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Le sanctuaire antique des Bolards à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or)

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Colette Pommeret

Première partie : Les sanctuaires et leur contexte

Conclusion générale

Colette Pommeret

Testo integrale

1La fouille du grand sanctuaire, construit sur des lieux de culte plus anciens, a permis la découverte de tout un secteur d’habitat antérieur, rasé lors de son édification. Elle a ainsi marqué d’un jalon important la connaissance du développement de l’agglomération.

2Les niveaux les plus anciens ont été découverts dans la partie sud-est de sa cella et dans l’espace compris entre la cella et le pronaos. Il s’agit de structures très restreintes, sauvegardées entre les masses des fondations.

3L’état 1 de la période I, difficile à analyser, se résume à quelques fosses, trous de poteau et en un tronçon rectiligne de fossé correspondant à un niveau de terre noire d’occupation.

4Une fosse scellée par un sol d’argile brûlée, légèrement tronquée par les fondations du mur sud de la grande cella, était comblée exclusivement par plus de 2 000 tessons ayant permis de dénombrer plus de 100 récipients, avec une majorité de vases-bouteilles à panse élancée. Ces vases avaient été enfouis, pour la plupart d’entre eux, après avoir été brisés et avoir subi une violente crémation, indice probable de pratiques cultuelles. Cette céramique est datée de La Tène finale. Il est plus difficile de préciser à quelle phase peut appartenir cet ensemble en l’absence de tout autre matériel d’accompagnement.

5Le remplissage du fossé, situé plus à l’est, ne présente aucune accumulation spectaculaire de céramique et d’ossements. Les ossements recueillis, disséminés dans la terre noire, sont sans connexion anatomique. Ils appartiennent à des animaux domestiques et présentent de nombreuses traces de décarnisation et de découpage. Le mobilier comprend d’assez nombreux mais petits fragments de céramique indigène, des fragments de Dressei I et deux bracelets également datés de La Tène finale. Dans la couche noire environnante, ont été recueillies huit monnaies gauloises et une obole de Marseille frappée entre 90 et 49 av. J.-C. Si l'étude seule de l’ensemble du mobilier céramique permet de l'attribuer aux phases anciennes de La Tène finale, son association avec le mobilier de l’environnement proche pourrait faire dater cet état 1 de La Tène D1. On peut y voir, avec le fossé, les traces d’un enclos à dévolution cultuelle à l’origine de la zone sacrée, peut-être associé à des structures en bois. La fosse, qui présente des analogies évidentes avec d'autres dépôts de vases découverts en particulier sur le sanctuaire celtique de Mirebeau (BRUNAUX et alii, 1985, p. 79-111), est un indice de pratique cultuelle ayant précédé l’édification du sanctuaire primitif.

6L’état 2 est représenté par le fanum I dont la réalité est toutefois à envisager avec prudence. Peut-on déjà parler de fanum ou s’agit-il encore d'une simple aire cultuelle ? Les limites du sol de terre battue et brûlée ne peuvent être déterminées avec précision. Ce sol n’est pas retrouvé dans le sondage pratiqué dans la galerie sud de la grande cella et déborde de peu côté est. Il recouvre la fosse cultuelle et il est totalement indépendant des couches supérieures constituant la préparation du sol de la cella du fanum IL Le mur d’enceinte 27, fait de pierres lapiazées en général uniquement maintenues par de l'argile, avec toutefois quelques traces de mortier principalement dans sa partie sud-ouest (marque de consolidation ultérieure), est fondé dans la couche de graviers lessivés naturels retrouvée sur le limon en place. Les niveaux proches, non remaniés ultérieurement, ont livré, avec une dizaine de monnaies gauloises et un quadrans d’Auguste, des fibules d’époque augustéenne, de la céramique fumigée ou en terra nigra, un mobilier correspondant à la période d’arasement et de nivellement de cet état.

7La période II est représentée par le fanum II et l’habitat contemporain. Édifié à la fin de la période augustéenne, ce fanum, bien reconnu quoiqu’assez largement amputé par la construction de la grande cella, est de plan carré centré. Construit en bois et terre, orné d’enduits peints, avec un sol soigneusement bétonné et solidement ancré sur un hérisson, il était entouré par un mur de péribole en moellons de calcaire rose de Prémeaux. Il présente, à lui seul, la synthèse des méthodes de construction utilisées aux Bolards au début de notre ère. On a pu distinguer, au sein même de Faire sacrée, des traces fugaces (alignements de pierres, vestiges de murets, aires de crémation) où la présence de céramique et d’ossements peut faire penser à différents aménagements destinés à des repas cultuels. Ces installations atteignent souvent les couches les plus profondes et le limon en place, recoupant ou détruisant totalement les niveaux les plus anciens. Les offrandes, particulièrement celles retrouvées sur le sol bétonné, protégées par la chute des murs de terre, montrent une prédominance d’objets féminins, miroirs, fioles à parfum, fibules. Beaucoup de petits objets devaient être fixés sur des supports en bois ; le nombre important de punaises et de clous en bronze découverts en accompagnement le démontre.

