Les pratiques funéraires de l’Antiquité tardive dans le sud de l’Aisne
Au travers des exemples des nécropoles de Limé Les Sables Nord et de Ploisy le Bras de Fer
p. 79-101
Résumés
Les découvertes récentes des nécropoles rurales de Limé et de Ploisy, situées au cœur de la cité des Suessions, ont permis d’étudier deux lieux funéraires très différents intégrés à leur contexte archéologique et environnemental. Au travers des fouilles des tombes et des structures à caractère funéraire, nous avons tenté de cerner leur configuration spatiale ainsi que les traitements réservés aux défunts dans l’Antiquité tardive. Ces données pourront être comparées aux découvertes anciennes en milieu rural de la région, certes nombreuses, mais néanmoins lacunaires.
The recent discoveries of the rural necropolises at Limé and Ploisy, situated in the civitas of Suessions, have enabled study of two very different funerary places integrated with their archaeological and environmental context. Excavation was carried out of the graves and funerary structures to define their spatial configuration and understand the treatments given to the deceased during Late Antiquity. The data can be compared with the incomplete information pertaining to the many existing rural sites in the region.
Die kürzlich entdeckten ländlichen Nekropolen von Limé und Ploisy, im Herzen der civitas der Suessionen haben es erlaubt zwei sehr unterschiedliche Bestattungsareale in ihrem archäologischen und umweltlichen Kontext zu untersuchen. Anhand der Freilegung der Gräber und der Bestattungsstrukturen haben wir versucht, deren räumliche Konfiguration sowie die Behandlung der Toten in der Spätantike zu verstehen. Die Ergebnisse können mit denen der Altgrabungen im ländlichen Raum dieser Region verglichen werden, die zwar zahlreich sind doch nichtsdestoweniger lückenhaft.
Texte intégral
1. Les sites funéraires gallo-romains de l’aisne : état de la question
1Dans la Carte archéologique de l’Aisne, les mentions concernant les cimetières et les sépultures isolées de l’époque romaine ou qui incluent dans leur évolution une phase gallo-romaine sont nombreuses. L’inventaire étendu à l’ensemble du département compte 159 occurrences (Pichon, 2002).
2Parmi ces 159 occupations funéraires, une centaine correspond à des découvertes du xixe siècle cf. annexe : inventaire des sites). On constate, au vu de la documentation, qu’elles sont qualitativement inégales (fouille exhaustive ou non). Une bonne quarantaine font référence à une seule sépulture (incinération ou inhumation) et seulement quatre occurrences définissent des petits ensembles funéraires de deux à trois tombes. Hormis la mention d’un caveau isolé et d’un probable mausolée, plus de cent sites répertoriés correspondraient à des grands cimetières.
3En ce qui concerne la cinquantaine de mentions postérieures au xixe siècle, les circonstances de leur découverte sont variées. Il s’agit de sites issus de prospections pédestres (six cas), de sites détruits par l’installation de ballastières (cinq cas), de découvertes fortuites résultant de travaux d’aménagements durant le xxe siècle (seize cas) et de diagnostics archéologiques (treize cas). Depuis 1965, seulement treize sites ont fait l’objet de fouilles préventives (fig. 1) (Ben Redjeb et alii, 2005).

