La Bourgogne entre les bassins rhénan, rhodanien et parisien : apport de la palynologie
p. 79-83
Texte intégral
1La pluralité des structures géomorphologiques, des variations parfois importantes de l’humidité du sol dans chacune des formations, la situation de la Bourgogne au carrefour de grandes influences climatiques (océanique, continentale et méditerranéenne), expliquent la diversité des conditions naturelles du développement de la végétation forestière, et par conséquent l’existence de modèles forestiers très divers, où s’expriment tour à tour des caractères atlantiques, méditerranéens, montagnards... Dans cette optique on peut considérer la Bourgogne comme une zone de rencontre entre les bassins rhénan, rhodanien et parisien. C’est le constat établi par le botaniste qui étudie la végétation actuelle. Mais les seuls facteurs écologiques ne permettent pas de tout comprendre du paysage : l’histoire de la végétation est profondément marquée par l’histoire humaine.
2Cette histoire peut commencer à s’écrire grâce aux analyses palynologiques, complétées et enrichies parfois par l’anthracologie et la paléocarpologie :
- analyses de milieux naturels humides (tourbières, paléolacs, chenaux fossiles...) ;
- analyses de sites archéologiques.
3La connaissance fine de cette histoire de la végétation passée se heurte à des difficultés bien connues :
- pour les sites archéologiques, les données sont souvent fragmentaires ; suivant la nature du site :
- les couches archéologiques sont souvent minces ;
- le pollen n’y est pas toujours conservé.
4Quant aux analyses de milieux humides, elles sont rares et font même défaut en Bourgogne, faute de sites favorables et de recherches systématiques.
- La variabilité des spectres pour un même lieu et une même période incite à la prudence au niveau de l’interprétation des pourcentages et entraîne la nécessité d’avoir le plus grand nombre possible d’analyses sur un même site, ce qui est rarement le cas.
- L’impact de l’action de l’homme sur la végétation est déjà très important au Néolithique, ce qui masque l’évolution de phénomènes telles les variations climatiques, qui sont difficiles à apprécier par l’analyse pollinique à partir de cette période.
5L’intérêt de la question posée par le colloque est donc de faire un premier bilan des principales analyses effectuées sur des sédiments archéologiques et des milieux naturels proches de ceux-ci dans les quatre régions proposées. Les sites pour lesquels on peut réunir à la fois dates Cl4, données archéologiques et palynologiques ne sont pas très nombreux. En Bourgogne, pour la période néolithique, ils se limitent à quatre gisements : Chassey (Argant, 1980), grotte de la Molle-Pierre à Mavilly-Mandelot, grottes du Trou-qui-Fume et du Verger à Saint-Romain (Argant, 1990). Une liste des analyses polliniques de sédiments archéologiques (du Néolithique à l’Âge du Fer) publiées jusqu’en 1984 est donnée dans l’ouvrage « Palynologie archéologique » (Diot, 1985).
6La Bourgogne se singularise-t-elle, au Néolithique, par :
- des particularités botaniques ?
- une prise de possession caractéristique du territoire ?

Fig. 1. — Comparaison d’analyses polliniques de sites néolithiques de Bourgogne et des régions voisines. Les sites sont sélectionnés parmi ceux qui réunissent à la fois archéologie, datations 04 et palynologie. Cercles et croix représentent une estimation des pourcentages obtenus sur l’ensemble des niveaux d’un même site.
7La figure 1 présente les résultats obtenus par l’analyse pollinique pour la période néolithique (7000 à 4000 BP) en quelques lieux choisis parmi un ensemble de sites archéologiques et naturels ayant donné des résultats assez précis et comparables. Il fait apparaître immédiatement des points communs nombreux concernant la nature des taxons rencontrés, mais des disparités très nettes au niveau des pourcentages. Voici les principales observations.
Le rapport PAIT (somme des pollens d’arbres/somme pollinique totale)
8Les nombreux travaux effectués sur les relations entre pluie pollinique actuelle et paysage correspondant permettent d’accorder à ce rapport une signification qui reste hypothétique, mais permet une approche du « taux de boisement ». Ainsi :
- une lisière ou même un milieu ouvert peut fournir un pourcentage élevé de pollens d’arbres (jusqu’à 90 %) ;
- lorsque ce rapport est compris entre 90 et 100 %, il y a de fortes chances pour que le spectre corresponde à un milieu forestier ;
- un même rapport PA/T, par exemple 70 %, peut traduire selon le cas une forêt, ou une lisière ou un milieu ouvert.
9Les variations subies par ce rapport sont donc aussi importantes que ses valeurs propres. La nature des taxons constitue aussi un élément important d’interprétation.
10Le tableau montre clairement que pour une même période et une même région, le taux de pollens d’arbres dépend directement de la nature du site et de sa position par rapport aux zones d’activités humaines.
11Il apparaît ainsi, par exemple, que les milieux humides à l’écart des zones habitées (berges de rivières, bras morts, tourbières) livrent des spectres polliniques riches en pollens d’arbres de ripisylve alors que ces mêmes lieux se montrent très déboisés à proximité des habitats, ce qui semble logique (exemple de Noyen-sur-Seine, C. Leroyer, communication orale).