8Le sanctuaire se trouvait situé en bordure d’une grande place, sorte de forum non clos, place de marché très certainement, où venait s’installer un petit négoce ambulant en partie lié au culte proche. Les fouilles anciennes et les sondages plus récents font apparaître, entre les recharges successives de graviers qui en forment le sol, de nombreux petits objets tels que fibules, ornements de bronze, plaquettes d’yeux, débris de verrerie, souvent analogues aux ex-voto offerts. Une rue nord-sud (no 37), reliée à deux voies d’accès à la ville – dont l’axe d’accès privilégié (dite « voie au caniveau ») qui semble aussi constituer l’articulation principale de l’agglomération – bordait son péribole à l’ouest et longeait la zone de l’habitat. Cet habitat, de la première moitié du ier s. ap. J.-C., avait déjà été pressenti sur le site, par des traces très fugitives (vestiges de murets en lapiaz, sols bétonnés avec empreinte de sablières basses) dans le secteur précédemment fouillé au sud-est du temple. Mais ces vestiges trop partiels, détruits par des reconstructions successives, ne permettaient pas de les rattacher à un quelconque dispositif identifiable.

9À l’inverse, dans l’hémicycle délimité par le péribole du temple, après l’arasement des parties aériennes et un nivellement généralisé, les substructions restantes se sont trouvées figées et s’il n’en reste rien en élévation, leurs niveaux d’utilisation ont été, dans l’ensemble, bien retrouvés.

10Cet habitat fait appel à deux techniques de construction. On voit cohabiter une architecture de terre et bois plus ou moins soignée et une architecture de pierre de belle qualité et très caractéristique.

11Dans les constructions de bois et terre, on est surpris par la faible épaisseur des murs (de 0,20 à 0,30 m), qui n’est guère compatible avec une élévation en adobe ou en pisé banché. Les nombreuses traces de clayonnage découvertes au revers de fragments d’argile plaident en faveur de constructions à pans de bois avec un lacis de branchages maintenu dans le cadre solide formé par les sablières horizontales, toujours bien attestées, et les poteaux verticaux qui devaient constituer les éléments essentiels de la construction. Les sablières basses sont dans l'ensemble bien isolées du sol, mais on note certaines différences. Elles reposent soit sur des murets de soutien constitués d’un seul parement de moellons taillés sur deux à trois assises (salle A), soit, plus généralement, sur des murets plus grossiers, constitués de blocs en calcaire pratiquement bruts, comprenant un à deux blocs en largeur selon leur importance et maintenus par de l’argile (secteurs B et C). Dès que nous abordons des constructions présentant des sols en béton de chaux sur hérisson, l’empreinte des sablières basses ne laisse apparaître qu’un solin d’une seule rangée de pierres plates reposant sur un nivellement de sable. On ne note aucune différence d’épaisseur pour les murs externes et la cloison intérieure (maison aux enduits peints).

12Pour le fanum augustéen, les sablières basses reposaient directement sur le niveau d’argile rubéfiée préparatoire à son édification. En bordure extérieure de sa galerie, il semble qu’il y ait eu récupération du bois lors de sa destruction, le négatif de la poutre apparaissant avec moins de netteté. Dans le fanum et la maison aux enduits, ont été recueillis un très grand nombre de fragments d’argile portant l’empreinte des fascines. De façon plus sporadique, des fragments ont également été découverts sur l’ensemble de la zone d’habitat.