Fig. 1. Cartographie des sites funéraires gallo-romains dans l’Aisne (DAO : Jean-François Vacossin, Inrap).
4Pour une grande majorité des découvertes du xixe siècle, la datation des ensembles funéraires n’est pas fiable. Dans dix-sept de ces occurrences, on ne peut pas différencier, d’après les mentions anciennes, s’il s’agit de nécropoles gallo-romaines ou mérovingiennes, voire les deux. Pour les quatre-vingt-huit occurrences restantes, plus de la moitié est datée très largement, soit de la période gallo-romaine (trente-huit cas), soit de la période antique à mérovingienne (neuf cas). Parmi les nécropoles gallo-romaines, on peut signaler la découvertes de trois cippes funéraires à Sissonne À Belle Vue, trois incinérations et une stèle-maison à Pasly, un caveau potentiel à Remies, douze incinérations à Martigny et quarante inhumations à Pommiers (Pichon, 2002). Pour une quinzaine de sites mis au jour par F. Moreau et T. Eck, il existe une documentation plus précise comme par exemple l’album Caranda (Moreau, 1888).
5On constate une grande différence quantitative entre les sites du Haut-Empire et ceux de l’Antiquité tardive. Seule une dizaine d’occurrences correspond à des sites du Haut-Empire (ier au iiie siècle) (Lamant, 2007) et une trentaine possède en totalité ou en partie des sépultures de l’Antiquité tardive.
6Pour la période de l’Antiquité tardive, la carte archéologique fait état de vingt-trois ensembles funéraires comprenant des sépultures. Dans certains cas, ces cimetières perdurent jusqu’à la période mérovingienne. Il s’agit des découvertes de Renansart (dix-sept inhumations), Homblières (inhumations et sarcophages), Soissons Au no 2 de la rue Arago (trois inhumations d’enfants) et Colline Saint-Jean (300 inhumations), Landifay-et-Bertaignemont, Pontru (quatre inhumations), Vermand Marteville et Les Remparts (347 inhumations), Saint-Quentin Croix Saint-Claude (50 inhumations), Sissy (98 inhumations), Ploizy (seize inhumations), Remaucourt (indéterminé), Berthenicourt (47 inhumations), Chavignon Ouest route de Chavignon à Pinon (quinze inhumations) et Au Mont des Tombes, Barisis (onze inhumations), Ambleny (sarcophages), Neuville-les-Dorengt, Castres, Mézières-sur-Oise (inhumations et un sarcophage en plomb) (Pichon, 2002) (fig. 1 et annexe).
7Seuls quatre de ces sites du Bas-Empire ont fait l’objet de fouilles préventives : Baraisis en 1939 par l’Abbé Lacroix (onze inhumations) (Pichon, 2002), Limé Les Sables Nord de 1992 à 1999 (Soupart et alii, 1995, 1997 ; Soupart, 2001a, 2001b), Soissons Au no 2 de la rue d’Arago en 1993 (Deflorenne, Quérel, 1997) et Ploisy Le Bras de Fer en 2003 (Soupart, 2003, 2006). La découverte de Soissons Au no 2 de la rue d’Arago concerne trois squelettes d’enfants déposés dans des vases datés de la seconde moitié du iiie siècle.
8Les trente et une nécropoles intégrant en totalité ou en partie des sépultures de l’Antiquité tardive se répartissent sur les cités antiques des Viromandui, des Suessiones et des Remi. La zone géographique qui nous intéresse plus particulièrement correspond au territoire des Suessiones, où si l’on écarte les nécropoles antiques d’Augusta Suessionum (Ancien, 1979 ; Ancien, Tuffreau-Libre, 1980 ; Lamant, 2007 ; Roussel, 1999), il ne reste plus que quelques sites issus de contextes ruraux (fig. 2).
2. Aperçu des rites funéraires de l’Antiquité tardive dans la cité des Suessiones au travers des exemples des nécropoles de Limé et de Ploisy
2.1. Les contextes généraux des nécropoles de Ploisy et de Limé
9Le site de Ploisy Le Bras de Fer a été découvert en marge de plusieurs établissements ruraux laténiens et gallo-romains (fig. 1, no 99) (Duvette, 2004). Il s’agit d’une petite nécropole qui comprenait seize inhumations datées de la fin du ive, début du ve siècle de notre ère.
10Cette nécropole se développe sur un plateau à quelques kilomètres au nord-ouest de Soissons et à environ 70 m au nord d’un établissement agricole gallo-romain (fig. 3 – zone 5). Elle jouxte, à l’est, un second site d’habitat daté de La Tène finale (fig. 3 – zone 7). L’occupation de l’établissement agricole est antérieure de plusieurs décennies à celle de la nécropole.
11Les seize sépultures, à inhumation, se répartissent sur un espace de 200 m2. Elles semblent s’organiser en rangées parallèles et la majorité des fosses a été creusée selon un axe NE-SO (fig. 4).
12La texture du terrain, par sa capacité à conserver une certaine humidité, a favorisé une bonne conservation des bois utilisés dans l’aménagement des tombes. En revanche, l’acidité du sol a été fatale à la conservation des squelettes. Les vestiges osseux concernent principalement les dents, hors alvéole dentaire, dont il ne subsiste que les couronnes.
13Le second site correspond à une grande nécropole rurale située sur la commune de Limé (fig. 1 no 75) au lieu-dit Les Sables Nord, au niveau d’une boucle formée dans la vallée par la Vesle à l’est du bourg de Braine (Jakubowski, 1994 ; Moreau, 1886/87, 1888 ; Prioux, 1864 ; Soupart et alii, 1995, 1997 ; Soupart, 2001a, 2001b ; Soupart, Duvette, 2005). Les sites d’habitats associés à la nécropole ont été découverts lors de fouilles et d’interventions ponctuelles réalisées entre 1992 et 2003. L’ensemble des interventions occupe une superficie de 550 ha dans la plaine alluviale, le long d’une voie antique qui reliait au nord-ouest Augusta Suessionum (Soissons) et au sud-est Durocortorum (Reims). Différents établissements ruraux peuvent ainsi être mis en relation avec l’évolution du site funéraire (fig. 5) (Duvette, 2001).

Fig. 2. Les sites funéraires gallo-romains dans la région de Soissons (DAO : Jean-François Vacossin, Inrap).

