stipendiis tuebantur (Tac., Hist., 1.67.1)67. Quel était le statut de ces soldats helvètes ? Dans la suite du texte, ils ne semblent pas intégrés à la structure militaire romaine et ne sont pas commandés par un officier aguerri ; le contraste avec les auxiliaires rhètes (appelés successivement Raetica auxilia puis Raeticae alae cohortesque) est souligné par Tacite. Mais il ne s’agit pas non plus de levées temporaires : même si elle est d’une valeur militaire nulle (ibid. 1.68.1 : non arma noscere, non ordines sequi, non in unum consulere), la troupe semble permanente et attachée à un castellum (décrit, ibid., comme dilapsis vetustate moenibus). Elle ne rentre pas dans le schéma tripartite légions/auxiliaires professionnels/levées temporaires et nous invite à ne pas construire de modèles trop rigides.
23Il nous reste à aborder les aspects les plus matériels du versement de la solde : quelles espèces utilisait-on ? Comme nous l’avons vu, la pratique républicaine semble assez bien définie : chaque communauté était chargée de l’entretien de ses troupes. On devait donc avoir affaire à une très grande variété de situations, correspondant aux choix de chaque communauté. Rien n’exclut que certaines troupes n’aient pas reçu de solde, même si les témoignages littéraires semblent indiquer que telle était la norme. La même variété devait se retrouver dans le numéraire employé. Les sources sont muettes sur ce point ; toutes les réponses que nous pouvons apporter doivent se fonder sur l’analyse du mobilier numismatique et de son contexte archéologique. En Gaule chevelue, après la conquête césarienne, on considère généralement que la production des deniers gaulois (des pièces d’argent de métrologie romaine mais aux types locaux) était liée à la situation militaire. En effet, apparaissent à cette époque des séries extrêmement abondantes, dont la diffusion est très large et très rapide (en particulier les monnaies à légende TOGIRIX, ATEVLA/VLATOS et SENODON/CALEDV, auxquelles il faut ajouter celles à légende Q. DOCI SAM F un peu antérieures). De plus, on retrouve fréquemment ces monnaies dans des dépôts, qui peuvent atteindre des tailles considérables : avec plus de 15 000 pièces, celui de Lavilleneuve-au-Roi (Haute-Marne) est particulièrement impressionnant. Dans plusieurs cas, les monnaies gauloises sont associées à des deniers ou quinaires romains de la même époque (par ex. à Chantenay-Saint-Imbert dans la Nièvre ou à Compreignac en Haute-Vienne). Ces dépôts sont souvent interprétés comme des encaisses militaires, servant à payer les nombreux auxiliaires gaulois attestés dans les sources de cette époque. Une récente découverte pourrait confirmer cette interprétation. La fouille d’un établissement rural à Bassing en Moselle, a en effet livré un dépôt dispersé de 1111 deniers gaulois, datable des années 40-30 a.C. En outre, le chantier a livré des militaria tardo-républicains : on attend donc avec intérêt la publication détaillée de ces recherches68. Dans les trouvailles isolées, plusieurs oppida attestent du lien privilégié entre ce numéraire et un environnement militaire : on citera en particulier Sermuz en Suisse (qui a en outre livré beaucoup de monnaies romaines républicaines), quatre sites du nord-ouest de la France, La Chaussée-Tirancourt et Liercourt-Erondelle dans la Somme, le Mont-Castel dans le Calvados, et enfin le Titelberg au Luxembourg69. À Folleville (Somme), un camp connu principalement par les prospections aériennes de R. Agache, le lot monétaire mêle monnaies républicaines (principalement des deniers) et vingt-quatre deniers gaulois sur cinquante-et-une monnaies indigènes, dont une seule est locale70. Sur tous ces sites, qui ont livré à la fois les indices d’une présence militaire et des quantités relativement importantes de deniers gaulois, l’occupation principale peut être datée entre 60/50 a.C. et le début de l’époque augustéenne. Pour cette période, les données archéologiques sont donc concordantes et on peut raisonnablement penser que ces pièces servaient à payer la solde de troupes auxiliaires employées sur le sol gaulois71.