13Ces structures légères, relativement fragiles, peuvent expliquer les remaniements ou reconstructions successives effectués dans un court laps de temps et détectés principalement dans les secteurs B et C, sans que l’on puisse leur attribuer une datation plus précise. Dans le secteur C, la présence, à l’ouest, de la maison aux enduits peints peut paraître surprenante. Avec son décor soigné, ses dimensions modestes (20 m2 pour ses deux pièces), son édification sur un emplacement correspondant à un atelier est inattendue et reste énigmatique en l’état actuel des fouilles. La prolongation de celles-ci vers l’ouest, au-delà du mur 26, pourrait peut-être permettre de la relier à un autre groupe d’habitations où sa présence paraîtrait logique. Quoi qu’il en soit, elle s’est établie entre deux niveaux de fonctionnement de l’atelier, mais il paraît probable que le premier niveau a continué à être en activité après sa construction. Son sol est construit sur la couche correspondant à l’utilisation de la première série de fours. Le niveau de seconde utilisation de l’atelier est bien limité à l’est par un muret établi sur une couche de démolition contenant ses enduits peints, qui sont également retrouvés dans les couches sous-jacentes aux fours 4, 5 et 6. La durée d’utilisation de ce petit bâtiment paraît courte et on peut s’interroger sur sa destination. Sous le sol, la découverte des ossements de onze chiens, déposés entiers dans quatre petites fosses de terre noire entamant les graviers, aurait pu faire penser à une utilisation cultuelle au vu des dernières découvertes de ce genre. Après étude topographique du lieu, ces ossements semblent plutôt devoir être associés au chemin ancien identifié à proximité. Sur le sol même, dans Famas des démolitions et les fragments d'enduits peints, le matériel recueilli, avec en particulier trois monnaies d’Auguste à Tibère, de la sigillée couvrant la première moitié du ier s., de la poterie commune, ne constitue aucun indice probant et serait plutôt en rapport avec une occupation domestique.

14Les constructions maçonnées découvertes principalement au sud, au sud-ouest (secteurs D et E) et au nord-est, ont des sols en terre battue, mais des murs particulièrement soignés. Ces derniers sont faits exclusivement de moellons régulièrement équarris, provenant d’un même lit de calcaire de Prémeaux, extrait des carrières locales proches et typiques aux Bolards en ce début du ier s. La taille s’est faite sur place et les éclats sont répandus à proximité des murs, quand ils ne servent pas de base à leur édification. Ces murs sont en effet construits sans fondation, sur une semelle débordante très régulière. Cela explique leur disparition quasi totale en cas de démolition, à l’inverse des murs de la fin du ier et du iie s., plus solidement ancrés, dont on retrouve au moins les fondations ou leur fantôme. Ces constructions correspondent à des ensembles importants situés à proximité, sinon en bordure des rues principales. Le mur 30, découvert entre le mur sud du mithraeum et le mur 26 du péribole du grand temple, appartient selon toute vraisemblance, avec les tronçons des murs 31 et 31b situés sous l’entrée nord est du péribole, à un vaste bâtiment qui devait s’étendre au nord de la zone cultuelle (secteur F).

15Il est intéressant d’étudier l’orientation de ces différents vestiges, qui sont soit grossièrement orientés sur l’axe géographique nord-sud (1°30’W) – c’est le cas des substructions coupées par le péribole sud, probablement édifiées en fonction de la voie d’accès principale – soit selon l’axe correspondant à l’édification du fanum II (proche de N. 12°30’E). Cet axe concerne une phase d’urbanisation importante, secteurs A, B et F, retrouvée également dans l’habitat déjà fouillé au sud-est de la voie au caniveau, et qui semble se développer à l’intérieur de la boucle formée par le cours du Meuzin.

16Ces différentes orientations sont bien mises en évidence dans le travail de J. Muzin (MUZIN. 1990), qui a permis de porter une regard nouveau sur les différentes phases d’urbanisation de l’agglomération. En effet, la fouille trop restreinte déjà réalisée sur une infirme partie d’un quartier d’habitat n’englobant aucun îlot complet ne permettait pas une approche satisfaisante de la question.

17L’étude de l’ensemble de la couverture aérienne réalisée aux Bolards depuis 1964 permet d’établir un plan de synthèse proposant la restitution de la morphologie et de la topographie de l’agglomération (cf. fig. 5). Le plan proposé est complexe puisqu'il utilise des tracés d’époques différentes, où l’on peut constater la multiplicité, l’imbrication des trames et des orientations utilisées lors de l’urbanisation. Il est toutefois possible, tout en restant prudent, après une étude attentive de ces orientations et de la position des voies principales, de regrouper certains ensembles, de définir des quartiers relativement cohérents où les traces de constructions ont une orientation homogène, à l’inverse du quartier central (quartier I) qui nous intéresse ici et qui présente une morphologie relativement composite avec une succession de phases d’urbanisation parfois précoces et proches l’une de l’autre.