Fig. 3. Plan de répartition des zones de fouille 2003 sur le plateau de Ploisy Le Bras de Fer (DAO : Laurent Duvette, Inrap).
14Les contextes géologiques et archéologiques de la plaine de Limé ont été largement décrits dans un article de la RAP, n° spécial 22, publié en 2005, auquel nous invitons le lecteur à se reporter. Ce texte présentait les structures funéraires laténiennes découvertes aux Sables (Soupart, Duvette, 2005). Au travers du lieu-dit Les Sables transparaît la nature du sous-sol dans la couverture superficielle. L’endroit correspond à une légère éminence qui culmine à 55,90 m NGF.
15La nécropole Les Sables Nord s’étend sur une surface de 12 500 m2 et apparaît dans la littérature ancienne sous le nom du cimetière gallo-romain de la villa d’Ancy. Elle connaît une longue durée d’utilisation, comprise entre la fin de La Tène moyenne et le ve siècle de notre ère. Une nécropole mérovingienne a été reconnue à une centaine de mètres plus à l’est Aux terres Noires (Jakubowsky, 1998). Elle se développe au niveau de la pars rustica de la villa d’Ancy. Pour la période médiévale, une nécropole a été repérée sur le pourtour de la plaine, en bordure d’une rivière proche de trois fermes du bas Moyen Âge (Flucher, 2001 ; Thouvenot, 1998). Ces deux sites indiquent qu’il y a une rupture nette à la période mérovingienne, avec un déplacement des lieux funéraires (fig. 5).
16Dans le cas de Limé, les sépultures du Bas-Empire sont à mettre probablement en relation avec la villa d’Ancy qui a perduré du ier au vie siècle (Soupart, 2001a ; Prioux, 1864 ; Duvette, 2001). Bien que cet établissement rural monumental ait fait l’objet de neuf campagnes de fouille entre 1864 et 1999, il est loin toutefois d’avoir révélé toute sa complexité. Des prospections géophysiques, réalisées sur la zone de la villa en septembre 2010, à la demande de J.-L. Collart, Conservateur régional de Picardie, apporteront certainement de nouvelles données (Collart, 1992 ; Prioux, 1857, 1858 et 1860).
17Les premières recherches sur la nécropole ont été menées par Stanislas Prioux et Frédéric Moreau au xixe siècle (Prioux, 1864 ; Moreau, 1886 et 1887). L’étude de la publication des carnets de fouilles nous a permis d’estimer leurs découvertes à plus de quatre cent cinquante structures funéraires dont une partie du mobilier est conservée au Musée d’Archéologie nationale.
18Une grande partie de la nécropole était située sur un terrain boisé qui ne fut exploité qu’en 1965. La documentation de référence est fournie par l’échantillon des tombes intactes découvertes au niveau de l’ancien bois des Sables, fouillées entre 1992 et 1999. Il s’agit de plus de deux cents structures funéraires dont des inhumations, des incinérations primaires et secondaires ainsi que des dépôts sans ossements. En 1995, le projet de construction d’une nouvelle infrastructure routière reliant le bourg de Braine à Courcelles nous a permis de réaliser un plan des sépultures situées au sud du bois, découvertes au xixe siècle par F. Moreau (fig. 6).
19La conservation des tombes est variable. Un grand nombre des structures funéraires a été perturbé par l’arrachage du bois en 1965, mais également par les différentes occupations post-romaines. La majorité des fosses intactes, surtout des structures de crémation, des incinérations et des inhumations peu profondes, était creusée dans une couche de sable fin (0,20 à 0,30 m). Le matériau du comblement étant proche de l’encaissant, les excavations étaient souvent illisibles au décapage. Nous avons procédé à un enlèvement manuel de la couche de sable afin de limiter la destruction des offrandes par l’utilisation d’une pelle mécanique. Après l’enlèvement de cette couche supérieure, les excavations des grandes fosses à inhumation creusées dans le limon sableux sous-jacent apparaissaient plus clairement. Certaines pouvaient atteindre plus de 1,50 m de profondeur. Les défunts et le mobilier funéraire étaient souvent bien conservés (Soupart, 2001a).
20L’échantillon de structures à caractère funéraire découvert lors de fouilles préventives et programmées de la nécropole de Limé a permis de mettre en évidence treize phases d’occupation (fig. 6). Ces phases sont très inégales en nombre de structures pour différentes raisons : les structures funéraires laténiennes et gallo-romaines du Haut-Empire ont le plus souffert des aménagements postérieurs, mais également des travaux de dessouchage et de remise en culture des sols.
21Cette nécropole se caractérise selon les phases par la diversité des structures funéraires et par l’utilisation simultanée de l’incinération et de l’inhumation des défunts (fig. 7).
2.2. Évolutions spatiales des nécropoles de Ploisy et de Limé
22Le cimetière de Ploisy se caractérise par une durée d’utilisation courte (fin du ive, début du ve siècle de notre ère) et par une faible densité (seize sépultures) (fig. 4). On peut toutefois constater quelques faits intéressants dans l’implantation de ces tombes. Dans un premier temps, neuf sépultures, qui possèdent toutes du mobilier funéraire (tombes 01, 02, 04, 05, 06, 08, 10, 11), se répartissent autour d’une sépulture masculine qui se différencie par des dépôts plus particuliers dont un grand couteau et un ceinturon (tombe 17). On constate également que les sépultures qui présentent des verreries se situent plutôt à l’est de la tombe masculine. Celles qui possèdent des pichets en céramique sont plutôt situées à l’ouest. Cette répartition donne à penser qu’il pourrait s’agir d’un groupe d’individus rassemblés autour d’une tombe fondatrice. Dans un second temps, une seule sépulture est implantée au niveau de ce groupe et recoupe la sépulture masculine. Elle possède une orientation totalement différente des autres tombes et semble se juxtaposer volontairement aux groupes (fig. 4 - tombe 16) (Soupart, 2003).

Fig. 4. Plan de la nécropole de Ploisy (DAO : N. Soupart, Inrap).