24Nous n’avons pas connaissance de données aussi claires pour les décennies antérieures. Si notre interprétation de Cic., Font., 13 est juste, la situation devrait toutefois être semblable. J. Genechesi a récemment montré dans sa thèse de doctorat que le début de la production des monnaies au cavalier de la moyenne vallée du Rhône était vraisemblablement contemporain de la conquête de la Gaule méridionale72. Contrairement aux frappes régionales dont elles prennent la suite (monnaies au bouquetin, monnaies au cheval galopant), ces pièces se caractérisent par une iconographie très romanisée, portant au droit la tête de Rome et au revers un cavalier armé. Dans le Pro Fonteio, qui nous est parvenu sous une forme lacunaire, Cicéron ne détaille malheureusement pas les communautés soumises aux obligations militaires, mais au moins deux peuples de la moyenne vallée du Rhône sont cités dans le discours, les Voconces et les Allobroges (Cic., Font., 20, 26, 36 et 46). Par ailleurs, on retrouve régulièrement ces derniers dans les récits de César. Dans le Bellum civile, outre l’épisode des deux frères Roucillus et Ecus commenté plus haut (Caes., Civ., 3.59-60), il écrit clairement que des Allobroges ont participé à la guerre des Gaules : Sed Allobroges, Roucilli atque Aeci familiares, quos perfugisse ad Pompeium demonstravimus, conspicati in itinere exploratores Domiti, seu pristina sua consuetudine, quod una in Gallia bella gesserant, seu gloria elati, cuncta, ut erant acta, exposuerunt et Caesaris profectionem, adventum Pompei docuerunt (ibid. 3.79.6)73. Enfin, on connaît au moins deux ailes de Voconces pour la première moitié du ier s. p.C.74 Sur ces bases, on peut donc supposer sans trop de risque que les peuples de la moyenne vallée du Rhône ont fourni des auxiliaires à Rome très tôt après la conquête de la Transalpine75. Il est tentant de mettre en relation l’obligation de ces peuples de fournir des troupes avec la frappe des monnaies au cavalier, et le parallèle avec la situation contemporaine en Hispanie nous semble probant. F. Cadiou a montré, de manière prudente et convaincante, qu’une des raisons de la frappe des deniers ibériques (des pièces d’argent à l’iconographie et aux légendes locales mais à la métrologie romaine) avait pu être la solde des auxiliaires hispaniques76. La production y semble particulièrement importante dans la seconde moitié du iie s., riche en opérations militaires. Dans la vallée du Rhône, on observe également un saut quantitatif avec la production des monnaies au cavalier, beaucoup plus courantes dans les trouvailles isolées et dans les dépôts, où elles sont souvent associées à des deniers et quinaires républicains, comme dans les dépôts post-césariens de Gaule chevelue. Comme les monnaies ibériques, elles portent l’image d’un cavalier galopant ainsi qu’une légende identifiant l’émetteur : un toponyme pour les frappes hispaniques, des anthroponymes pour les frappes gauloises, qui traduisent des différences importantes dans l’organisation politique des communautés et dans la gestion des frappes monétaires. Les anthroponymes des monnaies gauloises sont interprétés, avec beaucoup de vraisemblance, comme des noms de chefs : les mêmes qui mobilisaient les troupes et leur versaient la solde ? L’hypothèse est envisageable mais on ne peut la démontrer. Sans faire des monnaies au cavalier ou des deniers ibériques des productions militaires, il est donc vraisemblable qu’elles aient servi à régler la solde d’auxilia externa.
25La période augustéenne est sans conteste d’interprétation plus complexe. Elle voit en effet la coexistence de deux pratiques concurrentes : le système républicain et les premières occurrences du système impérial qu’on peut attribuer, avec prudence, à Auguste. Contrairement à R. Wolters, nous ne pensons pas que ce dernier imposa le système impérial à l’ensemble des troupes auxiliaires, aux alentours de 15 a.C. Il nous faut donc réexaminer le problème à l’origine de son article de 198877. Le débat, qui s’est principalement déroulé dans les années 1970 et 1980, portait sur l’interprétation des découvertes de monnaies celtiques dans les camps romains augustéens. L’opinion dominante, portée entre autres par E. M. Wightman, H. Chantraine et A. Furger-Gunti, consistait à y voir la trace de la solde des auxiliaires gaulois, payée avec le numéraire de leur communauté d’origine. Pour justifier cette position, ces auteurs s’appuyaient notamment sur Cic., Font., 13. Radicalement opposé à cette idée, R. Wolters interprétait tout autrement les textes cicéroniens que nous avons longuement commentés plus haut, pour montrer que sa lecture était erronée. Mais avant de donner raison à ses opposants, il est nécessaire, comme l’a récemment fait F. Kemmers, de reprendre la discussion à partir des recherches récentes, qui ont considérablement modifié nos connaissances78. D’une part, on perçoit mieux désormais l’occupation et le quadrillage du territoire par l’armée romaine après la conquête césarienne79. L’archéologie sait maintenant repérer les sites césariens et pré-augustéens (faciès matériel de La Tène D2b). De même, la périodisation des camps augustéens s’est affinée : à côté des horizons d’Oberaden (de 12 à 5 a.C. environ) et de Haltern (de 5 a.C. à 9 p.C.), on distingue maintenant un horizon pré-Oberaden (de 20 à 15/12 a.C. environ), bien identifié sur le camp de la Hunerberg à Nimègue et représenté également à Neuss et Dangstetten, et un horizon post-Haltern (entre 10 et 20 p.C.) qu’on retrouve notamment à Windisch. Par ailleurs, la multiplication des découvertes en contexte a permis d’établir un cadre chronologique et géographique beaucoup plus fiable pour les monnaies gauloises, même si le travail est loin d’être achevé.