18Certains axes de circulation repérés sur les clichés aériens, visibles sur une grande distance et sans rapport avec la trame urbaine reconnue par ailleurs, pourraient correspondre à de vieux itinéraires protohistoriques. Ils se dirigent au cœur de l’agglomération, vers la zone des sanctuaires, et confirmeraient l’existence d’un noyau primitif de la cité établi en fonction d’un lieu de culte (période I) vers lequel convergeaient au moins deux chemins (nos 7 et 9). Deux autres voies, peut-être moins anciennes mais tout aussi étrangères à l’urbanisme de l'agglomération, existaient déjà à l’époque augustéenne lors de l’édification du fanum II. Il s’agit de la voie 4, venant du nord-ouest, qui, après avoir traversé le Meuzin par un gué aménagé, aboutit également au centre, sur la grande place, et bien entendu, de la voie au caniveau venant de Seurre, reliant la ville à la grande voie Lyon-Trêves et menant directement au centre cultuel (fig. 5, supra). Cette place, ainsi délimitée par des carrefours irréguliers de rues principales, loin des fora structurés de type vitruvien, continuera à constituer un centre d’attraction important au cours des différentes phases d’urbanisation et verra se développer, sur son pourtour, de grands bâtiments publics.

19La troisième orientation, proche de N. 12°30’E, observée dans le quartier central qu’elle transforme et complète, représente la phase d’urbanisation correspondant à la construction du grand temple. Elle intervient également dans le développement du quartier nord et ouest (quartier II).

20La construction du grand temple, que l’on peut situer à la fin du règne de Néron et plus probablement sous Vespasien, d’après le mobilier et des monnaies retrouvés dans les niveaux antérieurs, montre la volonté déterminée de créer un ensemble monumental et prestigieux à l’emplacement même des lieux de culte primitifs, et cela au détriment des quartiers proches et en particulier de la grande place.

21L’originalité de ce sanctuaire vient de ce qu’il est un exemple parfait de composition architecturale mixte gallo-romaine, montrant une adaptation des structures romaines aux traditions indigènes, adaptation réussie puisque l’on constate qu’il a été utilisé jusqu’à l’abandon de l’agglomération.

22Au cours de la fouille, il avait été suggéré, en particulier par R. Martin (MARTIN, 1978, p. 77-78), que la grande cella primitive, proche du carré, avait été transformée, conservant une galerie sur trois côtés, le quatrième étant occupé par un porche à colonnes, ajoutant ainsi une façade de temple romain à une cella de type gaulois. L’hypothèse était d'autant plus satisfaisante qu’elle était renforcée par la position isolée de la masse de fondation du porche, distante de la cella de 5,25 m au centre et de 3 m sur les côtés, ces trois mètres de largeur étant retrouvés par ailleurs dans les trois autres galeries. Mais les études successives effectuées sur ces fondations ont fait apparaître une telle similitude de construction avec celles de la cella, qu’il fallait admettre la contemporanéité de l’ensemble. De plus, l’espace bordant la cella à Test était obstrué, sur environ 0,80 m de hauteur, par des rejets provenant du fanum augustéen, ce qui n’aurait pas permis d’utiliser cette quatrième galerie en fonction du niveau de circulation reconnu dans la galerie ouest.

23La conception du sanctuaire semble donc avoir été soigneusement planifiée, en lui donnant d’emblée ses caractéristiques et ses dimensions définitives, selon un principe de symétrie axiale évident. Seules quelques modifications ultérieures, relativement minimes, sont intervenues : modification des accès à la galerie du péribole et aménagement de la cour centrale dallée, qui entraîne le rehaussement du sol ainsi que celui des cours nord et sud, avec l’installation de la canalisation d’écoulement des eaux du portique. Un problème reste posé avec la présence, antérieure à ce dallage, des blocs à encadrement d’anathyrose qui entouraient le massif de fondation du portique sur ses trois côtés et de ce fait semblaient empêcher tout accès en façade à la cella.

24Il est évidemment hasardeux de tenter une restitution d’un monument d’une telle ampleur à partir de son plan au sol, avec la disparition ou le bouleversement des sols d’utilisation, en particulier pour la cella et le pronaos, et à partir d’éléments architecturaux aussi peu nombreux et fragmentaires. Sur plus de 650 fragments découverts, pour beaucoup dans la cour nord et les fosses d’enfouissement, et soumis au Bureau d’architecture antique de Dijon, seuls vingt-sept ont pu être exploités et dessinés. Parmi ceux-ci on dénombre six fragments de bases, trois fragments de colonnes lisses de petit diamètre, cinq fragments de colonnes rudentées d’un diamètre d’environ 1,10 m, trois fragments de colonnes cannelées d’1 m. six fragments de chapiteaux toscans correspondant à des colonnes de petites dimensions, un fragment de chapiteau corinthien, deux fragments de corniches doriques et un gros bloc d’architrave, qui nous permettent toutefois une évaluation correcte des colonnades, mais non la restitution du fronton. Cette destruction systématique s’explique, lors de la démolition finale du temple, par l’installation d’un four à chaux au cœur même du pronaos, qui a ainsi absorbé toutes les sculptures et débris architectoniques en calcaire oolithique. Il est vraisemblable que le fonctionnement de ce four allait de pair avec l’exploitation en carrière de l’ensemble du monument.

