1Cet article traite de plusieurs découvertes d’outils de mouture présentant une rainure longitudinale aménagée sur le dos des molettes, accompagnée dans un cas par des poignées de préhension. Ce nouveau type de molette est inconnu à ce jour en France. Les documents et les contextes de découverte affichent une certaine complémentarité dans un espace géographique cohérent, celui du bassin hydrographique de la Loire (fig. 1). Les témoignages convergent pour faire état d’un perfectionnement des systèmes de préhension et de manipulation des molettes va-et-vient. Le contexte général est celui du Second âge du Fer au cours duquel est adopté le mode rotatif (Alonzo, 1997 ; Jaccottey et alii, 2013b), notamment dans la région (Menessier, Jouannet, 2013 ; Georges, Jaccottey, ce vol.). Ces découvertes trouvent des parallèles avec d’autres sites français de l’âge du Fer sur lesquels des systèmes de préhension des molettes ont été confectionnés. Mais elles évoquent surtout d’autres exemples connus dans le monde méditerranéen, à l’image des molettes à rainure connues sur des sites syriens (Bombardieri, 2008).

Présentation des objets et contextes de découverte

Le moulin va-et-vient de Mably (Loire)

2Un moulin va-et-vient (fig. 2) provient d’une fosse attribuable à La Tène B1 à partir d’indices typologiques relevés sur le mobilier céramique de la fosse. Il est à noter la présence d’une autre fosse avec du mobilier céramique contemporain dans le voisinage immédiat. Le caractère domestique de ces découvertes peut être avancé sur la base des éléments recueillis lors du diagnostic archéologique à l’origine d’une prescription de fouilles en cours. Le contexte des céramiques régionales de La Tène A et B laisse entrevoir un lot caractéristique de La Tène B1 précoce (Georges, Jaccottey, ce vol.).

3Les matériaux utilisés sont des grès riches en quartz faiblement opaques dont la texture à la fois tenace et très grenue présente de fortes analogies avec des grès triasiques accessibles sur la façade occidentale du Morvan dans le bassin de la Loire (soit immédiatement au nord de la région roannaise, soit du côté de Villefranche-sur-Saône).

4La molette est entière et la meule fragmentée mais quasi complète. Les quelques morceaux manquants peuvent se trouver dans la moitié de fosse non fouillée durant le diagnostic, mais dans cette hypothèse, à l’écart de la zone de concentration de mobilier à l’intérieur de la fosse. La molette est elle aussi façonnée dans une arkose à texture homogène millimétrique d’origine indéterminée qui est néanmoins extérieure au département de la Loire (fig. 2, photo) ; elle peut probablement correspondre à un grès triasique très abondant dans le Morvan et présent jusque dans le Charollais, immédiatement au nord du Roannais (et de Mably). À noter que les sarcophages de Roanne sont réalisés dans des matériaux similaires, quoique plus grossiers (obs. R. Bouiller). Elle est de forme ovalaire allongée, à section semi-ovalaire et de grande dimension. Le dos arrondi et les flancs obliques ont intégralement été régularisés par un martelage soigné. Elle mesure 42 cm de longueur pour 21 cm de largeur et une épaisseur de 6,5 cm. Sa longueur est supérieure à la largeur de la meule associée (environ 30 cm) ; il s’agit donc d’une molette débordante. Cette molette a son dos entaillé d’une rainure longitudinale d’une longueur de 27 cm, large de 3,7 cm et d’une profondeur de plus d’1 cm. La section de cette gorge a un profil subquadrangulaire. La surface active de cette molette est plane longitudinalement et légèrement convexe transversalement. L’usure est surtout marquée sur les bords de la surface active.

5La meule dormante est faite dans un matériau identique à celui de la molette. Retrouvée fragmentée dans la fosse en cuvette 5012.6, elle est de forme subquadrangulaire. Son dos a été régularisé par martelage, ainsi que ses flancs arrondis. Sa longueur est estimée à une soixantaine de centimètres, elle est large de 30 cm, épaisse de 7,5 cm et de section semi-ovalaire. Sa surface active est plane avec une usure plus marquée sur les côtés.

La molette de Tours (Indre-et-Loire)

6Cet exemplaire découvert lors de la fouille du site Centre de Maintenance à Tours (Laruaz, Poitevin, 2012) est une molette de forme ovoïde à section subquadrangulaire et de grande dimension (fig. 3). Elle est façonnée dans un calcaire gréseux coquillier de la région de Tours. Elle mesure 46 cm de longueur et 36 cm de largeur pour une épaisseur de 7 cm. Sa principale particularité est d’avoir un dos plat intégralement martelé et entaillé d’une rainure longitudinale sur toute sa longueur. Celle-ci est large de 4 cm, profonde de 3 cm et de section semi-circulaire. Cette molette provient d’un trou de poteau daté de La Tène finale sans qu’il soit possible de la relier à d’autres vestiges ou à une structure d’habitat précise (LT D1b/D2a).