Fig. 5. Contexte archéologique de la plaine de Limé (DAO : Laurent Duvette, Inrap).
23Les sépultures sans mobilier funéraire sont toutes situées à l’ouest du groupe de tombes à mobilier (tombes 07, 12 et 14). Enfin, une inhumation légèrement isolée des autres (à l’extrémité ouest) possédait également parmi son mobilier un grand couteau, une boucle de ceinture ovale en fer et deux vases en céramique (fig. 4 - tombe 15).
24La réflexion sur l’organisation spatiale de la nécropole de Limé prend en compte les zones des fouilles récentes et celle du xixe siècle par F. Moreau. La première utilisation de l’espace comme lieu funéraire peut être située à la fin de La Tène ancienne/début Tène moyenne. Nous avons découvert les restes d’une inhumation ainsi qu’une céramique isolée dans la zone de la carrière. À l’époque de La Tène moyenne et finale, un petit noyau de sépultures s’implante au centre du secteur situé sur la carrière. Cette première concentration de tombes à incinération s’étend sur une surface de 520 m2.
25Au petit noyau de tombes laténiennes succède, du ier au iiie siècle de notre ère, une nécropole beaucoup plus étendue (12 500 m2). Les tombes sont très espacées et éparpillées sur toute la surface. Les perturbations imputables au creusement des nombreuses fosses à inhumation du ive siècle nous empêchent de percevoir une structuration des différents types de sépultures.