25On est tout de suite impressionné par l’importance des fondations de la cella rectangulaire, longue de 16,84 m, large de 13,90 m hors œuvre. Ses murs ont une largeur de 2,64 à 2,70 m et ses fondations, constituées par un blocage robuste de plus de 3,50 m de hauteur, s’enfoncent dans la couche compacte de galets würmiens, annonçant une élévation de hauteur considérable. La comparaison avec la cella du temple de Janus à Autun se fait inévitablement, avec ses murs d’une épaisseur de 2,20 m et son élévation actuelle atteignant encore 24 m (DUVAL, QUONIAM, 1963, p. 176-185). Il paraît donc vraisemblable de penser que Ton se trouve, aux Bolards, devant une construction similaire, à tour centrale.

26La galerie qui l’entoure est par contre plus étroite que celle que Ton trouve habituellement : 3 m pour les Bolards contre 5,30 m à Autun, 4,20 m à Périgueux (tour Vésone) et 5,75 m à Ribemont-sur-Ancre. L’épaisseur des murs, 0,90 m, et la moindre profondeur de leur implantation montrent une différence notable au niveau de la charge prévue et annoncent la réalité d’un portique.

27Le péribole est formé de deux murs qui délimitent une galerie de 3,80 m de large. Le mur externe est massif et présente une certaine élévation puisque des bâtiments postérieurs sont venus s’y accoler (quatre salles ont déjà été dégagées sur la partie nord). Le mur intérieur constitue la fondation supportant un stylobate.

28Le plus gros problème est posé par cette fondation en U du pronaos, dont les branches font face à la cella en laissant un espace entre les deux. Un dispositif semblable a été retrouvé face à la cella du temple de Ribemont-sur-Ancre, considéré également comme un sanctuaire de type mixte, avec galerie sur trois côtés et pronaos monumental (CADOUX, 1978, p. 341-342 ; BAYARD, CADOUX, 1982, p. 83), mais avec des épaisseurs de murs très éloignées des nôtres (0,96 m pour les murs de la cella et 1,29 m pour les murs de la galerie) qui ne permettent pas d’envisager une tour centrale aussi élevée. À Ribemont, la découverte aux angles sud et sud-est de la cella de blocs de grand appareil pouvant jouer le rôle de contreforts a permis de penser à une arcade en plein cintre pour combler le vide. Aux Bolards rien ne laisse entrevoir un tel dispositif. Le mystère demeure donc, d’autant plus que l’extrémité de la galerie reliant celle du péribole avec celle de la cella, aboutit face à ce vide.

29L’édifice n’était pas surélevé par un podium, comme un temple classique ou certains temples hybrides (FAUDUET, 1993, p. 72). L’aspect monumental était créé par la tour centrale et sa colonnade de façade. Si Ton se reporte aux sols de circulation antique encore conservés dans la galerie du péribole, les cours et principalement la cour dallée, et si l’on considère que les galeries formaient entre elles un seul cheminement permettant de faire le tour de la cella et de rejoindre le péribole, on peut penser que le niveau du pronaos et de la cella était à peine plus élevé. En tenant compte du diamètre des colonnes à positionner sur le massif de fondations de 4,50 m de large, du fait que l’installation de marches en façade et sur le côté a dû se faire postérieurement, on peut considérer que seuls quelques degrés, compte tenu de leur largeur de 0,30 m, ont pu exister, trois ou cinq au maximum, correspondant à une élévation de 0,66 ou de 1,10 m par rapport à la cour dallée et de 0,36 à 0,90 m par rapport aux galeries.

30Le second problème est posé par la présence des murs construits à peu de distance (1,50 m), parallèlement aux murs de retour de la galerie de la cella vers celle du péribole. Il est difficile de leur attribuer une fonction précise. S’agit-il de murs destinés à séparer le témenos des cours, ou étaient-ils partie intégrante de la colonnade de la galerie ?