26Dans son article de 2009, F. Kemmers souligne la multiplicité des facteurs en jeu et rappelle qu’il faut bien distinguer les différentes phases de la conquête ; de même, les monnaies gauloises locales et régionales n’ont pas la même signification que les frappes extra-régionales et “exotiques”. Sa propre réflexion se concentre sur les sites occupés dès l’horizon pré-Oberaden (Nimègue “Hunerberg”, Dangstetten, Neuss et vraisemblablement Mayence). On peut résumer ainsi ses conclusions, qui apparaissent tout à fait convaincantes. Selon elle, les monnaies gauloises non-locales peuvent être interprétées de deux façons complémentaires. Certaines indiqueraient le chemin emprunté par les troupes pour parvenir à leur cantonnement : il s’agit principalement des monnaies “exotiques”, dont la zone de production est très éloignée du site de découverte. Pour le camp de la Hunerberg, elle suppose une provenance italienne pour une partie des soldats, qui seraient parvenus à Nimègue en remontant l’axe Rhône/Saône/Moselle/Rhin. D’autres monnaies seraient un indice des zones de provenance de ces troupes. Sur la Hunerberg, les monnaies de Gaule Belgique sont majoritaires et F. Kemmers les met en relation avec les oppida de cette région cités plus haut et sur lesquels on a pu identifier une occupation militaire à La Tène D2b. Il faut d’ailleurs noter que le faciès monétaire de ces sites était déjà riche en monnaies gauloises extra-régionales et on peut lui appliquer la même grille de lecture.
27Ces hypothèses avaient déjà proposées longtemps auparavant, par ex. par E. M. Wightman80. Mais le travail de F. Kemmers a le mérite paradoxal de ne pas aborder la nature des troupes impliquées. Il est en effet difficile, à partir des militaria, de caractériser avec certitude une occupation comme légionnaire ou auxiliaire. Une telle distinction semble d’ailleurs inappropriée pour cette période précoce, car les différentes troupes étaient très certainement cantonnées ensemble. On se gardera donc de déduire le cantonnement d’auxiliaires d’une région particulière de la présence de monnaies gauloises de cette même région : les pièces ont pu être apportées par des légionnaires transférés d’un site indigène à un camp “à la romaine”81. Cette interprétation paraît confortée par les découvertes de monnaies gauloises sur les camps militaires postérieurs. Déjà à Dangstetten, le faciès des monnaies gauloises présente une grande pauvreté typologique, avec seulement cinq pièces pour quatre types82. Même constatation à Oberaden (huit pièces pour cinq types) et à Kalkriese, identifié comme le lieu de la clades Variana (cinq pièces pour trois types)83. À Haltern, les monnaies gauloises sont bien plus nombreuses, avec 843 pièces mais seulement deux ne sont pas locales (un potin du Centre-Est et un bronze à légende GERMANVS INDVTILLI L), pour 837 petits bronzes de type Scheers 217 et quatre Regenbogenschüsselsen en bronze, soit 841 ex. produits dans la région rhénane84. La nature des bronzes Scheers 217 pose encore beaucoup de problèmes mais à nos yeux, on ne peut en aucun cas y voir l’indice d’une présence massive de troupes indigènes du Rhin inférieur85. Les monnaies gauloises extra-régionales disparaissent donc presque totalement des faciès monétaires des camps dès 15/12 a.C. Les troupes auxiliaires gauloises sont pourtant attestées pendant les campagnes de Germanie. Si on postule un lien entre leur présence et celle de pièces gauloises “exotiques”, on s’expliquerait mal l’absence de ces dernières dans les camps. Au contraire, si on pense qu’elles ont été apportées lors du transfert des troupes depuis, ou à travers la Gaule interne, leur rareté après 15/12 indique simplement qu’à cette date, Rome avait déjà regroupé la majorité de ses forces sur le Rhin. Or la clades Lolliana de 17 ou 16 a.C. montre que les opérations militaires avaient déjà débuté avant les campagnes de Drusus86.
28En somme, on ne peut choisir entre la position d’E. M. Wightman ou H. Chantraine et celle de R. Wolters. À l’époque augustéenne, une solde versée en monnaies indigènes ne nous semble pas exclue sur le plan juridique. Mais les données archéologiques ne peuvent pas être interprétées comme la preuve que les auxiliaires gaulois recevaient leur solde en pièces gauloises. De plus, sur le plan pratique, la production de monnaies gauloises baisse considérablement à partir de 20/15 a.C. et, à l’exception probable des bronzes Scheers 217, ne dépasse pas, selon nous, le changement d’ère. On ne peut donc exclure que les auxiliaires gaulois reçurent dès ces années leur solde en monnaies romaines. Toutefois, soulignons à nouveau la variété des situations, à une époque où le système impérial n’était pas encore fixé. Certaines troupes n’ont peut-être pas reçu de solde, selon les possibilités et les choix faits par leurs communautés d’origine. Outre les Bataves déjà mentionnés, on rappellera le cas des Frisons : soumis par Drusus, à qui ils fournissent des troupes en 12 a.C. (D.C. 54.32.2-3), ils doivent, en guise de tribut, des cuirs pour l’armée, tributum […] modestum pro angustia rerum (Tac., Ann., 4.72.1-2)87. Dans de telles conditions, on les imagine mal payer les éventuels auxiliaires fournis à Rome.