Fig. 6. Plan et phasage de la nécropole de Limé (DAO : Laurent Duvette, Inrap).
26Au Bas-Empire, les nombreuses fosses à inhumations sont implantées sur une étroite bande de terrain qui traverse de part en part l’espace funéraire du Haut-Empire. Toutes les fosses sont implantées selon l’axe NNE-SSO. Il semblerait qu’elles étaient alignées perpendiculairement à un chemin. D’autres sépultures, peu nombreuses et concentrées à la limite NNO dans l’emprise de la carrière, se différencient des autres inhumations par un changement d’orientation (NO-SE). Elles ne possèdent aucun mobilier funéraire et pourraient dater du ve s.
Chronologie | phases | Nbre de structures à caractère funéraire | Types de structures à caractère funéraire |
Tène ancienne | 1 et 2 | 5 | Inhumations, vase isolé, dépôts de mobilier sans ossements |
Fin Tène moyenne/début Tène finale | 3 | 1 | Incinération en urne |
Tène finale | 4 | 10 | Incinérations et dépôts de mobilier sans ossements |
-50 au début du ier s. | 5 | 3 | Incinération, dépôts de vases sans ossements et une structure perturbée |
+70 à la première moitié du iie s. | 6 | 13 | Incinération en coffre et en urne, structure de crémation, dépôt de céramiques sans ossements, inhumations (3 immatures et 3 adultes) et fosses « cendreuses ». |
Milieu du iie s. | 7 | 8 | Dépôts d’ossements incinérés associés à des résidus de crémation (dont 1 en amphore), inhumation et fosses cendreuses sans ossements. |
Seconde moitié iie s. | 8 | 18 | Fosses cendreuses, des dépôts de mobilier sans ossements, des inhumations (1 immature et 3 adultes), des structures indéterminées et 1 bustum |
Le iiie s. | 9 | 9 | Inhumations (5 immatures et 3 adultes) et une incinération avec des rejets de combustion |
Le ive s. | 10 | 14 | Inhumations (1 immatures et 13 adultes) |
Seconde moitié du ive s. | 11 | 11 | Inhumations (3 immatures et 8 adultes) |
Fin ive milieu ve s. | 12 | 1 | 1 inhumation |
Fig. 7. Phasage de la nécropole de Limé Les Sables Nord.
2.3. Les défunts de Ploisy et ceux de l’Antiquité tardive de Limé
27La mauvaise conservation des squelettes du cimetière de Ploisy n’a pas permis de déterminer la répartition entre les individus masculins et féminins. D’après l’examen des dents, deux sujets (tombes 8 et 17) ont atteint l’adolescence et deux autres sujets sont adultes. On peut souligner la faible usure des dents et la rareté des caries. L’état général des couronnes évoque plutôt une hygiène buccale satisfaisante.
28À Ploisy, tous les défunts avaient la tête au sud ou au sud/est et les pieds au nord ou au nord/ouest. Les positions de ces derniers, malgré les données incomplètes, ressemblent à celles qui sont rencontrées dans les nécropoles de cette période dont celle de Limé. On trouve des défunts allongés sur le dos, membres inférieurs tendus et membres supérieurs tendus ou croisés sur l’abdomen ; les mains peuvent parfois être posées sur le pubis (Soupart et alii, 1995, 1997 ; Soupart, 2001a, 2001b ; Loizel, 1977 ; Piton, Marchand, 1978).
29Dans le courant du iiie siècle de notre ère, le rite de l’inhumation s’impose pratiquement de manière exclusive dans la nécropole de Limé. L’étude biologique des restes des défunts offre certaines difficultés car elle a été divisée en fonction des différentes campagnes de fouilles et par conséquence réalisée par différents spécialistes. Certaines de ces études n’ont pas bénéficié du même degré d’analyse, qui correspond le plus souvent au budget imparti à chaque campagne. De plus, dans certains cas il s’agit de squelettes « complets » et dans d’autres cas d’ossements dispersés dans les comblements des tombes fouillées au xixe siècle.
Les défunts des fouilles anciennes (xixe siècle)
30Parmi les 112 sépultures qui appartiennent probablement au Bas-Empire, quinze d’entre elles sont des sépultures d’enfants. Les carnets de fouille de 1886 et 1887 font état d’une seule tombe possédant une pierre tombale en calcaire. L’orientation prépondérante des corps, dans la fosse, était la tête au nord et les pieds au sud. La profondeur importante des fosses semble aussi caractériser ces sépultures.
Les défunts des fouilles récentes (1992 à 1999)
31Parmi les 64 inhumations gallo-romaines, vingt-cinq sont datées du ive siècle ; quatre appartiennent à des immatures. Parmi ces sépultures, huit tombes d’adultes et trois d’immatures appartiennent à la seconde moitié du ive siècle. Les défunts présentent différentes orientations qui ne sont pas liées à un facteur chronologique. On remarque pourtant que l’orientation privilégiée est celle de la tête au nord-est et les pieds au sud-ouest. La position inverse est la mieux représentée ensuite. En ce qui concerne les sépultures des immatures, un seul squelette, bien conservé, reposait dans un cercueil placé au centre de la fosse ; la tête se trouvait au nord-est. Un gobelet était déposé sur le cercueil, au niveau des pieds du défunt. Une bouteille a été retrouvée à droite du cercueil, au niveau de la tête.