31En restitution (fig. 85), on pourrait donc supposer un sanctuaire à tour centrale élevée, d’environ 24 m de haut (cf. Janus), avec un pronaos à colonnade hexastyle d’ordre corinthien de 10 m de haut (colonnes rudentées et cannelées de 1,10 m de diamètre à la base, sur une base composée de deux tores séparés par une scotie). La galerie entourant la cella, le portique du péribole, devaient être supportés par des colonnes lisses avec des chapiteaux toscans annonçant un diamètre de fût, au niveau du chapiteau, de 0,50 à 0,60 m. Le mur extérieur du péribole était un mur plein de 4 à 5 m de haut, avec peut-être un accès au sud (où, à l’emplacement de l’ancienne voie 37, on note une différence de pavage dans la chaussée) et à l’ouest, dans l’axe du temple, où la destination de la salle retrouvée ne peut être précisée (exèdre s’ouvrant sur le portique pour recevoir une statue de culte, ou entrée avec portique). Les cours encadrant la cour dallée étaient légèrement en contrebas (de la valeur d’un emmarchement), et pour y accéder, depuis les extrémités est de la galerie du péribole, il fallait descendre trois marches. L’entrée sur la cour dallée se faisait de plain-pied depuis la grande place, par un portail large de 2 m, situé en face de l’autel et dans l’axe central du sanctuaire. La découverte de deux blocs portant une barre de fer quadrangulaire pourrait faire penser à la présence d’une grille sur le mur de clôture peu élevé, comme dans le sanctuaire du Cigognier (BRIDEL, 1982, p. 52).

Fig. 85. Essai de restitution du temple ; maquette de M.-Th. Pio, Chambéry. Cl. J.-L. Bernuy.

Fig. 86. Ex-voto du dieu Segomo, mulet en bronze (dessin ancien).

32Certains trouveront que ces hypothèses reposent sur des bases bien fragiles et pourront nous reprocher de les avoir exprimées. D’autres, comme nous-mêmes, penseront qu’il vaut mieux essayer de reconstituer la vie d'un monument, malgré le nombre de questions soulevées et demeurées sans réponse, ne serait-ce que pour susciter des comparaisons, provoquer des remarques et sûrement des critiques qui peuvent permettre d’avancer dans la compréhension des points demeurés obscurs.

33Les autres questions posées concernent les rites et la nature des cultes qui étaient pratiqués. À quelles divinités ces sanctuaires étaient-ils consacrés ?

34Là encore, comme pour l’architecture, nous ne pouvons que déplorer la rareté des indices. D’une part la destruction a été quasi systématique et d’autre part ce qui pouvait subsister a été dispersé par les fouilles anciennes, menées avec d’autant plus d’intensité qu’elles étaient fructueuses.

35En documents épigraphiques déchiffrables, nous possédons deux inscriptions dédicatoires concernant deux divinités majeures : Apollon et Mars. Ce dernier est associé à son surnom gaulois de Segomo, ce Mars Segomo étant attesté par deux fois si l’on tient compte de l’ex-voto en bronze découvert au siècle dernier (fig. 86).

36La grande statuaire en pierre a disparu. Seule a été retrouvée cette tête barbue de divinité masculine appartenant à une statue plus grande que nature. Son style, d’inspiration hellénistique, courant dans la sculpture monumentale de la Gaule du Nord-Est, la fait dater de la fin du ier s. ou du début du IIe s. ap. J.-C. Son identité est difficile à établir : Jupiter-Sérapis ou Esculape pour E. Planson (PLANSON, 1974, p. 17, fig. 2), un Géant combattant pour Cl. Rolley (ROLLEY, 1976, p. 127-133), Sérapis pour S. Deyts (DEYTS, 1990, p. 142), ou Mars, selon une nouvelle hypothèse (DEYTS, cf. chap. Sculpture dans ce volume). Découverte dans la cour nord, elle aurait pu appartenir à une statue de culte placée dans la cella du grand temple.