29Pour les règnes postérieurs, on se permettra de renvoyer aux travaux consacrés dans ce volume au Haut-Empire. En effet, au vu de la similarité des reçus que nous connaissons88, c’est vraisemblablement la même administration qui s’occupe de la solde des légionnaires et de celle des auxiliaires. De plus, dans les provinces occidentales, la question du numéraire ne se pose pas, car très vite après le changement d’ère, les monnaies impériales jouissent d’un monopole de fait89. Toutes les troupes recevant une solde, qu’il s’agisse de légionnaires, d’auxiliaires professionnels, d’auxiliaires entretenus par leur communauté, de levées temporaires ou de soldats échappant à cette classification, étaient nécessairement payées en monnaies romaines.
30En guise de conclusion, il nous semble possible de retracer dans ses grandes lignes l’évolution des pratiques de paiement des troupes auxiliaires. Les procédures républicaines sont les seules attestées jusqu’au milieu du ier s. a.C. : sauf exception, les communautés qui fournissaient les auxiliaires pourvoyaient également à leur entretien. Dès le début, Rome semble avoir recruté les auxilia externa comme elle recrutait les socii nomenve Latinum ; nous n’en avons cependant la preuve formelle qu’après la guerre sociale. Les sources restent peu explicites mais on peut restituer une grande variété de pratiques, virtuellement aussi nombreuses que les communautés soumises à la livraison de troupes. Rien ne permet de postuler une correspondance automatique entre le statut juridique de chaque communauté et ses obligations, ce qui explique le flou de la terminologie employée dans les sources.
31Dans la seconde moitié du ier s. a.C., à la faveur du contexte politique troublé, on voit apparaître des troupes auxiliaires payées directement par Rome, sans qu’on puisse dire si la pratique est déjà “normale”. Le cas des frères allobroges, malheureusement le seul qui nous soit connu en détail, montre toutefois qu’on paye l’unité en bloc et que la solde est redistribuée par les officiers. Quel est le numéraire employé ? Il est difficile d’être catégorique mais on s’adaptait probablement à la situation locale : si en 59 a.C., les questeurs envisageaient de payer l’indemnité de Q. Cicéron en cistophores (Cic., Att., 2.6.2), pourquoi se seraient-ils interdits de verser la solde d’auxiliaires en monnaies locales ?
32Le versement de la solde à chaque soldat à titre individuel est attesté à partir du milieu du règne de Tibère. À quand remonte le changement ? Bien qu’il soit impossible de préciser l’action d’Auguste envers les auxilia, on peut vraisemblablement l’attribuer à son règne, au plus tard après le début de notre ère. Les données manquent pour dater la mise en place de la grille des salaires établie par M. A. Speidel : on peut la faire remonter à l’époque augustéenne (notamment sur la base des aucta stipendia de Flavus), mais elle est peut-être antérieure. Il faut toutefois insister sur la grande variété des situations sous Auguste et vraisemblablement encore sous ses successeurs. La création de corps auxiliaires permanents n’a pas entraîné la disparition des pratiques républicaines et des arrangements ad hoc. À côté des levées temporaires, toujours attestées, on trouve des communautés astreintes à la fourniture de troupes mais selon des modalités qui leur sont propres (Bataves, Mattiaques, peut-être Ubiens). D’autres semblent dispensées des obligations militaires : c’est vraisemblablement le cas des civitates foederatae des Trois Gaules. Mais pas plus qu’à l’époque républicaine, le statut de foederati n’entraîne de dispense automatique, comme le montre le cas des Voconces.
33Cette variété est progressivement réduite au cours du ier s. Le règne de Claude a peut-être marqué un tournant, si on lui attribue la “régularisation” des auxilia que semble attester la création des diplômes militaires. Dans le dernier quart du ier s., la mutation des pratiques républicaines vers le système impérial semble achevée. L’exemple des Maures de Lusius Quietus sous Trajan est cependant là pour nous rappeler que Rome s’accommoda toujours d’un système plus souple que celui que nous reconstituons90.
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Notes de bas de page
1 Saddington 1982
2 Pour une approche synthétique des auxilia externa républicains, voir les travaux de J. R. W. Prag qui prépare une monographie sur le sujet (en dernier lieu, Prag 2011). Pour la période antérieure à la guerre sociale, les données pour l’Hispanie sont rassemblées dans Cadiou 2008, celles sur l’Afrique du Nord dans Hamdoune 1999. Voir également Erdkamp 2007. L’analyse terminologique de Pernet 2010, 28-30, nous semble inexacte, en particulier sur le sens d’auxilia externa.
3 Wolters 1988, 261-272 (avec l’ensemble de la bibliographie antérieure), et dans une moindre mesure Wolters 1990, 109-130 (dont la publication est postérieure mais la rédaction antérieure). Pour l’époque impériale, M. A. Speidel a montré, en citant des documents capitaux pour notre propos, que la solde auxiliaire équivalait à 5/6 de la solde légionnaire dès le règne de Tibère : Speidel 2009, 349-380 (article initialement paru dans The Journal of Roman Studies 82, 1992, 87-106). Tout le monde n’adhère pas à sa démonstration : Alston 1994. Toutefois, le ratio exact n’est pas central pour le problème qui nous occupe ici. Voir également Wolters 1999, 214 (avec bibliographie antérieure), qui adopte la reconstruction de M. A. Speidel.