12Le taux PA/T est relativement élevé en Bourgogne (40 à 80 %). Il atteste vraisemblablement une déforestation limitée autour des lieux fréquentés (Chassey, la Molle-Pierre, Saint-Romain).
13Par contre, dans le Bassin parisien, PA/T tombe entre 5 et 20 % dans la plupart des analyses.
14Cet indice pourrait prouver que cette région est alors plus fortement peuplée, d’où l’impact plus important sur le paysage végétal. Mais il faut aussi prendre en compte le choix des sédiments analysés : les fosses sont nombreuses et représentent des lieux privilégiés pour l’enregistrement des activités humaines. Il n’est pas possible de généraliser pour l’instant valablement l’image recueillie à l’ensemble de la région.
15Sur un même site, les fluctuations cycliques du rapport PA/T peuvent révéler des phases d’occupation et d’abandon successives. C’est le cas à Chassey par exemple, où se répètent les chutes de PA/T accompagnant la croissance de taxons de lumière, tels Pinus et Betula, ce dernier pouvant indiquer le recours au brûlis. La répétition de ce schéma à six reprises coïncide avec les phases d’occupation reconnues à la fouille.
Les taxons d’arbres
16Ils sont variés et caractéristiques des conditions climatiques de l’Atlantique, favorables au développement des feuillus de toutes sortes.
17Partout se retrouvent Alnus, lié aux sols humides, Pinus et Betula indicateurs d’espaces ouverts liés aux défrichements. Corylus est aussi un arbre de lumière qui prospère au voisinage des sites néolithiques : les coupes effectuées aux dépens des autres arbres lui profitent, sans doute, mais il est possible aussi qu’il soit protégé par l’homme car il constitue une ressource alimentaire non négligeable.
18Tilia est souvent largement représenté dans les couches néolithiques ; il en est ainsi dans tous les sites bourguignons (en grotte surtout, où il constitue un véritable marqueur du Néolithique), mais aussi dans les régions voisines.
19Par contre, Ulmus, qui lui est souvent associé dans les autres régions, est absent des analyses de sites archéologiques de Bourgogne. Pourtant s’il apparaît ailleurs, ses pourcentages ne sont relativement importants que dans les sites où l’empreinte humaine est la moins forte (Noyen, Clairvaux, Villeurbanne). L’utilisation massive du feuillage de l’arbre pour nourrir les animaux est un argument avancé pour justifier la quasi disparition de ce taxon en Europe du Nord vers 5000 BP (Troelsmith, 1960 ; Aaby, 1986). L’absence d’Ulmus en Bourgogne au Néolithique s’explique peut-être ainsi. À moins qu’il ne faille invoquer l’extension d’une maladie fongique du type graphiose. Mais il faut être prudent avant de généraliser hâtivement : en effet, les sites étudiés se trouvent tous sur coteaux calcaires entre 400 et 500 m d’altitude. Il est possible que ce taxon existe dans les sites de moindre altitude, à proximité des cours d’eau.
20Enfin, Abies ne se signale que timidement à Chassey. Il n’est jamais cité dans le Bassin parisien, tandis qu’il apparaît nettement dans le Jura, dans la vallée du Rhône, et dans le Bassin rhénan. La Bourgogne représenterait à cette époque la limite de l’extension de ce taxon vers le Nord et vers l’Ouest.
Les herbacées
21Les pollens des plantes herbacées héliophiles révèlent parfois des activités précises. Les pollens de céréales apportent une indication sûre de cultures surtout lorsqu’ils sont accompagnés de plantes messicoles. Les pratiques pastorales sont indiquées par la prédominance des Poacées, des Cichoriées, de Plantago lanceolata... La proximité des habitations est révélée par des taux importants de Chénopodiacées, de Plantago major/media, de Polygonum type aviculare, d’Artemisia... Tous les sites livrent ces catégories de pollens, mais à des degrés divers, permettant d’évaluer l’importance de l’emprise humaine sur l’environnement et parfois d’estimer la forme d’activité dominante. Comme dans les autres régions, cultures et activités pastorales semblent également représentées en Bourgogne ; il est impossible de déceler une spécialisation dans un type précis d’activité agricole. Il est d’ailleurs probable que chaque communauté devait tendre à l’autosuffisance.
22Sur la base des analyses palynologiques la comparaison s’arrête là et on en découvre les limites, faute de sites de référence plus nombreux et dans des milieux variés. L’« effet de site » jouant un rôle considérable dans la représentation pollinique, toute généralisation des résultats obtenus serait des plus hasardeuses tant qu’on ne dispose pas d’une documentation plus étendue. Cette tentative de comparaison met aussi en lumière le manque de données palynologiques étayées par des séries de datations : rares sont en effet les gisements offrant des repères solides.
23Il est temps de multiplier maintenant systématiquement les analyses des sites archéologiques, sans oublier de rechercher des milieux naturels favorables à la conservation du pollen (tourbières, paléolacs, chenaux fossiles) pour constituer une référence solide permettant de comprendre l’évolution de la végétation de la région bourguignonne et de préciser l’importance et la chronologie de l’action de l’homme sur le milieu naturel.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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Auteurs
-
Jacqueline Argant
ARPA, 22 bis rue des Essarts, 69500 Bron
-
Alain Argant
UCB LYON I, CST, 27-43, Bd du I 1 novembre 1918, 69622 Villeurbanne Cedex.
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