37Des anciennes découvertes, venues à notre connaissance et signalées entre autres par É. Thevenot en 1948, nous savons que des éléments de trois statues colossales avaient été retrouvés à la base d’un monument situé sur la place publique, vers l’entrée sud-est de la galerie du péribole. Ils appartenaient à une divinité masculine et à deux divinités féminines. L’une de ces têtes, entrée dans une collection privée et dont nous avions pu retrouver la trace, nous a été prêtée pour étude. Cette tête, aux cheveux relevés, porte les traces d’une couronne crénelée : Tutelle ou Cybèle ? (cf. fig. 18, chap. Sculpture) (THEVENOT, 1951b, p. 7 ; COLOMBET, 1947, p. 33). La découverte d'un Attis funéraire au fronton d’une stèle de la nécropole (fig. 87) témoigne de l’existence d’adeptes de ce culte. Si l’on considère le succès rencontré par le culte de Cybèle chez les Éduens et en particulier à Autun, comme en témoigne le destin tragique de saint Symphorien, on peut vraisemblablement pencher en faveur d’une Cybèle. Ces cultes orientaux de Mithra et Cybèle s’étaient implantés à l’extérieur de l’enceinte du sanctuaire mais de façon très proche et symétriquement. Le mithraeum, de proportion modeste, mais de plan typique et richement pourvu d’une statuaire de qualité, s’était installé au nord du péribole, à proximité de son entrée nord-est et de l’exèdre semi-circulaire, et le monument d’où provient la tête de Cybèle, s’élevait symétriquement au sud, à proximité de l’entrée sud-est.

Fig. 87. Fronton de stèle funéraire représentant Attis. Cl. Cl. Rolley.

38Si l’on voit dans le culte de Cybèle une succession logique, dès la fin du second siècle, au culte celtique des Mères qui en aurait facilité l’assimilation, on ne peut que remarquer l’abondance de leurs représentations sous leurs différents aspects, soit en pierre ou en terre blanche, en triades, seules, sous forme de « Vénus », déesses protectrices, etc.

  • 20 Certains fragments parvenus au Musée archéologique de Dijon s’assemblent avec les nôtres.

39Du sanctuaire augustéen avec ses Vénus en pierre de style archaïque et à la silhouette disproportionnée, à la Vénus anadyomène en marbre blanc en provenance du grand temple (cf. chap. Sculpture, fig. 17), aux éléments d’une triade aux têtes diadémées trouvés dans le puits, nous en avons des représentations bien différentes. S’y ajoutent les deux triades de déesses-mères avec enfant emmailloté de type éduen (THEVENOT, 1948, p. 320, fig. 17, 18) découvertes antérieurement dans un puits faisant face à l’entrée du temple. À ces sculptures, on peut adjoindre les très nombreux exvoto en terre blanche, trouvés en particulier dans la partie sud de l’hémicycle du péribole et comprenant des déesses-mères allaitant, des Vénus, des déesses protectrices. Dans cette zone, les fouilles anciennes avaient vidé une fosse, sorte de « favissa » où d’innombrables statuettes en terre cuite avaient été enfouies20. (Parmi ces statuettes existaient plusieurs représentations en pierre de déesses protectrices.

40Enfin, il faut citer la stèle aux trois divinités qui, à elle seule, pourrait résumer la complexité et le syncrétisme des cultes pratiqués aux Bolards en général et dans le sanctuaire en particulier : déesse-mère, dieu tricéphale Cernunnos, associés à une divinité centrale hermaphrodite, à haute couronne murale, plus énigmatique et dont l’identification a fait l’objet de plusieurs interprétations. Cybèle ou Génie pour E. Planson (PLANSON, 1975, p. 490-491 ; PLANSON, LAGRANGE, 1975, p. 278), Cybèle bisexuée connue sous cette forme particulière en Asie Mineure pour P. Berger (BERGER, 1984, p. 276-278), ou Génie du lieu, bien connu en pays éduen, pour S. Deyts (DEYTS, 1989, p. 83-84 ; 1990, p. 143). Quoi qu’il en soit, cet ensemble composite de type démétrien appartient au symbolisme religieux évident de la vie et de la fécondité.

41Les rites d’accompagnement sont plus difficiles à cerner. Il est manifeste qu’aucun rite sacrificiel ni dépôt rituel n’était réalisé dans ces sanctuaires, alors qu’il en est signalé à proximité, autour de l’autel octogonal, avec fosses de dépôts (datées du début de notre ère au début du iie s. ap. J.-C.). De même, des sacrifices et offrandes avaient lieu dans le sacellum découvert le long de la voie, dite decumanus. Dans ce dernier lieu, l’étude des ossements (plus de 6 500 fragments), réalisée par Mme Th. Poulain, donne une majorité de bœufs (60 %) avec prédominance d’omoplates (90 %) et de chevilles osseuses, montrant bien une sélection volontaire. L’ensemble est daté également du début de notre ère, mais jusqu'à la fin du iie s. ap. J.-C.