4 Wolters 1988, 270.
5 Sauf indication contraire, les textes et traductions sont cités d’après les éditions de la Collection Universitaire de France. Les modifications que nous avons parfois introduites dans les traductions sont indiquées entre crochets.
6 Nicolet 1978.
7 “Tous les fonds destinés à la flotte pour le blé, la solde et tous les autres frais, chaque [cité] avait l’habitude de les donner toujours à [son propre navarque]. Celui-ci n’osait pas risquer d’être accusé par les matelots, il devait rendre ses comptes à ses concitoyens et il ne trouvait dans toute cette fonction que de la peine et même du danger. C’était, comme je le dis, l’usage constant et pas seulement en Sicile, mais dans toutes les provinces, même pour la solde et les frais d’entretien des alliés et des Latins, quand nous avions coutume d’employer leurs troupes auxiliaires. Le premier depuis l’établissement de notre empire, Verrès a impérieusement prescrit que tout cet argent lui fut compté par les [cités] pour être manié par celui qu’il aurait commis à cette charge.”
8 “Quant aux autres que des guerres considérables et répétées avaient mis pour toujours dans l’obéissance du peuple romain, il en a exigé une nombreuse cavalerie pour les guerres que le peuple romain menait alors dans l’univers entier, de grosses sommes d’argent pour la solde de ces troupes, une grande quantité de blé pour soutenir la guerre d’Espagne.”
9 “les plus favorisés d’entre eux ont été contraints de fournir de la cavalerie, du blé, de l’argent, à deux reprises ou même plus souvent, et cela à leur corps défendant.”
10 “Ils [les Grecs d’Asie] se plaignent que, sous prétexte d’équiper une flotte, on ait exigé de l’argent des cités.”
11 Wolters 1988, 263-264.
12 Sur l’emploi de suus et quisque, voir par ex. Touratier 1994, 38-40 et 67 : “tout ce qui est dit, dans l’énoncé, d’un élément de l’ensemble désigné par un [syntagme nominal] déterminé par quisque est vrai de tous les éléments de cet ensemble”.
13 Selon Ferrary 1988, 5-12, il n’y avait pas de civitates liberae en Sicile ; ce “mythe” serait né d’une mauvaise lecture de Cic., Verr., 3. 13. Nous connaissons des foedera pour Messine, Tauroménium et Nétum. Pour la lecture traditionnelle, voir par ex., Genovese 1993, 191-192 (avec bibliographie antérieure, mais sans référence à Ferrary 1988). Pour une troisième position qui part des observations de Ferrary 1988 mais pour conclure à l’extension de la libertas à la majorité des cités siciliennes, Pinzone 1999. Plus généralement, sur le thème des communautés libres dans le monde romain, voir le dossier publié dans la revue Mediterraneo Antico, 2, fasc. 1, 39-113 et fasc. 2, 449-574.
14 “Cléomène sort sur port sur le vaisseau à quatre rangs de Centuripe : à la suite, le navire de Ségeste, ceux de Tyndaris, d’Herbita, d’Héraclée, d’Apollonia, d’Haluntium.”
15 Cinq sont citées nommément comme sine foedere en Cic., Verr. 3.13.
16 “Pour les cités de Sicile, en les recevant dans notre amitié et sous la protection de notre loyauté, nous leur avons laissé les lois qui les avaient régies et nous leur avons permis d’obéir au peuple romain suivant les mêmes conditions qu’elles avaient autrefois obéi à leurs propres rois.” Dans le même sens : Ferrary 1988, 11.
17 Plb. 1.39, 13 ; D.S. 13 20 ; Cic., Verr., 2.90.
18 Rich 2008. Sur les traités, voir également, pour le monde hellénistique, les remarques de Gruen 1984, 13-53, ainsi que Ferrary 1990, 219, qui souligne qu’en 241, en Sicile, “le foedus a cessé d’être l’instrument nécessaire de la societas, dans le cas notamment des alliés-sujets.”
19 “que les Mamertins, par clause dûment spécifiée, [...] doivent un [navire]”. Dans Ferrary 1988, la rédaction de la n. 10 (p. 8), est ambiguë et semble étendre l’exemption de Tauroménium à toutes les civitates foederatae siciliennes : le texte de Cicéron montre clairement que ce n’est pas le cas, comme le rappelle Ferrary 1990, 218. Pinzone 1999, 466-467, souligne que ces civitates foederatae doivent des contributions dont on aurait pu penser qu’elles étaient exemptées par leur statut.
20 Prag 2011, 16-22 ; Lo Cascio 1991.
21 Crawford 1996, n° 2 (phrase restituée d’après les l. 21 et 50).
22 Point de vue adopté, toujours “en passant”, par Bispham 2007, 61-62 (avec bibliographie antérieure sur la formula togatorum à la n. 38).