2.4. Les fosses sépulcrales et leurs aménagements à Ploisy et celles de l’Antiquité tardive de Limé
32À Ploisy, les fosses des inhumations sont creusées méthodiquement sous forme de rangées serrées et parallèles et un seul recoupement a été constaté entre deux fosses. Ces dernières présentent majoritairement des plans de forme rectangulaire. Les dimensions, si l’on tient compte d’un arasement différent des sépultures, semblent standards. Elles atteignent entre 1,90 et 2,20 m de longueur pour 0,70 à 0,90 m de largeur.
33L’utilisation de cercueil est attestée dans de nombreuses nécropoles de la seconde moitié du ive au début du ve siècle de notre ère. À Ploisy, on ne peut pas parler à proprement dit de cercueil mais d’aménagement réalisé dans la fosse. Ainsi, parmi les seize sépultures de Ploisy, quinze possédaient des traces, parfois ténues, de coffrage en bois (tombes 1, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16 et 17) et une fosse ne présentait aucune forme d’aménagement particulier (tombe 4). La description de ces derniers a été établie à partir de la typologie du cercueil réalisée par Véronique Gallien et Jean-Yves Langlois pour la nécropole de Saint-Denis dans le cadre de la rencontre autour du cercueil, organisée par le Groupe d’Anthropologie et d’Archéologie Funéraire en Île-de-France (Gallien, Langlois, 1998). On trouve des coffrages à caisse rectangulaire ou trapézoïdale. Ils se composaient d’un fond autour duquel étaient assemblées verticalement des planches avec ou sans clous. L’ensemble devait être fermé par une ou plusieurs planches posées longitudinalement, dont les extrémités reposaient sur des rebords situés à mi-hauteur de la fosse (fig. 8 à 10) (Soupart, 2003). Certaines planches verticales étaient maintenues en place à l’aide de pierres calcaires (fig. 11 à 13).
34Sur la nécropole de Limé, la majorité des défunts repose dans des cercueils rectangulaires assemblés à l’aide de nombreux et grands clous. Une tombe plus particulière possède de nombreux points communs avec les aménagements rencontrés dans les sépultures de Ploisy. Il s’agit d’une fosse quadrangulaire très profonde (1,83 m) dont la moitié supérieure est plus large et mesure 2,45 sur 1,55 m. La moitié inférieure des parois de la fosse était recouverte de planches de bois. Cet espace cloisonné contenait le cercueil. Sur le bas des parois, nous avons retrouvé les traces des planches posées non pas verticalement mais horizontalement. Deux offrandes qui reposaient sur le fond, à droite du cercueil, datent cette sépulture du ive siècle de notre ère (fig. 14 et 15) (Soupart, 2001a).
35Que penser de ces coffrages aménagés directement dans la fosse ? Lors de la fouille de la nécropole gallo-romaine de Salouël, datée du ive siècle de notre ère et située à la périphérie de Samarobriva, nous avons pu constater le dépôt de défunts soit en cercueils, soit en coffrages. Dans les deux cas, ils possédaient parfois du mobilier funéraire. Ainsi, on peut penser que le choix d’un cercueil pour certains des défunts de la nécropole de Salouël procède d’une volonté d’ordre financier (Soupart, 2011).
36À Limé, d’autres aménagements ont été mis au jour : une sépulture possédait trois petites niches aménagées sur les bords supérieurs ouest, est et sud de la fosse. Deux de ces trois cavités renfermaient des céramiques et une offrande alimentaire. Il s’agit d’une tombe du ive siècle de notre ère. La fosse d’une seconde sépulture présentait une cavité irrégulière creusée dans le bas de la paroi sud qui contenait du mobilier funéraire daté du ive siècle de notre ère. Une autre sépulture d’adulte avait été creusée dans un silo de La Tène ancienne. La fosse contenait, aux pieds et à la tête du défunt, des blocs grossiers de calcaire blanc. Cette sépulture en espace colmaté pourrait dater du ve ou du vie siècle de notre ère. En effet des sépultures semblables ont été découvertes, lors de sondages, dans la nécropole mérovingienne située sur la pars rustica de la villa de Limé (Jakubowsky, 1998).
2.5. Les dépôts dans les tombes de Ploisy et celles de l’Antiquité tardive de Limé
Les oboles
37Dans le cimetière de Ploisy, le seul dépôt monétaire consiste en un petit bronze indéterminé trouvé dans la sépulture no 8, au niveau du sternum du défunt. À Limé, on constate que le nombre d’offrandes monétaires datées du Bas-Empire, dans les tombes fouillées entre 1992 et 1999, est en nette diminution par rapport au Haut-Empire. Il n’y a plus que deux dépôts contre vingt-trois précédemment (Soupart, 2001a et 2003).

Fig. 8. La sépulture à inhumation no 15 de Ploisy (DAO : N. Soupart, Inrap).