42Pour le fanum augustéen, si nous pouvons facilement déterminer les ex-voto déposés dans la cella et sa galerie, avec comme nous l’avons vu, une prédominance d’objets féminins accompagnés de Vénus en pierre et en terre blanche (type I) et d’offrandes de petits animaux en terre blanche, substituts probables de victimes propitiatoires, il est plus malaisé de distinguer, dans la masse d’objets mis au jour dans l’aire sacrée limitée par le péribole, les objets destinés à des offrandes ou devenus votifs, de ceux abandonnés sans connotation sacrée. On y retrouve un grand nombre de fibules, souvent de petites dimensions, en particulier pour les pseudo-Tène II, ce qui pourrait indiquer qu’elles étaient destinées à être déposées comme ex-voto. Elles sont accompagnées de plaquettes votives représentant des yeux, des seins, de quelques bijoux, anneaux, clochettes. Il n’y a pratiquement plus de verrerie, à l’inverse des innombrables fragments localisés sur le sol de la cella.

Fig. 88. Ex-voto de l’enfant au berceau.

43Pour le grand temple, nous nous trouvons devant une abondance d’objets découverts dans les remblais ou dans les sols bouleversés des cours, sans pouvoir établir une concentration en un point précis. Seule leur particularité peut constituer un indice. On dénombre des fibules, des clochettes en quantité importante, des bijoux et des anneaux dépourvus de décor mais pouvant être des bagues, bien qu’il soit difficile de les distinguer avec certitude des anneaux utilitaires, des plaquettes d’yeux et bien entendu de très nombreuses statuettes en terre blanche constituées cette fois par une majorité de déesses-mères ou assimilées (Vénus...) et nombre de petits objets dont on ne peut préjuger la destination. L’étude de la céramique commune faite par M. Joly montre une prédominance de vases de présentation et de service, assiettes, cruches, correspondant aux pratiques cultuelles. Nous avons aussi une offrande individualisée avec le vase (inv. 86) contenant le squelette d’un oiseau et deux monnaies (dont la plus récente est une monnaie d’Antonin le Pieux pour Faustine II). Les monnaies sont toutes éparses, avec toutefois une densité plus grande autour du puits.

44Il est donc bien difficile, devant cette juxtaposition de vestiges disséminés dans Paire cultuelle, de reconstituer les pratiques observées par les fidèles.

45On ne peut que constater une cohabitation de dieux divers et une série de cultes où dominent de solides traditions celtiques, confirmant l’esprit qui a présidé à la conception de ce grand temple, et complétée rapidement par le développement concordant des cultes orientaux de Mithra et probablement de Cybèle.

  • 21 Découverte ancienne conservée au Musée de Beaune (Espérandieu, 2051).

46Peut-on faire un rapprochement, à l’instar de E. Planson (PLANSON et alii, 1982, p. 29), entre les divinités honorées – déesses-mères, symboles de fécondité et de prospérité – un Apollon guérisseur, les représentations d’enfants emmaillotés dont l’ex-voto de l'enfant au berceau21 (fig. 88), et le nombre important des sépultures de bébés nouveau-nés ou mort-nés découvertes dans la nécropole ? Il est certain que le nombre d’offrandes constituées par des miroirs, des flacons à parfum, bijoux et autres, montre une fréquentation féminine importante. Étant donné ces découvertes, F. Olmer, relevant les vertus médicales de certains contenus d’amphores, en particulier du ganan, censé, selon Pline, faciliter l’expulsion du placenta, suggère l’hypothèse d’un sanctuaire régional lié à la maternité. La récente lecture par P.-Y. Lambert de l’inscription gauloise présentant une dédicace liée au monde féminin, et qui laisserait apparaître le nom de Lucina déesse de l’enfantement, constituerait un indice probant supplémentaire (voir les contributions de F. Olmer et P.-Y. Lambert en deuxième partie de ce volume). Ainsi pourrait-on rattacher ces ensevelissements à cette fréquentation et à une partie des cultes célébrés dans la ville.

Note

20 Certains fragments parvenus au Musée archéologique de Dijon s’assemblent avec les nôtres.

21 Découverte ancienne conservée au Musée de Beaune (Espérandieu, 2051).

Indice delle illustrazioni

Legenda Fig. 85. Essai de restitution du temple ; maquette de M.-Th. Pio, Chambéry. Cl. J.-L. Bernuy.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/388/img-1.jpg
File image/jpeg, 376k
Legenda Fig. 86. Ex-voto du dieu Segomo, mulet en bronze (dessin ancien).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/388/img-2.jpg
File image/jpeg, 133k
Legenda Fig. 87. Fronton de stèle funéraire représentant Attis. Cl. Cl. Rolley.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/388/img-3.jpg
File image/jpeg, 190k
Legenda Fig. 88. Ex-voto de l’enfant au berceau.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/388/img-4.jpg
File image/jpeg, 163k

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