23 Crawford 1996, n° 1, l. 1 et commentaire 95, qui suit la position de Lintott 1992, 111. La lex de provinciis praetoris, datée de 100 a.C., donne une formule légèrement différente mais seule la traduction grecque nous est parvenue : Crawford 1996, n° 12, l. 6-9 et commentaire 259.
24 Sartori 1974, 240-242 (avec bibliographie antérieure dans la n. 106) ; pour la Sicile, voir également Pinzone 1999. Sur le sens de socius et societas dans la politique extérieure romaine : Wegner 1969, 72-94, dont on ne suivra peut-être pas toutes les propositions.
25 “qui [sont] dans l’amitié et sous la domination du peuple romain”.
26 “Les Helvètes […] étaient parvenus chez les Eduens et ravageaient leurs terres. Les Héduens […] envoient une ambassade à César pour lui demander secours […]. En même temps les Ambarres, peuple ami des Héduens et de même souche, font savoir à César que leurs campagnes ont été ravagées, et qu’ils ont de la peine à défendre leurs villes des agressions de l’ennemi. Enfin des Allobroges qui avaient sur la rive droite du Rhône des villages et des propriétés cherchent un refuge auprès de César et lui exposent que, sauf le sol même, il ne leur reste plus rien. Ces faits décident César : il n’attendra pas que les Helvètes soient arrivés en Saintonge après avoir consommé la ruine de nos alliés.”
27 Voir par ex. le foedus conclu entre Antiochos III et Rome, qui qualifie le premier du titre d’amicus malgré sa défaite et des conditions très sévères : Liv. 38.38.1-2.
28 Cadiou 2008, 494-496, contra Boren 1983, 430, sur lequel s’appuie R. Wolters.
29 “Verrès faisait son profit de ce qu’il avait reçu pour la solde et la nourriture de ce marin.”
30 Nicolet 1978, 3-4, rappelle que Tite-Live utilise soit pecunia, soit stipendium pour désigner la même réalité et la distinguer du tributum des citoyens.
31 Sur les discours de repetundis de Cicéron, voir Lintott 2008, 81-110, ainsi que Pittia 2013.
32 Voir par ex. les douze colonies rebelles de 209 a.C., dont le cas est analysé par Nicolet 1978.
33 “Mais, tout fiers de la bienveillance de César, gonflés d’une vanité absurde et bien dignes de barbares, ils regardaient de haut leurs camarades, s’appropriaient indûment la solde des cavaliers et détournaient tout le butin pour l’envoyer chez eux. Les cavaliers, outrés de cette façon d’agir, vinrent tous trouver César, et se plaignirent ouvertement à lui de l’injustice de leurs procédés ; ils ajoutèrent aux autres griefs que ces individus faussaient les situations d’effectifs qu’ils présentaient, pour pouvoir opérer des détournements sur la solde.”
34 “Scipion entretenait la cavalerie du roi [Juba] aux frais de la province d’Afrique” et “Il voulait donc lever le camp quand subitement ceux de la place firent une sortie en masse, au moment où le hasard voulut qu’accourût à leur aide de la cavalerie envoyée par Juba pour toucher sa solde.”
35 “César les félicite, leur octroie une solde et les fait conduire au quartier des déserteurs.”
36 Le texte est ici assez fortement édité, mais, à l’exception de la correction de stipendiarias en stipendiariis, le segment stipendiariis Numidis Gaetulisque est certain. Les mêmes Gétules semblent réapparaître en 93.1, sous l’expression manu Gaetulis, qui ne permet pas d’en préciser le statut
37 “le nombre des citoyens et des alliés sous les armes”.
38 “En ce qui concerne les forces militaires, il répartit entre les provinces les légions et les auxiliaires”.
39 “une augmentation de solde, un collier, une couronne et d’autres présents militaires”.
40 “C’était un Numide, qui avait servi dans les camps romains comme auxiliaire, puis déserté”.
41 “rappelant que, pendant la révolte des Chérusques, il avait été enchaîné sur l’ordre d’Arminius, puis qu’il avait servi sous la conduite de Tibère et de Germanicus”.
42 “tandis qu’il faudrait au moins une légion entière et de la cavalerie pour lever des impôts chez eux, et la dépense nécessitée par l’entretien de la troupe atteindrait le même montant que le supplément de recettes escompté”.
43 Pour les papyrus : Fink 1971, complété par une recherche sur http://www.rzuser.uni-heidelberg.de/~gv0/gvz.html (consulté le 25/05/2013).
44 CIL, XIII, 1041 = ILS, 2531 = ILA Santons, 14. C. Iulius Macer fut duplicaire de l’ala Atectorigiana et servit trente-deux ans.
45 Tab. Vindon. 2. Speidel 1996, 94-97 ; Speidel 2009, 353-357.
46 SB, XVI, 12609 = ChLA, XLV, 1340 = CEL, 13. Harrauer & Seider 1979.
47 SB, XVI, 12609, l. 3-7 : “Je reconnais que je te dois deux cents drachmes impériales et ptolémaïques, que je te rembourserai avec le prochain versement de ma solde, ainsi que les intérêts qui se montent à 100 drachmes et 3 as par mois, sans contestation possible” La solde devant être versée au 1er septembre, soit neuf jours après la signature du contrat, le débiteur n’aurait pas eu à verser les intérêts.