Fig. 9. La sépulture à inhumation no 10 de Ploisy (DAO : N. Soupart, Inrap).

Fig. 10. Photo de la sépulture 10 de Ploisy (cliché : N. Soupart, Inrap).

Fig. 12. Photo de la sépulture 17 de Ploisy (cliché : N. Soupart, Inrap).

Fig. 11. La sépulture à inhumation no 17 de Ploisy (DAO : N. Soupart, Inrap).

Fig. 13. Photo de la sépulture 08 de Ploisy (cliché : N. Soupart, Inrap).

Fig. 15. Photo de la sépulture 6048 de Limé (cliché : N. Soupart, Inrap).

Fig. 14. La sépulture à inhumation no 6048 de Limé (DAO : Laurent Duvette, Inrap).
Les lampes
38Les lampes sont bien présentes (sept cas dont parfois le dépôt de deux à quatre lampes) dans les tombes du Haut-Empire de Limé. En revanche, elles sont totalement absentes au Bas-Empire dans cette même nécropole ainsi que dans celle de Ploisy (Soupart, 2001a et 2003).
Les céramiques et les verreries
39À Ploisy, 75 % des tombes possédaient un ou deux vases en céramique. Aucun de ces vases ne contenait d’offrande animale ou végétale. Les quatorze céramiques se rapportent toutes au service des boissons (deux gobelets, un vase et cinq pichets) ou des mets (six bols). Dans les inhumations du Bas-Empire de Limé, les céramiques destinées au service des boissons et des mets représentent 90 % des effectifs avec toutefois une préférence pour les gobelets et les cruches (Soupart, 2001a).
40Comme cela a été mis en évidence sur d’autres sites, les verreries sont de plus en plus nombreuses dans le mobilier funéraire à partir du ive siècle de notre ère (Pichon, 2002). Pour les nécropoles du Vermandois, cela s’explique par la présence d’une brillante industrie du verre proche de l’agglomération de Vermand (Loizel, 1977 ; Eck, 1891 ; Pilloy, 1895 ; Forsyth, 1951 ; Soupart, 2001a).
41À Limé, on trouve une grande variété de verreries (fiole, carafe, cruche, gobelet, coupelle…) ainsi que des « biberons » ou « tire-lait » retrouvés dans les sépultures d’immatures tandis qu’à Ploisy, les verreries étaient uniquement destinées au service des boissons (six gobelets). La position de ces offrandes dans la tombe varie d’un site à l’autre. À Ploisy, elles sont placées au nord de la tombe, au niveau des pieds ou des chevilles du défunt et à Limé nous n’avons pas constaté de position privilégiée. Les verreries peuvent également être déposées hors des cercueils et parfois dans des niches creusées dans les parois de la fosse sépulcrale (Soupart, 2001a et 2003).
Habillement, parures et objets personnels
42À Ploisy, les défunts ont été habillés et parfois accompagnés d’objets personnels, au moment d’être déposés dans la fosse. Bien que les vêtements aient disparu, les accessoires qui les accompagnaient ont été conservés. Il s’agit des boucles et des garnitures de ceintures ou de ceinturons ainsi que des indices concernant des chaussures. Dans la majorité des cas, les chaussures ont été retrouvées dans le coffrage et déposées à côté des pieds du défunt (tombes 2, 5, 6, 10 et 15).
43À Limé, la présence d’une ou de deux paires de chaussures est attestée dans quatre tombes du Bas-Empire issues des fouilles récentes. Leurs positions dans les tombes sont variables.
44C’est également dans les tombes de cette période et probablement grâce à l’inhumation, que l’on voit apparaître des épingles en os, en bronze et en argent à tête plate, ronde ou octogonale, parfois décorées de verroteries bleues, ainsi que des anneaux en bronze à section plate, des bagues à chatons rectangulaires ou ronds avec verroteries. F. Moreau a découvert dans une inhumation 80 épingles déposées dans une céramique, dont 5 en argent, 25 en bronze et 50 en os (pl. 75, fouille 1887, Album Caranda). Une épingle en os à buste féminin, trouvée dans la tombe 8081/82/83, est très proche d’une épingle provenant du musée de Dresde, liste Nr. 103, datée du ive s. de notre ère. Les épingles à cheveux témoignent des usages vestimentaires d’une population féminine civile du iiie s. au milieu du ve s. de notre ère. 92 % des objets mis au jour sont réalisés en matériaux imitant des matières plus nobles (le bronze pour l’or, le verre pour les pierres précieuses, l’os disponible sur place et facile à travailler) et 8 % sont en argent parfois recouvert d’une pellicule d’or. Ces objets sont proches de ceux trouvés sur des sites rhénans comme Augst, Trèves, le castrum Rauracense (Riha, 1986, pl. 55 et 56).
45Le bracelet est le second objet de parure le plus important qui accompagnait le défunt au Bas-Empire. Il est porté au poignet, au bras ou aux chevilles. Les bracelets de chevilles sont en lignite ou en verre alors que les autres sont en bronze ou en os. F. Moreau signale la présence dans une inhumation de deux bracelets trouvés aux chevilles dont l’un était en verre noir et l’autre en lignite. Dans une inhumation d’enfant, il a retrouvé deux bracelets en lignite sur les jambes du défunt et dans l’inhumation d’un adulte, un bracelet en lignite situé au niveau des genoux (pl. 74, fouille de 1887, Album Caranda). Les bracelets en bronze sont soit filiformes, soit massifs et très souvent décorés.
46À Ploisy, deux défunts étaient inhumés avec un grand couteau et une ceinture. Dans le premier cas (tombe 15), la ceinture possédait une grande boucle en fer de forme ovale. Le couteau avait une lame en fer et un manche en bois, mal conservé, ainsi qu’une bouterolle en bronze. Le second défunt possédait un ceinturon muni d’une plaque-boucle et contre-plaque en bronze (tombe 17). Ce type de plaque-boucle, formée d’une boucle en 8 et d’une plaque de tôle de bronze repliée et ornée de décor gravé, serait caractéristique de la fin du ive - début du ve siècle. La contre-plaque, en tôle de bronze, était pliée en deux et fixée par deux rivets au cuir de la ceinture (fig. 16). Les bords de la tôle repliée étaient soudés par une languette de bronze décorée de boutons. Un exemplaire du même type a été découvert dans la nécropole de Marteville (tombe 23), dans une sépulture masculine dite « germanique ». Le défunt y était accompagné d’une framée en fer, d’un poignard en fer, d’une boucle en bronze, de deux anneaux en bronze, d’éléments de décorations en bronze ainsi que de céramique et d’une verrerie (Loizel, 1977).