La molette de Maillé (Indre-et-Loire)

7La molette de Maillé a été découverte dans un silo avec du mobilier céramique latènien sur le site de Villiers / La Roche (Roy, à paraître). Elle est de forme ovalaire et de section semi-circulaire (fig. 4). Le matériau employé est un calcaire gréseux peu courant pour du matériel de mouture. La surface active est totalement plane avec une usure plus marquée à l’extrémité et sur un des bords, critère qui permet de la rapprocher des molettes débordantes. Le dos arrondi est intégralement martelé et une rainure longitudinale, large de 3 cm et profonde de 2,5 cm, est creusée au milieu. La rainure à section semi-ovalaire couvre toute la longueur du dos et vient mourir sur l’excroissance. Outre cette rainure, la particularité de la molette de Maillé est la présence d’une excroissance liée à la préhension (9,5 cm x 5 cm) à l’extrémité de la molette. Cette excroissance, de forme trapézoïdale, est séparée des flancs de la molette par l’aménagement d’une gorge, et forme une véritable poignée de préhension.

La molette de Couesmes (Indre-et-Loire)

8Un autre fragment de molette a été découvert sur un établissement rural de La Tène finale fouillé au lieu-dit ’La Tesserie’ à Couesmes (Quilliec, Laruaz, 2011) (fig. 5). Cette molette, fragmentaire, présente cependant de fortes similitudes avec celle de Tours. Elle est actuellement en cours d’étude (B. Robin).

Perspectives

9Le bassin hydrographique de la Loire fait le lien entre toutes ces molettes à rainure. La création de ce type de rainure sur les exemplaires de Couesmes, Mably, Maillé et Tours suggère fortement l’utilisation de molette composite dans lesquelles des pièces en bois viennent s’encastrer en vue de faciliter la préhension et la manipulation de ces molettes débordantes, qui sont également soigneusement façonnées. L’existence de poignées sur l’exemplaire de Maillé suggère soit un système plus complexe, soit deux étapes dans l’utilisation du moulin. La mise en forme totale et soignée par épannelage et bouchardage de la meule dormante de Mably renforce l’impression que ces outils ont un haut degré de finition. Le mobilier céramique de Mably présent dans la fosse 5012.6 donne des indices typochronologiques incontestables de La Tène B1. Ces moulins seraient donc antérieurs à l’introduction de la meule rotative. Les autres pièces prises en compte proviennent de contextes laténiens tardifs, en réemploi ou mal assurés.

10Nonobstant la présence commune d’une rainure sur le dos des pièces et d’une mise en forme intégrale et soignée des pièces, des disparités majeures subsistent entre ces différents exemplaires de molettes, à commencer par les matières premières dans lesquelles elles sont façonnées. Leurs formes différent également : élancée à Mably, plus trapue à Tours, et avec une poignée à Maillé. Il ne s’agit donc pas de productions issues d’un même atelier, mais plutôt d’outils qui montrent des aménagements similaires. Si l’on s’en tient au seul contexte fiable dont nous disposons, celui de Mably, ces molettes manifestent une recherche d’améliorations techniques au cours de la période qui précède le passage des outils de mouture va-et-vient aux meules rotatives. Il est à relever que les rainures sont toutes sensiblement obliques par rapport aux corps longiformes des molettes. Cette particularité constitue l’indice sérieux d’une spécificité en rapport avec le maniement optimal des molettes lors des processus de mouture.

11Pour la France, un parallèle peut être fait avec les molettes également débordantes en rhyolite de La Salle (Vosges) qui sont intégralement mises en forme de manière soignée et possèdent une barre aménagée sur le dos afin de permettre une manipulation plus aisée (Deffressigne et alii, 2002). Ces outils sont datés de la fin du Hallstatt (D2-D3). D’autres pièces, dans la même roche, présentent, à la place de la barre, des mamelons aménagés aux deux extrémités (Lagadec, 2008). Plus au sud, les molettes débordantes découvertes sur le site de La Courgoulude à Lattes (fin vi^e – début v^e s. av. J.-C.) sont également totalement façonnées ; les exemplaires en grès grossier possèdent également des mamelons de préhension aménagés aux extrémités du dos (Cousserans-Néré, Jaccottey, 2014).

12Mais au-delà du cadre hexagonal, ces pièces évoquent d’autres exemples connus notamment dans le monde méditerranéen, depuis les molettes à rainures syriennes utilisées entre le xi^e et le v^e s. av. J.-C. (Bombardieri, 2008, p. 497), jusqu’aux molettes à poignées connues en Catalogne à Aldora Park au v^e s. av. J.-C. (ALP.53 ; Portillo Ramírez, 2006), Penya-del-Moro (PM. 15 ; ibid.), Pech-Maho (PEM. 44 ; ibid.) ou des molettes à barre de Minorque qui sont datées entre le iv^e et le iii^e s. av. J.-C (Portillo Ramírez et alii, 2014, p. 313) (fig. 6).