48 Speidel 2009, 363-364.
49 “l’aile des Canninéfates, ainsi que le corps de fantassins germains qui servait dans nos rangs”.
50 “Canninéfate de naissance, [il] avait [longtemps] servi dans nos rangs comme auxiliaire”. Nous adoptons ici le texte corrigé par Mercier et retenu dans l’édition Teubner, plus proche des manuscrits, qui donnent auxiliare ex diu meritis. Le texte retenu dans l’édition de la Collection Universitaire de France est une restitution ingénieuse, proposée en 1779 dans l’édition de Tacite parue à Zweibrücken : C. Cornelii Taciti opera, cum varietate lectionum selecta novisque emendationibus. Accedunt notae et index historicus. Studiis Societatis Bipontinae. Editio accurata., Zweibrücken, 1779, tome II, n. 2, 16.
51 Saddington 1982, 89
52 Wolters 1990, 111-116.
53 Sur ces ailes, voir infra.
54 Tac., Ger., 29.1-2 et Hist., 4.12.2.
55 “[ils ont,] ayant jadis passé le fleuve […], après essai de leur fidélité, été installés sur la rive même du Rhin, pour la défendre, non pour y être surveillés.”
56 “mais je ne saurais en dire le chiffre exact” (trad. E. Gros, 1865).
57 “mais il serait hasardeux d’entrer dans le détail, vu que, suivant les circonstances, [les troupes auxiliaires] faisaient mouvement d’un endroit à l’autre, augmentaient et parfois diminuaient en nombre”
58 Saddington 1982, 27-45 (citation à la dernière page citée).
59 Comparer par ex. Tac., Ann., 1.7.6 (in cuius manu tot legiones, immensa sociorum auxilia), 1.36.2 (at si auxilia et socii adversum abscedentis legiones armarentur) et 2.16.3 (auxiliares Galli Germanique in fronte, post quos pedites sagittarii; dein quattuor legiones et cum duabus praetoriis cohortibus ac delecto equite Caesar; exim totidem aliae legiones et levis armatura cum equite sagittario ceteraeque sociorum cohortes).
60 Reddé 1986, 492-502.
61 Herz 1992, en particulier 50-52 ; toutefois, nous pensons plutôt, comme R. Wolters (1990, 111-116), que les foederati étaient exemptés de ces levées : voir supra. Lors de la présentation de ce travail à la table-ronde de septembre, B. Rossignol a accepté cette hypothèse et s’est demandé à son tour si les chiffres précis fournis par Pline (Nat., 3.28) pour la province d’Hispanie Citérieure ne pouvaient pas correspondre à un tel document.
62 Holder 1980, 241-263 ; Saddington 1982, 55-76.
63 “Dans le même temps, les cohortes de Bataves et de Canninéfates, qui, sur l’ordre de Vitellius, se dirigeaient vers Rome, sont rejointes par un émissaire de Civilis. Aussitôt elles s’enflèrent d’orgueil et d’arrogance et, pour prix de leur déplacement, elles réclamaient une gratification, une double paie, une augmentation de l’effectif des cavaliers, avantages promis, il est vrai, par Vitellius, mais qu’elles demandaient moins pour les obtenir que comme prétexte à sédition.”
64 Plusieurs cas dans les Annales de Tacite : en Gaule en 16 a J.-C. : quinque auxiliarium milia et tumultuarias catervas Germanorum cis Rhenum colentium (Tac., Ann., 1.56.1 ; on notera la distinction entre ces tumultuariae catervae et les auxilia, dont il est toutefois impossible de déterminer le statut précis) ; en Gaule en 21 (moins assuré) : Turoni legionario milite quem Visellius Varro inferioris Germaniae legatus, miserat oppressi eodem Aviola duce et quibusdam Galliarum primoribus, qui tulere auxilium quo dissimularent defectionem magisque in tempore efferrent (ibid. 3.41.3) ; en 51 en Cappadoce : is Paelignus auxiliis provincialium contractis (ibid. 12.49.1). De même dans les Histoires : Galliarum societatem Civilis arte donisque adfectabat, captos cohortium praefectos suas in civitates remittendo, cohortibus, abire an manere mallent, data potestate (id., Hist., 4.17.1) ; missis per Gallias qui auxilia concirent et plus loin, à propos des mêmes troupes, dilectus per Galliam habitos in civitates remittit (ibid. 4.24.1 et 4.71.2). Selon l’Histoire Auguste, un siècle plus tard, entre 170 et 175, le future empereur Dide Julien Cauchis […] erumptibus restitit tumultuariis auxiliis provincialium (SHA, Did. Iul. 7).
65 “On rendit à leurs cités les auxiliaires gaulois, énorme contingent recruté dès le début de la défection, comme un vain appareil de guerre. Au reste, pour que les finances impériales, déjà entamées par les largesses, puissent encore suffire, Vitellius ordonne d’amputer les effectifs des légions et des auxiliaires, en interdisant de nouveaux recrutements”.