Fig. 16. Boucle et passant métallique de ceinture de la sépulture 17 de Ploisy (DAO : N. Soupart, Inrap).
47À Limé, huit défunts inhumés au Bas-Empire possédaient une arme (poignard, lance, hache) ou un couteau parfois accompagnés d’une boucle ou d’une plaque-boucle en bronze. Pour la même période, la nécropole de Limé a donc livré sept plaques-boucles (Moreau, 1886/87 et 1888), du même type que celle de Ploisy.
3. Conclusion
48Le cimetière de Ploisy se distingue par une courte durée d’utilisation (seconde moitié du ive siècle au ve siècle de notre ère) et par le petit nombre de ses sépultures (seize sépultures). La nécropole de Saint-Julien à Charleville-Mézière et celle de Marteville (probablement associée à un vicus) ont une durée d’occupation courte (Saint-Julien : ive s. au début du ve s. ap. J.-C. et Marteville : seconde moitié du ive s. ap. J.-C.), mais elles possèdent respectivement 33 et plus de 60 inhumations (Loizel, 1977 ; Böhme, 1981). D’après la documentation, de nombreuses nécropoles fondées au Bas-Empire perdurent jusqu’à l’époque mérovingienne. C’est le cas des nécropoles de Vron, Nouvion-en-Ponthieu et Monceau-le-Neuf, occupées du ive au viie siècle de notre ère (Seillier, 1983 ; Piton, Schuler, 1981 ; Böhme, 1981).
49Le cimetière de Ploisy se distingue, par ces deux mêmes aspects, des nécropoles rurales associées au développement d’un grand domaine, comme celles de Limé ou de Bens à Eisenberg. Ces dernières ont une longue durée d’utilisation, des pratiques funéraires multiples et un nombre important de sépultures (Soupart, 2001a, Böhme, 1981). D’après ces caractéristiques, il pourrait s’agir d’un cimetière « familial » de Romains provinciaux. Les individus possèdent, d’après leur mobilier funéraire, un fort pouvoir d’achat. Une partie de la céramique provient des ateliers de l’Argonne. Les verreries, d’excellente facture, peuvent avoir été faites localement.
50L’analyse des pratiques funéraires du cimetière de Ploisy est limitée par la faiblesse de l’échantillon et par le mauvais état de conservation des ossements humains. Toutefois, ce petit ensemble de tombes offre une particularité. Les traces d’aménagements des fosses, en matériaux périssables, ont été bien conservées. Des traces ligneuses visibles sous la forme de remblais de couleur gris/noir marquent l’emplacement de planches. Certaines fosses présentaient des aménagements entièrement réalisés en bois et d’autres en matériaux mixtes (bois et pierre).
51La mauvaise conservation des restes osseux, liée à la nature du substrat, n’a pas permis de caractériser avec certitude le genre d’espace de décomposition des cadavres (espace vide, colmaté ou semi-colmaté). Les déterminations de l’âge et du sexe, la métrique ainsi que l’étude des pathologies osseuses n’ont pu être réalisées. Il est peu probable que l’archéologie seule nous permette d’identifier l’origine de ce petit groupe d’individus, faute de ces informations anthropologiques. Dans l’état actuel des connaissances, il semblerait que les offrandes céramiques et les objets métalliques rencontrés dans les inhumations de Ploisy ne soient pas de facture germanique (Kazanski, 1995). Cependant, deux défunts étaient inhumés avec un grand couteau et l’un des deux possédait un ceinturon d’une forme caractéristique de la fin du ive ou du début du ve siècle. Ces types d’éléments ne sont pas forcement liés à une activité militaire, mais ils se rencontrent très souvent dans ce type de contexte.
52Ces deux sépultures nous permettent d’intégrer le cimetière de Ploisy dans le contexte archéologique et historique de la protection du territoire de la Gaule Belgique à l’époque gallo-romaine tardive. La protection du limes et des villae, toutefois moins nombreuses, devient une préoccupation vitale à la fin du iiie et jusqu’au ve siècle de notre ère.
53La nécropole de Limé correspond à celles de grandes exploitations agricoles maintenues au Bas-Empire et dont la production est destinée aux marchés, surtout des villes, et à l’approvisionnement de l’armée (Van Ossel, 1995). D’autres exemples de villae occupées au Bas-Empire sont connus en Picardie : Mercin et Vaux (Aisne) (Roussel, 1993) et Verneuil-en-Halatte (Oise) (Collart, 1991).
54La nécropole de Limé connaît une longue durée d’utilisation comme huit autres exemples régionaux dont la perduration s’étend (avec ou sans hiatus) de La Tène jusqu’au haut Moyen Âge (Chassemy, Chouy, Fère-en-Tardenois, Presles-et-Boves, Arcy-Saint-Restitue, Cierges, Limé). La nécropole de Fère-en-Tardenois possédaient environ 400 sépultures gallo-romaines, celle de Cierges une centaine. La nécropole d’Arcy-Saint-Restitue aurait compté 3150 sépultures et celle de Chouy, 300 (Pichon, 2002). En ce qui concerne ces différentes nécropoles, il s’agit dans tous les cas de fouilles réalisées par F. Moreau au xixe siècle. Dans le cas de Limé, les fouilles préventives réalisées entre 1992 et 1999 ont permis d’attester cette longue durée d’utilisation depuis La Tène ancienne jusqu’au début du ve siècle. Les fouilles ont mis en évidence des périodes de quasi-abandon du site (début du ier siècle de notre ère) ou de déplacement (époque mérovingienne). Peut-on parler pour cette partie de l’Aisne d’une forme de tradition de conserver le même lieu funéraire, voire une sorte de mémoire du lieu ?
55La nécropole de Limé présente également un aspect intéressant concernant l’évolution spatiale. Le site est implanté sur une éminence. Les sépultures de La Tène moyenne et finale étaient rassemblées au sommet de celle-ci, tout comme les rangées d’inhumations du Bas-Empire. Aucun enclos ni fossé n’a été découvert, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas eu une délimitation de l’espace par de la végétation ou autre chose… Il faut souligner que l’incinération et l’inhumation sont pratiquées conjointement ou non pendant toute la période d’utilisation de la nécropole. L’étude typologique des tombes a mis en évidence la richesse des différents types d’incinérations secondaires à l’époque romaine ainsi que la présence de différents types d’incinérations primaires. L’inhumation des immatures est pratiquée à partir de 70 de notre ère et celle des adultes à partir du début du iie siècle. On a observé un changement dans le choix du mobilier funéraire au sein des inhumations selon les phases ; une étude plus approfondie pourrait mettre en valeur des « modes » et des modifications dans les pratiques culturelles ou religieuses. En effet, on constate que de 150 à 300 de notre ère, les dépôts de céramique sont majoritaires (deux à cinq vases). À la fin du iiie et au ive siècle, le nombre de vases en céramique diminue fortement (un à deux vases) tandis que le nombre d’objets en verre et des parures augmente (Soupart, 2001a).
56Une sépulture plus particulière, découverte au xixe s., a livré une boucle, deux terminaisons de ceinturon, un passant et un couteau (fig. 17, nos 1 à 4). Les trois premiers éléments ont un décor biseauté. Cette garniture de ceinturon, trouvée près de la tête du défunt, serait caractéristique de la fin du ive ou du début du ve siècle (Böhme, 1974). D’autres objets publiés dans l’Album Caranda sont également intéressants :
- il s’agit d’une boucle à extrémité delphiniforme (Moreau, 1888, pl. 74, 10) bien représentative des contextes militaires.
- sept autres plaques-boucles (Moreau, 1888, pl. 65, 6 et 80, 1, 2), formées d’une boucle en 8 et d’une plaque de tôle de bronze repliée et souvent ornée de décors estampés ou gravés, ne sont peut-être pas systématiquement liées à une activité militaire, mais elles se rencontrent aussi très souvent dans ce type de contexte, de même que les appliques de ceinturon en forme de pelta (Moreau, 1888, pl. 80, 3) (fig. 18, nos 1 à 3).
57Il est clair qu’il y avait à la villa d’Ancy quelques militaires (une dizaine de sépultures au moins) probablement d’origine germanique. Il y a en effet un autre indice, habituellement interprété comme le signe de la présence d’éléments germaniques (ou germanisés) : l’incinération tardive d’une femme qui contenait un seau de bois, deux fibules de bronze et un vase en verre à décor gravé. Le vase en verre semble sans équivalent. La technique de gravure employée et le style de décors conduisent à le placer dans les deux premiers tiers du ive siècle.
58En l’absence totale d’équipement militaire tel que des pointes de lance, des umbos de bouclier, des pommeaux d’épée et des fibules cruciformes et de type germanique (ansées ou en arbalète), on peut penser que ces tombes correspondaient à une petite milice rurale de mercenaires engagés par le riche propriétaire de la villa, pour assurer sa protection et son pouvoir sur les rustici.

Fig. 17. Objets métalliques de la nécropole de Limé illustrés dans l’Album Caranda (DAO : N. Soupart, Inrap).

Fig. 18. Objets métalliques de la nécropole de Limé illustrés dans l’Album Caranda (DAO : N. Soupart, Inrap).
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Annexe
Annexe. Inventaire des sites funéraires gallo-romains de l’Aisne




Auteur
Ingénieur d’étude Inrap NP, HALMA-IPEL UMR 8164 (CNRS, Lille 3, MCC), 19 rue du Monument, 80340 Proyart. Nathalie.soupart@inrap.fr
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