66 Saddington 1982, 44, nous rappelle que dans les Histoires, “auxilia covers the whole range of auxiliaries and therefore has to be carefully investigated before its precise import can be established.”
67 “La guerre trouva son origine dans la cupidité expéditive de la vingt et unième légion : elle avait fait main basse sur l’argent envoyé pour payer la solde d’une garnison, dont les Helvètes, depuis longtemps, fournissaient et payaient les soldats.”
68 Guihard et al. 2013.
69 Sermuz : Brunetti & Curdy 2007 ; La Chaussée-Tirancourt : Delestrée 1997 ; Delestrée et al. 2006 ; Liercourt-Erondelle : Delestrée & Boisard 2010 ; le Mont-Castel : Lefort & Marcigny 2012 ; le Titelberg : Metzler 1995 et Metzler & Gaeng 2009.
70 Delestrée et al. 2004.
71 Bien qu’elle refasse parfois surface, il faut rappeler ici que la chronologie absolue proposée en son temps par J.-B. Colbert de Beaulieu est complètement dépassée et doit être mise au rebut. Il est en particulier bien établi que les frappes de deniers gaulois commencent entre 150 et 120 a.C. L’argumentation proposée ici ne vaut que pour les trouvailles postérieures à la guerre des Gaules.
72 Genechesi 2012, 407-409. Ces pièces sont traditionnellement attribuées (selon les types et selon les auteurs) aux Cavares, aux Voconces et aux Allobroges. La typologie la plus complète reste celle de Deroc 1983.
73 “Mais des Allobroges, compagnons de Roucillus et d’Ecus, qui, nous l’avons indiqué, avaient déserté pour passer à Pompée, rencontrèrent en marche des patrouilleurs de Domitius et, soit parce qu’ils les connaissaient depuis longtemps, soir parce qu’ils débordaient de vanité, ils leur racontèrent les faits tels qu’ils s’étaient passés et leur apprirent le départ de César et l’approche de Pompée.”
74 Pour la période qui nous occupe, une aile de Voconces fut cantonnée à Arlaines (Aisne) entre Tibère et Domitien : Reddé 1985. Le P. Hamb. I, 2, l. 7-8, nous fait connaître un “Lucius Vettius, cavalier de l’aile des Voconces, de la turme de Longinus” en Égypte en novembre 59 a.C. Sur l’histoire de l’aile stationnée en Occident, on n’a guère progressé depuis Alföldy 1968, 40-42 et Reddé 1985. Dans cette unité comme dans l’unité stationnée en Égypte, on remarque, dans les textes les plus précoces, qu’aucun des soldats dont on connaît l’origine n’est voconce, ce qui plaide en faveur d’une origine ancienne : Holder 1980, n° 891-906, 294 (à notre connaissance, les attestations apparues par la suite sont toutes postérieures au Ier s. p.C. ; la lecture de l’inscription n° 903 a par contre été revue : AE, 1996, 1647)
75 Les données archéologiques rassemblées dans Pernet 2010, sont assez maigres, mais on peut l’expliquer par la grande variabilité des rites funéraires entre différentes communautés. Pour la moyenne vallée du Rhône, il admet comme sépulture d’auxiliaire la tombe à char de Verna, datée entre 100 et 80 a.C. (N31 dans son catalogue) et considère la statue du guerrier de Vachères (N30), qu’il date entre 50 et 30 a.C., comme provenant d’un monument funéraire.
76 Cadiou 2008, 524-543. López Sánchez 2007 arrive à des conclusions similaires mais avec une argumentation qui n’emporte pas l’adhésion ; ses comparaisons avec la situation gauloise se fondent sur des travaux largement dépassés.
77 Wolters 1988, avec bibliographie antérieure.
78 Kemmers 2009, qui s’appuie sur Kemmers 2006, 44-70.
79 Deux synthèses récentes, où on trouvera la bibliographie antérieure : Reddé 2009 ; Reddé 2011.
80 Wightman 1977 (en particulier 77).
81 Un point qu’on ne retrouve pas dans Wightman 1977, alors même qu’elle soutient l’idée de garnisons romaines sur les sites indigènes.
82 Fingerlin 1986 ; Fingerlin 1998.
83 Oberaden : Kühlborn 1992 ; Kalkriese : Berger 1996 et 2000
84 Korzus 1971, sites n° 4054-4057.
85 Sur ces pièces, voir en dernier lieu Aarts & Roymans 2009.
86 Kemmers 2006, 62-70.
87 “tribut […] modique et proportionné à leur dénuement”.
88 Principalement Fink 1971, n° 68-76, et la Tab. Vindon. 2.
89 Nous n’abordons pas ici la question du métal employé, qui fait l’objet de vifs débats portant notamment sur la part à attribuer aux monnaies de bronze. Voir notamment la contribution de D. Wigg-Wolf dans ce volume.
90 Tous nos remerciements à M. Carrive, M. Christol, H. Cuvigny, S. Demougin, J. Genechesi, B. Rossignol et M. Reddé, pour leurs commentaires et leurs remarques lors de la finalisation de ce travail.
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